Article 11 de la Constitution (Conclusions des CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi organique et sur le projet de loi portant application de l'article 11 de la Constitution.

Discussion générale commune

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires .  - Nous voici réunis pour examiner les conclusions des CMP sur le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire portant application de l'article 11 de la Constitution.

J'ai déjà expliqué à plusieurs reprises que le référendum d'initiative partagée est un faux-semblant. Pourquoi ? Parce que certains ont cru qu'il s'agissait d'un référendum populaire, soit qu'un référendum serait organisé sitôt qu'un certain nombre de citoyens le souhaiteraient. Je ne dis pas que ce référendum d'initiative populaire ne soit pas exempt de certaines difficultés. J'ai, pour ma part, quelques réserves à son égard. Voyez les référendums locaux : ils sont partiels, voire partiaux. Je tiens que les assemblées, qu'elles soient locales ou parlementaires, sont mieux à même d'apporter des réponses appropriées. Il est, du reste, peu de questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non.

Mais il s'agit ici d'un référendum d'initiative partagée. Tant de conditions doivent être remplies que c'est un véritable parcours du combattant. D'abord, une proposition de loi adoptée, ou plutôt signée par un cinquième des parlementaires. À ce propos, je note que l'Assemblée nationale a repris la position de votre serviteur dès avant la CMP : il ne peut y avoir qu'une proposition de loi. Elle sera de type particulier, car signée à la fois par les députés et les sénateurs. L'initiative revient donc au Parlement et non aux citoyens pétitionnaires. Passé cette étape, le Conseil constitutionnel examine la proposition de loi, vérifie sa conformité à la Constitution et que l'article 11 s'applique. Si tel groupe a jugé utile d'utiliser son espace réservé pour faire ressurgir cet article 11, c'est sans doute qu'était en débat une certaine loi qui s'applique désormais dans toutes les communes de la République... Après quoi, 4,5 millions de citoyens représentant 10 % du corps électoral devront apporter leur signature. Et dans un délai de six mois, le Parlement ne devra pas examiner ce sujet. Qu'entend-on par « examen » ? Que le texte soit inscrit à l'ordre du jour et que la discussion s'engage en séance publique avec la prise de parole du premier orateur. Il suffira qu'un groupe parlementaire - il y en a, je le rappelle, six dans chaque assemblée - utilise un espace réservé pour stopper le processus et accumuler 4,5 millions de signatures. Si et seulement si toutes ces conditions sont remplies, le président de la République convoquera un référendum. Il faut beaucoup d'imagination pour avoir bâti un édifice aussi complexe, qui laisse assez peu de chances d'être mis en oeuvre ! Pour ma part, je n'ai pas voté cet article 11.

Reste que la Constitution nous enjoint de voter une loi organique. Notre commission a eu un seul souci, parce que c'était l'attitude républicaine, d'être le plus fidèle possible à la lettre et à l'esprit de la Constitution.

Je rends hommage à M. Geoffroy, rapporteur pour l'Assemblée nationale, et au président Urvoas, mon homologue de l'Assemblée nationale, qui ont eu la volonté d'aboutir. De même qu'à M. Portelli, qui a travaillé au compromis.

Nous nous sommes ralliés à la position de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi d'origine : elle ne sera pas soumise au contrôle du Conseil d'État, puisque le Conseil constitutionnel l'examinera de droit.

J'en viens aux points sur lesquels il y a eu discussion. Sensibles à la situation des territoires, nous avons considéré que le recueil des signatures ne pourrait avoir lieu par la seule voie électronique. D'où la solution trouvée : tout citoyen pourra déposer sa formule papier auprès de la mairie de la commune la plus peuplée du canton, qui l'enregistrera et la transmettra par voie électronique. Voilà un point qui ne relève pas de la Constitution, et a fait l'objet d'un « accord simple et pratique », comme le disait M. Chevènement.

Nous avons longuement évoqué la question des délais. L'Assemblée nationale avait écrit que le président de la République disposait de quatre mois pour organiser le référendum lorsque toutes les conditions étaient remplies. Dès lors que ce n'était pas prévu par la Constitution, le législateur organique n'avait pas à outrepasser la volonté du constituant. Notre point de vue a prévalu.

De même, les députés avaient prévu que la procédure serait interrompue par un vote de chaque assemblée ; la Constitution ne prévoit qu'un examen, lequel peut se traduire par diverses conclusions : le vote, le rejet, l'adoption d'une motion de procédure...

Dernier point, le contrôle des 4,5 millions de signatures par le Conseil constitutionnel. Les députés avaient instauré une commission. On voit bien la difficulté : comment un Conseil de neuf membres pourrait-il venir à bout de cette tâche, même augmenté des anciens présidents de la République - un système auquel il faudrait, à mon sens, mettre fin ? Que dit la Constitution ? « Le Conseil constitutionnel contrôle ». Il disposera pour ce faire des services de l'État, et du ministère de l'intérieur en particulier et pourra nommer des rapporteurs adjoints ou délégués.

