Représentation équilibrée des territoires (Proposition de loi constitutionnelle)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires.

Discussion générale

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle .  - Voici un sujet que nous rencontrons au détour de nombreuses législations : la représentation équilibrée des territoires. Il est si aigu que le président Larcher en a fait une des priorités de son mandat. Nous nous sommes attelés rapidement à la tâche en déposant cette proposition de loi constitutionnelle.

Le Sénat, représentant des territoires en vertu de la Constitution, s'est trouvé bridé par le Conseil constitutionnel alors même que le constituant, c'est-à-dire nous, a décidé en 2003 l'organisation décentralisée de la République dans notre loi fondamentale à son article premier. Hélas, toutes les conséquences de cette novation n'en ont pas été tirées.

En vérité, la jurisprudence constitutionnelle s'est surtout fondée sur le principe d'égalité devant le suffrage. Depuis 1986 et jusqu'en 2009, elle s'est durcie du fait que le découpage des circonscriptions législatives n'a pas été révisé.

À juste titre, le Conseil constitutionnel a donc élevé son niveau d'exigence. Il en est arrivé même à contester la tradition républicaine de donner à chaque département au moins deux élus, c'était le cas de la Lozère. Ce faisant, il a battu en brèche le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage.

Autant le Conseil constitutionnel pouvait dire que ce principe, sans valeur absolue certes, demeure un principe fort, autant il aurait pu se montrer plus souple pour la représentation des territoires. Il ne l'a pas fait.

Le président du Sénat et moi souhaitons par cette proposition de loi constitutionnelle poser une règle, dans le cadre d'un dialogue constructif avec le Conseil constitutionnel, qui ne touche qu'à la représentation des territoires et préserve intégralement l'interprétation du Conseil constitutionnel s'agissant de l'expression de la souveraineté nationale.

Le Conseil constitutionnel a admis des écarts de représentation possible, en fixant des limites aux délégués des conseils municipaux qui rejoignent le collège électoral considérant que ce dernier doit être en majorité constitué d'élus. Le Conseil constitutionnel a eu raison.

La règle du « tunnel » des plus ou moins 20 % ne s'est appliquée pour le Parlement qu'aux députés.

Pour les territoires, nous avons eu un enchaînement de décisions très difficiles à appliquer : sur les conseils territoriaux, en décembre 2010, la Savoie par exemple aurait eu une représentation d'à peine 21 % de plus que la moyenne. Le Conseil constitutionnel l'a censuré avec vigueur, sans même tenir compte des motifs d'intérêt général. Ce tunnel ne figure dans aucune de ses décisions, uniquement dans les commentaires qu'il en a fait lui-même. Comme quoi, la transparence laisse à désirer.

Autres décisions sur les « super-cantons » dotés de binômes, que nous expérimenterons dans quelques semaines. Là aussi, nulle souplesse malgré les flottements du gouvernement ! M. Valls, alors ministre de l'Intérieur, évoquait ici même un passage à 30 % du tunnel pour une représentation juste et équilibrée des territoires. Malheureusement, sans doute dissuadé par certains cercles de constitutionnalistes, le même, à l'Assemblée nationale, a évoqué des risques d'inconstitutionnalité. De ce fait la loi elle-même a anticipé une censure éventuelle du Conseil constitutionnel et refusé d'élargir le tunnel. D'où notre proposition de prévoir une révision de la Constitution, qui préserve totalement la jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel sur l'élection des députés.

Pourquoi appliquer une règle unique à des situations si différentes, alors que l'organisation de la République est décentralisée ?

Nous proposons de modifier l'article premier puis l'article 72 de la Constitution. L'ambition de cette proposition de loi constitutionnelle est limitée à l'expression des territoires et ne touche à aucun principe essentiel touchant à la représentation nationale.

Pourquoi modifier l'article premier ? Par un souci d'élégance d'abord ; d'efficacité aussi, tout simplement, celle-ci commandant, pour guider la jurisprudence du Conseil constitutionnel et notre législation, que le Conseil constitutionnel puisse s'appuyer sur ledit article retenant le seuil de 30 %.

La révision proposée ne retouche rien aux principes qui figurent à cet article, elle se borne à ajouter la nécessité d'une prise en compte équitable des territoires.

Nous avons besoin des deux dispositions, celle de l'article premier, et celle de l'article 72. On ne touche pas aux principes généraux. On précise qu'ils ne font pas obstacle à une représentation équilibrée des territoires.

Pour l'article 72, nous fixons un seuil, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais un seuil différent. Il admet déjà des seuils différenciés, dans la limite des 20 %. Nous fixons cette limite au tiers, pour donner plus de liberté au Parlement pour la représentation équitable des territoires.

La rédaction même des décisions du Conseil constitutionnel est reprise exactement dans notre disposition. En effet, le motif d'intérêt général continue à exister et ce sera nécessaire, pour des régions montagneuses, désertiques ou insulaires, par exemple. Nos dispositions respectent parfaitement des raisonnements qui ont l'autorité de la chose jugée. Nous modifions le réglage de la décision du Conseil constitutionnel, nous n'en remettons pas en cause les principes.

