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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



CMP (Candidatures)

Droit à l'eau

M. Christian Favier, pour le groupe CRC

M. Ronan Dantec

M. Christian Cambon

M. Henri Tandonnet

Mme Évelyne Didier

M. André Vairetto

M. François Fortassin

Mme Hélène Masson-Maret

M. Philippe Kaltenbach

M. Raymond Couderc

Mme Marie-Françoise Gaouyer

M. Félix Desplan

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation

CMP (Nominations)

Mise au point au sujet d'un vote

Violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits armés

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

M. Alain Gournac

M. Jean-Marie Bockel

Mme Michelle Demessine

Mme Maryvonne Blondin

M. Robert Hue

Mme Corinne Bouchoux

Mme Michelle Meunier

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement

Exploitation cinématographique indépendante

M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC

Mme Françoise Férat

M. Michel Le Scouarnec

Mme Danielle Michel

M. Philippe Esnol

Mme Marie-Christine Blandin

M. Jean-Pierre Leleux

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Ordre du jour du jeudi 6 février 2014




SÉANCE

du mercredi 5 février 2014

67e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

Secrétaires : Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Gérard Le Cam.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

CMP (Candidatures)

M. le président.  - La commission des affaires économiques a désigné les candidats qu'elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové. Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.

Droit à l'eau

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le droit à l'eau.

M. Christian Favier, pour le groupe CRC .  - Permettez-moi de commencer avec cette remarque de Platon : « L'eau, est, de tous les aliments du jardinage, assurément le plus nourrissant, mais elle est facile à corrompre : ni la terre, en effet, ni le soleil, ni les vents, qui nourrissent les plantes, ne sont faciles à perdre. ».

Plus d'un milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable, parmi lesquelles les 80 millions d'Européens pauvres. Quelque 40 % des Européens ne bénéficient pas d'un système d'assainissement de base ; et ce, malgré des dizaines d'années de politiques publiques et de directives locales, nationales et européennes.

La directive-cadre d'octobre 2000 fixait pour objectif d'atteindre un bon état écologique des eaux en 2015 par un système de gestion de l'eau reposant sur l'adoption du bassin hydrographique comme unité de base de gestion de l'eau ; le principe de recouvrement des coûts totaux par un prix de l'eau au consommateur selon le principe « l'eau paie l'eau » ; une promotion de la participation des citoyens à la politique de l'eau. La conception européenne de la politique de l'eau est fondée sur deux exigences, celle du développement durable et celle de la « libéralisation » des services publics. Ces deux exigences ont été unifiées dans le cadre de la « Stratégie Europe 2020 » et l'objectif d'atteindre un bon niveau écologique des eaux a été repoussé à 2027.

Dans l'imaginaire collectif, l'eau est tenue pour un bien commun, non pour une marchandise. Elle doit donc rester sous la responsabilité des pouvoirs publics : un récent sondage l'a montré en France, ainsi que, plus nettement encore, un référendum de 2011 en Italie. Une initiative citoyenne aurait même recueilli deux millions de signatures.

Il faut s'intéresser au cycle de l'eau dans sa globalité. Les prélèvements demeurent excessifs, notamment pour les productions agricoles et énergétiques ; en outre, les rejets de déchets polluent les eaux. Une agriculture plus respectueuse de l'environnement serait un gage de qualité : le projet de loi sur l'avenir de l'agriculture en cours d'examen est encourageant.

La protection des fleuves et des nappes phréatiques demanderait des moyens accrus. Les drames du Var et de la Vendée sont aussi le résultat d'une organisation irréfléchie. La captation des eaux de pluie est insuffisante en France, laissée au bon vouloir de chacun. Les expériences ont pourtant été menées par certaines collectivités territoriales en d'autres pays.

Il importe également de lutter plus efficacement contre les pollutions, notamment par les produits phytosanitaires, en généralisant le « zéro phyto ». Les ressources gagneraient aussi à être mieux connues et la question des bassins hydrographiques, améliorée.

De grands groupes privés occupent une place croissante dans la distribution et l'assainissement de l'eau, qui exige des investissements importants. Le bilan est pour le moins contrasté, si bien que de nombreuses communes ont repris les activités en régie. Les collectivités territoriales ont également développé des formes de mutualisation : en Ile-de-France, le Siac contribue à la maîtrise publique de l'assainissement. Des coopérations internationales pourraient être développées.

Les usagers ont droit à plus de transparence sur les ressources et leur gestion, ainsi que sur la formation du prix. Beaucoup de locataires n'ont aucune visibilité sur leur consommation d'eau, incluse dans les charges locatives.

Les laboratoires publics d'analyse et de contrôle sont bien souvent livrés au secteur privé, sinon en voie de disparition. La veille est indispensable pour la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire. On a pu mesurer, lors des crises sanitaires, l'importance d'une ingénierie publique ; un quart des laboratoires publics départementaux a déjà disparu !

La mise en commun des analyses obéit à la logique du moindre coût, avec pour conséquence les défaillances observées en 2012 en Languedoc-Roussillon lors de l'affaire « Eurofins ». A-t-on évalué les conséquences économiques et sociétales d'une crise sanitaire liée à l'eau ? Les scandales alimentaires des dernières années devraient nous alerter.

Les laboratoires publics sont des outils fiables de contrôle. Le cinquième Forum mondial de l'eau d'Istanbul n'appelle-t-il pas à renforcer le contrôle public du secteur ? Il serait légitime de reconnaître à ces laboratoires un statut de service d'intérêt général.

En instaurant le droit à l'eau, les Français seraient assurés de pouvoir accéder à une eau potable dont la qualité serait préservée et garantie. Au Gouvernement et au législateur d'exclure l'eau, parce qu'elle représente un bien commun inaliénable, des règles du marché intérieur soumis au régime de la libre concurrence. Ce serait un signal fort répondant aux attentes citoyennes, nationales comme européennes.

En nous fondant sur le principe de précaution, il nous revient de faire respecter l'eau, le bien commun de l'humanité ! (Applaudissements sur les bancs CRC, écologistes et du RDSE.)

M. Ronan Dantec .  - L'accès généralisé à l'eau courante fut l'un des grands progrès du XXe siècle, aujourd'hui remis en cause, notamment pour les 85 000 personnes vivant dans des habitations de fortune, car les bidonvilles renaissent en France. Le droit à l'eau recoupe celui à un logement décent.

Chacun a le droit d'accéder à une eau de qualité. Déplorons les retards accumulés pour lutter contre les nitrates, qui ont valu à la France d'être condamnée. La présence occasionnelle dans l'eau de perturbateurs endocriniens est également préoccupante. C'est pourquoi nous nous réjouissons du vote par l'Assemblée nationale de la proposition de loi Labbé contre les pesticides.

Le plan national d'adaptation au changement climatique prévoit une baisse de 20 % de la consommation d'eau d'ici 2020. Plusieurs villes, depuis la loi de 2006, ont déjà établi une tarification progressive, d'autres des tarifs sociaux ; Dunkerque a réalisé une synthèse entre les deux. Mais les innovations sont juridiquement fragiles. L'État devrait surveiller de près ces expérimentations.

À Grenoble comme à Nantes, les prix et le niveau des prestations peuvent être comparés entre les secteurs public et privé. Nous appelons à la création d'un collège « société civile » dans les comités de bassin.

La proposition de loi de Jean Glavany tend à faire de l'eau un droit humain garanti par l'État, preuve que nous pouvons nous rassembler sur les questions essentielles. Une initiative de l'Union européenne va dans le même sens. Nous y reviendrons dans le cadre de la négociation des objectifs du développement durable au sein des Nations unies.

La prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra à Paris en 2015, doit être l'occasion de progresser ! (Applaudissements sur les bancs CRC, RDSE, écologistes et centristes)

M. Christian Cambon .  - Initiateur de la loi de 2011 sur l'accès à l'eau, je me sens naturellement très concerné par ce débat. Comment cibler les usagers en difficulté ? Comment les aider, tout en maîtrisant les coûts de gestion ?

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 7 février 2011 a mis en place un dispositif curatif : les services d'eau et d'assainissement peuvent affecter une part de leurs revenus à l'aide aux ménages qui dépensent plus de 3 % de leurs revenus pour l'eau. Une autre proposition de loi, celle de M. Brottes, était plutôt d'ordre préventif.

Le syndicat des eaux d'Île-de-France, dont je suis vice-président, a constaté que les dispositifs préventifs répondaient mal aux objectifs recherchés. Faut-il imaginer une première tranche gratuite ? Cela coûterait cher et profiterait aussi aux ménages aisés. En outre, la distribution a un coût qui doit être répercuté aux usagers, pour mieux les responsabiliser. Un tarif progressif ? Ce n'est pas toujours adapté et cela pénaliserait les habitants des grands ensembles, dans lesquels il n'y a pas de compteur individuel. Un tarif social ? Ce serait très difficile à mettre en place. Quel reste à charge prévoir ?

Nous avons donc préféré un dispositif curatif, pour faciliter l'accès à l'eau de tous les usagers, grâce à un prélèvement de 1 % sur les recettes. Les communes sont les mieux à même de juger de la situation des ménages. Le public visé est l'ensemble des ménages qui dépensent plus de 3 % de leurs revenus en eau ; 6 000 dossiers ont été retenus. Après trois ans, ce dispositif monte rapidement en puissance ; signe de sa pertinence, 16 000 familles ont déjà été aidées pour un total de 2 millions d'euros.

Au lieu d'imposer à tous une réponse unique, aidons les collectivités à choisir les dispositifs qui correspondent le mieux aux besoins de leur population. La contribution des distributeurs d'eau doit être systématisée. L'accès à l'eau est un droit imprescriptible, qu'il nous faut garantir. C'est notre honneur de faire vivre cette solidarité. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Henri Tandonnet .  - Le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) a, en octobre 2013, annoncé une hausse des températures de deux degrés d'ici 2100, avec un relèvement de 26 à 92 cm du niveau des mers. Dans cette situation, le droit à l'eau, reconnu par l'article L. 210-1 du code de l'environnement, devient une question essentielle.

Deux défis se présentent à nous : le premier est celui de l'accès à l'eau sur notre territoire. La facture d'eau est de 340 euros en moyenne pour une famille constituée de deux adultes et de deux enfants. L'UDI-UC se félicite de l'expérimentation sur le tarif social de l'eau, lancée par la loi Brottes. Une première tranche gratuite pourra être mise en place, les tarifs modulés en fonction de la composition des familles.

Le comité d'évaluation que je préside rendra son rapport au Gouvernement d'ici 2015.

Plus les familles sont pauvres, plus l'eau leur revient cher, compte tenu du coût de l'abonnement. À cela s'ajoutent les difficultés liées au mode de paiement, résolues grâce à notre amendement au projet de loi relatif à la consommation. Je veillerai à ce qu'il survive en CMP.

Le deuxième défi est celui d'une gestion durable de l'eau. Comment garantir à chaque secteur d'activité une eau de qualité en quantité suffisante ? N'opposons pas les agriculteurs aux autres utilisateurs. Les conflits d'usages peuvent être résolus par la concertation au niveau de chaque bassin.

L'agriculture absorbe plus de 70 % de l'eau consommée. Le droit à l'eau est donc un impératif de sécurité alimentaire. Soit on subit, soit on anticipe ! Encourageons donc la constitution de réserves. Voilà vingt ans que l'on parle du barrage de Long.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation.  - Eh oui.

M. Henri Tandonnet.  - Pendant ce temps-là, la métropole de Toulouse s'accroît de 15 000 habitants par an. Les nappes de surface dans le Lot-et-Garonne restent sous-utilisées. Plutôt que de se contenter de réduire la consommation d'eau en été, pourquoi ne pas développer les cultures méditerranéennes ?

Il est de notre devoir d'anticiper le changement climatique et de rechercher une meilleure adéquation entre les besoins et les ressources. (Applaudissements au centre et sur les bancs écologistes et du RDSE)

Mme Évelyne Didier .  - L'eau, élément vital pour le vivant, pèse hélas de plus en plus dans le budget des familles. Son prix varie du simple au triple et la limite de 3 % du budget des ménages est souvent franchie. Le droit à l'eau, reconnu par la loi de 2006, reste une notion floue. On évite de poser la question des conditions d'exercice de ce droit et des responsabilités des pouvoirs publics.

Dans le domaine du logement, la puissance publique depuis les années 1970, a diminué ses aides à la pierre tout en augmentant les aides au logement : d'un État bâtisseur, on est passé à un État correcteur des dérives du marché. Le même constat vaut pour l'eau.

En 2009, notre proposition de loi prévoyait une allocation pour l'eau sur le modèle des APL, pour parer à l'urgence. Cela ne contredit en rien la nécessité d'une maîtrise publique du secteur. En déléguant les services publics de distribution et d'assainissement, les collectivités se sont placées entre les mains de grands groupes privés. Les choix de demain s'annoncent douloureux, vu la baisse des dotations.

Ce secteur est caractérisé par un quasi-monopole. Quelques groupes se partagent les profits. Nous plaidons pour un service public national de l'eau, chargé de la protection des ressources et du soutien public aux collectivités territoriales. La gratuité des premiers mètres cubes n'a de sens que si elle relève de la solidarité nationale. Un corps de fonctionnaires formés devrait être recruté. (M. Christian Cambon s'émeut) Les collectivités doivent avoir les moyens physiques et humains de mener les politiques qu'elles souhaitent, à défaut de quoi elles devront continuer de s'en remettre aux opérateurs privés. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. André Vairetto .  - Dès 2006, la France a reconnu le droit d'accès à l'eau, avant de soutenir l'adoption en 2010 d'une résolution de même sens de l'Assemblée générale des Nations unies.

Il existe donc un droit à l'eau et à l'assainissement.

Certes, des progrès ont été enregistrés : les objectifs du millénaire ont été atteints dans l'Union européenne avant 2015. Cela dit, la référence allait à une eau améliorée et non à une eau potable de qualité. Si l'on retient ce dernier critère, la moitié de la planète n'a pas accès à l'eau potable.

Pour l'assainissement, la situation est plus dramatique : 2,5 milliards de personnes ne bénéficient pas d'un système d'assainissement.

Hélas, le droit à l'eau n'appartient pas à la liste des objectifs onusiens pour les années 2015 à 2020.

La France demeure un pays où l'accès à l'eau est relativement bon. Le prix de l'eau représente 1,5 % du budget d'un ménage, 430 euros environ pour une famille de quatre personnes. Pour quelque deux millions de personnes, la facture de l'eau dépasse les 3 % du budget.

Dans cette situation, la proposition de loi de M. Glavany est bienvenue. Restons prudents sur la tarification progressive, qui poursuit d'abord l'objectif environnemental de réduire la consommation ; elle a des conséquences sociales et économiques. La loi sur l'accompagnement de la transition écologique autorise les collectivités territoriales à lancer des expérimentations ; usons de ce droit d'autant qu'il existe des mécanismes correctifs tels que le fonds de solidarité pour le logement ou les chèques-eau. L'accès à l'eau doit être garanti à chaque citoyen !

M. François Fortassin .  - Sans remonter au tribunal de l'eau siégeant depuis des siècles sur les marches de la cathédrale de Valence, je vous dirai mon expérience dans les Hautes-Pyrénées, celle de mon syndicat de la Barrousse-Comminges-Save qui couvre le plateau de Lannemezan. Le partage de l'eau n'est pas une question de loi, mais de pratique.

Le canal de la Neste déverse 13 m3 d'eau, alors que la basse Neste ne coule pas à flots... Il n'en résulte aucune catastrophe, je le dis à l'intention de nos collègues écologistes. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons obligé EDF à nous livrer 50 millions de mètres cubes pour alimenter ce canal. Pour une eau de qualité, il faut préférer les systèmes gravitaires, qui coûtent plus cher que les pompages, mais seulement les premières années... Et puis, on garde l'eau des sources, bien meilleure. Il faut aussi entretenir le réseau : 8 000 km pour mon syndicat...

Ne cédons pas à la démagogie : économiser de l'eau dans les Pyrénées ne réglera pas le problème du Sahara ! (Rires.)

Mme Nathalie Goulet.  - C'est pertinent.

M. François Fortassin.  - Le prix de l'eau doit être juste. Si l'usager ne paie pas, ce sera le contribuable !

Enfin, nous devons constituer des réserves, y compris pour l'agriculture : un grain de blé nécessite autant d'eau qu'un grain de maïs à cela près qu'ils n'ont pas besoin d'eau à la même période : l'hiver pour le blé, l'été pour le maïs.

Voilà, j'ai tenu des propos de bon sens ; j'ai voulu parler de mon vécu. J'espère avoir fait entendre une autre petite musique ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE.)

Mme Nathalie Goulet.  - Le Sahara est rassuré !

Mme Hélène Masson-Maret .  - Même si cela a été dit, je veux insister sur le droit de chaque individu à l'eau, car même dans un pays comme la France, il n'est pas garanti. Je veux aussi rappeler le lien indissociable entre droit à l'eau et droit à l'assainissement, c'est-à-dire à l'hygiène, à la santé, à la salubrité. Assurer ces droits, ce n'est plus une question d'infrastructures, comme par le passé, c'est un problème d'argent.

La loi de 2011 de M. Cambon a marqué une étape. Est-ce suffisant ? Peut-on aller plus loin ? Oui, avec la tarification solidaire sur le modèle de Dunkerque. Il est également possible de réduire notre consommation : un Américain consomme 400 litres d'eau par jour, un Français 250 à 300 litres. Quant aux sans-abris et à ceux qui vivent dans les logements non raccordés, ne pourrait-on leur assurer l'accès à des installations sanitaires de qualité ?

Dernier point, la disparité des prix, pointée dans un rapport de 2013 de la Confédération nationale du logement. Elle creuse une inégalité entre les territoires et, partant, entre les citoyens. Que compte faire le Gouvernement ?

Pour conclure, revenons au rapport du Conseil d'État de 2010. Y était dénoncé le sous-investissement chronique dans les infrastructures, et la prise en compte insuffisante du changement climatique.

Le Parlement européen, quatre ans après les Nations unies, va s'emparer le 17 février du droit à l'eau, composante essentielle des droits de l'homme. Comment le Gouvernement va-t-il aider les collectivités territoriales à assurer ce droit ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Philippe Kaltenbach .  - Depuis la déclaration des Nations unies de 2010, l'accès à l'eau de qualité est considéré comme un droit humain que la loi de décembre 2009 a consacré en France.

Ce droit ne doit pas rester incantatoire. Depuis la loi de 2011, le gestionnaire peut opérer un prélèvement de 1 % de ses recettes pour aider les ménages fragiles. M. Brottes a déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale. Moi-même, j'ai rédigé une proposition de loi en 2013 pour une tarification progressive de l'eau par tranches, en me référant au système mis en place depuis 2012 à Dunkerque.

Ayons conscience des limites de ces mécanismes. À mon sens, la problématique centrale est celle de la disparité des tarifs d'une région à l'autre. En novembre dernier, le magazine Que choisir a publié des comparaisons éclairantes. Dans les Hauts-de-Seine, j'ai dénoncé les tarifs exorbitants pratiqués par le prestataire, une société privée bien connue, dont le chiffre d'affaires atteint 350 millions d'euros par an : c'est le niveau le plus élevé d'Europe. Le Sedif lui-même évalue les surfacturations à 40 millions d'euros. En dépit d'une vaste mobilisation citoyenne, le contrat a été reconduit en 2008 par vote à bulletin secret... Vive le courage des élus !

D'où une remunicipalisation de la gestion de l'eau, qui conduit à une baisse des prix. En 2012, Antibes a fait jouer la concurrence et obtenu de ramener le prix de 3,47 euros à 1,45 euro pour les cent premiers mètres cubes.

La justice sociale passe par la maîtrise publique. Je suis impatient d'entendre les propositions du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et CRC)

M. Raymond Couderc .  - C'est un lieu commun de dire que l'eau est essentielle au vivant. De tout temps, les hommes se sont installés à proximité des fleuves et des sources ; ils ont laissé libre cours à leur imagination pour construire ponts et aqueducs. Dans nos pays tempérés, ce n'est que depuis le XXe siècle que l'État a dû, en raison du développement de l'agriculture et de l'industrie, réguler l'usage de l'eau.

Hors de ses frontières, la France a activement défendu le droit à l'eau et à l'assainissement, inscrit dans la résolution des Nations unies de 2010.

Certains comparent l'eau à l'air. Erreur ! L'air est inépuisable, nul besoin de l'acheminer, de le traiter. Certains, par dogmatisme, estiment qu'il n'y a de salut que par la maîtrise publique. (M. Philippe Kaltenbach et Mme Évelyne Didier protestent)

Entre la régie et la délégation de service public (DSP) il n'y a pas toujours de différence de prix. (On le confirme à droite) En outre, certaines régies sont des DSP déguisées.