Respect absolu de la lettre et de l'esprit de la Constitution, voilà ce qui a présidé à l'accord intervenu en CMP que je vous demande d'adopter. (Applaudissements)

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Mettre en oeuvre l'application de l'article 11 de la Constitution, tel est l'objectif des textes sur lesquels la CMP est parvenue à un accord. Je le dis car j'ai eu le sentiment que M. Sueur prononçait l'éloge funèbre de cet article... (Sourires)

Mardi dernier, l'Assemblée nationale, dans un esprit de parfaite concorde républicaine, a adopté les conclusions de la CMP. M. Portelli a raison : il est anormal de voir tant de temps s'écouler entre la révision de la Constitution de 2008 et la mise en oeuvre effective des articles 11 et 68.

Nous arrivons au terme d'un long processus, puisque ces textes ont été déposés en décembre 2010 au Parlement, puis discutés en première lecture en décembre 2011. L'histoire retiendra que la volonté de respecter la Constitution était le fait du Parlement. Vingt ans après que le Comité consultatif sur la révision de la Constitution de 1992 eut proposé un référendum d'initiative minoritaire, « destiné à combiner le voeu d'une minorité parlementaire et celui d'une minorité de pétitionnaires, dont le cumul pourrait conduire à l'arbitrage de la Nation elle-même », nous allons, après un long débat sur l'opportunité de créer ou non un véritable référendum d'initiative populaire, créer le référendum d'initiative partagée.

Les CMP ont adopté un texte qui préserve les apports des deux chambres du Parlement et respecte scrupuleusement la Constitution. En adoptant définitivement ces deux textes, le Parlement accèdera au voeu de deux présidents de la République : M. Nicolas Sarkozy et M. François Hollande qui, à l'occasion du cinquantième anniversaire de notre Constitution, a dit vouloir que cette disposition acquière force de loi. (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Que dire de plus que lors des deux lectures précédentes ? Rien, sinon qu'il n'est pas interdit de se répéter. Le terme d'initiative minoritaire eût été plus adapté pour qualifier ce référendum. Il faudra rassembler 4,5 millions de signatures, soit plus de 10 % du corps électoral, qui est formé de 44,3 millions d'inscrits. Quand on voit la difficulté à rassembler un million de signatures de sept pays pour un référendum européen, nous ne sommes pas près de voir poindre le bout du nez de ce référendum d'initiative partagée.

Les écologistes voteront ces lois belles, mais bien vaines ! (Applaudissements)

M. Hugues Portelli .  - Le groupe UMP votera ces textes parce qu'il faut appliquer complètement la Constitution. Je ne tiens pas rigueur à ce Gouvernement du retard pris car la Constitution a été révisée en 2008. Il reste d'ailleurs une loi organique à voter pour l'article 68 - pour lequel les deux textes adoptés par l'Assemblée nationale et le Sénat ne diffèrent guère. La seule divergence de fond porte sur l'instance de pilotage : le Bureau des assemblées pour le projet de loi voté par les députés, la Conférence des présidents, pour le texte adopté par les sénateurs... L'on doit pouvoir trouver un compromis !

Revenons à l'article 11 dont il s'agit ici : je suis de ceux qui estiment ce texte peu praticable. Récolter 4,5 millions de signatures, cela servira surtout à mener des batailles d'opinion, d'autant qu'il suffira, comme l'a relevé le président Sueur, d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour pour la bloquer.

Très attaché à la séparation des pouvoirs, aussi bien entre le législatif et l'exécutif qu'entre le législatif et le judiciaire, je ne trouve pas convenable qu'il y ait eu tant de pressions, que des amendements nous viennent entièrement rédigés d'ailleurs - de bien plus haut que le Gouvernement... La loi se fait au Parlement. À bon entendeur, salut !

Cela dit à titre personnel, j'accomplis la mission qui m'a été confiée : affirmer le soutien du groupe UMP à ces textes. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - Le citoyen reste secondaire, il viendra en soutien à une initiative parlementaire. Ce référendum est loin de constituer un nouveau pas vers la démocratie participative. Nous sommes fort loin d'un référendum populaire.

C'est un véritable parcours du combattant. Il n'est pas si facile de rassembler un cinquième des parlementaires. Si c'était le cas, nous aurions adopté depuis longtemps le vote des résidents extracommunautaires. Qui plus est, il faudra obtenir 4,5 millions de signatures. Ces deux conditions cumulatives sont rédhibitoires, tous les observateurs l'ont dit.

Pour leur part, les sénateurs du groupe CRC continueront de réclamer une profonde réforme de nos institutions qui fasse la part belle à l'initiative populaire et à la démocratie. Je ne comprends pas que la gauche adopte un tel texte. Nous ne le voterons pas.

M. Jacques Mézard .  - Cinq ans pour aboutir à cette oeuvre d'art byzantine (Sourires). On pourrait, d'ailleurs, retirer le mot art...

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Nous prenons acte de l'accord intervenu en CMP, et nous voterons bien sûr ces textes, car nous sommes des républicains. Cela n'enlève rien à nos réserves à l'égard de cette Constitution qui nous agrée décidément de moins en moins. Ce référendum renforce le bipartisme dominant, dont les tares sont mises en évidence chaque jour davantage, avec la condition de réunir un cinquième des voix des parlementaires. Il confirme les travers consubstantiels de la Ve République, que nous avons toujours dénoncés, aggravés par le quinquennat, et l'inversion du calendrier électoral, dont nos concitoyens prennent de plus en plus conscience à mesure que le temps passe. Les radicaux, auxquels je suis fier d'appartenir, se sont toujours méfiés d'une procédure référendaire prompte à se transformer en plébiscite. Nul ne peut craindre, certes, qu'un moderne Badinguet se transforme de nos jours en dictateur. En revanche, les risques sont grands de voir, avec ce référendum, le débat monopolisé par les lobbies et la puissance de l'argent, lequel n'a jamais fait bon ménage avec la démocratie et il est bon qu'il en soit ainsi.

Notre confiance va au suffrage universel et à son expression, la démocratie représentative, dont nous tirons notre légitimité, en vertu de l'article 3 de la Constitution.

Pour autant, nos deux assemblées sont parvenues, par le dialogue, à un accord - ce qui est devenu rare et, donc, précieux. Manière de signaler que personne ne croit que ce référendum d'initiative partagée verra le début d'un commencement de réalité. Le groupe RDSE ne voulant pas laisser en jachère des pans entiers de la Constitution, il votera ces textes à l'unanimité. Oserais-je demander au Gouvernement s'il compte présenter avec la même célérité un projet de loi organique d'application des articles 67 et 68 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit aussi)

Mme Virginie Klès .  - À propos de cet article 11, notre illustre prédécesseur, M. Robert Badinter rappelait la boutade de Clemenceau : « Savez-vous ce qu'est un chameau ? C'est un cheval dessiné par une commission parlementaire »... (Sourires)

Je ne reviens pas sur la procédure prévue par la CMP. On peut s'interroger sur le mode de contrôle par le Conseil constitutionnel : est-il conforme à la maxime delegatus delegare non potest ? L'amendement du Gouvernement y pourvoira.

Les Règlements des deux assemblées devront préciser que le renvoi en commission ne saurait être prononcé sur une proposition de loi référendaire, pour éviter qu'une des deux assemblées ne bloque la procédure.

Au demeurant les chances de voir aboutir cette procédure sont minces... Tout dépendra du bon vouloir du Gouvernement et du Parlement. Cependant, pour mettre en oeuvre la Constitution, ce dont s'était gardé la majorité précédente, malgré ces réserves, le groupe socialiste apportera son soutien à ces textes.

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Je rappelle que le Sénat, examinant après l'Assemblée nationale les conclusions des CMP, se prononcera par un seul vote sur chacun des textes, sous réserve d'amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Discussion du texte élaboré par la CMP sur le projet de loi organique

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 14

Après le mot :

formation

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

composée de trois membres désignés pour une durée de cinq ans par le Conseil constitutionnel sur proposition de son président parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou les membres des juridictions administratives, y compris honoraires.

M. Alain Vidalies, ministre.  - La commission mixte paritaire a souhaité créer des formations présidées par un membre du Conseil constitutionnel et composées de deux autres membres désignés par le Conseil constitutionnel. La participation d'un membre du Conseil constitutionnel pourrait être contraire au principe constitutionnel d'impartialité parce qu'il serait juge et partie. Ne prenons pas le risque d'une censure, alors que nous avons déjà pris beaucoup de retard.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur.  - M. le ministre nous a adressé cet amendement assez tôt pour que la commission des lois puisse l'examiner. Elle s'y est déclarée favorable : évitons qu'un membre du Conseil soit juge de sa propre décision. Pour être fidèle à la Constitution, il suffit de prévoir que les trois membres sont nommés par le Conseil qui reste seul responsable du contrôle de la procédure.

Mme la présidente.  - Le vote sur l'amendement est réservé, conformément à l'article 42-12 du Règlement. Je mets aux voix le projet de loi organique ainsi modifié.

Le scrutin public est de droit.

Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin n° 67 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l'adoption 326
Contre 20

Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi organique.

Vote sur le texte élaboré par la CMP sur le projet de loi ordinaire

Les conclusions de la CMP sont définitivement adoptées.

La séance est suspendue à 10 h 45.

présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 11 h 5.