Il est plus que temps de consolider les intercommunalités, fragilisées par une récente décision. Pour les listes départementales et régionales aussi, nous avons besoin de modifier la Constitution. Si le gouvernement hésite à provoquer un référendum, après l'adoption de cette proposition de loi constitutionnelle par le Sénat et l'Assemblée nationale, il lui sera loisible de déposer un projet de loi constitutionnelle, qui aboutira à un vote du Congrès, mais nous avons bien conscience que sur un tel sujet, convoquer un référendum peut apparaître au président de la République disproportionné...

Mme Françoise Cartron et M. Philippe Kaltenbach.  - En effet !

M. Philippe Bas, co-auteur.  - ... surtout en cette période. (Applaudissements sur les bancs du RDSE et à droite)

M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois .  - La commission des lois a adopté à l'unanimité des votants cette proposition de loi constitutionnelle. Pourquoi ? À cause de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel relative aux lois électorales, de plus en plus ferme dans ses considérants.

Mettons-nous un instant à la place du Conseil qui se trouve face à deux problèmes : le premier, lorsqu'il examine des lois relatives au découpage électoral ou à la représentation, il n'a que peu de temps pour entrer dans l'examen du découpage proposé, ce qui n'est pas de notre fait... Nous avions proposé en 2008 qu'il dispose de plus de temps. Il a donc fixé, de façon prétorienne, des règles strictes qu'il applique de façon invariable.

C'est un motif sérieux. Il en est un autre, également important. Le problème, ce n'est pas la nature du découpage, mais le fait qu'il n'y ait jamais de redécoupage. En cinquante-sept ans, il n'en a été effectué que trois fois, pour les élections législatives. La disproportion est flagrante avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

La règle vaut aussi pour les autres découpages. Il eût fallu redécouper bien plus souvent les cantons... Quand on s'y attelle enfin, on se retrouve face à un problème ingérable. Le Conseil constitutionnel met un bémol à sa jurisprudence : le motif d'intérêt général, accordé de façon parcimonieuse, pour des raisons géographiques, pour des îles, par exemple.

M. Jacques Mézard.  - Pas celles de l'intérieur...

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Il aurait pu estimer que face à des situations différentes, l'on peut appliquer des règles différentes. Il ne l'a jamais fait. Eh bien, nous lui tendons la perche... La représentation territoriale n'est pas la représentation nationale.

La révision constitutionnelle de 2003 a introduit la notion de décentralisation, celle de 2008 la notion d'équité à la demande de l'actuelle opposition sénatoriale pour la représentation des partis, mais les territoires n'ont-ils pas autant de légitimité que ceux-ci ?

Arrêtons-nous un instant sur la jurisprudence du juge des élections locales, le Conseil d'État. Il a validé tous les redécoupages. Pour quels motifs ? Des découpages ont été contestés car certains considéraient que l'on donnait trop de place aux territoires ruraux. Le Conseil d'État a considéré que la fameuse règle de 20 % n'était qu'une ligne directrice. Dans un arrêt récent, communauté de communes du Plateau vert, il a ajouté qu'aucun principe ni aucune règle jurisprudentielle ne fixait cette règle des 20 % comme absolue.

Donc le Conseil d'État, juge des élections locales, est beaucoup moins rigide que le Conseil constitutionnel à cet égard.

Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle modifient l'article premier et l'article 72 de la Constitution. Ce dernier définit les compétences et les pouvoirs des collectivités territoriales. Ils y introduisent la représentation équitable des territoires et la règle du tiers, après la disposition de cet article qui traite de la libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus.

Mais les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle ont également proposé une modification de l'article premier.

M. Philippe Kaltenbach.  - C'est tout le problème.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Après débat, la commission des lois a conclu favorablement à cette proposition. Pourquoi ? Pour une raison très simple. Il y a dans la Constitution deux sortes de dispositions : les principes fondamentaux, dans les articles premier à quatre ; puis des dispositions plus techniques, dans les articles suivants, dont l'article 72, lequel renvoie à l'article 34, qui donne compétence au législateur pour définir la mise en oeuvre du principe.

À propos de la péréquation, il y a eu plusieurs recours, notamment des QPC. Le Conseil constitutionnel les a rejetées chaque fois que le principe de péréquation était invoqué seul. Il a estimé qu'il s'agissait d'un objectif de valeur constitutionnelle mais non un principe en lui-même. Alors les requérants l'ont adossé au principe de libre administration des collectivités territoriales. Et le Conseil constitutionnel a accepté d'examiner leurs recours.

Si l'on veut être sûr que le Conseil constitutionnel examine attentivement les recours introduits sur cette base, il ne fallait donc pas s'en tenir à l'article 72.

Voilà pourquoi la commission des lois a soutenu cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs RDSE et à droite ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit aussi)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Cette proposition de loi constitutionnelle est portée par deux signataires éminents : le président de la Haute Assemblée et le président de la commission des lois.

Des dérogations aux limites de plus ou moins 20 % existent déjà pour les zones de montagnes ou insulaires. Mais cela parait insuffisant aux auteurs de ce texte. D'où leur proposition, qui porte l'écart maximal de représentation démographique à un tiers de la population.

