Agriculture et propriété intellectuelle (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « Pratiques et réalités agricoles et code de la propriété intellectuelle », à l'initiative du groupe écologiste.

M. Alain Fouché .  - En décembre 2011, une loi a enfin autorisé les semences de ferme et jeté les bases d'un meilleur accès aux ressources génétiques, si importantes pour la biodiversité cultivée. Ce texte suscite encore la polémique, certains sont opposés par principe à la propriété intellectuelle, refusent la rémunération des sélectionneurs. Le retard pris dans la parution des décrets n'apaise pas le climat.

Le Gouvernement a annoncé la publication sous 15 jours du décret sur les espèces bénéficiant d'une dérogation, que nous souhaitons voir élargi au-delà des 21 espèces sélectionnées. C'est très bien mais il est urgent de publier le décret sur la rémunération des sélectionneurs et celui sur la gestion par la France des ressources génétiques. Après deux ans au pouvoir, pensez-vous pouvoir en venir à bout dans les trois ans qui viennent ? N'attisez pas les peurs. Nous devons garantir notre indépendance face à des concurrents qui bénéficient d'un droit beaucoup plus souple.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt .  - Soyons simples et évitons les caricatures. Il n'y a pas d'un côté les rétrogrades, de l'autre les progressistes.

Un décret sera bientôt pris sur les espèces bénéficiant de dérogation et la liste des 21 espèces sera étendue à 13 espèces nouvelles.

L'autre décret, sur la rémunération des sélectionneurs, n'est pas obligatoire pour la recherche et son financement. Nous ne le prendrons pas avant d'être parvenus à un accord interprofessionnel.

M. Alain Fouché.  - Ce qui intéresse le monde agricole, c'est la rémunération des sélectionneurs, face à la dangereuse concurrence de grandes puissances étrangères.

M. Aymeri de Montesquiou .  - La France est le deuxième exportateur mondial de semences. Le système actuel du Certificat d'obtention végétale (COV) convient à tous. Pourtant, le dogmatisme l'emporte sur les OGM : la culture en est interdite, mais on importe et on consomme du maïs et du soja transgéniques. C'est schizophrénique.

M. Charles Revet.  - Dans ce domaine comme dans d'autres !

M. Aymeri de Montesquiou.  - La délocalisation de la recherche vers les États-Unis provoque une perte de savoir-faire et d'emplois. Notre recherche agroalimentaire devrait être une priorité, via l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). Faut-il laisser les brevets sur les végétaux aux multinationales américaines ? Il y va de l'avenir alimentaire de la planète. Dans le prochain projet de loi, fermerez-vous la porte à l'avenir ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - J'avais ouvert le débat en demandant d'éviter la caricature... Si ce que vous dites était vrai, la France serait-elle devenue l'an dernier le premier exportateur de semences du monde ? Et cela, sans grandes firmes internationales, mais grâce à notre tissu de PME.

Tout le monde s'accorde sur le défi alimentaire et la nécessité de préserver les ressources agricoles. Des OGM résistants aux herbicides sont-ils la solution ? J'en doute. La page des OGM de première génération va se tourner, la recherche s'orientera vers d'autres perspectives. Se posent par exemple les questions du riz doré, de la vitamine A dans certaines céréales... Ensemble, jetons de nouvelles bases. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Je me demande qui joue de la caricature... J'évoque une recherche sur les OGM éthique et encadrée, menée au sein de l'Inra. Nous importons des semences que nous n'avons pas le droit de produire. N'est-ce pas un paradoxe ?

Mme Renée Nicoux .  - Les agriculteurs s'inquiètent de voir remis en cause le droit aux semences de ferme en raison du contrôle accru sur le droit de propriété intellectuelle, à la suite du vote de la loi contre la contrefaçon. Or le monopole ne fait pas obstacle à l'utilisation de nouvelles variétés obtenues par croisement. L'utilisation des semences de ferme par les agriculteurs sur leur propre exploitation est autorisée par la loi, qu'en est-il des échanges ? Pouvez-vous nous rassurer monsieur le ministre ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - J'ai toujours défendu les certificats d'obtention végétale. Sans cette capacité forfaitaire de financer la recherche, un jour ou l'autre, seuls les grands industriels pourraient financer la recherche, à leur profit exclusif.

