Contrôleur général des lieux de privation de liberté

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi modifiant la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Discussion générale

Mme Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi et rapporteure de la commission des lois .  - Cette proposition de loi du groupe socialiste tend à modifier la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Son inscription à l'ordre du jour témoigne de l'attachement du Sénat à cette institution et au respect des droits fondamentaux. Dès 2001, à l'initiative de M. Hyest, il avait voté en faveur de la création d'un tel contrôleur général.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a pour mission de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes détenues. M. Delarue, premier détenteur de la fonction, l'a remplie excellemment. Le législateur a étendu ses compétences à l'ensemble des lieux où l'on est privé de liberté suite à une décision d'autorité publique. M. Delarue a visité plus de 800 établissements ; d'ici la fin de l'année, presque tous les établissements pénitentiaires auront été visités, y compris en outre-mer où beaucoup sont très délabrés.

M. Delarue a pris l'initiative de répondre à tous les courriers qui lui sont adressés et d'enquêter sur la réalité de faits signalés. Il a porté dans le débat public des questions auparavant occultées. Je tiens à lui rendre hommage car il a su concilier fermeté sur les principes, ouverture au dialogue et exigence vis-à-vis de ses équipes. Il a su parfaitement répondre aux exigences énoncées naguère par M. Hyest.

Son mandat, non renouvelable, arrive à échéance au début de l'été. La question de l'avenir de l'institution se pose donc. En 2011, le Sénat s'est opposé à l'absorption du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans la nouvelle institution du Défenseur des droits. Nous réaffirmons notre attachement à son autonomie. Les deux institutions sont complémentaires : le Défenseur des droits cherche des solutions à des problèmes particuliers tandis que le Contrôleur général est chargé de contrôle et de prévention.

Après cinq ans et demi, l'expérience montre cependant qu'il faut conforter le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cette proposition de loi s'inscrit dans la dynamique engagée par Mme la garde des sceaux pour faire advenir la justice du XXIe siècle. Une privation de liberté respectueuse des autres droits des personnes est la condition de la réinsertion et de l'absence de récidive. La même exigence vaut pour les personnes retenues et les malades mentaux internés contre leur gré.

Le renforcement du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne doit pas être interprété comme une marque de défiance vis-à-vis du personnel pénitentiaire, lequel remplit avec conscience et probité sa tâche très difficile. (Mme Nathalie Goulet approuve) Nous avons plutôt le souci de l'accompagner.

Cette proposition de loi tire les conséquences des difficultés rencontrées ces cinq dernières années. D'abord en protégeant les interlocuteurs du Contrôleur général. Celui-ci a presque toujours entretenu d'excellentes relations avec le personnel pénitentiaire et obtenu les documents demandés, mais il y a eu des exceptions.

Des pressions sont parfois exercées sur les personnes qui acceptent de s'entretenir avec le Contrôleur général. La proposition de loi les protège contre toute forme de représailles, crée un délit d'entrave à l'action du Contrôleur général et renforce la protection des correspondances avec lui.

Nous voulons aussi autoriser le Contrôleur général à accéder à un nombre plus important d'informations : informations couvertes par le secret médical et procès-verbaux de déroulement de garde à vue. Il pourra aussi mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre.

Enfin, la proposition de loi clarifie le cadre légal de l'action du Contrôleur général, reconnaissant l'existence de « chargés d'enquête », précisant les conditions du dialogue entre le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les autres autorités, et consacrant la publication de ses avis. Il est également rappelé que le Contrôleur général est tenu au secret professionnel et que ses avis doivent tenir compte des évolutions intervenues depuis sa visite.

La commission a apporté à la proposition de loi plusieurs modifications. La compétence du Contrôleur général a été étendue au contrôle de l'exécution des mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière, conformément à la directive « Retour ». Dans un souci de cohérence de notre droit, nous lui avons donné cette compétence pour toutes les mesures d'éloignement, y compris vers des pays de l'Union européenne.