La question s'est posée récemment à propos de la loi du 17 mai 2013 sur la mise en place du mode de scrutin binominal. M. Valls, alors ministre de l'Intérieur, s'était montré réceptif aux arguments des sénateurs.

M. Jacques Mézard.  - Pas du tout !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Il avait rappelé que la jurisprudence et la loi permettaient déjà une variation en plus ou en moins de 20 % mais aussi que les élus, à tous les échelons, représentent avant tout des citoyens, et non des hectares. Je rappelle que la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'est pas un carcan qui interdirait de prendre en compte les réalités territoriales, comme l'ont montré les exemples des cantons de l'île d'Yeu, en Vendée ou de Valréas dans le Vaucluse.

D'autres textes récents ont montré la volonté du gouvernement et du législateur de prendre en compte le fait territorial, notamment le projet de loi sur la délimitation des régions. (M. Jacques Mézard s'exclame)

Il n'y a donc pas de contradiction entre les habitants et les hectares, entre la démocratie et la démographie. L'écart de 20 % n'est pas inscrit dans la Constitution. Ce n'est qu'une possibilité de réaliser l'équilibre entre la prise en compte de la population et celle des territoires. Votre proposition de loi constitutionnelle remet en cause cet état de fait. L'écart maximal ne serait plus une faculté, mais un droit acquis qui ouvrirait la voie à tous les excès, à toutes les injustices, aux découpages les plus arbitraires.

Dans l'hypothèse où le nombre d'habitants d'une circonscription est supérieur de 20 % à la moyenne et celui d'une autre inférieur de 20 %, on aboutit à ce qu'un élu régional siégeant dans la même assemblée qu'un autre, représente 1,5 fois plus d'habitants. Prenons l'écart du tiers : on arrive à ce que le premier élu en représente deux fois plus que l'autre. Quelle inégalité ! Comment la justifier aux électeurs ?

Qu'en sera-t-il dans les zones enclavées ? Ira-t-on jusqu'au triple, au quadruple ?

La notion d'équité est digne d'intérêt, mais elle ne saurait faire échec à la justice et à l'égalité. Sous son couvert, vous proposez un système injuste, une démocratie à deux vitesses.

N'oublions pas que les élus de la République ne tirent leur légitimité que du suffrage de nos concitoyens. Cette proposition de loi ne pourra à terme que la mettre à mal. Elle risque de desservir, en ce sens, les territoires fragiles. D'où l'avis défavorable du gouvernement.

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Dommage !

Mme Esther Benbassa .  - Nous débattons d'une véritable proposition sénatoriale, portée par le président de la Haute Assemblée et le président de la commission des lois. Je salue cette initiative qui montre qu'en ce temps de Sénat-bashing notre institution est capable de débattre de nos territoires qui sont sa raison d'être.

L'article premier de la constitution rappelle des principes essentiels. L'article 72 est consacré aux collectivités territoriales. C'est dire l'enjeu de cette proposition de loi constitutionnelle qui les modifie. Il s'agit du principe de l'égalité devant le suffrage et de la démocratie.

À première vue, le premier point est simple à envisager. Comme l'écrivait Kelsen : « L'influence qu'un électeur exerce sur le résultat de l'élection doit être égale à celle qu'exerce chacun des autres électeurs. »

Ou plus simplement, je citerai l'adage « un homme - j'ajoute « ou une femme » - une voix ».

Le Conseil constitutionnel a souvent incité le législateur à corriger le désajustement résultant des évolutions démographiques. Sa jurisprudence est éloquente à cet égard.

La Constitution a été encore modifiée récemment par la loi du 23 juillet 2008. La représentativité démographique est parfois concurrencée par celle des territoires. Voyez une décision récente sur la représentation des petites communes pour l'élection des sénateurs, le seuil de 300 habitants était jugé arbitraire et justifié par la seule démographie. Et d'ajouter que la représentation de chaque collectivité territoriale doit tenir compte de la population qui y réside. Bien que les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État soient convergentes, leurs décisions ont différé. Ainsi le Conseil constitutionnel s'intéresse à l'égalité des suffrages au niveau national. Il contrôle que l'écart de population entre deux circonscriptions ne s'écarte pas de la moyenne du département de plus de 20 %.

Cette limitation paraît trop étroite pour les assemblées locales. D'où les interrogations soulevées par le président Larcher dans son allocution lors de son élection. Comment « combiner la démocratie du nombre et celle des territoires » ?

Nous, écologistes, avons longtemps milité pour la suppression du conseiller territorial et la modification du mode de scrutin des conseils généraux. Des conférences d'action territoriale pourraient proposer des améliorations au Parlement. Pour la démocratisation des intercommunalités nous réclamons un scrutin garantissant la représentation des populations et des communes.

Il faut réformer profondément nos institutions, à tous les niveaux, en instaurant une VIe République, qui n'a pas pour seule ambition de réparer la Ve. Modifier la Constitution par petits bouts n'est pas satisfaisant, alors qu'il faut s'atteler à la construction de cette VIe République. La préservation de la nature et de la biodiversité doit être intégrée dans les politiques publiques.