M. Christian Cambon.  - Comme à Paris, où la ville a conclu un contrat avec Veolia !

M. Philippe Kaltenbach.  - C'est moins cher qu'une DSP !

M. Raymond Couderc.  - Grâce aux DSP, on peut faire jouer la concurrence ! À chaque territoire sa solution. Ne soyons pas dogmatiques. Aux élus de prendre leurs responsabilités afin d'apporter des réponses raisonnables et adaptées. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Marie-Françoise Gaouyer .  - Chaque jour, nous, élus, prenons un peu plus conscience des enjeux environnementaux. Il est un sujet dont on parle trop peu : le droit à l'eau. Je me réjouis que le Sénat en débatte.

Finalement, l'eau est partout ; elle fait partie de notre quotidien. Avant le petit cycle de l'eau potable qui coule de nos robinets, il y a le grand cycle des fleuves et des rivières. C'est de ce cycle de l'eau qu'il faut parler, reliant les populations de l'amont et de l'aval.

Tout se tient.

Les nombreux bénéfices que nous tenons de ce maillage naturel portent en eux les germes de leur destruction. C'est pourquoi parler du droit à l'eau est opportun.

Notre connaissance du grand cycle est insuffisante. Le Conseil d'État le pointait dans un rapport de 2010 « L'eau et son droit ».

La gestion du grand cycle fait également défaut. Nous avons récemment progressé sur la prévention des inondations, il reste pourtant des marges de manoeuvre.

Réguler, gérer, connaître, protéger, il faut des personnes compétentes. Ce sont celles qui garantiront une eau de qualité et préviendront les conflits d'usage. Les établissements publics territoriaux de bassin, je connais celui de la Bresle, qui coule entre la Haute-Normandie et la Picardie, sont au nombre de 36. Notre pays est insuffisamment couvert par les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Les six agences françaises de l'eau, elles, interviennent à un niveau beaucoup plus large.

Renforçons les EPTB. Premièrement, ce sont les outils les plus efficaces au niveau le plus approprié : le bassin versant.

Le mode de gouvernance que nous choisissons pour le grand cycle de l'eau dit quelque chose de la gouvernance de nos territoires.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Marie-Françoise Gaouyer.  - C'est une opportunité pour nos territoires. L'eau, à n'en pas douter, sera la préoccupation de demain.

M. Félix Desplan .  - L'histoire prête à la Guadeloupe un second nom, celui de Karukera, « l'île aux belles eaux ». La ressource y est abondante. Basse-Terre est le château d'eau de la Guadeloupe, mais les usages sont concentrés en Grande-Terre. En saison sèche, l'eau est plus rare, alors que la demande est plus forte : les coupures sont longues, des tours doivent être organisés.

À ces deux inadéquations naturelles, viennent s'ajouter deux problématiques mettant à nu l'état de la gestion de l'eau en Guadeloupe. On estime à 40 % la population raccordée au réseau collectif, contre 90 % dans l'Hexagone. L'autonomie est de 0,65 jour contre un ou deux jours préconisés. En cas de crise, les différentes unités ne peuvent pas se secourir en raison du manque d'interconnexion du réseau.

Même si l'eau est globalement de bonne qualité, certaines sources sont polluées au chlordécone. Les installations sont vétustes ; elles datent des années 1960, voir du XIXe siècle.

La presse locale se fait régulièrement l'écho des difficultés des populations.

Certains, à Basse-Terre, doivent stocker des jerricans d'eau ; se lever en pleine nuit pour satisfaire leurs besoins personnels.

Le prix de l'eau est bien plus élevé qu'en Métropole : 3,61 euros. Cela laisse perplexe, quand la consommation a reculé de 10,6 % en 2011 par rapport à l'année précédente.

Mon intention n'est nullement de faire le procès de la gestion de l'eau en Guadeloupe.

Le conseil général et l'office de l'eau de Guadeloupe viennent de lancer un appel à projet pour une entité unique de gestion de l'eau. Les prix pourraient bientôt baisser...

Pour conclure, nonobstant sa consécration en 2010, le droit à l'eau se concrétise malheureusement au goutte-à-goutte.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation .  - Bien que j'aie grand plaisir à vous répondre sur un sujet qui m'intéresse à tous points de vue, je demande votre indulgence, puisque je remplace M. Philippe Martin.

Ce débat a été riche en références, depuis les aqueducs en passant par le tribunal de l'eau sur les marches de la cathédrale de Valence, jusqu'à l'EPTB de la vallée de la Bresle et la Guadeloupe.

Beaucoup ont, à raison, insisté sur ce bien commun que représente l'eau et les difficultés que certains ont à y accéder.

Si l'eau couvre 71 % de la superficie de la planète, 1 % de cette ressource seulement est utilisable et consommable. C'est donc une ressource précieuse et rare, que chacun doit économiser.

Le Gouvernement a lancé une évaluation de la politique de l'eau dans le cadre de la MAP. Ses conclusions ont été rendues lors de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, et des décisions prises dans la feuille de route rendue publique le 27 septembre - qui seront déclinées dans les outre-mer.

Sans accès à l'eau et à l'assainissement, point d'hygiène, point de salubrité. Ils font encore défaut à des centaines de millions de personnes dans le monde, et six millions de personnes meurent chaque année suite à des maladies liées à l'absence ou à la mauvaise qualité de l'eau. C'est pourquoi l'ONU s'est fixé, parmi les objectifs du millénaire, la réduction de moitié, d'ici 2015, du nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable ni aux services d'assainissement de base. Les progrès restent cependant insuffisants : 11 % de la population mondiale, soit 780 millions de personnes, n'ont pas accès à l'eau potable. La situation reste critique en Afrique subsaharienne et les disparités régionales, sources de tensions, sont toujours fortes. C'est dire que le chemin est encore long.

La France, patrie des droits de l'homme, a une responsabilité particulière. Elle fut pionnière dans la reconnaissance d'un droit à l'eau : dès 1992, le législateur a affirmé que l'eau faisait partie du patrimoine commun de la nation. La Lema du 30 décembre 2006 a consacré le droit de tous d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables.

Mais beaucoup reste à faire pour le rendre effectif ; il y faut une gouvernance forte et transparente, permettant les initiatives locales et l'association de toutes les parties prenantes. La France promeut une gestion par bassin versant, avec une planification et des instances de concertation, d'où le rôle crucial des élus locaux.

La loi du 27 janvier 2014 a introduit une disposition particulière sur la gestion des milieux aquatiques avec les établissements de bassin et les établissements publics d'aménagement et de gestion des eaux (Epage), pour mieux valoriser les Sage.

L'accès à l'eau implique des investissements qui rendent la gratuité impossible. (M. Christian Cambon approuve) En même temps, il est inacceptable que des personnes soient privées d'eau faute de pouvoir payer. En France, l'eau est bon marché, et pourtant des milliers de foyers peinent à payer leurs factures. En moyenne, ce poste de dépense représente 1 % seulement du budget des ménages, mais ce pourcentage peut considérablement varier. D'où les dispositifs mis en place en partenariat avec les CCAS ou les Cias, l'intervention du FSL ou les remises gracieuse.

Mais il s'agit là de systèmes curatifs d'urgence. Pour garantir vraiment le droit à l'eau, il faut développer des solutions préventives. Les parlementaires ont pris des initiatives vigoureuses : la loi du 15 avril 2013 doit être saluée, ainsi que les sénateurs, Mme Didier, MM. Kaltenbach et Cambon, qui y ont tout particulièrement contribué. Une tarification progressive de l'eau pourra être expérimentée pendant cinq ans, jusqu'en 2018. Une première tranche pourra être instaurée pour satisfaire les besoins essentiels. Le plafond des subventions versées au FSL pourra atteindre 2 % de la redevance. Des collectivités se sont déjà portées candidates, et une circulaire sera adressée aux préfets dans les tout prochains jours.

La transparence exige de travailler sur le cadre des factures d'eau. Les données doivent être accessibles, publiques et compréhensibles.

Enfin, les conflits d'usagers doivent être limités, grâce à l'implication de tous les acteurs.

Un programme d'action renforcée de lutte contre la pollution due aux nitrates va être lancé. Sur les pesticides, je salue le travail de nos amis écologistes qui a abouti au vote de la loi interdisant l'usage des produits phytosanitaires par les collectivités d'ici 2022. Quant à M. Le Foll, il défend bec et ongles l'agro-écologie dans la loi d'avenir pour l'agriculture.

S'agissant de l'irrigation, Philippe Martin promeut des projets de territoire que l'État accompagnera. La loi Brottes ouvre la voie à des expérimentations et des évolutions législatives pourront être envisagées au fur et à mesure ; deux rendez-vous intermédiaires au moins sont prévus d'ici 2018.

Un tarif unique de l'eau est impossible, car les ressources varient selon les territoires.

M. Raymond Couderc.  - C'est le bon sens.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée.  - Le prix moyen de l'eau, au 1er janvier 2013, est de 2 euros TTC par mètre cube, soit une facture annuelle de 240 euros pour une consommation de 120 mètres cubes. Le tarif peut varier de 0,5 euro à 5 euros. Les disparités dépendent des situations d'exploitation, de l'état de la ressource, de la densité de population, de la stratégie de renouvellement d'infrastructures. Le prix moyen de l'assainissement collectif est de 1,9 euro TTC par mètre cube et peut varier de 1 à 3 euros. Là encore, tout dépend des circonstances.

Le Gouvernement est mobilisé. L'eau appartient à tous, elle doit être préservée et garantie à tous, par tous, à tous les niveaux. Ce débat nous aidera à mettre en oeuvre cette solidarité indispensable. (Applaudissements à gauche et au centre)

CMP (Nominations)

M. le président.  - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové. La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été affichée.

Je n'ai reçu aucune opposition. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires MM. Daniel Raoul, Claude Dilain, Claude Bérit-Débat, Mmes Mireille Schurch, Élisabeth Lamure, MM. Jean-Claude Lenoir, Daniel Dubois ; suppléants Mme Aline Archimbaud, MM. Gérard Bailly, Michel Bécot, Gérard César, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Jacques Mézard, René Vandierendonck.

La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 17 heures.