En outre, la commission a précisé les conditions dans lesquelles le Contrôleur général pourra accéder à des informations couvertes par le secret médical. Il nous a paru difficile de passer outre le consentement de l'intéressé, comme c'est la règle pour les enquêteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Nous avons prévu que son accord ne serait pas requis en cas de sévices infligés à un mineur ou à une personne incapable de se défendre, et que les collaborateurs du Contrôleur général titulaires d'un diplôme de médecin puissent avoir connaissance d'informations médicales couvertes par le secret.

Enfin, la commission a précisé les conditions d'application de cette loi outre-mer.

Vous l'aurez compris, il s'agit de renforcer une institution indispensable à notre démocratie. (Applaudissements)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - C'est une importante proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, et je remercie Mme Tasca d'en avoir pris l'initiative. Dès juin 2012, M. Delarue m'a fait part d'améliorations souhaitables à la loi de 2007, de manière désintéressée puisque celles-ci ne pourraient s'appliquer que pour son successeur.

Le processus d'élaboration du statut juridique du détenu a connu des accélérations dans les années 80, sous l'impulsion de Robert Badinter. Le contrôle extérieur s'est développé, de la part des juges, du préfet, de la Cnil, de la Cada, de l'inspection du travail.

La loi Guigou a permis aux parlementaires de se rendre librement dans les établissements pénitentiaires. Le prochain projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes contiendra une disposition autorisant ceux-ci à accompagner les parlementaires. L'autorité administrative a aussi vu son rôle accru.

Plusieurs rapports ont alerté l'opinion publique parmi lesquels ceux de Guy Canivet en 1999, celui du président Hyest pour la commission des lois du Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest.  - C'était une commission d'enquête.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - En effet, et le rapport que vous avez rédigé avec M. Cabanel a eu les suites que l'on sait. Une prison républicaine n'est pas un lieu de relégation : le détenu est privé de sa liberté mais ses autres droits fondamentaux doivent y être garantis. Le livre du docteur Vasseur a aussi servi d'électrochoc. Saluons également l'action des associations.

Au niveau international, le protocole des Nations unies de 2002 contre la torture et les traitements dégradants, ratifié par la France en 2005, a conduit à la loi pénitentiaire de 2009. La loi du 30 octobre 2007, également inspirée de ce protocole, charge le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de veiller à ce que les personnes détenues ne soient pas soumises à des conditions dégradantes et à ce que leurs droits soient respectés. Son champ de compétence est étendu à tous les lieux de privation de liberté, auxquels il peut accéder librement. Il peut être saisi par les ministres, par les parlementaires, mais aussi par les personnes physiques et morales intéressées.

Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu à M. Delarue, personnalité intransigeante au sens noble du terme, et d'une grande intelligence. Il a réfléchi à sa mission et en a mesuré les forces et les faiblesses. Son bilan est remarquable : 879 visites dans des établissements pénitentiaires. Il n'a pas négligé l'outre-mer, où le retard est considérable. Grâce à ses avis, notamment sur la Nouvelle-Calédonie, j'ai pris rapidement des initiatives ; de même à propos de la prison des Baumettes à Marseille.

Il a émis des avis thématiques sur la présence des jeunes enfants dans les quartiers pour femmes des prisons, l'exercice des cultes, la prise en charge des personnes transsexuelles, bref sur les problèmes de la vie dans les prisons. Les demandes qu'il adresse à l'administration pénitentiaire obligent celle-ci à un important travail et je considère que nos réponses engagent la Chancellerie.

Les conditions de vie et de travail dans les prisons restent mal connues. Emprisonner une personne, c'est l'exclure de la société, mais aussi préparer sa réintégration ; le temps passé en prison doit donc être un temps utile. Grâce à M. Delarue, nous avons ouvert une réflexion sur la justice du XXIe siècle, qui doit être au service de la société.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce un magistère moral. Nous pouvons encore renforcer l'efficacité de son action.

Je rends hommage au personnel pénitentiaire. Améliorer les conditions de détention, c'est aussi améliorer ses conditions de travail. Un protocole a été signé avec le syndicat majoritaire, un plan de formation engagé ainsi qu'un plan pour la sécurisation des établissements. Beaucoup reste à faire. Le contrôle exercé sur les prisons peut être perçu comme une pression sur le personnel. Il faut considérer que le contrôle, en établissant les défaillances de l'État, décharge les agents pénitentiaires des responsabilités qu'on leur impute indûment. C'est aussi le moyen d'améliorer leurs conditions de travail.