Le groupe écologiste ne soutiendra pas ce texte. (M. Philippe Kaltenbach applaudit)

M. Philippe Kaltenbach .  - Cette proposition de loi constitutionnelle vise à assurer « une représentation équilibrée des territoires de la République ».

Vaste et ambitieux programme ! (Mme Sylvie Goy-Chavent s'exclame) Il s'agit en fait de contrer la jurisprudence du Conseil constitutionnel, établie depuis 1985.

Le fameux « tunnel » de plus ou moins 20 % en découle, règle rappelée encore récemment par le Conseil, à propos des accords locaux dans nos intercommunalités, saisi le 30 avril 2014 d'une question prioritaire de constitutionnalité. Nos éminents collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard ont déposé une proposition de loi que nous examinerons dans quelques jours.

Nous devons nous inscrire dans un cadre contraint, fixé par le Conseil constitutionnel, que les auteurs de la présente loi proposent d'assouplir, car il pose de nombreuses difficultés...

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Très bien !

M. Philippe Kaltenbach.  - Il s'agit d'élargir le tunnel. Des solutions ont toujours été recherchées pour l'adapter aux difficultés particulières des zones de montagne, par exemple, (M. Jacques Mézard s'exclame) certes insatisfaisantes aux yeux de certains, mais qui font en sorte d'équilibrer la représentation de nos territoires.

Ce texte propose de modifier l'article premier de la Constitution, puis l'article 72. J'ai proposé un amendement qui dissocie ces deux propositions. Autant il nous apparaît nécessaire de modifier l'article 72, autant nous sommes réservés sur la modification de l'article premier, pilier de notre Constitution. Comme Pierre Mauroy l'avait dit lors des débats sur l'organisation décentralisée de la République, il faut être extrêmement prudent, avant d'y toucher : il fixe les principes fondamentaux, celui de l'égalité. Aussi voulons-nous vous convaincre qu'il ne faut retenir que la modification de l'article 72. Est-il opportun, en effet, d'ajouter à l'article premier une expression floue, la « représentation équitable ».

Dans une grande décision de 1979, relative aux élections des conseils de prud'hommes, le Conseil constitutionnel a lié l'égalité des citoyens devant le suffrage à l'égalité devant la loi.

Et nous déciderions en petit comité de modifier ce principe fondamental de l'égalité devant la loi figurant dans la Déclaration de 1789...

Mme Éliane Assassi.  - Absolument.

M. Philippe Kaltenbach.  - ... et pour lequel tant de Français sont morts ? L'égalité devant le suffrage, équivalente à l'égalité devant la loi, figure au sommet de notre hiérarchie constitutionnelle, l'on ne peut y opposer un principe de représentation équitable des territoires qui aurait la même force.

Certains voudraient faire croire que cette modification est cosmétique, qu'elle n'est qu'une réforme technique et d'ampleur limitée. Ce n'est pas le cas, elle met en cause la valeur républicaine d'égalité.

Ce n'est pas en quelques heures que nous parviendrons à articuler justice et efficacité. Le président Larcher réunit tous les mardis un groupe de travail pour modifier nos méthodes de travail. Pourquoi prendre du temps là et modifier la Constitution, aujourd'hui, si rapidement ? Et l'équité est-elle à 33 % ? J'ai entendu il y a peu les auteurs du texte récuser toute conception arithmétique de la représentation... Chacun constate que cette proposition de loi est opportuniste, d'affichage politique, à quelques semaines des élections départementales... (M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle, s'exclame)

M. Jean Bizet.  - C'est un hasard !

M. Philippe Kaltenbach.  - Au lendemain du redécoupage des cantons, qui n'ont fait l'objet d'aucune annulation par le Conseil d'État...

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Un charcutage plutôt !

M. Philippe Kaltenbach.  - Le charcutage, c'était du temps de M. Pasqua...

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - C'est toujours la faute de celui qui tient les ciseaux. Le groupe socialiste sait manier le scalpel.

M. Philippe Kaltenbach.  - Ensuite, un référendum sur ce sujet est-il la priorité des citoyens en ce moment ?

Comme Montesquieu le disait : « Il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante. »

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - La mienne l'est !

M. Philippe Kaltenbach.  - Je vous appelle à suivre la position du groupe socialiste en modifiant le seul article 72 de la Constitution. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Au moins, avez-vous fait la moitié du chemin.

M. Philippe Kaltenbach.  - Faites donc l'autre et nous nous retrouverons...

M. Philippe Adnot .  - Si ce texte était entré en vigueur avant le redécoupage des cantons, bien des difficultés auraient été évitées. Mais remplacer le tunnel de 20 % par un tunnel de 30 % ne résoudra pas tout. On a vu le ministre de l'intérieur appliquer les moins 20 % en milieu urbain et les plus 20 % en milieu rural... Original.

L'essentiel est d'utiliser l'esprit de la loi pour mieux représenter le milieu rural. Je voterai ce texte de grande qualité. On n'est pas d'ailleurs obligé d'aller systématiquement à plus ou moins 30 %.

