Université des Antilles et de la Guyane (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2014-806 du 17 juillet 2014 modifiant le chapitre unique du titre VIII du livre VII de la troisième partie du code de l'éducation relatif aux dispositions applicables à l'université des Antilles et de la Guyane pour y adapter le titre V de la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche et les ordonnances n°2008-1304 du 11 décembre 2008 et n°2014-807 du 17 juillet 2014 modifiant la partie législative du code de l'éducation (Procédure accélérée).

Discussion générale

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Ce projet de loi est l'aboutissement de la création de l'université des Antilles. Martinique et Guadeloupe ont une tradition universitaire ancienne qui remonte jusqu'en 1883 ; d'abord un institut de droit à Fort-de-France, puis d'autres formations. Il fallut toutefois attendre 1970 pour qu'un centre universitaire multidisciplinaire commun fut créé à la Guyane et aux Antilles pour une université de plein exercice en 1982, mettant fin au rattachement historique à l'université de Bordeaux. Les collectivités territoriales ont beaucoup investi pour moderniser et équiper les campus et offrir aux étudiants des conditions très favorables.

Cependant, les relations entre le pôle guyanais et le pôle antillais se sont tendues : je vous renvoie au rapport Gillot-Magras. À l'automne 2013, le campus guyanais fut bloqué. Le protocole d'accord du 4 novembre 2013 prévoyait la création d'une université de Guyane au plus tard à la rentrée 2016. Le décret parut en fait dès le 30 juin 2014 et l'université guyanaise vit le jour à la rentrée au 1er janvier 2015. Je salue les équipes sans qui cette rapide création n'eut pas été possible.

Il ne s'agit pas ici que d'un changement de périmètre. Le gouvernement a souhaité que le cadre juridique de la nouvelle université des Antilles soit adapté aux réalités locales, par l'ordonnance du 17 juillet 2014, issue d'une large concertation.

Certaines innovations proviennent de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 : comme ailleurs, un conseil académique s'est substitué aux anciens conseils scientifiques et conseils des études et de la vie universitaire. Vu l'urgence, l'ordonnance a également fixé les conséquences de l'autonomisation du pôle guyanais : parité des pôles régionaux dans les instances de l'université ; capacité d'organisation administrative et pédagogique reconnue aux pôles ; mandat de cinq ans non renouvelables du président, de façon à assurer l'alternance. Toute alternance obligatoire se serait en revanche heurtée au principe de l'équité devant le suffrage.

Votre commission a utilement complété le texte pour consacrer la création d'une université antillaise autonome. En revanche, le gouvernement s'en tient à la position des élus locaux sur le principe d'une élection libre des vice-présidences des conseils de pôle : j'énonce sur ce point des réserves sur les modifications apportées par la commission.

Merci à ceux qui ont préparé ce texte, en particulier à Christian Forestier qui n'a pas ménagé sa peine, merci aux sénateurs qui y apportent leur soutien, dans l'intérêt de notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commision de la culture .  - La transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles est rendue nécessaire par la création d'une université de la Guyane de plein exercice par le décret du 30 juillet 2014. Nous avons travaillé en bonne intelligence en commission et je remercie Mme Gillot pour son travail, salué par les élus locaux. Le rapport qu'elle a rédigé avec M. Magras nous a inspirés.

Nous avons voulu un statut de l'université des Antilles solide juridiquement, cohérent et de nature à garantir l'attractivité de l'établissement auprès des enseignants et des étudiants. L'université des Antilles compte des équipes de renommée internationale dans les domaines du développement durable, de la santé, des études caribéennes... Ne répétons pas les erreurs du passé.

Le champ d'habilitation donné par la loi du 22 juillet 2013 ne permettait pas au gouvernement de substituer l'université des Antilles à l'université des Antilles et de la Guyane dans le code de l'éducation. Cette dernière continue donc d'exister juridiquement, alors même qu'une université de la Guyane de plein exercice est en place depuis le 1er janvier 2015.