Merci d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi, qui renforce les pouvoirs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. C'est heureux pour notre démocratie. (Applaudissements)

M. François Zocchetto .  - Une belle unanimité règne ici sur le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont le Sénat a refusé l'intégration dans le Défenseur des droits. Une convention a cependant été signée entre les deux institutions en novembre 2011.

Je tiens, moi aussi, à saluer le travail accompli par M. Delarue, qui a visité plus de 800 lieux de privation de liberté, dont plus d'un tiers étaient des locaux de garde à vue. Les choses ont beaucoup évolué grâce à lui, grâce à l'administration pénitentiaire aussi. Certes, des difficultés demeurent mais il suffit de considérer l'efficacité du plan de prévention des suicides pour voir que les choses progressent.

Cette proposition de loi inscrit dans le marbre des pratiques existantes. Ce n'est pas inutile. Elle prévoit par exemple la publication systématique des avis du Contrôleur général, alors qu'elle est pour l'instant facultative. Il ne s'agit pas de publier les comptes rendus de chaque visite.

Des amendements ont été présentés par nos collègues écologistes pour étendre les compétences du Contrôleur général aux Ehpad, comme M. Delarue l'a souhaité. Ce serait inopportun. Aucune décision d'une autorité publique n'est à l'origine du placement d'une personne en Ehpad, dans laquelle il n'y a pas d'interdiction d'aller et de venir.

Je salue le travail de Mme Tasca. Je pense comme elle qu'il faut mieux faire connaître le rôle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, notamment auprès des avocats.

Espérons que l'Assemblée nationale inscrira rapidement ce texte à son ordre du jour. Nous comptons sur vous, madame la ministre. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - La loi du 30 octobre 2007 a créé une nouvelle Autorité administrative indépendante chargée du contrôle des lieux de privation de liberté, sept ans après le rapport Canivet. L'idée en a émergé en 2000, quand plusieurs rapports ont mis en évidence les conditions indignes de détention en France, et la nécessité d'un contrôle extérieur. Le 16 septembre 2005, notre pays s'y était engagé auprès des Nations unies.

Nous avons d'emblée jugé insuffisante la loi de 2007 et considéré que le premier détenteur de la fonction donnerait le ton.

Depuis, les rapports de M. Delarue ont conforté la place de cette institution. La présente proposition de loi reprend plusieurs de ses recommandations pour résoudre les difficultés qu'il rencontre et pour consacrer dans la loi les bonnes pratiques engagées par M. Delarue.

La proposition de loi protège les interlocuteurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lui donne accès à plus d'informations et étend sa compétence aux mesures d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière. Nous saluons ces avancées et le travail de Mme Tasca.

Comme elle le rappelle dans son rapport, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut se prévaloir d'un bilan remarquable. Grâce à la personnalité de son titulaire et la qualité de ses collaborateurs, il a largement contribué à faire progresser la situation des personnes privées de liberté dans notre pays.

Mais la situation des prisons françaises a peu évolué depuis la loi pénitentiaire de 2009 : surpopulation carcérale, allongement de la durée des peines, sans parler de la situation dans les unités psychiatriques ou les centres de rétention et zones d'attente. Il nous faut donc agir. La loi pénale à venir doit contenir des dispositions pour y remédier. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et écologistes)

M. Nicolas Alfonsi .  - L'affaire avait fait les gros titres il y a un an : l'inspection du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à la prison des Baumettes avait révélé l'existence de traitements inhumains et dégradants et contraint l'administration pénitentiaire à engager des travaux de transformation. À la suite de la publication du rapport, un audit a été demandé et le parquet invité à faire preuve d'une attention particulière.

La nouvelle autorité administrative indépendante, née du constat des carences du système pénitentiaire français, est issue de la loi du 30 octobre 2007. Elle a tenté de restaurer la dignité de notre institution pénitentiaire en rendant la leur aux personnes privées de liberté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a visité plus de 800 établissements ; la personnalité de son titulaire et la qualité de ses équipes ont largement contribué à améliorer la situation des personnes privées de liberté. Depuis cinq ans, les rapports rendus par le Contrôleur général ont mis en lumière certaines distorsions entre les textes et la pratique et la perfectibilité des premiers.