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Exactement !

M. Philippe Adnot.  - Je profite de l'occasion pour interroger le ministre sur un autre sujet : pourquoi ne pas autoriser les maires à transmettre les résultats à la gendarmerie qui se chargerait de les transmettre au bureau centralisateur ? A défaut on fera faire aux maires, dans mon département, des dizaines de kilomètres... (Applaudissements à droite)

Mme Éliane Assassi .  - Nous avons disposé de trois jours seulement pour déposer des amendements... Comment avoir une réflexion approfondie dans ces conditions ? C'est étonnant alors que le président Larcher souhaite moderniser nos méthodes de travail... Modernité ne signifie pas précipitation, ni restriction des débats aux spécialistes...

L'application de la règle de l'égalité devant le suffrage n'est pas aussi rigide que les principes et la jurisprudence ne le laissent croire. Le Conseil constitutionnel a accepté sans sourciller la création de deux sièges de sénateurs à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui ne représentent chacun qu'une poignée d'électeurs.

Cela dit, qui ne souhaiterait que les territoires soient représentés dignement ? Qui ne souhaiterait un lien étroit entre la population et ses élus ? Si la proposition de loi est à l'évidence opportuniste, elle vient à l'appui de l'inquiétude légitime des élus ruraux. Mais il y a une contradiction manifeste entre le constat de la difficile représentation des territoires et l'acceptation passée, par les auteurs de ce texte, de la nouvelle architecture institutionnelle. Éloignement des centres de décision, création des métropoles et de grandes régions, incitation à l'émergence de communes nouvelles, rabaissement constant des communes, soumission aux marchés et à la mise en concurrence des territoires, autant de coups portés à la démocratie de proximité à la française. Vous déplorez la désertification des zones rurales mais vous avez laissé faire les politiques qui l'organisent et condamnent des pans entiers de nos territoires.

La création de grandes régions pousse cette évolution jusqu'à la caricature.

MM. Bruno Sido et Jacques Mézard.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - La création de ces super-régions est un contresens démocratique... La question de la représentation dans les assemblées locales était pendante depuis longtemps. Je suis surprise qu'elle ne surgisse que maintenant... Il faut en tout cas la traiter dans sa globalité, parler aussi de pluralisme, du scrutin proportionnel - question cruciale alors que le scrutin majoritaire bloque tout renouveau.

Il est frappant de constater que plus l'élu est éloigné, plus il est mal perçu par la population. Le maire est l'élu préféré des Français et... contrairement à ce que l'on entend dans les cercles parisiens, le conseiller général aussi. Le département est très apprécié.

M. Bruno Sido.  - Tout à fait.

Mme Éliane Assassi.  - Comment répondre à l'exigence citoyenne de représentation et de contrôle ? Il n'est que de constater le fort taux d'abstention lors de l'élection législative partielle dans le Doubs, pourtant fortement médiatisée.

Cette proposition de loi constitutionnelle est éloignée des préoccupations des citoyens. Ils réclament une juste représentation politique mais aussi un pouvoir qui leur échappe de plus en plus du fait de la domination de l'économie sur le politique, de la complexité des normes et de la tutelle de Bruxelles ou des marchés. Nous réclamons plus de décentralisation, non la déstructuration aujourd'hui à l'oeuvre ni la surreprésentation systématique des zones rurales.

Cette proposition de loi constitutionnelle tourne le dos au principe républicain de l'égalité. Même si nous comprenons les élus ruraux qui craignent une désertification territoriale et démocratique, nous ne voterons pas ce texte.

M. Bruno Sido.  - Quelle surprise !

Mme Éliane Assassi.  - Le groupe CRC estime que cette question doit être replacée dans un cadre plus large qu'il n'est proposé aujourd'hui.

M. Philippe Bas, co-auteur de la proposition de loi constitutionnelle.  - Et demain ?

M. Jacques Mézard .  - Sans surprise, le groupe RDSE votera ce texte...

M. Jean Bizet.  - Cela commence bien !

M. Jacques Mézard.  - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle. M. Le Guen, dans une approche très bartolonienne des relations avec le Sénat, nous a expliqué très clairement pourquoi le gouvernement y était hostile...

Il est pourtant nécessaire de compléter l'article premier de la Constitution pour y inclure la notion de territoire. J'ai entendu M. Kaltenbach.... Personne ici n'a de leçons à donner sur la notion d'urgence ou les arrière-pensées électorales... Tout cela est bien partagé...

Ce que je demande, c'est la constance. Le Premier ministre, alors ministre de l'intérieur, lors de la discussion de la loi instaurant le binôme, se disait favorable à un desserrement du tunnel des 20 %, si possible. Oui c'est possible, si le Parlement le veut, pour peu qu'on lui rende un peu de pouvoirs et qu'on cesse de le mépriser... (Applaudissements au centre et à droite)

M. Valls disait aussi que les départements incarnaient mieux que les autres niveaux de collectivités la diversité des territoires et se déclarait désireux de prolonger fidèlement l'héritage. On a vu ce qui est advenu par la suite...