Mise au point au sujet d'un vote

M. le président.  - Lors du scrutin n°133 sur les amendements n°s66 et 71 tendant à rétablir l'article 84 ter du projet de loi Alur, il a été noté que M. Lorgeoux ne prenait pas part au vote. Il souhaitait en fait voter pour.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits armés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés et l'application par la France de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .  - Les viols et agressions sexuelles restent, hélas, des armes de guerre. On s'en sert parfois pour transmettre le sida, voire à des fins d'épuration ethnique, comme en ex-Yougoslavie. Face à cette barbarie, la communauté internationale est restée trop longtemps muette.

Les conflits armés affectent les femmes d'une manière particulière, outre qu'elles portent le fardeau de la subsistance de leurs proches dans un environnement périlleux. La délégation aux droits des femmes réfléchit à la question, dans la perspective du colloque sur le rôle des femmes dans la Résistance à l'occupation allemande, qu'elle organise le 27 mai.

Depuis l'enlèvement des Sabines, le viol des femmes en temps de guerre fait partie de notre inconscient collectif - ce qui en aucun cas ne veut dire qu'il est une fatalité. Les statistiques dont nous disposons - de 20 000 à 40 000 viols en ex-Yougoslavie, 400 000 au Kivu entre 2003 et 2008... - sont trompeuses, car bien des victimes, de honte, gardent le silence. La délégation a symboliquement commencé ses travaux quelques jours avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et rendu son rapport, tout aussi symboliquement, à deux jours du vingtième anniversaire de la déclaration des Nations unies sur l'élimination des violences à l'égard des femmes, qui reconnaissait leur vulnérabilité particulière dans les zones de conflit armé.

La délégation aux droits des femmes a voulu exprimer sa solidarité aux associations qui viennent en aide aux victimes dans des conditions souvent périlleuses. Nous avons entendu des témoignages bouleversants, insoutenables. Une participante libyenne disait que le regard de ces femmes est « un regard de mort ». Mme Benguigui, de retour de RDC, parlait de petites filles transformées en « poupées de sang »...

L'objectif des violences n'est pas seulement de détruire leurs victimes, mais aussi d'humilier leurs proches et de faire honte à leur communauté. On peut se demander si les bourreaux ne veulent pas rendre toute réconciliation impossible. La stigmatisation des victimes, la divulgation des images des viols - ou la menace de leur divulgation, souvent sources de revenus pour les criminels - ajoutent encore à la souffrance des victimes.

L'impunité des bourreaux contraste avec la souffrance infinie des victimes. La communauté internationale a pris la mesure du problème, comme en témoigne l'arsenal des résolutions « Femmes, paix, sécurité » adoptées par le Conseil de sécurité. Celle du 31 octobre 2000 est emblématique, qui appelle à protéger les femmes et petites filles victimes de violences sexuelles, à former spécifiquement le personnel participant aux opérations de maintien de la paix, à bannir toute amnistie pour les agresseurs et à reconnaître les femmes comme actrices du processus de paix. En avril 2013, le G20 de Londres a appelé les participants à prévoir les financements nécessaires pour soutenir les femmes et les enfants victimes de viols. Le traité sur le commerce des armes, ouvert à la signature en juin 2013, engage les États exportateurs à s'assurer que les armes classiques ne servent pas à des actes de violence fondés sur le sexe ni à des actes de guerre contre les femmes et les enfants. On peut y voir un signe de détermination de la communauté internationale ou un signe d'impuissance...

Les viols, agressions sexuelles ou stérilisations forcées, qui sont considérés comme des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, restent trop souvent impunis. Comment dans ces conditions les victimes pourraient-elles se reconstruire ?

Le plan national d'action adopté par la France en 2010 prévoit le renforcement de la place des femmes dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction. Le ministère de la défense, dont je salue l'implication, a mis en place un programme de formation extrêmement efficace et marqué son intérêt pour la participation des femmes aux opérations ; c'est d'autant plus important dans les pays où il est difficile pour les hommes d'entrer en contact avec les femmes.

Ce plan arrive à échéance. Quel bilan en tirer, madame la ministre, et qu'en sera-t-il du prochain ? Je suggère qu'à la présentation de celui-ci les deux délégations aux droits des femmes des assemblées soient associées.

Les viols de guerre ne sont pas une fatalité. Les tribunaux dans les pays concernés doivent voir leurs moyens renforcés, car l'accès des victimes à la justice est indispensable à leur apaisement. Elles doivent aussi se voir offrir l'aide médicale, psychologique et économique nécessaire. Ce qui suppose que les associations aient sur le terrain des moyens à la hauteur des besoins.

M. Roland Courteau. -Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes.  - Faisons pression sur les pays pour que ces crimes ne restent pas impunis. Il est pertinent d'associer les institutions de la francophonie, comme l'a suggéré Mme Benguigui, et de militer pour l'entrée en vigueur rapide du traité sur le commerce des armes. La politique prometteuse du ministère de la défense mérite d'être soutenue, comme un renforcement de la place des femmes dans les écoles militaires. Pour lutter contre les violences de guerre, il est nécessaire de lutter contre les stéréotypes. La participation des femmes aux Opex doit être encouragée.

La France a un rôle décisif à jouer pour que ces violences cessent d'être des armes de guerre. (Applaudissements.)

M. Alain Gournac .  - Le sujet est aussi grave que complexe. Je me félicite qu'il soit abordé dans cet hémicycle et salue le travail entrepris depuis novembre par la délégation aux droits des femmes. Nous avons entendu des témoignages bouleversants, à la limite du supportable.

Le viol en temps de guerre est de tous les temps. Le but est d'humilier les vaincus, mais aussi de provoquer le conflit. Saint-Augustin, dans La Cité de Dieu, remarquait déjà au Ve siècle que le viol est une pratique habituelle lors des pillages de ville, au même titre que le massacre des hommes. À cet égard, notre monde n'est pas plus civilisé que celui d'hier.

S'il y a eu peu d'évolutions dans les faits, la législation internationale a évolué. La France s'est battue en faveur de l'adoption des résolutions « Femmes, paix, sécurité » par le conseil de sécurité de l'ONU. Elles ne s'appliqueront, hélas, que lorsque les conditions seront réunies. Alors seulement, nous aurons dépassé le stade du symbole.

Les documents sont aussi abondants qu'édifiants - jusqu'à la nausée, du récit d'une jeune Berlinoise en 1945 aux témoignages de femmes rwandaises. La folie humaine fait toujours autant de ravages et les femmes en paient le prix fort. Elles sont atteintes au coeur de leur vie, à la racine de leur épanouissement. Les violences faites aux femmes, en quelque situation que ce soit, ne sont ni excusables, ni compréhensibles, et doivent être combattues en temps de paix comme en temps de guerre. Si la mobilisation internationale ne faiblit pas, beaucoup est à faire : des jeunes filles en Inde sont victimes de viols collectifs ; dans certains pays, c'est la femme violée qui s'expose à une condamnation, non le violeur.

Le rapport de Mme Gonthier-Maurin, au nom d'une délégation à laquelle je suis fière d'appartenir, est un état des lieux et une formidable synthèse. La tâche n'était pas aisée : nous ne sommes ni des juges internationaux, ni de géopoliticiens, ni des médecins. Il est temps d'élaborer des propositions concrètes. Quel rôle pour la France ? À quel niveau ? Je regrette que le ministère des affaires étrangères et du développement n'aient pas été auditionnés. L'audition sur le conflit en République démocratique du Congo a été une des plus pénibles, les exactions commises sur des nourrissons au Kivu sont terrifiantes. Pour que la cause progresse, notre diplomatie doit être plus active et dépasse le strict cadre de la francophonie.

Dans ces matières, toute polémique serait indigne et toute politisation une insulte de plus aux victimes. Le consensus est de mise.

Si nous débattons aujourd'hui, c'est pour mobiliser les citoyens, les pouvoirs publics, nos partenaires internationaux. De nombreuses associations ont répondu à nos sollicitations, ainsi que le ministère de la défense, je m'en félicite.

Si le viol de femmes, d'enfants et de personnes âgées est inhérent aux conflits armés, il ne faut pas le banaliser, mais le dénoncer sans relâche. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre continent est épargné par la guerre, qui n'est plus, pour les jeunes, qu'une fiction qu'on regarde à la télévision. Que la femme devienne un exutoire pour la soldatesque est insupportable. Le journal de cette jeune Berlinoise en 1945 est glaçant d'effroi. En ex-Yougoslavie, on a ouvert une nouvelle porte de l'enfer en créant des camps de femmes à violer. C'était hier ! Quand l'Union européenne prépare l'intégration de certains de ces pays, nous devons connaître et regarder en face cette réalité, comme celle de la République démocratique du Congo. Ce sujet a-t-il été traité lors du récent sommet de l'Élysée ? Hélas, non !

La France, qui a un savoir spécifique en matière de chirurgie réparatrice après un viol, devrait mettre en place des coopérations. Je pense à l'Institut de Saint-Germain-en-Laye. La coopération médicale sera le meilleur moyen d'endiguer l'horreur et de redonner à ces femmes le goût de la vie.

Pour conclure, je forme le voeu que notre diplomatie se fasse mieux entendre sur les violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits armés. Pour cela, elle doit hausser le ton en rappelant des principes intangibles, loin de tout relativisme culturel. (Applaudissements unanimes)

M. Jean-Marie Bockel .  - En 2009, le Secrétaire général Ban Ki Moon déclarait : « les violences sexuelles sont un crime contre l'humanité ». Nous les découvrions à la fin des années 1990. Près de 50 000 femmes avaient subi de telles violences en Bosnie-Herzégovine, 560 000 femmes au Rwanda, plus de 150 000 femmes en Sierra Leone et 40 par jour dans le Kivu en République démocratique du Congo.

Première difficulté pour lutter contre ce phénomène qui fait des femmes des armes de guerre, le silence des victimes. S'ensuit un sentiment d'impunité des auteurs, renforcé par le manque de moyens de la justice de certains pays. Nous en avons vu l'exemple au Tchad.

Des progrès ont été enregistrés ces dernières années, avec la constitution du Tribunal pénal international et de tribunaux ad hoc. Le viol en temps de guerre est désormais reconnu comme un crime contre l'humanité. Les Nations unies ont également adopté un paquet de résolutions « Femmes, paix et sécurité ».

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce cadre juridique international que la France, comme d'autres pays, a déclaré plan national. Oui, il faut renforcer la présence de femmes dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction. L'Europe devrait féminiser son personnel responsable de cette question.

Le traité international sur les femmes, désormais ouvert à signature, est l'occasion d'avancer. Son article 7 prohibe spécifiquement l'utilisation des armes pour faire violence aux femmes. Mieux prévenir, cela passe par la société civile et les ONG dont il faut renforcer les moyens. Mieux protéger, l'ONU doit identifier les victimes et les aider à se reconstruire.

Enfin, poursuivre pour que l'impunité cesse. Utilisons les nouvelles instances de la francophonie.

Pour conclure, si le sujet fait désormais l'objet de l'attention de la communauté internationale, trop peu d'actions sont menées. « Les conséquences des violences faites aux femmes (...) sont un véritable enjeu de civilisation » a dit avec raison M. Ban Ki-moon. Puisse ce débat et l'excellent travail de Mme Gonthier-Maurin aider à faire progresser la prise de conscience à l'égard de ce sujet sur lequel la France a, par sa tradition, un devoir particulier. (Applaudissements unanimes

Mme Michelle Demessine .  - Dans les conflits qui émaillent l'actualité, du Sud-Soudan à la Centrafrique, les violences faites aux femmes s'ajoutent aux autres et sont trop souvent passées sous silence. Après le viol de 30 000 femmes en une seule année au Kivu, la communauté internationale a agi : elle a adopté des résolutions en 2010. Pour autant, une condamnation aussi unanime que solennelle ne suffit pas.

Encourager l'application de la résolution n°1 325 du Conseil de sécurité, voilà ce à quoi nous invite le rapport de notre présidente, Mme Gonthier-Maurin. Une résolution qui représente une véritable révolution : en effet, le viol et les violences sexuelles faites aux femmes y sont clairement reconnus comme armes de crimes contre l'humanité.

Une révolution encore, parce que le texte insiste sur le rôle des femmes dans la reconstruction et la paix. La France a adopté un programme national qu'elle a mis en oeuvre au Mali, en République démocratique du Congo ou encore en Centrafrique. Les femmes ne sont plus considérées seulement comme des victimes ; on reconnaît désormais leur rôle actif dans la résolution pacifique des conflits.

Le ministère de la défense serait le seul à avoir appliqué ce programme en envoyant des femmes militaires sur les théâtres de guerre et en organisant des formations à destination des militaires intervenant en Opex. Celles-ci occupent beaucoup notre commission des affaires étrangères. Ajoutons à notre réflexion le sujet des violences faites aux femmes.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

Mme Michelle Demessine.  - Et parlons-en lors de notre prochain déplacement en Centrafrique. De même, notre commission pourrait oeuvrer pour l'application du traité sur le commerce des armes, que nous avons ratifié en octobre dernier et, en particulier, son article 7 qui oblige les pays exportateurs à veiller à ce que les armes ne servent pas à commettre de telles violences.

À nous, car le rapport de Mme Gonthier-Maurin pointe l'impunité des auteurs, de suivre avec attention le procès qui s'est ouvert cette semaine à la cour d'assises de Paris sur des actes commis au Rwanda. À nous aussi de soutenir les associations. Pour ma part, je serai vigilante. Le Sénat s'honorera de faire reculer ces violences. (Applaudissements unanimes)

Mme Maryvonne Blondin .  - Je remercie vivement Mme Gonthier-Maurin et la félicite pour son rapport édifiant. Parmi les atrocités dont les pays en guerre sont le théâtre, les violences sexuelles faites aux femmes sont désormais reconnues comme des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.

Comme le dit Mme Bangoura, la représentante spéciale des Nations unies, « La violence sexuelle ne peut plus être considérée comme un dommage collatéral malheureux de la guerre ». La majorité des victimes des conflits armés sont des civils, surtout des femmes et des enfants. On se sert des femmes comme d'armes de guerre, on les viole pour transmettre le sida, les rendre incapables d'enfanter ou, au contraire, on les met enceintes en vue d'éteindre un peuple. Beaucoup de ces femmes, humiliées, se suicident.

Le corps des femmes, depuis l'Antiquité, est perçu comme un butin de guerre. Plus près de nous, les Japonais inventèrent les « femmes de confort » durant la Seconde Guerre mondiale. Vingt ans après le conflit rwandais, a lieu à Paris le premier procès d'auteurs de viols grâce à la compétence universelle. Comme l'indique la résolution n°1670 de 2009 de l'Assemblée générale du Conseil de l'Europe, la reconnaissance du viol comme crime contre l'humanité était une avancée majeure du traité de Rome. Il a fallu attendre 2008 et la résolution 1820 du Conseil de sécurité des Nations unies pour que la communauté internationale suive.

Ces dernières années, beaucoup a été fait pour enrayer ces violences. Le cadre législatif est constitué des résolutions 1261, 1321 et 1612 des Nations unies. Encore faut-il qu'il soit appliqué. La dernière résolution 2006 a été votée à l'unanimité le 24 juin 2013. Madame la ministre, à New York, vous avez rappelé que les femmes devaient être tenues pour des acteurs de la reconstruction et de la paix, non pas seulement comme des victimes. C'est tout à fait l'esprit de la résolution 1325. Le premier tribunal international a été créé en 1993. Malheureusement, les violences se sont poursuivies. Renforçons les coopérations internationales.

Au niveau européen, la réglementation est présente : la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains de 2008, la résolution de 2009 à Istanbul et la Convention d'Istanbul de 2011. Aujourd'hui, des milliers de victimes sont privées du droit d'obtenir justice et réparation. Double peine ! Malgré les efforts de la communauté internationale, de l'Europe et de la France, nous ne sommes pas au bout du chemin. Plaçons nos espoirs dans la Cour pénal internationale. (Applaudissements unanimes)

M. Robert Hue .  - Certains ont entendu avec effroi les témoignages bouleversants de femmes et d'enfants victimes de viols barbares en Bosnie, en République démocratique du Congo, au Rwanda. Les témoignages venus de Syrie, de Libye, leur font écho. Pourtant, les violences sexuelles ne sont ni une fatalité, ni un phénomène culturel. On parle beaucoup de l'Afrique, mais Lincoln dénonçait aussi les viols lors de la guerre de Sécession. Les femmes de Colombie y demeurent aujourd'hui exposées, elles ont été légion au Cambodge sous le régime de Pol Pot, comme en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Si l'attention se concentre sur l'Afrique, c'est que ces pays sont jeunes ; les institutions de l'État y sont encore fragiles et s'effondrent aisément en cas de conflit.

Le rapport de Mme Gonthier-Maurin décrit le processus de deshumanisation que représente le viol. Attaquons-nous à la racine du mal : le viol doit cesser d'être une arme de guerre. À dire vrai, il doit cesser tout court.

Mes collègues l'ont dit, le cadre international a beaucoup évolué. Bien sûr, il y a eu la convention de Genève, mais il a fallu attendre la jurisprudence des tribunaux internationaux. La France a été le premier pays, après l'Espagne, à décliner la résolution 1325 par un programme national. Oui, il faut des femmes au plus haut niveau dans la résolution des conflits. À cet égard, l'arrivée d'une femme à la présidence de la Centrafrique symbolise l'espoir.

Pour autant, les forces de sécurité commettent encore des viols dans les camps au Mali, au Tchad... La lutte contre les violences sexuelles - et la résolution 1820 y insiste - passe par une action multidimensionnelle : le développement, car sans lui, les femmes ne sortiront pas de l'exclusion ; le renforcement des systèmes judiciaires, pour que les auteurs de viol ne restent pas impunis. C'est la clé de la réconciliation civile, si chère à celui auquel le monde vient de rendre hommage, Nelson Mandela. (Applaudissements unanimes)

Mme Corinne Bouchoux .  - À cette heure, beaucoup a été dit. Alors, je parlerai de Mme G.A.A. - je tairai son nom à dessein. Elle est soudanaise, du Darfour. Elle y a subi des viols. Elle s'est réfugiée en France, qui lui a refusé l'asile. Elle a été « recueillie » dans le Maine-et-Loire par un monsieur qui l'a violée et mise enceinte. Elle a accouché d'un enfant mort-né. Secourue, de nouveau enceinte, elle fut menacée d'être jetée à la rue à la veille de Noël. Elle y a échappé grâce à la mobilisation de tous, jusqu'à celle de l'évêque, mais reste menacée d'expulsion. Voilà du concret : il y a un lien entre notre débat et ce que vivent des gens sur notre territoire. Que vais-je dire aux familles, demain ?

Madame la ministre, la question du genre est essentielle dans ces violences. Qu'allez-vous faire pour la porter ?

Nous ne sommes pas à l'abri des contradictions. Nous vivons en permanence avec nos téléphones portables. Or les minerais utilisés pour les produire sont l'enjeu de guerres où des violences sont infligées aux femmes.

Autre contradiction, le commerce des armes.

Ces victimes sont sur le continent africain, mais aussi en France. Pour elles aussi, il faut une solidarité pour qu'elles ne se retrouvent pas, comme on me l'a assuré, à la rue dans une semaine.

Mme Michelle Meunier .  - À mon tour de remercier Mme Gonthier-Maurin d'avoir engagé la réflexion sur ce sujet si difficile des violences perpétrées contre les femmes, les filles et les enfants.

Les viols de guerre s'accompagnent de la transmission de maladies comme le sida ou des hépatites, parfois de manière totalement stratégique et organisée. Dans certains cas, on stérilise les femmes, dans d'autres, on les force à enfanter.

Je reste très bouleversée par le récit que la ministre Benguigui a fait de la situation qu'elle a découverte en République démocratique du Congo : femmes, fillettes, nourrissons, soumises à la barbarie. Cette expérience l'a conduite à faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une des priorités de la francophonie.

L'image et la mise en scène des violences jouent un rôle nouveau ; horreur supplémentaire, ces images sont diffusées dans les réseaux pornographiques. Il faut faire reconnaître ces agissements comme criminels.

Le tableau est horrible. Nous n'avons pourtant ni le droit de fermer les yeux, ni celui de nous boucher les oreilles. Ces violences forment un continuum, tout au long de la vie des femmes, en temps de paix ou de guerre. Nulle fatalité cependant, mais seulement une manifestation de la domination des hommes.

Après les conflits, chaque victime de viol doit être reconnue comme victime de guerre, afin que son bourreau soit condamné. Chacune a droit à un soutien psychologique et à réparation, y compris financière.