Le groupe RDSE se félicite de l'inscription de cette proposition de loi. Le Sénat s'était opposé en 2011 à l'intégration du Contrôleur général au sein du nouveau Défenseur des droits qui, comme l'avait justement noté M. Gélard, l'aurait affaibli. Ce constat est plus que jamais d'actualité. La création d'un délit d'entrave, la protection des correspondances et contre le risque de représailles renforcent ses pouvoirs. Il fallait aussi lui permettre d'accéder aux procès-verbaux de garde à vue, de mettre en demeure certaines personnes de lui répondre, et de lever, dans certains cas, le secret médical. Le travail de Mme la rapporteure a abouti à une formulation satisfaisante de cette dernière prérogative. Les ministres seront désormais systématiquement tenus de répondre au Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans un délai fixé par celui-ci. L'élargissement de ses compétences à l'égard des étrangers en situation irrégulière est aussi bienvenu.

Nous rendons hommage à l'excellent travail et à l'engagement de M. Jean-Marie Delarue. Le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - En 2007, l'institution d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté était censée témoigner de la volonté de la France de s'engager dans un contrôle indépendant et effectif de tous les lieux de privation de liberté : établissements pénitentiaires, unités hospitalières spécialisées, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative...

Après cinq années, la nécessité d'un tel contrôle n'est plus à démontrer. Je salue le travail sans concession de M. Delarue qui, par sa grande sensibilité, a fait avancer le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il a rempli sa fonction en républicain.

Le groupe écologiste souscrit aux préoccupations affichées par ce texte. Est notamment traduit en droit le principe de l'article 21 du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, qui prévoit qu'aucune sanction ne peut être prononcée, qu'aucun préjudice ne peut résulter du seul fait des liens établis avec le Contrôleur général ou des informations obtenues en rapport avec ses fonctions.

Mme Tasca a notablement enrichi ce texte. Un amendement adopté par la commission des lois étend ainsi la compétence du Contrôleur général aux mesures d'éloignement des étrangers jusqu'au pays de destination : c'est essentiel. Les étrangers expulsés ne sont pas des colis qu'on jette dans un avion mais des êtres humains, dignes d'égards, ce qu'une certaine propagande anti-immigration, qui les présente comme d'indésirables parasites, risque de nous faire perdre de vue. Une part d'humanité nous unit irrévocablement à eux, quelles que soient leur nationalité, leur origine ou leur religion. Actuellement compétent pour contrôler les zones d'attente et de rétention administrative, le Contrôleur général le deviendra pour contrôler les conditions de transfèrement jusqu'au pays de destination. Or cette phase a donné lieu à nombre de dérives, comme de multiples témoignages l'attestent ; un jeune Somalien de 24 ans et un Argentin de 52 ans sont ainsi décédés dans des circonstances troubles lors de leur reconduite à la frontière.

Viscéralement attachés aux droits fondamentaux, nous voterons avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-René Lecerf .  - J'ai toujours pensé que le Sénat avait deux missions : l'une constitutionnelle, représenter les collectivités territoriales ; l'autre historique, défendre les libertés et la dignité humaine. C'est au président Poher que nous devons la sauvegarde de la loi de 1901 sur les associations, puisqu'il fut, par sa saisine, à l'origine de la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971. C'est à une commission d'enquête sénatoriale, présidée par M. Hyest, que nous devons le rapport publié en 2000, au titre délibérément brutal : Prisons, une humiliation pour la République.

Le 28 juin 2009, Nicolas Sarkozy demandait, devant le Congrès réuni à Versailles : « Comment accepter que la situation des personnes détenues soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? Comment espérer réinsérer ceux qu'on prive pendant des années de toute dignité ? L'état de nos prisons est une honte pour la République ».

Depuis, des étapes ont été franchies avec la loi pénitentiaire, dont tous les décrets n'ont cependant pas été pris...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Il n'en manque qu'un !