M. Bruno Sido.  - En effet.

M. Jacques Mézard.  - Le fameux tunnel des 20 % n'est pas inscrit dans la Constitution. Il est devenu pourtant un argument d'autorité permettant de rejeter sans autre forme d'examen toute disposition législative qui y déroge - dès la loi de décembre 2010, puis en invalidant le 20 juin 2014 la proposition de loi sur les accords locaux de représentation au sein des intercommunalités, et plus significativement encore lors de la réforme des élections départementales. Des adaptations en zones de montagne ? Dans mon département, elles n'ont pas dépassé les plus ou moins 15 %... C'est certes un progrès par rapport aux écarts intérieurs... Des adaptations pour les îles ? Vous ignorez la constitution d'îles de l'intérieur...

Je ne cesse de le répéter : les départements ruraux dans les grandes régions vont être abandonnés, écartés, marginalisés. Voués à l'inexistence. Leur représentation est garantie ? Dans le texte initial, ils avaient un représentant... Le ministre de l'Intérieur a fait depuis des efforts considérables, nous en sommes à quatre... Les territoires existent, ils veulent être entendus, c'est pourquoi le mot d'équité est central. La démographie ne suffit pas à la représentation dans la République. Dans l'article premier de la Constitution, il est d'ailleurs question, non d'habitants mais de citoyens ; certains pourraient avoir l'idée de le modifier... Pas vous, pas nous, mais il faut être vigilant...

Nos territoires veulent exister dans leur diversité politique. Je peux vous dire aujourd'hui quelle sera l'appartenance des conseillers régionaux de la Lozère quand ils ne seront plus que deux - un UMP et un PS...

La fusion des départements et des métropoles ou encore les règles de représentation des départements au sein des grandes régions sont contraires à l'aspiration des territoires qui ne supportent plus leur marginalisation. Le sentiment d'injustice est profond, la révolte est profonde. Vous avez voulu de super-régions, vous reléguez des territoires à 300 ou 400 kilomètres de leur chef-lieu. Vous mettez en cause l'existence des départements. Ce n'est une bonne vision ni de l'aménagement du territoire, ni de l'équité républicaine.

Ce texte apporte un progrès institutionnel. Le groupe RDSE le votera unanimement. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, au centre et à droite)

M. François Zocchetto .  - Législateurs, nous ne devons modifier la Constitution qu'avec une grande prudence et sous l'empire de la nécessité. Au fil des révisions, notre loi fondamentale peut souffrir de manques. Ce texte en comble un : l'absence de représentation équitable des territoires.

Le principe d'égalité devant le suffrage s'accommode déjà d'applications diverses. En Lozère comme en Mayenne, les conseillers généraux ne représentent pas la même population. Doit-on considérer que certains sont plus légitimes que d'autres ? En réalité, il est impossible d'appliquer la même mesure partout sur le territoire. Le Conseil constitutionnel partage cette analyse qui a fixé de manière prétorienne et arbitraire la règle des plus ou moins 20 % - que le Conseil d'État reconnaît seulement comme une ligne directrice.

Le groupe UDI-UC salue cette proposition de loi constitutionnelle qui introduit la notion de représentation équitable des territoires dans leur diversité, qui donnera une base juridique plus solide à l'appréciation du juge administratif face à la jurisprudence peu évolutive du Conseil constitutionnel. Sans racines, la démocratie se vide de son sens.

Le groupe UDI-UC, fidèle à l'esprit de la Constitution comme à l'intelligence des territoires, votera unanimement cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Bruno Sido .  - À l'heure où certains réclament une fusion du Sénat avec le CESE, voire sa suppression pure et simple, ce texte offre une bonne illustration de la plus-value qu'apporte notre Sénat. À l'inverse de l'Assemblée nationale qui s'attache à la représentation démographique, le Sénat veille, lui, à une représentation équitable et efficace des territoires.

Les sénateurs ont une connaissance fine des régions, des départements, des communes et de leurs groupements ; de leurs moyens, de leurs actions, de leur apport au bien commun. Les collectivités territoriales sont le socle de notre démocratie au quotidien, elles sont le meilleur rempart contre les assauts des populistes de droite comme de gauche. Plus que jamais l'action publique doit renforcer le lien entre les élus et les citoyens.

Refuser l'uniformité, c'est tenir compte de la réalité territoriale. Là est l'apport du Sénat, loin de l'effervescence qui saisit parfois nos collègues de l'Assemblée nationale. Le sentiment d'abandon est fort dans les banlieues ; il l'est aussi dans les zones rurales confrontées à la désertification, à la fermeture des services publics - même s'il s'exprime moins. Le désespoir est parfois muet.

Les élus locaux sont en première ligne, avant tout le maire et le conseiller général. L'instauration du binôme cantonal s'est accompagnée de l'application du tunnel de 20 %. Le Conseil constitutionnel y a veillé, mais la marge est trop étroite dans les zones rurales. En Haute-Marne, un canton compte plus de 70 communes et s'étend sur des dizaines de kilomètres...