Ne laissons pas croire que les guerres ont leurs règles viriles, vielles comme le monde. Comme disait Jean-Claude Chesnay, « le viol est le seul crime dont l'auteur se sente innocent et la victime coupable » : c'est contre cela aussi qu'il faut lutter.

Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, une prise de conscience s'est produite. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies a fait entrer les violences sexuelles en temps de guerre dans le champ de compétences des institutions chargées de la sécurité internationale. La France a mis en oeuvre son propre plan d'action.

Parmi les recommandations du rapport, je retiens notamment le renforcement des institutions judiciaires des États après les conflits. Je salue également le renforcement de la place des femmes dans notre défense et la création d'un Observatoire de la parité au sein de la défense.

Certaines femmes violées ont mené leur grossesse à terme par contrainte ou faute d'accès à l'IVG. Comment les accompagner et comment aider les enfants à ne pas devenir à leur tour des personnes violentes, comme les enfants soldats de Colombie ?

La France accueille des réfugiées. Faisons-nous tout ce qui est en notre pouvoir pour les protéger et les aider à se reconstruire ? Je n'en suis pas sûre. Mme Bouchoux nous a livré un exemple éclairant.

Le chemin est long et difficile mais je crois comme Gramsci, que le pessimisme de l'intelligence n'interdit pas l'optimisme de la volonté. Alors, avec vous, madame la ministre, je me déclare volontairement optimiste. (Applaudissements)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement .  - Un projet de loi exemplaire a été déposé en Libye pour accorder un statut aux femmes victimes de violences et leur accorder des réparations, y compris financières. Le ministre de la justice libyen - qui sera à Paris le 18 février - m'a demandé mon soutien pour que le parlement libyen inscrive ce texte à son ordre du jour. Il n'y a là aucune ingérence de la part de notre pays qui a aidé à la libération de la Lybie, sous mandat de l'ONU, mais rappel de son obligation de mise en oeuvre de la résolution sur les femmes du Conseil de sécurité.

Nous vivons dans un monde où le viol est considéré comme une arme. Le corps des femmes est trop souvent un véritable champ de bataille. Voilà pourquoi le Conseil de sécurité des Nations unies a mis en place depuis dix ans, avec la résolution 1325, un cadre juridique assez robuste. La France a mis en oeuvre un plan pour appliquer ces résolutions. Les Délégations des droits des femmes seront associées à la préparation du prochain plan. Nous envisageons de le décliner par zone géographique, là où les forces françaises sont déployées ou engagées, pour plus d'efficacité.

Avec raison, vous avez fait référence à la Cour pénale internationale. Le procureur général est déterminé à mobiliser la Cour et notre coopération est totale. Quand les juridictions nationales faiblissent, la justice internationale doit jouer tout son rôle. Une équipe d'experts est d'ailleurs mise à disposition des États à cet effet par l'ONU. Cela était prévu dans la résolution 1888. Nous verrons bientôt si les autorités congolaises sont décidées à sévir.

Je salue à mon tour le travail du professeur Foldes et de l'Institut de Saint-Germain-en-Laye et note votre proposition, monsieur Gournac, de renforcer la coopération médicale. L'Institut de victimologie de Paris apporte aux victimes de guerre une réponse thérapeutique extrêmement bienvenue.

Cependant mieux vaut prévenir que guérir. La prévention des violences sexuelles fait partie des missions de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali. Je me rendrai prochainement au nord Mali, où les femmes continuent à être victimes de violences et je visiterai la maison des femmes de Gao.

Aucun conflit ne peut être durablement réglé sans les femmes. Les deux derniers secrétaires généraux de l'ONU ont fait preuve de la tolérance zéro à l'égard des casques bleus auteurs de violences sexuelles.

Plusieurs résolutions ont été adoptées pour renforcer la participation des femmes aux opérations.de désarmement, de réhabilitation et aux programmes de justice et de sécurité dans les pays en sortie de crise. Elles soulignent l'importance de l'accès des femmes à la médecine, y compris réparatrice.

La France soutient en particulier cet objectif en Syrie. J'ai présidé une réunion avec trois représentantes syriennes en marge de la réunion de l'Union pour la Méditerranée. Nous apportons notre soutien à deux radios qui serviront en ce domaine.

La lutte contre les violences et les discriminations ne sont pas moins importantes en temps de paix. (M. Alain Gournac acquiesce.) La convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes est notre socle commun, de même que la convention d'Istanbul.

Vous savez combien je suis attachée à l'accès des femmes aux instances de décision, en France comme ailleurs. La récente élection présidentielle en Centrafrique est, à cet égard, un signe encourageant. Le sommet de l'Élysée a bien été l'occasion d'aborder ces sujets au cours d'une réunion de travail avec les premières dames où le problème des violences sexuelles a été évoqué ...

M. Alain Gournac.  - Il n'y a aucun compte rendu.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - ... et leurs préconisations ont été endossées par les chefs d'État.

Notre diplomatie doit en permanence partager cette vision ambitieuse universaliste du droit des femmes, tout en regardant avec bienveillance ce que les autres cultures ont à nous offrir. Les exemples de femmes résistantes doivent nous inspirer. Cela vaut pour l'aide au développement : dans le cadre du programme « genre et développement », 50 % des sommes seront affectées à des programmes bénéficiant aux femmes. Au plan interne, d'ici peu le Parlement sera saisi de la transcription des directives sur les violences de guerre, je le précise à l'intention de Mme Bouchoux.

Ce travail doit être poursuivi. Nous ferons tout, soyez en assurés, pour que les violences sexuelles faites aux femmes ne restent plus impunies. (Applaudissements.)

La séance est suspendue à 18 heures 55.

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

La séance reprend à 21h 30.

Exploitation cinématographique indépendante

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de l'exploitation cinématographique indépendante à la demande du groupe CRC.

M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC .  - L'année 2013 fut très mouvementée pour le cinéma français. Qu'il soit critiqué ou érigé en modèle, débats et polémiques ont illustré la vitalité des exigences autour de la création, de l'exploitation et de la diffusion du cinéma. Rien n'est jamais acquis. Et pour paraphraser le slogan des états généraux de la culture chers à Jack Ralite - « le cinéma français se porte bien, pourvu qu'on le sauve... »

La tribune de Vincent Maraval a créé la controverse en mettant en cause le modèle de financement du cinéma français. À cela s'est ajoutée la négociation de la convention collective du secteur, où les exigences légitimes des salariés se heurtent aux conditions de viabilité financière des productions à budget moyen. Je songe aussi aux négociations transatlantiques où la France doit défendre l'exception culturelle contre la tentation libérale de ravaler le cinéma au rang de marchandise ordinaire.

Oui, le cinéma français et ses mécanismes originaux de financement doivent être jour après jour défendus, c'est la condition de sa qualité et de sa diversité. Si sa situation est parfois enviée, c'est grâce à des choix politiques, faits à temps, qu'il faut poursuivre et renouveler pour relever de nouveaux défis.

Nous avons choisi de nous concentrer aujourd'hui sur la question de l'exploitation cinématographique au moment où les salles font face au défi du numérique et à un mouvement accéléré de concentration. Si les modes de diffusion évoluent, les salles restent essentielles ; de leur nombre et de leur nature dépendent l'accessibilité de tous et l'existence de la diversité culturelle. Les salles indépendantes - associatives, privées, municipales - sont menacées par l'essor des multiplex : comment assurer leur avenir ? Telle était la question aussi du colloque que nous avons organisé le 14 novembre à l'initiative du Manifeste pour la défense de l'exploitation indépendante. En 1996, le Centre national du cinéma (CNC) recensait 22 multiplex ; ils sont 181 aujourd'hui et plus de 45 projets ont été déposés en 2013 - un record depuis 2001. Ces ensembles fragilisent le modèle économique des salles indépendantes. Ils représentent 8,9 % des salles, mais 60 % des entrées et 70 % des recettes, avec une exploitation dominée par le critère de rentabilité, étouffant les salles indépendantes qui favorisent le cinéma indépendant et d'art et d'essai.

La concurrence est d'autant plus vive que les multiplex diffusent les films d'art d'essai qu'ils considèrent les plus porteurs, ceux-là même qui assureraient un certain équilibre financier aux salles indépendantes... L'accès aux copies est pour elles de plus en plus difficile, sans qu'elles obtiennent pour autant plus de copies de films commerciaux. La diversité des salles, donc celle des oeuvres, est menacée. La standardisation est en marche, accompagnée d'une durée de vie de plus en plus limitée des films. L'Inconnu du lac connaît un grand succès aujourd'hui, mais combien de multiplex ont-ils distribués auparavant des films de son réalisateur, Alain Guiraudie ?

Les multiplex sont souvent installés en périphérie, leur attractivité menace les salles indépendantes des centres-villes ; c'est bien souvent la fin d'un cinéma de proximité. Comment dans ces conditions favoriser l'accès de tous à la culture ?

L'enjeu n'est pas seulement économique et d'aménagement du territoire, il est aussi culturel. Les salles indépendantes sont souvent les seules à mener des actions culturelles, éducatives, à côté de la projection des films. Par leur travail d'animation, elles sont un lieu d'animation, de partage et de rencontre entre une oeuvre et son public.

De ce constat est née tardivement, en 1996, la réglementation de l'implantation des salles de 1 500 places dans la loi Royer votée dans les années 1970, seuil relevé ensuite à 2 000 places. Depuis 1997, 75 % des projets ont été autorisés... La réforme de 2007 a assoupli les règles, qui étaient contestées par les autorités européennes. La Commission européenne et la Cour de justice ont pourtant reconnu que la préservation de la diversité culturelle et la promotion de la culture sont des raisons impérieuses d'intérêt général qui justifient des restrictions à la liberté d'établissement.

Les commissions départementales et nationales d'équipement ont changé de nom et les critères ont été assouplis. Trois critères précis, en particulier, ont disparu : l'offre et la demande globales de spectacles dans la zone d'attraction ; la densité d'équipement en salles de spectacles ; l'effet potentiel du projet d'implantation sur la fréquentation des salles existantes dans la zone d'attraction et le respect de l'équilibre entre les différentes formes de l'offre de spectacles. Résultat, pas moins de 78 % des projets ont été autorisés depuis... Pour limiter la concentration, il est indispensable de revenir à des critères culturels et de réaffirmer l'objectif de diversité des lieux de diffusion.