Nous avons voulu sécuriser les choses, avec une université des Antilles assise sur deux pôles, martiniquais et guadeloupéen. Les pôles sont identiques comme des regroupements de composants pouvant se voir déléguer des compétences du conseil d'administration. Ils détiennent d'ailleurs des compétences propres, de même que leur président. La commission des affaires culturelles a procédé aux modifications législatives que le champ d'une habilitation interdisait au gouvernement.

L'université des Antilles conservera la même personnalité juridique que l'ancienne université des Antilles et de la Guyane. Nous avons rapproché la composition des conseils du droit commun, afin d'améliorer la représentation des équipes de recherche, incontournables. Nous avons évité toute confusion entre les services de l'université et ceux des pôles. Le texte met également en oeuvre la proposition n°11 du rapport Gillot-Magras. Les tickets pour la présidence et les deux vice-présidences des pôles sont en effet indispensables, pour garantir la confiance réciproque, tant les forces centrifuges sont aujourd'hui puissantes. Nous privilégions une logique de projet, alors que jusqu'ici les frontières insulaires étaient déterminantes. Des pôles autonomes pleinement associés à l'établissement dans un modèle fédéral plutôt que des listes centrées sur les pôles, voilà qui nous paraît utile.

Certains vice-présidents de pôle se sont par le passé opposés au président de l'université sur des questions stratégiques. Ainsi, le pôle guyanais s'était plaint de ne pas avoir bénéficié des redéploiements promis. Tenons compte des erreurs du passé ou nous assisterons à de nouvelles scissions ! La défiance est forte en Guadeloupe à l'égard de la présidente actuelle de l'université. Les tenants d'une université de plein exercice maintiennent que l'égalité de traitement n'avait pas été respectée, alors que même le budget provisoire prévoit d'accorder 53 % des ressources à la Guyane.

Alors que le paysage universitaire national se réorganise autour de pôles cohérents, comment admettrait-on que l'université des Antilles éclate ?

Une université des Antilles solide, cohérente et pleinement opérationnelle : voilà le choix qu'a fait la commission. (Applaudissements)

Mme Dominique Gillot .  - À la suite des troubles survenus lors de la rentrée 2013/2014, M. Magras et moi-même, dans notre rapport, avons conclu qu'il fallait fonder l'avenir sur trois principes : territorialité, solidarité, attractivité. Nous avons constaté de graves dysfonctionnements sur fond de malaises identitaires. La focalisation sur les postes et les moyens, voire les personnes, a souvent empêché de soutenir d'autres projets d'intérêt commun, voire de défendre l'université. Enfin, des procédures disciplinaires et judiciaires ont été lancées pour sanctionner les abus.

Il est indispensable de conforter l'université des Antilles devenue indépendante. Au début de la crise, étudiants et enseignants avaient des revendications concrètes, sur les moyens alloués à leur université, et dénonçaient les coteries. Il appartient à l'État de défendre l'intérêt général. Il ne faudrait pas qu'une duplication systématique de nos établissements, au nom de la proximité, mette en cause leur spécialisation. Dans une période de harcèlement et de violence verbale, il a fallu de la ténacité à la présidente pour surmonter la crise et éviter que de nouvelles tensions n'apparaissent entre Martiniquais et Guadeloupéens. Pour éviter les travers anciens, nous avons fait en sorte de reconnaître l'autonomie des pôles sans renoncer à l'unité de l'établissement. C'est pourquoi la commission de la culture propose que les électeurs désignent en même temps le président et les deux vice-présidents représentant chacun des deux pôles. Rien n'avancera si chacun des membres du trio peut revendiquer une légitimité propre.