Les semences de ferme ne constituant pas une contrefaçon, elles sont exonérées du contrôle accru des douanes sur la contrefaçon. Quant aux échanges de semences, ils sont autorisés et soumis à un régime fiscal favorable.

Le prochain décret ouvrira la dérogation à 13 espèces nouvelles, je l'ai dit. Nous nous efforçons de parvenir à un consensus sur la rémunération des sélectionneurs. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Mme Renée Nicoux.  - Merci de ces clarifications. Nous attendons la suite des travaux.

M. Michel Le Scouarnec .  - Il y a quelques semaines, la commission des affaires économiques a voté une proposition de résolution européenne sur l'obtention végétale, devenue résolution du Sénat le 17 janvier. Priorité y est donnée au certificat d'obtention végétale sur les brevets. Nous voulons protéger la liberté de la recherche et des échanges dans le domaine agricole, réaffirmer clairement le principe de la non-brevetabilité du vivant. Résisterez-vous aux États-Unis dans les négociations sur l'accord de libre-échange, monsieur le ministre ? Traduirez-vous ce principe dans les missions des opérateurs de l'État ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - La frontière entre obtention végétale et brevetage doit effectivement être clarifiée. Des travaux sont engagés à cette fin au sein du Haut Conseil des biotechnologies. Le brevetage complique l'utilisation des semences. Je conclurai un colloque fin avril à ce sujet ; le champ du brevet sera clairement encadré. Chacun doit être informé du droit applicable aux semences qu'il utilise. Ce débat doit aussi avoir lieu à l'échelle européenne.

Enfin, la loi d'avenir exclut toute présence fortuite dans une culture.

Mme Annie David .  - Nous voulions vous alerter sur les dérives du droit de la propriété intellectuelle et les contentieux européens en la matière. En mai, l'Office européen des brevets accordait à la société suisse Syngenta un brevet exclusif sur une variété de poivron obtenue par le croisement entre un poivron commercialisé et une variété originaire de Jamaïque qui résiste à plusieurs insectes nuisibles. Il ne s'agit pourtant pas d'une invention.

L'Inra s'est déclaré opposé à la brevetabilité des plantes et des gènes. J'espère que vous vous inspirerez de sa position.

M. Joël Labbé .  - Je salue nos téléspectateurs qui, paraît-il, sont de plus en plus nombreux.

La diversité génétique des cultures réduit les risques de maladie, stabilise, voire augmente, les rendements, et rend les systèmes de production plus résilients. Mais la recherche profite surtout aujourd'hui à l'agriculture intensive, grande consommatrice d'intrants chimiques. Il faudrait mieux soutenir les paysans qui remettent à l'honneur des variétés locales ou anciennes. La collaboration du monde de la recherche publique avec la société civile et le monde paysan est indispensable.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour mieux soutenir ces initiatives coopératives comme le font d'autres pays ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Le plan « semences durables » est doté de1,33 million par an. Nous entrons donc dans le processus de mobilisation de la recherche publique et privée pour l'adaptation des semences. Je rappelle que ce mouvement s'inscrit dans un cadre international. La France s'est engagée devant la FAO à soutenir l'agrobiologie.

L'appel à projets 2014 du plan semences durables se conclura le 5 mars. Ses objectifs sont clairs.

M. Joël Labbé.  - J'entends votre réponse volontariste. Mme Blandin me rappelle que les opérateurs de l'État doivent maintenant, de par la loi, collaborer avec le monde associatif. Sur les 7 500 agents de l'Inra, moins de 10 se consacrent à la recherche sur l'agriculture bio.

Enfin, les appels à projets excluent les associations de paysans.

M. Raymond Vall .  - Monsieur le ministre, vous avez répondu à la question que je m'apprêtais à poser. Je me réjouis du plan « semences durables », nous défendons le certificat d'obtention végétale.

L'extension de la dérogation à 13 espèces nouvelles est une avancée bienvenue. Il faudra nourrir 9 milliards d'humains en 2050, reconnaissons des modèles culturaux divers. Privilégions l'autonomie des agriculteurs plutôt qu'une logique de défiance, afin de rassurer les agriculteurs sur les semences de ferme.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - S'il y a un domaine qui investit dans la recherche, c'est celui des semences : 15 % du produit récolté sur les certificats d'obtention végétale sont affectés à la recherche.