Dans un premier temps, il convient de définir ce que sont les salles indépendantes et réformer sans attendre la procédure d'implantation - faire du respect de la diversité culturelle et de la diversité de l'offre de salles un préalable. Mais cette réforme ne suffira pas, il faut réfléchir à la rénovation des politiques de soutien au cinéma. La politique de classement « art et essai » permet à la moitié du parc de recevoir des subventions. Si les modalités de calcul et les critères d'appréciation de la programmation doivent être clarifiés, cette politique collective favorise la diversité des oeuvres sur les écrans français - ce qui nous distingue de nos voisins. Mais les moyens mis en oeuvre sont insuffisants et ne permettent pas une politique volontariste d'animation territoriale face à la concurrence des établissements commerciaux qui exploitent également des films d'art et d'essai à succès. Il faut favoriser l'accès prioritaire des salles indépendantes aux films d'art et essai et limiter le droit des grands groupes de s'en assurer l'exclusivité.

L'assiette de la TSA aujourd'hui limitée aux entrées en salle, devrait aussi être élargie, car le cinéma est parfois devenu un produit d'appel pour vendre des confiseries ou projeter des publicités.

Sans une action publique forte, de nombreuses salles seront menacées. Alors que les budgets des collectivités locales et des associations sont serrés, la responsabilité des pouvoirs publics est grande.

Nous souhaitons que ce débat ouvre la porte à des évolutions législatives. Le groupe CRC est prêt à prendre part à la réflexion, jusqu'au dépôt d'une proposition de loi déjà largement travaillée. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et UDI-UC.)

Mme Françoise Férat .  - Ces vingt dernières années ont été marquées par des flux et reflux en termes d'ouvertures et de fermetures de salles comme de fréquentation. Dix multiplex s'implantent en moyenne chaque année depuis 1996 et 36 projets ont été déposés en 2013. Si ce mouvement s'est traduit par une hausse de la fréquentation, il a mis sous pression les salles indépendantes de nos villes petites et moyennes, qui luttent contre l'uniformisation et survivent grâce à une programmation exigeante et à une politique d'animation intense, en particulier en direction de la jeunesse.

Ce duopole est-il durable ? Comment l'équilibrer ? Il est de la vocation des salles indépendantes de contribuer à l'éducation culturelle et à un aménagement équilibré du territoire - sans parler du développement durable. Une nouvelle politique culturelle qui garantisse la diversité doit être menée, dans la continuité de celle de ces 50 dernières années ; qui redéfinisse, au sein des commissions départementales, les modalités de régulation de l'implantation en fonction de l'impact d'une ouverture de salle sur les salles existantes ; qui clarifie les modalités de calcul des aides au salles ; qui engage une péréquation horizontale élargie ; qui prenne enfin en compte pour le classement la programmation et les actions d'animation. Les salles indépendantes doivent avoir accès aux copies des films plus facilement. Et la pratique du cealsing, qui consiste à projeter simultanément un même film dans plusieurs salles grâce à une seule copie doit être exceptionnelle.

En outre, il faut relever le défi du numérique, car les nouveaux matériels vieillissent très vite. Sans une politique d'aide aux mutations, on verra se créer un parc à deux vitesses, des salles ultramodernes et d'autres qui, sans être vétustes, ne pourront diffuser certains films. Enfin, l'État doit réfléchir à des aides spécifiques à la diffusion, en concertation avec les collectivités territoriales volontaires. Le président du CNC a confié à Serge Lagauche la mission d'évaluer une nouvelle procédure d'autorisation au regard de la diversité de l'offre et de l'aménagement du territoire.

Le cinéma est un art, avant d'être une industrie. Les salles de cinéma sont des lieux de partage et de dialogue que nous devons défendre. Faut-il une énième table ronde ? Je souhaite que le soutien au cinéma fasse l'objet de toute l'attention des pouvoirs publics.

M. Michel Le Scouarnec .  - Ce débat aurait mérité un coup de projecteur plus appuyé que cette dernière séance en nocturne... qui nous rappelle cependant le plaisir des salles obscures ! (Sourires) Il s'agit au fond de défendre la diffusion d'oeuvres dites confidentielles que les multiplex ne trouvent pas assez rentables.

Ces temps de crise ne sont pas le temps des cerises pour la culture. Certes, madame la ministre, vous avez de l'enthousiasme. Mais il en faudrait plus encore pour faire de la culture un moyen d'émancipation et de progrès social et être fidèle à André Malraux... Depuis des années, les structures demeurent tant bien que mal mais les moyens diminuent et l'égalité des territoires n'est plus assurée. La culture est pourtant un gage d'ouverture d'esprit, un apprentissage de la citoyenneté, un moyen de lutte contre les inégalités. Dans les territoires ruraux, les populations ont de plus en plus de difficulté pour accéder aux salles. À Auray, dans le Morbihan, un cinéma indépendant, porteur d'une programmation exigeante, est menacé par l'implantation d'un multiplex. Ce serait une vraie perte pour le lien de proximité et la qualité. Certes, les multiplex accueillent plus de spectateurs, mais la diversification des publics et la démocratisation de la culture doivent s'accompagner d'un réseau différencié, associant tous les acteurs comme les collectivités locales, qui se sont fortement engagées et attendent un soutien de l'État.

N'oublions pas les intermittents du spectacle : ils sont inquiets car les annexes 8 et 10 sont arrivées à échéance. Leur renégociation serait l'occasion d'une répartition plus juste des indemnités et de mettre fin aux abus et aux détournements. Pour faire vivre l'exception culturelle française, il faut aussi traiter le dossier des droits d'auteur et reconnaître la spécificité du métier d'exploitant de salle indépendante.

L'exception culturelle ne se conjugue pas au passé. La culture, c'est le soleil dont nous avons besoin par mauvais temps - je suis breton. Il faut reconstruire un grand service public de la culture pour que les oeuvres capitales de l'esprit humain soient accessibles à tous sur tout le territoire. Jean Vilar en rêvait, à nous de le mettre en pratique. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Danielle Michel .  - En 2009, Quentin Tarantino s'écriait au festival de Cannes : « Vive le cinéma ! ». Oui, vive le cinéma et vive la diversité ! Une diversité qui demeure, à Paris notamment, où l'on compte 400 écrans, dont 100 d'art et d'essai. Ce succès a ses racines rue de Rennes, où les frères Lumière ont organisé en 1895 la première projection publique. La fréquentation ne cesse d'augmenter depuis les années 1990, avec 207 millions de spectateurs en 2010. Les parts de marché du cinéma français dans notre pays sont uniques en Europe. Je salue les victoires du Gouvernement en faveur de la diversité culturelle.

Le septième art est une économie de premier plan et un secteur stratégique qui emploie de dizaines de milliers de personnes. Il faut sauver la diversité de la création et de l'offre ; favoriser un maillage territorial et un équilibre entre centres-villes et périphéries. Le modèle redistributif de l'aval vers l'amont, fondé sur des taxes affectées et le Centre national du cinéma, doit être préservé.

En 2013, le seuil de 200 millions d'entrées n'a pas été atteint et le nombre de films français ayant attiré plus d'un million de spectateurs a diminué. Si quelques films connaissent de grands succès, la part des petits films, comme leur durée d'exploitation, diminue. Le risque est de voir un fossé se creuser entre les grandes salles et les petites ; 20 % des salles captent 80 % des entrées. Il faut un plan d'action sur le temps long, car les évolutions en cours sont profondes et durables - mutations technologiques, diversification des supports qui entraînent un changement de modèle économique, chronologie des médias obsolète... Méfions-nous cependant des discours alarmistes : l'apparition de la télévision n'a pas tué le cinéma, et la diversification des supports n'a pas empêché les entrées d'augmenter de 90 % depuis 1992.

Le dynamisme de ce secteur est lié à la question des salles et à leur exploitation. Les exploitants sont bien à la source du financement de la création. Aujourd'hui comme hier, c'est l'avenir des salles face aux évolutions technologiques, économiques et sociologiques qui est en cause.

La régulation est le bon levier pour maintenir un tissu industriel vivant et une production attractive et diverse. Or les petites salles sont confrontées au déploiement de la numérisation, qui est onéreuse ; l'effort n'est possible que grâce à un soutien public - toutes les salles de mon département ont été numérisées avec un financement public de 80 %... Il faut aussi faciliter l'accès des petits exploitants aux copies numériques - la médiatrice du cinéma a été saisie du problème. La durée d'exploitation est trop courte, tandis que les grands exploitants diffusent des films indépendants porteurs.

Dans les villes universitaires, les villes moyennes et en milieu rural, les salles indépendantes sont un élément de diversité face au modèle hollywoodien. La programmation doit relever de la responsabilité des exploitants et ne pas être par défaut.

Dans ce contexte mouvant, les exploitants ne restent pas inactifs : réunions, débats, festivals, expositions...

Dans mon département, le conseil général mène une politique ambitieuse de soutien à l'ensemble de la chaîne, des producteurs aux exploitants, jusqu'à l'installation des salles. Les Landes ont renouvelé avec le CNC la convention qui court désormais sur la période 2014-2016.

Un nouveau plan d'action global est nécessaire. Je pense à la négociation avec la Fédération du cinéma français pour faciliter l'accès du jeune public - 4 euros la place pour les moins de 14 ans. Je pense aussi à la modernisation du financement de la création pour un meilleur soutien au cinéma d'auteur. Je pense à l'acte II de l'exception culturelle à l'ère du numérique et aux 50 propositions pour une meilleure répartition des risques entre salles indépendantes et multiplex, la réorientation des financements vers les « films du milieu », l'amélioration de la diffusion des oeuvres. Les conditions générales de location devraient être revues pour prévoir une exposition minimale des films et une meilleure promotion en salle. A-t-on un calendrier de mise en oeuvre de ces préconisations ? Le projet de loi « création » sera sans doute le bon véhicule ... Quand sera-t-il examiné ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Esnol .  - En 1988, dans Cinema Paradiso, Philippe Noiret nous rappelait le plaisir incomparable des salles obscures. Cette évocation soulève une certaine nostalgie... Le groupe CRC ne nous appelle pas à la nostalgie mais à regarder l'avenir.

Le monde du cinéma s'interroge aujourd'hui. Déjà à l'époque de Cinema Paradiso, les films d'art et d'essai étaient confrontés aux films de masse et les salles indépendantes aux multiplex. Mais la pression est aujourd'hui plus forte des grands sur les petits. La concurrence a certaines vertus pourvu que les pouvoirs publics mènent une politique intelligente qui préserve cet écosystème et la diversité de l'offre de salles, privées, associatives, municipales. Ce sont souvent les festivals de cinéma qui favorisent l'accès à des oeuvres originales. À Conflans coexistent une salle indépendante en centre-ville, avec une programmation de qualité, et un multiplex.