M. Jean-René Lecerf.  - C'est un de trop... Et la loi du 30 octobre 2007 qui a créé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Sa compétence, si elle dépasse les lieux de détention, ne s'étend pas aux personnes âgées dépendantes dont les restrictions de liberté sont indissociables de leur perte d'autonomie et nécessaires à leur protection.

Au terme de cinq ans et demi d'exercice, le bilan du Contrôleur général est extrêmement positif. Le choix du premier titulaire de la fonction était important - le Parlement, à l'initiative du Sénat, avait alors anticipé la révision constitutionnelle de 2008.

Comme le note Éric Senna, l'organisation administrative et la place du Contrôleur général ne sont plus interrogées. Son travail considérable est apprécié de tous. Au terme de son mandat, M. Delarue a ouvert un débat sur l'évolution souhaitable de cette institution.

Faut-il lui maintenir son autonomie ? L'Assemblée nationale avait opté pour une intégration au Défenseur des droits au terme du mandat de M. Delarue ; M. Gélard avait estimé que celle-ci ne pouvait être décidée qu'au terme d'un premier bilan. Avec cette proposition de loi, nous prenons parti contre cette intégration, pour des raisons à la fois conjoncturelles - surpopulation inquiétante, renouvellement probable du moratoire sur l'encellulement individuel - et structurelles : la démarche de contrôle, de prévention du Contrôleur général se différencie des missions du Défenseur des droits. Le 8 novembre 2011, le Défenseur des droits et le Contrôleur général ont signé une convention qui organise leurs complémentarités. Son article 3 prévoit ainsi les modalités selon lesquelles chaque institution doit saisir l'autre.

La proposition de loi mettra fin au risque de représailles ou de pressions qui pesait sur les personnes qui s'entretenaient avec le Contrôleur général. Il le fallait : la crainte, même infondée, de représailles, diminuait la portée du contrôle du Contrôleur général.

Importait aussi de donner au Contrôleur général un accès aux informations couvertes par le secret médical. L'amendement réservant cet accès à ceux de ses collaborateurs titulaires d'un diplôme de médecine est un bon compromis.

Il fallait préciser la procédure applicable aux enquêtes en donnant autorisation aux collaborateurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de procéder à toute vérification nécessaire sans que l'autorité responsable puisse s'y opposer. Toute personne sollicitée sera tenue d'apporter les informations en sa possession. Enfin, l'article 5 donne au Contrôleur général des lieux de privation de liberté la possibilité de mettre en demeure une personne de lui répondre dans un délai déterminé - les réponses ministérielles posent parfois problème...

Un vote aussi consensuel que possible sera la réaffirmation par le Sénat de l'importance qu'il accorde à la protection des libertés et à la dignité des personnes. Merci à Mme la rapporteure pour la qualité de son travail. Le groupe UMP apportera tout son appui à cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Virginie Klès .  - Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions de cette proposition de loi. Pourquoi avons-nous institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté ? Pourquoi faut-il faire évoluer cette institution ?

La devise de la République est « liberté, égalité, fraternité ». Pourtant, certains citoyens sont placés dans des lieux de privation de liberté par décision d'une autorité publique. Cela pose des problèmes de sécurité mais aussi de brouillage des repères, de relations entre les individus : d'un côté, ceux qui ont l'autorité, le savoir, le pouvoir ; de l'autre... les autres. Les relations qui s'établissent sont bien spécifiques et doivent faire l'objet d'un contrôle. On ne peut pas ignorer en outre que les relations entre individus, entre détenus, sont différentes de celle dont nous avons l'habitude. Dans ces lieux, la violence la plus extrême, la résignation, l'indifférence totale, la révolte, le sentiment d'injustice : le pire et le meilleur de ce dont l'homme est capable, sous forme concentrée, explosive. Comme l'a dit M. Delarue, quand le Contrôleur général des lieux de privation de liberté reçoit la lettre d'une personne désespérée ou humiliée, s'il n'y répond pas rapidement, la situation peut devenir explosive. Les taux de suicide importants, les révoltes, le mal-être des gardiens aussi, pointent la nécessité de garantir un minimum de liberté, d'égalité et de fraternité dans les lieux de privation de liberté.