Pour me déplacer à l'étranger, je sais combien l'expertise française est appréciée et recherchée. La semaine dernière, nos amis marocains nous ont demandé notre aide pour adapter les semences au climat sec.

Notre modèle écologique et économique fonctionne : nous sommes le premier exportateur mondial de semences. Le défi est de financer la recherche pour demain, nous le faisons avec le plan « semences durables ».

M. Raymond Vall.  - Je salue votre courage, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Rémy Pointereau .  - Toutes les questions portent sur la brevetabilité du vivant. Le Sénat a demandé, très tôt, une exception à la règlementation européenne sur les inventions biotechnologiques pour la sélection. Reste une difficulté sur les gènes natifs. Que ferez-vous pour obtenir la non-brevetabilité des gènes natifs ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Question extrêmement précise, qui montre l'expertise de la noble assemblée qu'est le Sénat. (Sourires)

Cette question des gènes natifs devra être traitée au niveau européen. Le colloque d'avril sera l'occasion de tirer les conclusions des travaux engagés de manière à peser à Bruxelles.

M. Rémy Pointereau.  - Merci d'avoir noté que nous sommes une chambre d'experts.

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - L'évidence s'impose !

M. Rémy Pointereau.  - Merci également d'avoir observé que le texte sur les certificats d'obtention végétale, dont j'étais le rapporteur, est une bonne boîte à outils. Il autorise l'accès aux obtentions, tout en encourageant, plus que le brevet, la recherche. Il protège sans confisquer.

M. Richard Yung .  - Ma question porte sur le règlement en préparation sur l'enregistrement des variétés et la certification des semences. Il rassemblera une quinzaine de directives, ce qui simplifiera les choses. Ce texte est naturellement important pour la France qui est le premier exportateur mondial de semences. Le Sénat s'est inquiété de ce que les actes délégués à la Commission européenne soient très étendus - le dossier lui revient entièrement -, ainsi que de l'allongement au-delà du brevet de quinze à trente ans et de l'inclusion de la forêt. Le Parlement européen est inquiet. Quelle est la position du Gouvernement ?

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Le Gouvernement est favorable à la simplification et à la production comme à l'inclusion d'un volet environnemental.

M. Charles Revet.  - Il y a du travail à faire !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Cependant, la question des actes délégués se profile derrière. On a vu ce qui s'est passé sur le maïs 1507. Le Parlement était contre son autorisation, de même que 19 États sur 28, avec quatre abstentions. Nous devons être vigilants ; nous le serons.

M. Richard Yung.  - La commission européenne s'est montrée trop timide envers les États-Unis. La décision que rendra la Haute Chambre de recours sur le brocoli et la tomate déterminera la ligne entre le certificat d'obtention végétale et les brevets. Les hostilités sont ouvertes à ce sujet entre l'Europe et les États-Unis.

Mme Sophie Primas .  - Dans le cadre de notre mission d'information sur les pesticides, nous avons mis à jour des trafics, parfois imputables à de véritables réseaux criminels associant des laboratoires clandestins. Pour les combattre, il faut renforcer des contrats mutualisés au niveau européen. Cette lutte suppose également de diminuer l'attractivité de ces trafics diversement sanctionnés dans les codes : deux ans et 75 000 euros d'amende dans le code rural, cinq ans et 500 000 euros d'amende dans le code de la propriété intellectuelle. Il faut une harmonisation des sanctions par le haut. L'accepterez-vous  - c'est un clin d'oeil - si j'en fais la proposition lors de l'examen de la prochaine loi pour l'avenir de l'agriculture ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - L'article 23 de la loi sur l'avenir de l'agriculture renforcera les obligations d'enregistrement des produits phytosanitaires pour améliorer leur traçabilité. À l'occasion de la crise de la viande de cheval, nous avons renforcé l'articulation entre Europol et Eurojust.

Je serai ouvert à toutes ces propositions lors de l'examen du projet de loi sur l'avenir de l'agriculture.

Mme Sophie Primas.  - Je saisirai la balle au bond. L'harmonisation et le renforcement des sanctions est un impératif. Récemment, les tribunaux de Saint-Gaudens et de Toulouse ont prononcé de toutes petites peines : 2 000 euros au maximum. Ce n'est pas dissuasif au vu des gains que procure ce trafic.

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 heures.

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président