Les conditions d'études et l'offre de formation sont excellentes à l'université des Antilles qui doit constituer l'armature d'un système de formation et de recherche au service des jeunes antillais. Un quart seulement des bacheliers locaux s'inscrivent sur place : c'est dire l'enjeu d'attractivité. Souhaitons que tous les enseignants saisissent cette opportunité de remise à plat. Seule université francophone dans la région, l'université des Antilles sera un fer de lance de notre savoir et de notre culture.

Merci à vos services et à votre cabinet, madame la ministre, pour leur aide : ils m'ont aidée à débroussailler ces informations. Merci à Jacques Grosperrin pour son soutien aux propositions du rapport. À terme, j'espère un regroupement entre l'université des Antilles et l'université de la Guyane, porteur d'excellence universitaire. Le groupe socialiste votera évidemment ce projet de loi. (Applaudissements)

Mme Marie-Christine Blandin .  - Je salue le travail de longue haleine réalisé par Mme Gillot, dans un contexte difficile, une situation explosive, avec des dérives inacceptables qui ont montré la nécessité d'une plus grande vigilance de l'État.

Ce projet de loi de ratification d'ordonnances - méthode que je dénonce - fait suite au riche rapport de Mme Gillot et M. Magras. Merci à l'ancien président de la délégation à l'outre-mer, Serge Larcher, et à Jacques Grosperrin, de s'en être inspiré.

La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont encore beaucoup de possibilités à exploiter qu'il s'agisse de la connaissance de leurs sols et de leurs écosystèmes ou du développement d'une économie respectueuse des hommes et des femmes, de leur diversité, de leur environnement, capable de leur fournir une énergie adaptée.

Rendons effective et qualitative la formation des futurs enseignants sur place. Il y a besoin de pédagogues de talent locaux, qui donnent aux étudiants perspectives et énergie.

Hélas, le gouvernement est allé au-delà du champ de l'habilitation, et nous avons dû travailler dans l'urgence. Les écologistes sont particulièrement méfiants, ayant vu comment la loi agricole avait remis en question un pan entier de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.

D'autres dispositions n'ont pas été retenues, notamment celles relatives à l'École européenne de Strasbourg, élitiste et peu conforme à l'objectif de démocratisation du savoir.

Nous voterons le projet de loi mûri par la commission, afin que chicanes et bisbilles cèdent le pas à l'intérêt des jeunes antillais. (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - La situation de l'université des Antilles et de la Guyane est préoccupante depuis des années. C'est pourquoi la commission de la culture a souhaité l'élaboration d'un rapport. Cette structure rassemblant trois pôles éloignés a du mal à fonctionner harmonieusement. Loin de fédérer, elle a laissé place à la concurrence entre territoires pour les postes et les moyens.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, directement issue de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, est à l'origine de ces dysfonctionnements : les attentes du pôle guyanais sont méconnues, la direction centrale est accusée de capter des postes et de procéder à des affectations d'opportunité...

La crise s'est soldée à la rentrée 2013 par une fracture. Le gouvernement en a tiré les conséquences en créant une université de la Guyane de plein exercice.

À l'origine, ce projet de loi ne faisait que ratifier des ordonnances, mode de législation auquel nous nous opposons. Cependant, l'encadrement de l'habilitation n'ayant pas permis au gouvernement de tenir compte de la scission de l'université des Antilles et de l'université de la Guyane, la commission de la culture l'a fait à sa place. Un ticket de trois candidats pour la présidence et les vice-présidences garantira la cohérence stratégique et l'unité de l'établissement.

À ne considérer que la forme de ce projet de loi, nous voterions contre. Cependant cette loi semble aménager une sortie de crise. Ne sous-estimons pas pour autant les tensions persistantes. Nous nous abstiendrons, en formant le voeu que cette loi réunisse.

M. Michel Magras .  - Le projet de loi vient clore un chapitre de l'histoire universitaire des Antilles et de la Guyane dont on aurait préféré faire l'économie. Président de la délégation à l'outre-mer et co-rapporteur de la mission consacrée à ce budget par la commission de la culture, je veux témoigner de la stabilisation de la situation locale. Avançons à présent, pour tirer parti des potentialités extraordinaires de ces têtes de pont de la France en Amérique que sont la Martinique et la Guadeloupe.