Il faut donc donner au Contrôleur général des lieux de privation de liberté les moyens d'agir, d'aider les administrations à faire régner la paix pour la sécurité de tous. C'est pourquoi le Sénat a voté en 2007 la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté à l'unanimité. C'est pourquoi il faut faire évoluer cette institution aujourd'hui. L'actuel titulaire du poste est un homme exceptionnel, l'institution doit le rester. Il faut donc inscrire son fonctionnement dans la loi, prendre acte des avancées qu'il réclame en matière de secret médical et pérenniser l'institution. Il importe aussi de soutenir l'administration pénitentiaire dans ces efforts pour réhumaniser les lieux de privation de liberté. Il s'agit de valoriser les personnels impliqués dans le fonctionnement des lieux de privation de liberté, pas de jeter l'opprobre sur eux.

Le groupe socialiste votera ce texte et remercie Mme Tasca pour son immense travail. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre et à droite)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La ratification du protocole facultatif adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 2002 a conduit le législateur à créer par la loi du 30 octobre 2007 un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et à lui conférer un statut d'autorité administrative indépendante. Celui-ci doit veiller au respect de la dignité des personnes privées de liberté, à l'équilibre entre respect des libertés fondamentales et exigences d'ordre public et de sécurité et à prévenir toute violation des droits fondamentaux. Il peut visiter tous les lieux de privation de liberté même inopinément. Ainsi, un contrôle a eu lieu du 26 mai au 4 juin 2009 à Mayotte, au centre de rétention administrative de Pamandzi, souvent qualifié d'indigne de la République et tristement célèbre pour sa surpopulation et ses conditions inhumaines, ainsi qu'à la maison d'arrêt de Majicavo, dont le taux d'occupation était à l'époque de 270 %.

Le constat était plus qu'alarmant. Un projet de construction d'un nouveau centre de rétention a été annoncé, mais en mars 2012, M. Delarue s'était irrité devant nous de l'état d'avancement du projet, dont la date de livraison est encore incertaine. Ses recommandations ont aussi conduit à l'extension de la maison d'arrêt. Un établissement neuf de 278 places sera livré en septembre 2015. Je remercie Mme la garde des sceaux de son engagement et de la constitution d'un groupe de travail traitant spécifiquement des conditions de détention outre-mer.

L'importance de la mission du Contrôleur général est incontestable. En cinq ans, il a visité plus de 800 établissements. La présente proposition de loi tire les enseignements de son expérience. Elle prévoit la publication systématique de ses recommandations et propositions, lui donne la possibilité de mise en demeure, crée une nouvelle infraction pénale punie de 15 000 euros d'amende ou d'un an d'emprisonnement, l'entrave à sa mission.

Je voterai ce texte, qui a été enrichi grâce au formidable travail de Mme Tasca. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier A est adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Nathalie Goulet .  - La prison de Condé-sur-Sarthe-Alençon, inaugurée le 30 avril 2013, connaît de multiples incidents : prise d'otages, mutinerie, agression à coup de pic du directeur adjoint. Vendredi matin 10 janvier, les équipes régionales d'interventions et de sécurité, le GIGN de la pénitentiaire, ont été rappelées ; elles étaient là depuis quelques jours mais avaient dû repartir pour des raisons d'économie... C'est la panique totale. Selon les syndicats, si des décisions radicales ne sont pas prises, le Gouvernement aura un mort sur la conscience... Au sein de l'établissement sont concentrés les détenus les plus durs. Le personnel d'encadrement est insuffisant et insuffisamment formé - 90 stagiaires sur 180 personnes !

Les syndicats demandent l'arrêt de la montée en charge de cet établissement. Le sujet concerne aussi les habitants de la région. Pourtant, cet établissement n'est utilisé qu'aux deux tiers de ses capacités... La sécurité du personnel pénitentiaire est la garantie du respect des droits dû aux détenus.

Mme Aline Archimbaud .  - Notre groupe avait déposé un amendement ouvrant au Contrôleur général les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Je regrette qu'il ait été déclaré irrecevable au titre de l'article 40. La vie des personnes âgées dépendantes dans ces établissements n'est parfois pas très éloignée de celle des personnes en hôpital psychiatrique, elles sont dans une situation de grande fragilité. Quel que soit le dévouement de leurs personnels, les Ehpad sont un milieu spécifique auquel nous devons être sensibles. Les visites du Contrôleur général apporteraient une garantie qui rassurerait les personnes âgées et leurs proches. Un débat doit s'engager.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Lecerf.

