SÉANCE

du vendredi 22 novembre 2013

33e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

Secrétaires : M. Hubert Falco, M. Jean-François Humbert.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Conservation des scellés judiciaires (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de M. Jean-Patrick Courtois à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires.

M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question .  - Dans son rapport annuel de 2006, la Cour de cassation constatait la non-conservation de plus en plus fréquente de pièces à conviction après une décision définitive, malgré les progrès techno-scientifiques qui auraient pu rendre cette conservation utile à la recherche de la vérité. Cette remarque, que la Cour de cassation a formulée à plusieurs reprises, n'a jamais été suivie d'effets, malgré les circulaires de 1999 et de 2011.

Le Parlement n'est pas resté inactif ; plusieurs questions écrites ont été posées au Gouvernement à ce sujet ; une proposition de loi de M. Michel prévoit la conservation des scellés pendant trente ans. Mme Tasca a consacré au sujet de longs développements dans son avis budgétaire pour 2014.

Les scellés, leur conservation et leur bonne gestion conditionnent en grande partie la qualité de la justice. Les progrès techno-scientifiques en font un élément de preuve qui peut être déterminant. Le code de procédure pénale n'en donne pas de définition juridique. Il y est question d'objets « placés sous main de justice » ou « placés sous scellés » ; le terme désigne non l'objet mais le procédé. Le placement sous scellés assure l'authenticité et l'intégrité des objets saisis, qui doivent être conservés tant qu'ils sont utiles à la manifestation de la vérité.

La question se pose après le classement de l'affaire ou après la décision définitive. Le code de procédure pénale prévoit que, six mois après, les objets deviennent propriété de l'État qui peut les conserver, les vendre ou les détruire, à la discrétion du parquet. Ils sont le plus souvent détruits.

Avant la loi du 23 juin 1999, la durée de conservation était de trois ans. La réduction à six mois, écrivait le sénateur Pierre Fauchon, rapporteur de cette loi, constituait une mesure d'économie heureuse. À l'époque, le risque d'une destruction trop rapide des scellés n'avait pas été craint. Cette mesure n'a ni réduit les coûts, ni résolu le problème de la conservation des scellés. Les victimes ont du mal à admettre que les recherches ne puissent être reprises, alors que le progrès technique en offre l'occasion, parce que les scellés ont été détruits.

En détruisant les scellés, l'État se prive de la possibilité de les utiliser plus tard. L'association Christelle m'a alerté à ce sujet. Dans une affaire d'homicide, les scellés acquis en 1986 ont été détruits en 2001, sans que l'affaire ait été résolue ni le délai de prescription passé. contrario, l'exploitation des scellés prélevés à l'époque a permis d'élucider tout récemment l'assassinat de deux fillettes dans l'Isère, en 1991 et 1996.

La conservation des prélèvements biologiques pose des problèmes particuliers. Les techniques de recueil des preuves se sont sophistiquées. Le luxe de précaution déployé à ce moment de l'enquête est inutile si les scellés ne sont pas ensuite conservés dans de bonnes conditions.

La possibilité, déjà expérimentée, de ne conserver qu'une partie des scellés, doit être étudiée. Pourquoi ne pas mutualiser les moyens au niveau d'une cour d'appel ? Le service central de conservation des prélèvements biologiques, à Pontoise, sous la responsabilité de la gendarmerie est un rare exemple de mutualisation effective des moyens entre celle-ci et la police.

Une réforme profonde de l'article 41, alinéa 4, du code de procédure pénale est nécessaire. Sans revenir sur le délai de six mois, une obligation de conservation pourrait être prévue dans les affaires criminelles, s'agissant d'éléments permettant de relancer l'enquête. Tous les autres scellés pourraient être détruits ou vendus sitôt le délai passé afin de dégager des marges de manoeuvre. (Mme Hélène Lipietz approuve) En tout cas, il est choquant que la durée de conservation des scellés soit de six mois quand le délai de prescription est, lui, de dix ans.

M. Jean-Pierre Michel .  - La question est opportune. Elle fait suite à d'autres initiatives parlementaires. Chaque année, 500 000 pièces sont placées sous main de justice. Des scandales ont eu lieu, comme l'arrestation du greffier du TGI de Saintes qui vendait des scellés à son profit, ou l'affaire Boulin.

La non-conservation de plus en plus rapide des scellés, souligne la Cour de cassation, entrave la recherche de la vérité. L'inspection générale des services judiciaires a rendu un rapport confondant : les juridictions ne connaissent pas avec précision leur stock de scellés. Cela met en cause la bonne marche de la justice et la sécurité publique !

