Accord d'association avec l'Ukraine (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres d'une part et l'Ukraine d'autre part.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Je salue à mon tour la présence dans la tribune de M. Oleksiy Goncharenko, co-président du groupe d'amitié Ukraine-France de la Rada.

Dans la situation très difficile que traverse l'Ukraine, ce texte présente une importance particulière et la mobilisation de votre assemblée pour s'en saisir dans des délais extrêmement brefs doit être saluée. C'est un signe d'amitié, de soutien, de solidarité à l'égard de l'Ukraine, à quelques jours du sommet de Riga sur le partenariat oriental.

Cette dernière phase d'un processus long et difficile ancrera l'Ukraine dans les valeurs européennes.

Cet accord d'association politique et d'intégration économique entre l'Union européenne et l'Ukraine sera un puissant facteur de modernisation et de réforme, au service des citoyens européens et de la stabilité en Europe. Et cela par deux biais : un renforcement du dialogue politique, fondé sur les droits de l'homme, et des échanges commerciaux presque entièrement libéralisés. En contrepartie, l'Ukraine s'engage à reprendre l'acquis européen en matière de normes et standards, en matière sanitaire et phytosanitaire, de droit du travail, d'égalité entre les hommes et les femmes, d'appellations d'origine contrôlée...

À Kiev, en février dernier, lors du premier anniversaire de Maïdan, j'ai pu mesurer les attentes du peuple ukrainien, son élan réformateur, qu'il faut encourager. L'Union européenne doit aussi s'engager pour promouvoir la stabilité, la solidarité et de nouvelles perspectives économiques. Enfin, nos relations bilatérales sont devenues intenses : après le président Porochenko, le Premier ministre Iatseniouk sera à Paris le 13 mai. La France est très mobilisée depuis le début de la crise car elle sait que la paix ne se décrète pas mais se construit.

De fortes tensions persistent à l'est de l'Ukraine. Les accords de Minsk du 12 février dernier doivent être strictement respectés, qu'il s'agisse de cessez-le-feu, de retrait des armes lourdes, du volet politique ou du respect de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. C'est l'intérêt des deux parties en présence de respecter cet accord.

Les quatre groupes de travail techniques mis en place par le groupe de contact trilatéral se sont réunis hier pour un échange sur l'organisation des élections à l'est. Le dialogue doit se poursuivre. Notre ambassadeur Pierre Morel préside le groupe de travail sur les aspects politiques. Le président de la République et le ministre Laurent Fabius sont en contact permanent avec leurs homologues ukrainiens et russes, dans le cadre du format Normandie.

Le volet économique de l'accord bénéficiera aux entreprises françaises qui croient en les potentialités économiques de l'Ukraine et figurent parmi les principaux investisseurs et partenaires sur place. Le climat des affaires s'améliorera grâce aux avancées réglementaires -je songe aux indications géographiques, bien sûr.

L'accord n'ouvre pas la voie à une adhésion à l'Union européenne, ce n'est pas son objet : il est un accord de voisinage, destiné à intensifier la coopération. Il n'implique aucunement que l'Ukraine doive renoncer à ses relations avec la Russie : il ne s'agit pas de créer de nouvelles fractures. Le dialogue en cours doit rassurer la Russie.

En votant ce projet de loi, vous témoignerez de l'amitié profonde entre la France et l'Ukraine et oeuvrerez pour la paix et la sécurité en Europe. (Applaudissements sur les bancs socialistes et UMP)

M. Daniel Reiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Les dispositions politiques de cet accord ont été votées le 21 mars, les autres le 27 juin, aboutissement de négociations menées depuis 2007. Il remplace l'accord de coopération de 1994 et s'inscrit dans le cadre du partenariat oriental de l'Union européenne lancé en 2009 ; des accords similaires ont été signés avec la Géorgie et la Moldavie ; l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie ne se sont pas encore engagés dans cette voie.

La situation actuelle donne une dimension particulière à ce texte ambitieux. C'est la suspension brutale des négociations sur cet accord par le président Ianoukovitch, en novembre 2013, à quelques jours de sa signature à Vilnius, qui a provoqué le soulèvement populaire de Maïdan et déclenché une crise politique et internationale. Puis le gouvernement provisoire s'est engagé à entériner l'accord, ratifié par la Rada et le Parlement européen le même jour, le 16 septembre 2014.

Ses 486 articles et 44 annexes visent avant tout à promouvoir la paix, les principes démocratiques, les droits de l'homme et les libertés fondamentales.

Le deuxième volet libéralise les échanges entre l'Ukraine et l'Union européenne grâce à la suppression quasi totale des droits de douane et protections non tarifaires.

Le troisième volet prévoit l'intégration par l'Ukraine d'une grande partie de la règlementation communautaire dans 27 domaines, de l'énergie à la protection du consommateur, avec l'assistance de l'Union européenne.

Pour l'Ukraine, l'intérêt est d'accélérer son intégration économique au sein de l'Union européenne, qui est déjà son premier partenaire commercial avec 31 % de ses échanges, de faire reculer la corruption et l'économie informelle et de lancer un programme de modernisation dont le pays a un besoin urgent. Le conflit à l'est lui coûte 10 millions de dollars par jour. La monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur par rapport au dollar. Les réserves de change ont fondu. Le secteur bancaire se trouve particulièrement fragilisé.

L'accord stimulera la reprise, d'autant que l'Ukraine bénéficiera d'une asymétrie transitoire dans la diminution des droits de douane et d'une aide européenne de 4,8 milliards d'euros d'ici 2020, et même près de 13 milliards en comptant les prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

La libéralisation des échanges bénéficiera aussi aux pays membres de l'Union européenne ; elle s'accompagnera d'une meilleure protection des appellations d'origine contrôlée -comme champagne, cognac, Cahors...- et d'une concurrence plus équitable grâce au rapprochement des normes.

Pourquoi ratifier maintenant ? Il importe que la France soit à la hauteur du rôle important qu'elle joue dans le règlement du conflit en Ukraine, en engageant la procédure avant le sommet de Riga. Il importe aussi qu'elle réponde à l'attente de l'Ukraine et encourage l'élan réformateur du pays.

Soulignons cependant que cet accord n'ouvre pas de perspective d'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine. La France n'y est pas favorable. L'accord n'implique pas non plus que l'Ukraine distende ses liens avec la Russie. Les discussions trilatérales doivent se poursuivre.

La commission des affaires étrangères vous propose d'adopter ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. Hervé Maurey, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine .  - À mon tour, je souhaite la bienvenue à M. Goncharenko, qui sera bientôt rejoint par Mme Herachtchenko, présidente de la commission de l'intégration européenne de la Rada.

Cet accord d'association a provoqué des événements historiques majeurs, parfois dramatiques. La ratification par la Rada témoigne de la volonté forte de l'Ukraine de se tourner vers l'Europe pour bâtir son avenir.

Tout au long de l'année 2013, dans la préparation du sommet de Vilnius en octobre, le groupe d'amitié interparlementaire France-Ukraine a pu mesurer les fortes attentes des Ukrainiens et a soutenu la conclusion de l'accord, en contrepartie de réformes exigeantes dans le pays.

La suite est connue. Je regrette que la diplomatie française ait attendu que les caméras du monde entier se braquent sur les victimes de Maïdan pour faire entendre la voix de l'Europe et prendre une initiative avec l'Allemagne et la Pologne.

Je ne reviendrai pas sur le contenu de l'accord approuvé, ce fut une première, en même temps par les parlementaires ukrainiens et européens.

Lors de la rencontre entre les présidents Porochenko et Gérard Larcher, j'ai constaté la joie avec laquelle le premier a accueilli l'inscription du présent projet de loi à l'ordre du jour du Sénat. L'accord aidera le pays à sortir d'une crise politique, économique et financière : saisissons la main amicale que nous tend l'Ukraine.

L'accord ne réglera pas tout, hélas. Les accords de Minsk II ne sont qu'imparfaitement appliqués. Le conflit à l'est a fait plus de 6 000 morts : c'est le plus meurtrier en Europe depuis les années 1990. N'oublions pas non plus les conditions d'annexion de la Crimée, ni les prisonniers comme notre collègue députée Nadia Savtchenko, dont nous avons reçu la soeur récemment.

En ratifiant cet accord, nous montrerons notre volonté de favoriser la paix en Ukraine et de resserrer les liens entre l'Europe et l'Ukraine. Notre groupe d'amitié se rendra sur place dans les prochaines semaines ; le président du Sénat est très attaché à la diplomatie parlementaire, qui peut -par des actes concrets et décentralisés- favoriser l'application du volet institutionnel de l'accord de Minsk.

Je voterai ce projet de loi avec enthousiasme et vous invite à en faire de même. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. André Gattolin .  - Je salue chaleureusement les représentants de la Rada venus à Paris pour suivre nos débats. Le contexte géopolitique reste tendu. Le groupe écologiste du Sénat votera bien sûr ce texte car l'accord constitue une bonne base pour consolider nos relations avec l'Ukraine. Ce serait une grave erreur que de ne pas accepter la main tendue d'un peuple qui a exprimé son libre choix et veut se rapprocher des valeurs qui nous sont chères.

Cet accord comporte un volet complet et approfondi sur le libre-échange. Nous avons des réserves sur certains points précis mais une telle intégration constitue une réponse adaptée aux embargos russes qui affectent l'économie ukrainienne. Un mot de la coopération sur le nucléaire civil. Pour les écologistes, ce n'est pas une énergie propre. Mais cette disposition rendra au moins les installations ukrainiennes vieillissantes un peu plus sûres. Aujourd'hui, le pays dépend des Russes pour l'entretien et le suivi des centrales... y compris à Tchernobyl.

M. Christian Cambon.  - Enfin un peu de bon sens !

M. André Gattolin.  - La consolidation du réseau de transport de gaz naturel renforce la sécurité d'approvisionnement énergétique. Tout cela peut devenir un élément de stabilisation. Les réformes ont été engagées en Ukraine : elles prendront du temps, mais la volonté politique est manifeste. La France et l'Union européenne se refusent pour l'instant à envisager une intégration pleine et entière de l'Ukraine dans l'Union européenne. N'en ayons pas peur cependant car c'est le seul moyen d'aider à la dé-soviétisation ou la dé-post-soviétisation.

La Russie se livre actuellement à une campagne de désinformation massive, qui préoccupe l'Union européenne. Mme Federica Mogherini travaille à un plan de communication stratégique, qui sera présenté au prochain sommet européen. Je salue les étudiants de l'école de journalisme de Mohyla à Kiev : sur leur plateforme collaborative, ils s'attaquent à déconstruire jour après jour la propagande du Kremlin, qui utilise tous les outils numériques pour semer le désordre. M. Reiner a raison, il est essentiel de démentir toutes les affirmations infondées. Ainsi, il est faux que l'accord interdise tout autre partenariat, avec la Russie ou l'Union eurasiatique. Il est également faux que l'Union européenne n'ait pas tenu compte des demandes russes, alors qu'elle a notamment accepté de reporter au 1er janvier 2016 l'entrée en vigueur du volet commercial.

« Ukraine » signifie « région située à la frontière ». Le pays n'est pourtant pas condamné à rester entre deux mondes, ce qui serait une commode façon de le maintenir dans la vassalisation ! Le magnifique combat des Ukrainiens pour les droits de l'homme, la démocratie et la participation au projet européen doit être aussi le nôtre. (Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. Michel Billout .  - Le rappel des dates montre bien la portée du présent accord. Car, comme l'ont souligné les précédents orateurs, c'est le refus de signer cet accord par le gouvernement prorusse d'Ukraine qui a entraîné, en 2013, une crise politique, une guerre civile qui perdure et une quasi-partition. Les accords de Minsk ont recherché des voies politiques. Nos actes aujourd'hui auront des répercussions dans la région demain.

Le sommet de Kiev le 27 avril portait sur les modalités d'application de cet accord d'association, vital pour le maintien au pouvoir de l'actuel gouvernement. Or les Européens se sont montrés très prudents et attendent des réformes effectives en Ukraine. Ils ont réaffirmé que l'accord entrerait en vigueur au 1er janvier 2016, mais que son application dépendrait des consultations trilatérales avec la Russie.

Faut-il donc ratifier cet accord si rapidement ? Son contenu même est critiquable. Le partenariat oriental vise avant tout à étendre la sphère d'influence de l'Union européenne et l'économie de marché. Les réformes ultralibérales imposées sont dévastatrices. On cherche aussi à isoler la Russie. Le président Hollande et la chancelière Merkel considèrent que la paix est la priorité absolue. Nous le pensons aussi mais nous croyons que cet accord n'y contribuera pas. Aussi la majorité du groupe CRC votera-t-elle contre le projet de loi.

M. Alain Bertrand .  - Comment favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité aux frontières de l'Union européenne ? La politique de voisinage ne passe pas seulement par des accords d'association mais aussi par des instruments financiers. Certains États membres entretiennent avec l'Ukraine des relations bilatérales : en Ukraine, les Alliances françaises sont très actives, de même que la coopération décentralisée, avec une quarantaine de jumelages entre villes françaises et ukrainiennes. Il reste cependant beaucoup à faire pour que le pays se hausse aux standards européens et pour consolider le système judiciaire et de sécurité. Le groupe RDSE est favorable à ce que l'Union européenne soutienne les réformes. Il est urgent de consolider les institutions judiciaires et de sécurité : l'Ukraine est en queue du classement de Transparency international sur la corruption, et un journaliste, après un député, vient encore d'être assassiné.

Le conflit à l'est a fait plus de 6 000 morts. Malgré les accords de Minsk, la situation est instable. On peut donc s'interroger sur la ratification rapide de cet accord. La Russie s'inquiète d'une concurrence de l'Union européenne pour l'Union eurasiatique et d'un élargissement de l'Otan à l'est. Notre diplomatie doit trouver une position équilibrée. L'Ukraine est un point névralgique dont la Russie veut faire une zone-tampon. Soyons honnête : chacun avance ses pions. Du reste, l'Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. Nous avons assisté à bien des louvoiements. M. Ianoukovitch a suspendu les négociations sur l'accord en échange d'une forte aide promise par Vladimir Poutine. Les liens du pays avec la Russie sont étroits. Il importe d'avoir un dialogue franc avec chacun.

Un accord d'association n'est pas un tremplin vers l'adhésion. Évitons toute provocation à l'égard de la Russie, ne bâtissons pas des murs d'incompréhension. Le moment n'étant pas le mieux choisi pour une ratification, le RDSE s'abstiendra.

M. Claude Malhuret .  - Je salue à mon tour les représentants de la Rada. Cet accord a eu pour conséquence une très grave crise internationale, déclenchée par la Russie. Que d'événements en quelques mois ! Comment en est-on arrivé là ? L'accord menace-t-il qui que ce soit ? Évidemment, non. Cette convention n'est que la poursuite de celle de 1994, qui n'avait déclenché aucune protestation de la Russie. Nous avons même ouvert des discussions tripartites pour tenir compte des préoccupations des Russes.

Mais ceux-ci louvoient et continuent à saigner l'Ukraine. Celle-ci subit encore les soubresauts de la décomposition de l'URSS, qui, pour Poutine, fut « la plus grande catastrophe du XXe siècle », alors que la catastrophe, nous le savons, fut la naissance de l'URSS.

Durant des années, on nous a rebattu les oreilles du génie Poutine, et de sa stratégie gagnante face à une Amérique démotivée et une Europe impuissante. Mais quand les démocraties, prenant conscience du danger, réagissent, grâce à leurs institutions et à leur économie solides, elles peuvent faire mal. Alors que nous sommes encore au bas de l'échelle des sanctions, le tigre de papier russe s'est effondré : chute de 40 % du rouble, réserves de change épuisées, récession et fuite des capitaux. Alors que la Biélorussie et le Kazakhstan renâclent, la seule porte de sortie qu'a trouvée Poutine est de se jeter dans les bras de la Chine, dix fois plus riche et plus peuplée. Le président Xi Jinping l'a accueilli à bras ouvert et s'est empressé d'acheter à prix bradés toute l'énergie russe disponible. Génial stratège... et pauvre Russie !

Deuxième sujet d'étonnement : personne ne semble s'émouvoir de l'invraisemblable succession de violations du droit par le pouvoir russe : agression de la Géorgie, incitation à la sécession de l'Ossétie du Sud, du Nagorno-Karabakh, de la Transnistrie, etc. ; invasion quasi ouverte de l'est de l'Ukraine, pressions sur les pays baltes, violations de l'espace aérien de plusieurs pays, sous-marins nucléaires dans les eaux territoriales de la Suède, aveu par le président Poutine qu'il a envisagé d'utiliser des armes nucléaires tactiques, destruction du Boeing de la Malaysia Airlines ; emprisonnement de Navalny et de bien d'autres, exil forcé pour Khodorkovski, Kasparov et tant d'autres, assassinat d'Anna Politkovskaïa, de Litvinenko, de Markelov, d'Anastasia Bourbourova, de Sergueï Magnitski, de Boris Beresovski, de Boris Nemtsov,... La liste n'est pas exhaustive. Et pourtant certains continuent de nier l'évidence.

De Le Pen à Mélenchon, d'Orban à Tsipras, qui gouverne à Athènes avec le soutien de l'extrême droite, les responsables de formations politiques extrémistes multiplient les courbettes pendant que les combats se poursuivent dans le Donbass. La politique européenne de voisinage représente tout ce qu'ils haïssent : la démocratie, les droits de l'homme, la solidarité. Plus étonnant, le soutien de groupes démocratiques à la Russie. Il me choque. Des personnalités reprennent, mot pour mot, la propagande russe : la Crimée, russe, « a choisi son destin », les Ukrainiens sont des fascistes, « la nation ukrainienne n'existe pas ». Toute la faute revient aux Américains qui sont des va-t-en-guerre. Il n'aurait pas fallu « humilier la Russie ». Mais personne ne s'émeut des humiliations subies par les Polonais, les Tchèques, les Hongrois ou les Ukrainiens, lorsqu'ils étaient placés sous la férule de l'URSS ! Poutine parle de « russes ethniques » et non de russophones en Ukraine. Qu'est-ce à dire ? Renan doit se retourner dans sa tombe. Triste reprise du discours du IIIe Reich, la négation de l'existence d'une nation autrichienne, qui justifia l'annexion de l'Autriche, ou de la défense des minorités allemandes dans les Sudètes. Comment peut-on oublier si vite les leçons de l'histoire ?

Aidons l'Ukraine bien au-delà de cet accord, tenons notre position de fermeté avec les États-Unis, maintenons les sanctions tant que Minsk ne sera pas mis en oeuvre. Le point noir de cet accord, nous le savons, est l'impossibilité de contrôler la frontière entre l'Ukraine et la Russie. Personne n'ignore que de nouveaux soldats la traversent chaque jour. Aidons financièrement l'Ukraine. Soutenons la réorganisation de l'entreprise publique Naftogaz, qui creuse un trou béant dans le budget de l'État. Incitons la Banque mondiale à soutenir de nombreux projets. Je me réjouis des aides européennes annoncées. Et commençons par voter ce projet de loi, c'est un signal attendu par les Ukrainiens, dans l'épreuve qu'ils vivent. (Applaudissements à droite)

Mme Gisèle Jourda .  - Demain, nous voterons je l'espère un accord similaire avec la Géorgie. Le temps est venu de se poser la question : l'Union européenne mène-t-elle une politique suffisamment ambitieuse avec les anciennes républiques populaires de l'est ?

La politique de voisinage, lancée en 2003, a été renforcée en 2008 au lendemain du conflit en Géorgie. Cette politique de coopération constitue une tentative de conduire et d'accompagner les pays orientaux dans la transition. Peut-on encore croire aux promesses du partenariat oriental ? Je le souhaite. Ayons toutefois conscience que cela suppose une modernisation.

François Hollande a tracé la voie avec l'accord de Minsk II, qui doit être strictement respecté. Les équilibres sont fragiles, mais il ne faut pas désespérer.

Toutes les pierres sont loin d'être dans le jardin de l'Europe. Dès 2011, l'Ukraine a été fortement incité par la Russie à rejoindre, avec la Biélorussie et d'autres, le pacte eurasiatique, et surtout une union douanière incompatible avec l'accord d'association. Posons-nous la question : qu'apporte cet accord à l'Ukraine ? Je me réjouis qu'une aide de 12,8 milliards d'euros y figure. Cependant, elle n'est pas à la hauteur de la crise actuelle. Seuls trois des six pays visés par la politique de voisinage de l'Union européenne se sont engagés dans un rapprochement, et leur nombre aurait pu tomber à deux si les citoyens ukrainiens ne s'étaient pas mobilisés pour manifester leur volonté.

Oui, l'Ukraine se bat pour l'Europe. La ratification de cet accord s'impose comme une évidence salutaire ; je m'y associerai, comme l'ensemble du groupe socialiste. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre ainsi que sur quelques bancs à droite)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Pascal Allizard .  - Comme les autres, je salue la présence dans notre tribune d'une délégation de la Rada ukrainienne.

La situation demeure instable avec la crise à l'Est de l'Ukraine. La vision technocratique et simpliste consistant à demander à l'Ukraine de choisir entre l'Europe et la Russie nie l'histoire complexe et les identités multiples dans la région. Je déplore que certains suivent cette voie sans issue qui ne peut qu'être source d'instabilité.

La coopération orientale fera l'objet d'un sommet à Riga, présidé par M. Juncker, qui se penchera pour la première fois sur le sujet. Espérons que ce dernier fera preuve de plus de lucidité que son prédécesseur.

Ce qui nous occupe aujourd'hui est toutefois la ratification d'un accord qui inscrit durablement la démocratie et l'économie de marché en Ukraine. L'Europe doit veiller à ce que des oligarques, comme cela s'est vu ailleurs, ne s'accaparent pas les richesses.

M. Alain Néri.  - Très bien !

M. Pascal Allizard.  - Toute l'économie ukrainienne est en berne : le PIB s'est réduit de 6,5 %. La hryvnia a perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar, l'inflation atteint 25 %. Après avoir accompli leur révolution, les Ukrainiens connaissaient encore un quotidien difficile.

Le règlement de la situation dans l'est pourrait passer par l'organisation décentralisée -notre président Larcher a fait des propositions.

Cet accord, qui s'inscrit dans un monde multipolaire, est bon. Le groupe UMP le votera (Applaudissements sur de nombreux applaudissements)

M. Jean-Yves Leconte .  - C'est avec une grande émotion que je viens à cette tribune. À Maïdan, la population ukrainienne a dit son désir d'Europe, d'État de droit. Avec la guerre qui a suivi cette plus grande violation du droit international qui est l'annexion de la Crimée, cette promesse reste lointaine : économie paralysée, situation sociale explosive, forte présence de l'armée.

J'ai pourtant la conviction que cet accord peut contribuer à réaliser cette promesse. Ouvrons la famille européenne à l'Ukraine en délivrant des visas. Finalement, cet accord est dans l'esprit de 1989, de la chute du mur de Berlin, des combats de Willy Brandt et François Mitterrand pour sortir l'Europe du joug de Yalta et du joug totalitaire.

De nombreux avantages accordés aux Ukrainiens dans cet accord pourraient l'être aux Russes. L'Europe ne se fait pas sans la Russie ; sans elle, l'Europe est malade. Il n'en reste pas moins que l'Europe doit se manifester quand la Russie commet l'inacceptable.

À la veille du 8 mai, je veux dire en ukrainien : (L'orateur prononce les paroles suivantes en ukrainien, puis en français)

Les Ukrainiens doivent savoir combien la France et l'Europe sont à leurs côtés. Aujourd'hui, votre avenir est notre avenir. Le peuple français tient à manifester au peuple ukrainien sa solidarité et son amitié, pour la défense des valeurs qui nous sont chères. Voilà pourquoi nous voterons aujourd'hui, au Sénat, pour la ratification de cet accord entre l'Ukraine et l'Union européenne.

(Vifs applaudissements et marques d'admiration)

Mme Nathalie Goulet.  - Très chic.

M. Daniel Reiner, rapporteur.  - Bluffant !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Oui, avec cet accord, nous disons, en français car je n'ai pas la maîtrise de l'ukrainien dont M. Leconte vient de faire preuve : amitié, solidarité, démocratie, paix, stabilité à l'Ukraine. Oui, nous disons à ce pays qu'il ne doit pas avoir peur ni céder aux intimidations, que nous l'accompagnerons.

En même temps, prenons garde à ce que cet accord ne soit pas interprété comme un geste d'hostilité. Cela nous impose d'être particulièrement vigilants sur le respect des accords de Minsk, de poursuivre notre assistance macro-économique et financière. C'est pourquoi l'Union européenne a débloqué une enveloppe supplémentaire de 1,2 milliard d'euros le 31 mars. Nous avons devant nous des perspectives d'échanges économiques, commerciaux, culturels, politiques prometteuses. Je tiens à remercier l'ensemble des orateurs qui ont exprimé notre amitié et notre solidarité envers l'Ukraine, que le Sénat sera la première des assemblées à concrétiser en votant pour la ratification de cet accord. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Interventions sur l'ensemble

Mme Nathalie Goulet .  - Je voterai naturellement cet accord en tant que membre de l'Assemblée parlementaire de l'Otan. Nous savons l'importance de l'Ukraine pour la sécurité de l'Europe. Personne n'a oublié le nuage de Tchernobyl...

M. le ministre a évoqué une aide supplémentaire de 1,2 milliard d'euros. J'ai rencontré le président de la commission des droits de l'homme du parlement ukrainien, M. Rabinovich. On connaît la corruption dans ce pays, attention à l'utilisation de ces fonds. L'Europe est définitivement l'amie de l'Ukraine, cela lui donne des devoirs, celui de contrôler efficacement et effectivement le respect des valeurs européennes et, surtout, l'utilisation des fonds. Il est heureux, à cet égard, que le président de notre groupe d'amitié France-Ukraine soit aussi celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire. (Applaudissements au centre)

M. Joël Guerriau.  - Très bien !

M. Alain Néri .  - Je salue à mon tour la délégation ukrainienne présente dans nos tribunes. Cet accord ne peut laisser personne indifférent. J'ai pu constater que l'esprit de Maïdan soufflait formidablement en décembre 2013, les difficultés persistent malheureusement.

Sachons raison garder. L'Allemagne et la France ont su réunir autour d'une table l'Ukraine et la Russie. Président de la délégation française à l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe(OSCE), dont j'assure la vice-présidence, je sais combien la position de fermeté que nous devons tenir est délicate.

La paix et la stabilité passent aussi par le développement économique, que facilitera cet accord.

Disons très solennellement que cet accord n'ouvre pas la voie à l'adhésion à l'Union européenne, non plus qu'à l'Otan. Disons aussi très solennellement que nous défendons le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la liberté et la démocratie. (Applaudissements sur les bancs socialistes et au centre)

Le projet de loi est adopté.

(Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, UDI-UC et UMP)