Alinéa 5

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Lorsque les faits ou situations portés à sa connaissance relèvent de ses attributions, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut procéder...

M. Jean-René Lecerf.  - La question de savoir si les faits ou situations portées à sa connaissance relèvent de ses attributions ne relève pas de la subjectivité du contrôleur général.

Mme Catherine Tasca, rapporteure.  - Avis favorable à cet utile ajustement.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°3 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Tasca, au nom de la commission.

Alinéas 14 à 16

Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :

3° Le dernier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :

« Les procès-verbaux de garde à vue, lorsqu'ils ne sont pas relatifs aux auditions des personnes, lui sont communicables. 

« Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté peut déléguer aux contrôleurs les pouvoirs mentionnés aux premier à cinquième alinéas du présent article.

« Les informations couvertes par le secret médical peuvent être communiquées, avec l'accord de la personne concernée, aux contrôleurs titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre permettant l'exercice en France de la profession de médecin. Toutefois, les informations couvertes par le secret médical peuvent leur être communiquées sans le consentement de la personne concernée lorsqu'elles sont relatives à des privations, sévices et violences physiques, sexuelles ou psychiques commis sur un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. »

Mme Catherine Tasca, rapporteure.  - La rédaction actuelle laissait subsister une interrogation sur la possibilité de déléguer l'accès au dossier médical. En inversant les alinéas, les choses sont plus claires.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Nous n'avons pas eu cet amendement sous les yeux, mais j'ai écouté Mme Tasca et j'ai confiance en la sagacité de la commission des lois. Avis favorable.

L'amendement n°4 est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

Les articles 2 à 8 sont successivement adoptés.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Michel .  - Le groupe socialiste votera ce texte et remercie Mme Tasca.

La commission des lois a largement discuté de l'amendement évoqué par Mme Archimbaud qui a été déclaré irrecevable en vertu de l'article 40. C'est regrettable, il eût mieux valu en débattre en séance.

Il y a des problèmes, en effet, à l'intérieur de certains Ehpad, de certaines MAS, de certains établissements pour personnes handicapées mineures ou majeures, gérés par les collectivités ou des associations de la loi de 1901. Mais ils sont d'une nature très différente de celle des établissements relevant du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Reste qu'il faudrait examiner la manière dont ils sont contrôlés.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux .  - La ministre des affaires sociales et la ministre déléguée aux personnes âgées sont très sensibles à cette question. Nous avons eu trois séances de travail à la Chancellerie sur le contrôle de ces établissements. Ils ne relèvent pas de la compétence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'article 40... J'ai été parlementaire... Je préfère le débat... quitte à ce que l'examen de certains sujets soit ensuite reporté.

La ministre des affaires sociales est si préoccupée par ce sujet, qu'elle souhaite que l'on pose les droits de ces personnes et non qu'on les traite comme des personnes soumises à une tutelle implicite.

Madame Goulet, la prison d'Alençon est la plus sécurisée de France. Nous évitons délibérément qu'elle soit occupée à 100 %, car il s'agit de détenus difficiles. Et il y a toujours des incidents les premiers mois dans les nouveaux établissements.

Le rapport d'incidents servira à élaborer le projet d'établissement, fin janvier. Les Équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris) sont restées sur place plusieurs jours. Un projet de formation complémentaire a été mis en place pour les personnels. Soyez assurée de notre vigilance.

La proposition de loi est adoptée.

Mme Catherine Tasca, rapporteure.  - Je veux remercier le service de la commission des lois et à tous les groupes du Sénat, et en particulier M. Lecerf. Le Sénat a toujours exprimé son attachement à la défense des libertés et le consensus observé aujourd'hui n'y fait pas exception. Merci enfin aux services de la Chancellerie et du ministère de l'intérieur.

Pour finir, je renouvelle mon hommage au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. Puisse son successeur montrer les mêmes qualités. (Applaudissements)

La séance, suspendue à 16 h 35, reprend à 16 h 40.