Cette proposition de loi est un pas en faveur de la proximité. Mais le diable dit-on se cache dans les détails. Le gouvernement n'a pas toujours usé de la marge des 20 % pour réduire la taille des cantons ruraux mais l'a fait plutôt en milieu urbain pour découper des circonscriptions gagnables pour la majorité actuelle - ce fut le cas à Chaumont.

Il est bon que ce texte rappelle l'esprit de la loi, ce que doit être son application. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Gérard Bailly .  - J'étais heureux, ce texte remédiait au problème de la représentation des territoires ruraux. La tristesse m'a pris quand j'ai compris que le gouvernement y était opposé...

Oui, le monde rural, hyper-rural est oublié, abandonné. La ruralité perd du poids au Sénat, tandis que le Conseil d'État remet en cause les accords amiables qui fixaient le nombre des délégués des communes dans les syndicats intercommunaux. Comment les petites communes pourront-elles se faire entendre ? Et que dire du découpage de l'absurde qui a été celui des cantons ? Mon ancien canton, que la presse qualifie de XXL, couvrira 702 km² et 74 communes ; il ne comptera que deux élus alors que Lons-le-Saunier, pour 103 km² et moins d'habitants, en aura quatre. Où est la justice ? Comment les deux élus, souvent bénévoles, vont-ils accomplir leur tâche, surtout avec la neige qui vient, tandis que leurs quatre collègues se marcheront sur les pieds ?

Les territoires ruraux sont exaspérés d'être considérés comme insignifiants alors qu'ils sont source de richesse et de projets. Je l'ai constaté en travaillant avec Mme Nicoux à notre rapport. Mais vous ne voulez pas en tenir compte.

Il faut corriger certaines absurdités et reconnaître l'immense diversité des territoires. Je souhaite que cette proposition de loi soit largement soutenue. (Applaudissements au centre et à droite)

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

M. Hervé Maurey .  - J'ai déjà eu l'occasion de souligner que la représentation fondée sur le seul critère démographique n'était pas suffisante. Cette proposition de loi constitutionnelle sénatoriale témoigne à point nommé de la spécificité et de l'utilité constitutionnelle du Sénat. Alors que le Sénat bashing n'est plus l'apanage de journalistes peu scrupuleux mais aussi des plus hautes sphères de l'État PS, cette proposition de loi illustre la vocation de notre assemblée à défendre les territoires, conformément aux missions que lui assigne la Constitution et qu'a opportunément rappelées le président Larcher.

Le tunnel de 20 % s'est imposé au détriment du bon sens. Le découpage cantonal a montré l'absurdité du diktat des chiffres, surtout avec des arrière-pensées électorales en toile de fond... Dans l'Eure, qui n'est pas en montagne, certains cantons comptent plus de 60 communes et il faut plus d'une heure pour les traverser... Peut-on raisonnablement les considérer comme des cellules de la démocratie ?

Le Conseil constitutionnel a censuré le 20 juin dernier le mécanisme de correction des inégalités démographiques nous nous avions adopté pour les EPCI. Il faut de la souplesse. Oui, la République est une et indivisible. Mais comme citoyen, élu local et sénateur, je crois en nos territoires, espaces de vie, de solidarité et de projets, creuset de l'histoire et base de l'avenir. Aussi, inscrire dans l'article premier de la Constitution que la République assure la représentation équitable des territoires me semble-t-il nécessaire.

Au-delà, je plaide pour que le Sénat ait un réflexe territorial, comme il a un réflexe parité, à chaque fois qu'il examine un texte - mesurer l'impact sur les territoires de ce qu'il vote.

Le groupe UDI-UC votera ce texte avec enthousiasme en espérant qu'il ne tombera pas dans les oubliettes de l'Assemblée nationale. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Nicole Duranton .  - Un territoire s'apprend, se défend, s'invente et se réinvente. C'est un lieu de vie et d'action.

« La loi du nombre est celle de l'idiotie », voilà ce que j'ai retenu du discours de Bruno Retailleau en novembre dernier. Soyons fiers de notre Sénat, défenseurs des territoires, qu'insulte un Claude Bartolone en mal de visibilité médiatique ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Introduire la notion de territoire dans la Constitution, et ce dès le premier article, assurera la reconnaissance de tous les territoires dans leur diversité. De même, la notion d'équité, qui figure déjà à l'article 4 de la Constitution pour les groupes politiques, doit être appliquée à la représentation des territoires.

Le redécoupage cantonal, parlons-en. Sous couvert d'instaurer la parité, le gouvernement a réduit le nombre des cantons ruraux. Dans l'Eure, quatre cantons ont été fusionnés : 64 communes, plus de 65 kilomètres entre Berville sur Mer et Saint Germain la campagne. Où est le bassin de vie ?

Le Sénat se fait l'écho des préoccupations des territoires et des élus locaux, n'est-ce pas sa vocation naturelle ? Cette proposition de loi constitutionnelle, efficace, ne remet pas en cause le principe d'égalité devant le suffrage. Affirmer qu'elle bouleverse les grands équilibres territoriaux est inaudible face à un gouvernement qui n'a cessé de modifier les scrutins.

Oui, le Sénat est novateur ! À lui de reprendre la main. (Applaudissements à droite)

M. Charles Revet.  - Bravo !

M. Jean-Jacques Lasserre .  - J'espère que cette proposition de loi constitutionnelle sera adoptée. Pardonnez-moi de citer un exemple grandeur nature : le pays basque où le représentant de l'État nous pousse à constituer un Epci unique. À Bayonne, un conseiller général pour 2 200 habitants ; pour le territoire global, un élu pour 1 200 habitants ! Il nous faut réfléchir à une solution partagée par tous les élus, et applicable. Aujourd'hui, nous risquons l'inconstitutionnalité à cause de la loi de 2010. Voilà pourquoi je voterai ce texte qui assouplit la règle du tunnel des 20 % : les territoires ne sont pas uniformes, trouvons des solutions locales adaptées au cas par cas.

Monsieur le secrétaire d'État, d'importants obstacles législatifs se dressent devant le projet que je porte, celui du pays basque.

J'ai besoin de savoir ce que le ministre en pense et si cette proposition de loi constitutionnelle améliorera les choses. (Applaudissements à droite)

M. François Bonhomme .  - Comme beaucoup, je veux assurer une meilleure représentation des territoires. Elle passe, à mon sens, par un desserrement du principe d'égalité devant le suffrage. Trop de démographie, pas assez de géographie, pour paraphraser une célèbre formule. Il faut sortir du « tout arithmétique », desserrer le carcan jurisprudentiel, sans renoncer à la logique arithmétique d'un homme, une voix, au principe de la démocratie. Il s'agit de l'articuler à la réalité territoriale. Je veux éviter la formation d'une France périphérique, abandonnée, face à une France métropolisée.

Il faut prendre en compte les bassins de vie. Le gouvernement veut se montrer rassurant, en prétendant que toutes les décisions sont prises dans cette perspective. Pourtant, il a tourné le dos aux territoires. Les élections départementales se dérouleront dans des conditions baroques : on ne connaît toujours pas leurs compétences, le mode de scrutin est pour le moins confus dans les nouveaux cantons issus du redécoupage ou, plutôt, du charcutage. Un charcutage qui ferait rougir M. Pasqua !

M. Philippe Kaltenbach.  - Impossible !

M. François Bonhomme.  - Si ! Et ce terme est peu respectueux du travail des bouchers et charcutiers, s'agissant d'une découpe à la hache, sans discernement, à des fins électoralistes ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Avec ce texte, nous franchirons un pas dans la reconnaissance des bassins de vie. Monsieur le ministre, n'existe-t-il pas un ministère de l'égalité des territoires ? N'y a-t-il pas eu des Assises de la ruralité dont est sortie un fourbi aussi grandiloquent qu'inutile ? Que reste-t-il des états généraux de la démocratie territoriale qui voulaient libérer la parole des territoires ? En refusant cette proposition, vous manquez l'occasion de corriger les effets dévastateurs de votre politique d'affaiblissement des territoires. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Genest .  - Ce texte est l'occasion de débattre sereinement de la juste représentation des territoires sans être accusé de dégainer la machine à calculer les voix.

Les élus urbains, regroupés en associations, font mieux entendre leur légitimes attentes. Cela est plus difficile pour des citoyens ruraux qui demandent la réfection de quelques kilomètres de route. Cela le sera encore plus si l'on amoindrit leur poids politique.

Parmi les 17 cantons ardéchois créés par le charcutage, deux représentent plus de 28 % de notre territoire et un quart de nos communes ; ils disposent seulement de 11 % des élus. La représentation de la montagne ardéchoise va être délaissée. Il suffit que la neige tombe les 22 et 29 mars pour que les maires des communes de montagne ne puissent apporter les résultats des élections départementales au chef-lieu à plus de 60 kilomètres. Oui, nous disons avec Jean Ferrat que la montagne est belle. Mais soit nous souhaitons exploiter ce potentiel soit nous l'abandonnons. Il est plus que temps de rendre aux territoires ruraux leur poids en votant cette proposition de loi constitutionnelle. C'est d'autant plus urgent que le Commissariat à l'égalité des territoires a proposé hier de transférer les compétences des communes aux EPCI, les transformant en collectivités fantômes ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Kaltenbach.

Supprimer cet article.

M. Philippe Kaltenbach.  - La modification de l'article premier, un article fondamental, mérite plus que quelques heures de débat en séance. Aucun constitutionnaliste n'a été consulté, la population non plus. Nous sommes prêts à élargir le tunnel, à le porter à plus ou moins 30 %, et même 33,3 %, monsieur Mézard, mais nous ne voulons pas porter atteinte au socle fondamental de notre Constitution.

M. Hugues Portelli, rapporteur.  - Avis défavorable. Nous avons, en 2003 comme en 2008, modifié l'article premier pour y inscrire l'organisation décentralisée de la République et la parité. Par parallélisme des formes, faisons-en de même pour la représentation équitable des territoires.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État.  - Favorable. Le gouvernement est hostile à l'ensemble du texte.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

L'article 2 est adopté.

La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°90 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l'adoption 205
Contre 140

Le Sénat a adopté.