La rentabilité des salles indépendantes ne peut être la même que celle des multiplex. Entendons leurs inquiétudes sur la réglementation de l'implantation des salles et le soutien aux activités d'animation. Sans la rencontre avec le public, les oeuvres n'ont pas d'existence réelle : le soutien aux salles n'est donc pas séparable du soutien à la production.

Je n'entends pas déconsidérer l'industrie cinématographique, qui contribue aux loisirs et crée des emplois. Mais les salles indépendantes doivent être aidées, vu le rôle de quasi-service public qu'elles jouent. La modernisation des salles coûte cher. Le CNC a créé un fonds de soutien, les collectivités territoriales y participent aussi.

Reste la question des autorisations d'implantation. Là aussi, les pouvoirs publics ont le devoir de réduire les inégalités territoriales.

Merci encore au groupe CRC qui nous permet de parler ce soir de cinéma. Concilier culture et économie n'est pas simple à l'évidence. Le Sénat est prêt à y contribuer. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Le Scouarnec.  - Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin .  - En France, grâce au CNC, la production cinématographique est foisonnante, mais nous devons aussi nous préoccuper de la distribution. Face aux mastodontes adossés à des grands groupes atteignant parfois, comme dans ma ville, 23 salles et 7286 sièges, comment les salles indépendantes peuvent-elles survivre ? Le CNC les a aidées à se numériser ; s'il n'avait pas été écrêté par Bercy, il aurait pu oeuvrer pour l'accessibilité des oeuvres.

Le numérique, c'est l'obsolescence programmée. Le soutien public restera donc indispensable aux salles indépendantes - qui, elles, ne retirent pas un film de l'affiche dès que les entrées flanchent. Les films dits « exigeants » exigent, justement, un accompagnement durable.

Gigantesques bâtiments métalliques entourés de parkings et de fast food, voilà ce que sont devenues certaines salles. On y apporte son cerveau, comme on apporte son caddie au supermarché. Voilà pourquoi les écologistes soutiendront toujours les salles indépendantes.

La fréquentation augmente, mais le nombre des salles diminue. Près de 60 % des entrées sont faites dans les multiplex : la concentration est patente. Les missions des salles indépendantes sont menacées et certains élus, tout en prétendant les soutenir, autorisent l'implantation de nouveaux multiplex...

De nouveaux critères doivent donc présider aux autorisations et le niveau de décision devrait être un peu plus éloigné du destinataire des retombées économiques éventuelles. Nous serons attentifs aux recommandations du rapport que prépare Serge Lagauche. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Leleux .  - Comme, sur la question de l'exploitation, je partage largement l'avis des orateurs précédents, j'aborderai aussi la question de la production.

Oui, notre réseau capillaire de salles doit être préservé. Le dispositif mis en place par le Centre national du cinéma a montré sa nécessité. Le cinéma français affiche une telle vitalité grâce à quelques films phares, mais connaît des déséquilibres : deux tiers des films seulement affichent un résultat positif. La part de marché du cinéma américain s'accroît : 54 % en 2013, contre 43 % en 2012. Le manque de fonds propres, les problèmes de partage des risques, les difficultés d'exploitation des films fragiles ont été soulignés.

Comment réagir ? Avant même l'étude du Centre national du cinéma de décembre 2013, le rapport Bonnell formulait des recommandations pour réduire les coûts de production, grâce à plus de transparence. Les salaires des acteurs et du réalisateur devraient être publiés et séparés du reste des coûts, les à-valoir supprimés ; les sources de financement du secteur doivent aussi être diversifiées car l'apport des chaînes de télévision, aux premiers films notamment, diminue. Le rapport n'étudie pas les sujets polémiques, comme les sorties directes en vidéo ou la chronologie des médias. Celle-ci doit probablement être assouplie.

Sans doute suis-je un peu hors sujet (Mme la ministre s'en amuse), mais j'aimerais connaître les intentions du Gouvernement. Je souhaiterais obtenir des précisions sur le droit des procédures collectives dans les sociétés de production. Leur faillite peut mettre en péril l'accessibilité des oeuvres, car le sort du patrimoine immatériel est incertain. Ainsi, les auteurs peuvent obtenir la résiliation de leur contrat de production après trois mois, en cas de liquidation. Ce délai devrait être porté à dix-huit mois au moins. Le rapport Gaschet recommande de légiférer ; votre projet de loi sur la création pourrait en fournir l'occasion.

Le cinéma français, reconnu dans le monde entier, doit être protégé (Applaudissements)

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication .  - À mon tour, je remercie M. Laurent de nous avoir donné l'occasion de débattre sur ce sujet trop souvent ignoré.

L'année 2013 fut riche pour le cinéma français, avec la Palme d'or pour La Vie d'Adèle, l'Oscar du meilleur film étranger à Amour, une coproduction française, et la réaffirmation du principe d'exception culturelle dans le cadre des négociations transatlantiques.

C'est grâce à ce principe que le cinéma continue d'employer 100 000 personnes en France, et de représenter 0,5 % du PIB. Une convention collective a été conclue dans le secteur de la production. Chacun connaît le rôle des salles indépendantes pour la diffusion des oeuvres et l'animation culturelle. La part de marché du cinéma français ne fut que de 33 % en 2013, mais il demeure que le cinéma se porte bien.

Pour soutenir ce secteur, j'ai obtenu la baisse du taux de TVA à 5,5 % pour les tickets d'entrée. Notre parc se monte à 5 508 écrans, répartis dans plus de 1 600 communes : un tel maillage est unique au monde. Toutes nos 118 agglomérations de plus de 50 000 habitants sont équipées en salles de cinéma. La moitié des salles appartiennent à la petite exploitation mais les 181 multiplex totalisent 66 % des entrées. Les salles indépendantes concourent à la diversité de l'offre. Aussi sont-elles soutenues par les pouvoirs publics via le CNC. Grâce au fonds pour la numérisation, la quasi-totalité des salles françaises sont désormais numérisées : là encore, c'est unique au monde. Le CNC a aidé 1 521 écrans ; 68 % des établissements aidés sont situés en zone rurale ou dans des villes de moins de 20 000 habitants. Une aide est spécifiquement attribuée aux salles indépendantes. Cette aide sélective est très fortement sollicitée.

À cela s'ajoute l'aide au cinéma d'art et d'essai, qui représente 14 millions d'euros par an, sachant que 56 % des établissements classés sont situés dans des communes de moins de 20 000 habitants. Le soutien automatique lui-même est très redistributif, les petites salles ayant un taux de retour sur le TSA de 80 %, contre 30 % pour les grands groupes.

Après les aides, la réglementation. Les nouvelles implantations sont soumises à l'autorisation de la commune, qui se prononce en fonction de critères fondés sur la diversité de l'offre et l'écosystème local. Le taux de refus atteint 47 % pour les grandes salles, contre 22 % en moyenne.

Il serait très préjudiciable que les films à succès soient réservés aux multiplex. Le CNC doit continuer à veiller à ces équilibres. La question de l'accès aux films porteurs sera donc abordée dans le cadre des travaux lancés à la suite du rapport Bonnell. Un groupe de travail sera consacré à la diffusion.

La France a souscrit à des engagements de programmation visant à promouvoir le cinéma européen, la diversité de l'offre et le « hors cinéma », comme la diffusion d'opéras en salle. Certains proposent de limiter le nombre d'écrans qui peuvent être consacrés à la diffusion de films européens ou indépendants, porteurs, pour favoriser les indépendants. Le CNC en discutera avec les opérateurs dans un souci d'équilibre et de visibilité des oeuvres.

Il importe également de réaffirmer l'importance des salles, qui sont les meilleurs écrans pour découvrir une oeuvre, son premier écrin. Des dérogations à la chronologie des médias peuvent cependant être envisagées.

Les nouveaux acteurs doivent respecter la législation culturelle et participer au financement de la création. Le transfert de la riposte graduée au CSA figurera dans le projet de loi Création qui est prêt et sera présenté en conseil des ministres avant la fin de l'année.

Le rapport Bonnell recommande aussi que les « films du milieu » - dont le budget est compris entre 4 et 7 millions - bénéficient à l'ensemble des salles. Des mesures législatives pourront être prises.

Les salles participent aussi à l'éducation au cinéma. En 2011-2012, 1,4 million d'élèves ont bénéficié de programmes tels que « École au cinéma ». Ces dispositifs seront maintenus, en coopération avec l'éducation nationale qui développe aussi la formation initiale et continue des professeurs.

L'accès aux salles des personnes handicapées doit aussi être amélioré. Un arrêté sera bientôt publié en ce sens. Pour ce qui est des handicaps sensoriels, le Centre national du cinéma a participé au sous-titrage et à la réalisation de versions audiométriques de films. La transmission des salles est un autre enjeu, car beaucoup d'exploitants arrivent à l'âge de la retraite. Des aides à la région doivent être imaginées.

Je serai très attentive aux conclusions du rapport Lagauche sur la procédure d'autorisation préalable. Toutes les auditions concluent à son maintien, mais il faut faire en sorte que les nouveaux établissements s'adaptent mieux à l'offre existante. Le Gouvernement soutient le découplement de ce dispositif de la procédure d'autorisation commerciale, qui devrait être inscrit dans le projet de loi sur l'artisanat.

L'exploitation cinématographique connaît des évolutions économiques, technologiques et sociétales qui méritent toute notre attention. Enfin, monsieur Leleux, je vous ferai parvenir les informations demandées sur le droit des faillites. (Applaudissement.)

Prochaine séance demain, jeudi 6 février 2014, à 10 heures.

La séance est levée à 23h 20.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du jeudi 6 février 2014

Séance publique

À 10 heures

Présidence : M. Jean-Patrick Courtois, vice-président

Secrétaires : Mme Michelle Demessine - Mme Marie-Noëlle Lienemann

1. Débat sur l'évolution des péréquations communale, intercommunale et départementale après l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2014.

À 15 heures

Présidence : M. Jean-Pierre Bel, président

2. Questions d'actualité au Gouvernement

À 16 heures 15

Présidence : Mme Bariza Khiari, vice-présidente

3. Débat sur l'avenir des infrastructures de transport