Les objets saisis vont du mouchoir de poche au stock d'héroïne, en passant par des voitures de grosse cylindrée. Leur gestion répond à des objectifs contradictoires : la nécessité d'allonger la conservation, dans l'attente de progrès technique. Une conservation coûteuse est difficile à organiser.

Les greffes et le service des scellés ne sont pas seuls impliqués mais aussi le procureur et l'ensemble du parquet ainsi que les magistrats du siège, qui statuent sur le sort des scellés et le président de la juridiction, sans parler des ministères concernés, de la police, de la gendarmerie, de la sécurité civile. D'où l'aspect brouillon de la question des scellés.

Madame la ministre, vous avez résolu beaucoup de problèmes depuis votre arrivée. Nous espérons que vous résoudrez aussi celui-ci. J'ai déposé une proposition de loi, sans doute incomplète. Avec le perfectionnement des techniques, notamment d'analyse ADN, on ne peut pas exclure d'élucider des affaires anciennes, voire d'innocenter des condamnés.

Une évolution législative est nécessaire. Si le Gouvernement n'en prend pas l'initiative, nous le ferons par voie d'amendements à l'occasion de la réforme de la procédure pénale. (M. Jean-Patrick Courtois approuve)

M. Yvon Collin .  - La question des scellés donne son effectivité au droit de la preuve, pierre angulaire du système judiciaire. Dans un procès pénal, la manifestation de la vérité en dépend. On connaît les adages : actori incumbit probatio et reus in excipiendo fit actor. La confiance des justiciables envers leur justice exige une gestion rigoureuse des scellés.

Or, les saisies sont en hausse sensible et les services des scellés s'engorgent. Plus de 500 000 pièces, qui vont du mouchoir de poche à une carcasse de véhicule, placées chaque année sous main de justice. Nous connaissons tous les lenteurs de la justice, même si ni les magistrats ni les greffiers ne sont en cause. La procédure de destruction des scellés est lourde, d'où les problèmes de conservation. On en est réduit à la débrouillardise...

Comme le relevait l'Union syndicale des magistrats dans son livre blanc de 2010, les scellés du TGI d'Avesnes-sur-Helpe étaient stockés dans un immeuble infesté de rats, humide... Les contraintes budgétaires conduisent parfois à des décisions ubuesques. Le véhicule dans lequel Michel Fourniret a séquestré et assassiné des fillettes a dû être garé sur le parking du tribunal, à Charleville-Mézières !

La question, aiguë, a fait l'objet d'un rapport de l'inspection générale des services judiciaires en 2009, selon lequel les tribunaux connaissent mal leur stock ; ils ne savent même pas combien ils ont d'armes ! C'est inacceptable dans un État de droit. Grâce au progrès technique, on peut désormais, des années après, élucider des affaires ou innocenter des condamnés.

Depuis 1999, les services concernés ont été sous-budgétés. Quelles sont vos intentions, madame la garde des sceaux, pour doter les greffes d'une assise budgétaire acceptable et pérenne ? (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Mme la garde des sceaux, et donc des scellés, on ignore le nombre de ceux-ci. Les parlementaires s'en sont émus. Les fonctionnaires n'en sont pas moins hommes et l'on devine comment disparaissent certains scellés. La destruction de joints et autres fifrelins fait l'objet d'une simple déclaration...

En revanche, la confiscation de voitures de grosse cylindrée pourrait permettre aux policiers de rouler aussi vite que les délinquants. Il est vrai que leur gardiennage coûte cher.

Un schéma de simplification a été publié. Auriez-vous un schéma simplifié pour me le faire comprendre ? (L'oratrice brandit le schéma actuel, qu'elle estime illisible)

Avec les méthodes scientifiques, on peut espérer faire avouer un jour les objets. Leur destruction fait obstacle à la manifestation de la vérité. Madame la ministre, vous dont on connaît le dynamisme, quand lancerez-vous le grand chantier des scellés ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je salue votre maîtrise du sujet. Vous avez sans doute passé beaucoup de temps dans les tribunaux de vos circonscriptions.

Je ne répondrai pas à Mme Lipietz à propos des objets saisis par la police : ils relèvent de la souveraineté du ministère de l'intérieur.

Je remercie M. Courtois de sa question ; je connais l'implication des parlementaires de Saône-et-Loire, mais aussi d'autres départements.

La conservation des scellés consomme effectivement de l'espace. Il y a lieu de réfléchir à leur sélection, comme vous le proposez.

Je veux exprimer mon profond respect aux victimes et à leurs familles. Les procédures judiciaires ne leur apportent pas toujours satisfaction.

Je sais qu'au TGI de Châlons-sur-Saône, des problèmes réels d'organisation dans la gestion des scellés ont été constatés à l'occasion d'affaires en 1986, 1990, 1999 et encore au début des années 2000. Cela concernait surtout des prélèvements organiques, sensibles à la moisissure. Or, avec la technique ADN, des preuves inutilisables il y a une vingtaine d'années sont devenues essentielles à la manifestation de la vérité. Des inondations ont aussi abîmé le palais de justice. Les choses se sont améliorées depuis. Plus aucun objet relevant d'une procédure criminelle non close n'est détruit.

Il m'appartient de veiller à ce que les règles soient suffisantes et générales. Le taux d'élucidation des délits et des crimes nous offre un instrument de mesure.

Il faut d'abord anticiper et savoir que des objets aujourd'hui inutilisables pourront l'être dans quelques années. Pour autant, les dépenses doivent être contenues, sans toutefois que cela conduise à un plafonnement des frais de justice.

Le code de procédure pénale définit la durée de conservation des scellés à ses articles 56 et 99. Six mois, ce n'est pas absurde à condition que la faculté demeure de les conserver plus longtemps si un réexamen est probable ou pour certaines catégories d'objets.

Trois exceptions principales existent : pour les mineurs, pour les interceptions de correspondance par voie de télécommunication, pour un profil génétique inscrit au fichier national des empreintes digitales concernant une personne non identifiée. Le ministre de l'intérieur et moi-même prévoyons de publier un décret pour la conservation des prélèvements d'ADN.

La Cour de cassation a évoqué les affaires Dany Leprince et Patrick Dils, où des objets importants à la manifestation de la vérité ont été détruits. La proposition de loi de M. Michel prévoit, en matière criminelle, une conservation de trente ans ; le Conseil national des droits de l'homme demande la même chose. Un travail mené à l'Assemblée nationale par les députés Tourret et Fenech, prévoit un dispositif plus souple. Une étude d'impact nous sera bientôt communiquée.

Le budget de la conservation des scellés était de 18 millions d'euros en 2012. Il fait partie des frais de justice, de 447 millions en 2012, de 476 millions en 2013.

Mieux conserver, peut-être moins conserver, et utiliser les techniques pour réduire le stockage physique lorsqu'il n'est pas indispensable, voilà à quoi nous réfléchissons.

Pour certains objets comme les prélèvements biologiques, nous devons avoir recours à des prestataires extérieurs, laboratoires ou établissements hospitaliers. Cela a un coût mais c'est nécessaire car les objets recèlent des secrets qu'il faut leur arracher.

Après les missions de 2007 et 2009, un plan d'apurement des scellés a été élaboré, de même qu'un guide de programmation de la conservation des scellés qui rappelle les conditions de bonne conservation d'hygiène et de sécurité, ainsi que l'articulation avec l'application Cassiopée. J'ai aussi diligenté une enquête sur la nature des scellés : je vous en ferai connaître les résultats.

Sur les interceptions, la nouvelle plateforme permet 17 millions d'euros d'économies. Elle améliore surtout la sécurisation de ces données. Un comité d'éthique veillera au respect des libertés.

Nous éliminons le stockage physique inutile. Les CD-Rom et les disques durs prennent de la place... Une sélection des éléments de preuve qui peuvent être dématérialisés a été engagée. Nous travaillons également à leur échantillonnage, qui a déjà commencé pour les stupéfiants. Autre technique, la photographie, que nous pouvons utiliser pour certains objets qui ne nécessiteront pas d'analyse biologique ultérieure. Une circulaire autorisera bientôt le recours à des preuves dématérialisées.

Voilà pour l'avenir. La question des stocks est plus délicate. J'attends les résultats de l'enquête pour prendre des décisions. Je vous ferai parvenir tous les éléments précis sur les améliorations passées et à venir. Un regroupement a déjà lieu au niveau de la cour d'appel en matière criminelle.

Nous verrons, au terme de la mission commune d'information sur la révision, à l'Assemblée nationale, quelles évolutions législatives doivent être envisagées.

Je vous remercie chaleureusement de vos interventions sur ce sujet très technique auquel vous avez rendu toute son épaisseur humaine en montrant son importance pour les familles de victimes et les innocents condamnés. (Applaudissements)

La séance est suspendue à 11 h 30.

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.