Conserver un même écrin universitaire commun aux deux départements est indispensable pour conserver une taille critique. En outre, la démographie vieillissante fait que la population universitaire est en léger repli, et l'université n'attire encore guère d'étudiants étrangers. L'université des Antilles ne saurait non plus évoluer dans un sens diamétralement opposé à celui où se sont engagées les autres universités françaises. Le contexte budgétaire interdit enfin une nouvelle scission.

Il convient malgré tout de tenir compte des spécificités locales tout en maintenant l'unité de l'établissement : c'est l'objet de la nouvelle architecture construite par la commission de la culture.

La loi a également fort opportunément renforcé la représentation des organismes de recherche au sein des instances universitaires. Les organes jouent un rôle déterminant dans le développement territorial.

Merci à la commission de la culture d'avoir retenu plusieurs propositions que j'avais formulées avec Mme Gillot. À l'heure où le Sénat s'interroge sur ses méthodes de travail, voilà un bel exemple de synergie entre contrôle du gouvernement et initiative législative !

Je forme le voeu que cette loi marque un nouveau départ, que les esprits s'apaisent, que l'université des Antilles renforce son rayonnement et qu'elle renoue bientôt des liens avec l'université de Guyane. (Applaudissements)

M. Serge Larcher .  - L'université des Antilles et de la Guyane a subi bien des secousses ces dernières années, jusqu'au séisme de 2013 qui s'est soldé par la scission du pôle guyanais. Ce qui est fait est fait et je souhaite plein succès à l'université de la Guyane. La commission des affaires culturelles vient opportunément compléter l'ouvrage entamé par la délégation à l'outre-mer qui s'était déplacée aux Antilles, il y a un an.

Ce travail commun est une belle innovation qui illustre la complémentarité entre travail de contrôle et travail législatif. Merci à Mme Gillot pour son expertise et sa pugnacité.

La spécificité de nos territoires implique une université des Antilles dotée de deux pôles. La situation locale ne pourrait s'accommoder d'une nouvelle crise. Dispenser un enseignement et mener une recherche de qualité suppose une taille critique. La refondation d'une nouvelle université des Antilles doit se faire avec la préoccupation constante de la complémentarité et de la cohérence, en adéquation avec les besoins des territoires. La réussite de cette nouvelle architecture universitaire suppose enfin une forme de solidarité entre l'université des Antilles et l'université de la Guyane, une répartition équilibrée de l'offre de formation et de recherche. À l'heure où la France vise à l'excellence universitaire, il faut aussi encourager la coopération internationale.

Les ressources marines, la biodiversité exubérante de la région devraient pouvoir attirer nombre d'étudiants. Un Erasmus caribéen et latino-américain serait une bonne initiative. Faisons de ces universités des outils du développement des Antilles et de la Guyane ! (Applaudissements)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Je veux me joindre à cette belle unanimité. Mme Férat aurait souhaité y prendre sa part, si elle n'était pas alitée. Je suis heureuse de voir que le travail exemplaire de Mme Gillot et de M. Magras, lancé sous la présidence de Mme Blandin, a préparé les débats de ce soir. Merci à M. Grosperrin qui a travaillé en continuité avec Mme Gillot et M. Magras. Tous les jeunes de la République ont droit à une formation d'excellence. La commission a amélioré le texte, preuve, s'il en fallait, de l'utilité du Sénat.

Merci encore à tous nos collègues, et notamment à nos collègues ultramarins. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier, l'article premier bis, l'article premier ter, l'article 2 et l'article 3 sont successivement adoptés.

L'ensemble du projet de loi est adopté.

Prochaine séance mardi 3 février 2015 à 9 h 30.

La séance est levée à 22 h 40.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques