Renseignement (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au renseignement.

Discussion générale

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Le Sénat a abordé la discussion de ce texte sur le renseignement avec une ambition : en faire une loi républicaine, en inscrivant pour la première fois la politique française de renseignement dans le cadre de l'État de droit.

Suivant la grande tradition du Sénat républicain, nous avons refusé toute législation d'exception, mais voulu soumettre les techniques modernes du renseignement au droit commun du contrôle, auquel toute autorité publique est soumise.

Depuis 1789, nous admettons que toute liberté, même la plus sacrée, connaisse des bornes pourvu que celles-ci soient fixées dans la loi et qu'elles n'aient pour objet que d'interdire les actions nuisibles à la société. C'est l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Or qu'y a-t-il de plus nuisible à la société que le terrorisme et la criminalité organisée ?

Le travail du Sénat a été pleinement reconnu par la CMP. Nous étions dans le non-droit jusqu'à présent. Notre obsession a été d'inscrire le renseignement dans le droit, de créer du droit.

Nous nous soumettrons au contrôle vigilant du Conseil constitutionnel. Je serais heureux, monsieur le Président, que vous puissiez le saisir vous-même, afin qu'il se prononce sur l'ensemble de nos apports si ce texte est adopté aujourd'hui au Sénat et demain à l'Assemblée nationale.

Dorénavant, toutes les techniques de renseignement devront se conformer à la légalité ; à défaut, elles seront sanctionnées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), du recours aux techniques. Dorénavant, leur usage devra être proportionné, justifié par l'atteinte aux intérêts de la nation.

La collaboration entre les deux assemblées a été féconde ; elle a abouti sauf sur un point qui a surgi au cours de nos débats.

Nulle surveillance de masse mais une surveillance ciblée dans le respect des principes de légalité et de proportionnalité.

La commission mixte paritaire a intégralement repris les apports du Sénat renforçant les pouvoirs de contrôle et les garanties d'indépendance de la CNCTR de même que ceux visant à assurer l'efficacité du contrôle juridictionnel.

Le compromis adopté en commission mixte paritaire est proche du texte que vous avez adopté. Il est clair et équilibré. La surveillance s'exercera en prison de manière que les détenus ne soient pas soumis à une moindre surveillance qu'un autre citoyen pour lequel il faudrait recourir à ces moyens.

Nous avions voulu protéger certaines professions, exiger des justifications supplémentaires pour le renouvellement des autorisations pour couvrir les délais de conservation depuis le recueil des données, clarifier l'urgence absolue et l'urgence opérationnelle. Tout cela a été validé par la CMP.

Comme le Gouvernement, qui présentera un amendement, je crois qu'il faut maintenir un régime unique sur le territoire national y compris pour les étrangers de passage en France. On pouvait d'ailleurs nourrir de sérieux doute quant à la constitutionalité de la disposition introduite en CMP.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument !

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Notre texte sur la composition de la CNCTR, son fonctionnement en formation plénière et formation restreinte et les pouvoirs propres de certains de ses membres a été intégralement repris. Surtout, grâce à nous, le Conseil d'État pourra exercer un contrôle juridictionnel plein et entier - il a montré par le passé qu'il l'exerçait avec excellence.

Nous avons prévenu les abus dans l'utilisation des techniques du renseignement. Nous avons également précisé que l'inspection sur les fichiers des auteurs d'infractions de terrorisme n'avait lieu qu'après décision du juge. Nous avons élargi, sur proposition du Premier ministre Raffarin, le contrôle par la délégation parlementaire au renseignement au second cercle. Le Sénat peut voter ce texte tant il ressemble à celui qu'il a élaboré.

La clause de rendez-vous, nécessaire, sera l'occasion de dresser un bilan. Je veux dire ma satisfaction devant ce succès en invitant une large majorité à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements à droite, au centre, sur les bancs des groupes du RDSE, socialiste et républicain)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - La CMP, réunie le 16 juin dernier, a abouti à un accord. Au début des débats, je formais le voeu que le Sénat, fidèle à la grande tradition républicaine, joue tout son rôle. Mon voeu a été exaucé et ce texte est inspiré de ses travaux.

Plus une technique est intrusive, plus elle doit être assortie de garanties procédurales : ce principe me paraît incontestable.

Le texte de la CMP reprend les vues du Sénat sur le point de départ de la durée de conservation des interceptions, ou la saisine automatique du Conseil d'État. Je pourrais citer bien d'autres exemples.

En revanche, l'usage sans autorisation de techniques du renseignement à l'encontre d'étrangers sur le territoire national serait contraire à la Constitution et le Gouvernement y est très défavorable car il considère que chaque mesure doit être appréhendée à l'aune des garanties juridiques dont elle est assortie. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très restrictive quant à la possibilité d'introduire une différence de traitement au détriment des étrangers, même non-résidents, dans l'application de la loi française sur le territoire national. Une telle différence est d'autant plus difficile à envisager qu'il s'agit ici du droit à la vie privée. En outre, le Gouvernement proposera des amendements de précision, et soutiendra ceux des rapporteurs destinés à fluidifier la rédaction de la CMP.

Je veux enfin préciser l'interprétation que fait le Gouvernement d'une disposition votée par la CMP, et l'application qu'il en fera. La CMP a en effet rétabli la possibilité d'échanges d'informations entre les services du renseignement et d'autres administrations, introduite par l'Assemblée nationale. Le Gouvernement fera usage de cette possibilité dans le respect du principe de proportionnalité, pour des finalités déterminées, au profit de services limitativement énumérés et dans le respect des missions de chaque service. Il s'agira par exemple de signaler aux CAF le départ d'une personne sur un territoire en guerre, afin d'éviter qu'elles ne continuent à lui verser des allocations et à financer ainsi indirectement le terrorisme. Autrement dit, les allocations familiales pourront être suspendues si elles servent à financer un enfant parti faire le djihad.

En remerciant les présidents-rapporteurs Philippe Bas et Jean-Pierre Raffarin, j'invite le Sénat à voter ce texte qui instaure un contrôle par la CNCTR, le juge administratif voire judiciaire et même par les parlementaires. Il sera soumis au Conseil constitutionnel comme s'y est engagé le président de la République. C'est dire notre volonté de protéger les Français contre des actes terroristes qui portent atteinte à notre démocratie et d'inscrire la France au premier rang des pays où le renseignement est contrôlé. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, du RDSE, UDI-UC et Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault .  - Par mon collègue Détraigne, je sais que les débats ont été riches et constructifs en CMP. Cela est dû en particulier à la présence de six des huit membres de la délégation parlementaire au renseignement. Cela s'explique aussi par la vigilance de nos rapporteurs, MM. Bas et Raffarin.

Alerté par l'opinion publique, le Sénat, gardien des libertés, a joué tout son rôle. Il faut le souligner au moment où, c'est le moins que l'on puisse dire, notre travail demeure souvent ignoré voire dénigré. Le Sénat n'a pas voulu inscrire l'administration pénitentiaire dans la communauté du renseignement, elle n'a nullement les moyens de recourir aux outils du renseignement utilisés par la DGSI et la suspicion qu'une telle fonction ferait porter sur les surveillants aurait été contreproductive. De plus, cela aurait été contraire à sa vocation. La Chancellerie partageait cette vision, à laquelle la CMP s'est ralliée.

Sur le point de départ de la durée de conservation des données et de la destruction des données, nous avons également été entendus, de même que sur l'inscription au fichier des auteurs d'infractions terroristes : elle devra être autorisée par le procureur de la République.

Cher président Bas, je sais que vous étiez opposé à l'amendement défendu par le président Urvoas sur la surveillance des étrangers sans contrôle préalable de la CNCTR. Notre inquiétude vient d'être levée par M. Cazeneuve. L'UDI-UC votera sans réserve l'amendement de suppression que propose le Gouvernement. Cet amendement en CMP de M. Urvoas était maladroit. Beaucoup, je pense à Loïc Hervé ou Mme Morin Desailly, s'inquiétaient des boites noires. C'était leur donner raison.

Nous voici rassérénés. Conformément à sa tradition, le groupe UDI-UC laissera toute liberté de vote sachant qu'un grand nombre de ses membres soutiendront ce projet de loi.

M. Jean-Pierre Sueur .  - À ceux qui s'interrogent sur l'utilité du Sénat, je conseille de comparer le texte de la CMP et celui du Sénat. Chacun peut voir que nous avons a pesé lourdement dans l'écriture du texte.

Grâce au Sénat, le ministère de la justice est exclu de la liste des services ayant la compétence d'user de techniques intrusives. Si le renseignement pénitentiaire est nécessaire, il convient de ne pas confondre les missions de chacun.

Grâce à un amendement de notre groupe socialiste, la vie privée est strictement définie : secret des correspondances, protection des données personnelles, inviolabilité du domicile. Je me félicite aussi que n'importe quel intérêt économique ou industriel ne puisse justifier le recours à ces techniques, mais seulement les intérêts « majeurs ».

De même, il est heureux que les délais de conservation courent à partir du recueil des données et qu'un délai ait été introduit pour les données cryptées. L'absence de délai aurait justifié la censure du Conseil constitutionnel...

Les pouvoirs de la CNCTR ont été renforcés : trois de ses membres pourront saisir à tout moment le Conseil d'État, et le Pôle national de cryptanalyse et de décryptement sera soumis à son contrôle.

Le groupe socialiste et républicain a aussi contribué à ce que soit précisé que le contrôle de la CNCTR sur les données sera « complet, direct, permanent ». C'est important.

L'usage des IMSI catchers et des algorithmes sera réservé à la lutte antiterroriste. Il est impératif de contrôler les sites qui font l'apologie du terrorisme, qui lancent des appels au meurtre. Certains s'y seront sans doute connectés par hasard, mais des investigations devront être menées -sous le contrôle de la CNCTR- si l'on veut lutter contre le terrorisme.

L'inscription sur le fichier des auteurs d'infractions terroristes sera subordonnée à une décision judiciaire. Les avocats, magistrats et parlementaires ne peuvent être surveillés à raison de leur profession ou de leur mandat.

Il s'agit toujours, dans ce contexte, d'un contrôle ciblé et non de masse. Nous sommes contre la captation massive d'informations : les données doivent être recueillies à des fins précises.

À une voix de majorité, la CMP a adopté un amendement autorisant la surveillance sans contrôle des étrangers de passage. Cet amendement est contraire au principe constitutionnel d'égalité, et contestable quant à la procédure car il n'avait été débattu ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat. Le groupe socialiste et républicain votera pour sa suppression.

Pour la première fois en France, une loi encadrera l'action des services de renseignement. Et l'on nous dit que nous portons atteinte aux libertés ! Oui, ce texte posait des problèmes, auxquels nous avons répondu. Oui, le sujet est sensible. Mais que les auteurs de telle ou telle tribune lisent le projet de loi ! Nous avons recherché le meilleur équilibre entre la sécurité, car il faut lutter contre l'horreur du terrorisme, et les libertés, car la plus grande victoire du terrorisme serait de nous y faire renoncer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Esther Benbassa .  - Soixante-sept sénateurs dont dix écologistes se sont opposés à ce texte. Comment voter pareille loi après celle de George Bush et les révélations d'Edward Snowden ? D'autres gouvernements, à l'avenir, pourraient être moins scrupuleux que vous. Avez-vous cédé aux pressions des services de renseignement - qui n'ont pas fait la preuve de leurs capacités ? (Protestations sur le banc de la commission)

M. Robert del Picchia.  - S'il n'y en avait pas, serait-ce mieux ?

Mme Esther Benbassa.  - Ce texte met en péril nos libertés. Personne ne peut nous accuser de laxisme.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Si !

Mme Esther Benbassa.  - Mais il faut combattre le terrorisme de manière éclairée, sans renoncer à nos libertés. Comme disait Edward Snowden, dire que l'on ne se soucie pas de la surveillance massive, parce que l'on n'a rien à cacher, cela revient à dire que l'on ne se soucie pas de la liberté d'expression parce que l'on n'a rien à dire...

Les pouvoirs de contrôle de la CNCTR sont insuffisants - et le Premier ministre pourrait même se passer de son avis s'il s'agissait d'un étranger de passage ! Le Gouvernement heureusement, veut supprimer cette mesure défendue par M. Urvoas. En revanche, l'adoption de son amendement n°7 viderait de toute substance la protection des lanceurs d'alerte.

Ce texte ne garantit en rien notre sécurité et met à mal nos libertés. En conscience, nous voterons contre (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)

Mme Cécile Cukierman .  - Sur ce texte important, dont la société a trop peu débattu, la procédure accélérée empêche le Parlement d'approfondir sa réflexion. Les modifications apportées au projet de loi initial n'y changent rien : il s'agit d'ouvrir la voie à une surveillance de masse. Au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on fera l'inverse...

Pour vous, monsieur le ministre, le droit à la vie privée n'est pas un droit fondamental : vous l'avez dit le 14 avril à l'Assemblée nationale.

Votre projet de loi est celui du panoptique de Jeremy Bentham. Grâce à l'installation de boîtes noires, le principe de « voir sans être vu » est maintenant généralisé à l'internet. Comme l'écrit Jean-Claude Paye dans L'Emprise de l'image : Bentham montre que la présence des yeux de l'autre n'est pas nécessaire à l'omniprésence du regard intérieur. En l'absence de perception, l'individu est réduit à se regarder être regardé. Le sujet est aboli et se confond avec l'objet-regard, avec le désir de l'Autre. Il devient l'objet de sa jouissance, ici objet de la toute-puissance de l'État.

Permettez-nous, monsieur le ministre, de douter de la sincérité de votre émotion quant à l'amendement Urvoas, déposé subrepticement en commission mixte paritaire. Il s'agissait de laisser les services de renseignement surveiller les étrangers de passage, sans contrôle de la future CNCTR. En clair, de poser un micro dans la chambre d'un diplomate, d'un chef d'État ou d'un journaliste, de glisser une balise sous sa voiture, de siphonner son disque dur ou d'épier ses conversations téléphoniques. L'émulation entre le gouvernement et les parlementaires socialistes a été d'une rare efficacité avec l'ajout de cette mesure qui aggrave un peu plus le danger présenté par cette loi. Une mesure dans laquelle le président Delarue a dénoncé un alignement sur la « conception américaine qui a permis aux agences d'accumuler sur ces étrangers les données massives que l'on connait » et qui malmène le principe constitutionnel d'égalité sur le sol français. Les nationaux sont d'ailleurs eux aussi exposés, dès lors qu'ils correspondent avec des étrangers.

Selon la CEDH, les États ne sont pourtant pas habilités, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, à prendre n'importe quelle mesure au préjudice de la démocratie. Nous voterons contre.

M. Jacques Mézard .  - Nous ne sommes ni libertaires, ni liberticides mais pour la liberté qui implique la sécurité. Monsieur le ministre, nous avons toute confiance en vous, moins dans ce texte. Au cours de nos travaux, des divergences se sont exprimées au sein même de chaque groupe, et plus encore depuis que M. Urvoas -non sans quelque inspiration, sans doute - a fait voter en CMP un amendement qui différencie le traitement des étrangers de passage de celui des Français et résidents. Les services de renseignement ont sans doute profité de la quiétude d'une CMP pour introduire ce passager clandestin. Comme le souligne Jean-Marie Delarue, si les services peuvent imposer leur loi, cela augure mal de la suite !

La Haute Assemblée a amélioré ce texte, même si son travail -reconnu - ne nous satisfait pas pleinement. Elle a imposé de la réserve et de la sagesse à ce débat, dans un contexte peu propice : renforcement des pouvoirs de contrôle de la CNCTR et de la DPR, de la consolidation des procédures d'urgence, renseignement pénitentiaire... Nous restons réservés sur le recours à certaines techniques, le rôle dévolu au juge administratif et l'insuffisante protection des chiens de garde de la démocratie que sont les avocats, les magistrats, les parlementaires et les journalistes. Fait rare, la Commission européenne est d'ailleurs sortie de sa réserve à l'égard des législations nationales en indiquant que ce texte posait d'importantes questions de droit.

Comme en première lecture, la plupart d'entre nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jean-Pierre Raffarin .  - Je salue à mon tour le travail accompli. Celui de la DPR, d'abord, dont le rapport de 2014 avait tracé des lignes directrices pour doter notre pays d'une véritable politique de renseignement. Je remercie du fond du coeur le président Bas et la commission des lois, qui a accepté certains de nos amendements et donné à notre débat la dimension qui convient.

Sommes-nous, oui ou non, en guerre contre le terrorisme ? Ne faisons-nous pas face à une situation nouvelle, face à laquelle il est absolument nécessaire de renforcer nos services tout en veillant à ce que nos concitoyens n'en pâtissent pas ? Je suis aussi attaché que n'importe qui à nos libertés, mais nous sommes en guerre ! L'heure est à l'éthique de responsabilité même si je respecte l'éthique de conviction -encore que certaines critiques faites à nos services me paraissent déplacées. En la matière, un travail réussi est forcément discret ; quand un attentat est déjoué, cela ne se sait pas ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)

Le texte qui nous est soumis est équilibré, et je me félicite du front uni présenté par le Sénat en CMP. Mais cette loi n'est qu'un début. Il faudra mettre en place le CNCTR, recruter... Si le processus n'est pas engagé dès juillet, nous ne serons pas prêts à la fin de l'année ! C'est la DPR qui le dit.

Montrons aux terroristes que nous savons nous rassembler, comme le 11 janvier, et être à la hauteur de l'histoire de la France. Il y a des moments dans la vie d'un sénateur où l'on peut éprouver quelque fierté, celui-ci en est un. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Hyest .  - On peut regretter le recours à la procédure accélérée sur ce texte -des coquilles subsistent d'ailleurs. Mais la CMP a conforté la position du Sénat. Il fallait assurer la constitutionnalité du projet de loi -le rapporteur de l'Assemblée nationale note lui-même que le Sénat y a largement contribué - et l'effectivité du contrôle sur les services de renseignement afin de préserver les libertés de nos concitoyens.

Le Conseil d'État sera compétent : à la jurisprudence administrative la prévention des abus, à la juridiction judiciaire leur répression. Les pouvoirs de la CNCTR ont été renforcés, encore lui faudra-t-il des moyens - mais pas nécessairement des effectifs pléthoriques.

À mesure que les techniques sont plus intrusives, elles doivent être soumises à un contrôle plus strict. C'est bien le cas ici, et la surveillance de masse n'est qu'un fantasme. Les traitements automatisés seront très contrôlés et réservés à la lutte antiterroriste.

Le délai de conservation des données issues des interceptions de sécurité courra à partir de leur recueil, comme l'a demandé le Sénat, et non à partir de leur première exploitation -  sinon, il pourrait devenir infini. Ces délais continuent à me paraître un peu longs : je ne suspecte pas les services de manquements, mais si les données ne sont pas exploitées rapidement, elles ne servent à rien !

Nous avons eu raison de clarifier les rôles respectifs de la surveillance pénitentiaire et du renseignement pénitentiaire -tout en permettant aux services de renseignement d'intervenir en prison.

Une incongruité : l'article L. 821-1-27 -et son corollaire, l'alinéa 124- a été introduit en CMP alors qu'il n'avait fait l'objet d'aucune discussion à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Sur le fond la disposition se heurte au principe constitutionnel d'égalité. Je me réjouis que le Gouvernement ait déposé un amendement de suppression.

Nous voterons donc ce texte qui renforcera les moyens de nos services pour lutter non seulement contre le terrorisme mais contre tous les dangers qui menacent notre société. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par le Gouvernement.

I. - Alinéa 27

Supprimer cet alinéa.

II. - Alinéa 124

Supprimer cet alinéa.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Afin de tenir compte des principes constitutionnels, le Gouvernement propose de supprimer les alinéas 27 et 124 introduits par la CMP. Si la surveillance de certaines personnes étrangères séjournant temporairement dans notre pays peut se justifier au titre de la sauvegarde des intérêts fondamentaux mentionnés à l'article L. 811-3, il n'apparaît pas proportionné d'exclure ici les garanties prévues par l'article L. 821-1.

Certes, il faut parfois agir à très bref délai, mais nous sommes convaincus que la CNCTR se montrera aussi diligente que l'actuelle CNCIS, ce qui permettra l'application, le cas échéant, de l'article L. 821-2 du code de la sécurité intérieure.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avis favorable, à titre personnel.

M. Jean-Yves Leconte.  - Malgré les efforts prodigués par le Sénat et le Gouvernement pour renforcer les garanties apportées par le texte, celui-ci ne me satisfait toujours pas. Il demeure contraire au droit à la vie privée, comme au principe constitutionnel selon lequel le juge judiciaire est le gardien des libertés individuelles.

S'agissant de la surveillance sans autorisation des étrangers de passage, cette mesure, inspirée par la maxime « l'étranger, c'est le danger », est contraire au principe d'égalité, mais aussi à nos intérêts. Quelle réunion diplomatique, quelle conférence internationale, se tiendront dans notre pays avec de telles dispositions ? La réciprocité étant en outre une règle de base, veillons à modérer nos ardeurs... Je salue l'amendement de suppression du Gouvernement.

L'amendement n°8 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Bas.

I.- Alinéa 82

Après les mots :

de désignation

insérer les mots :

ou de nomination

II.  -  Alinéa 87, première phrase

Remplacer les mots :

à l'élection

par les mots :

à la désignation

L'amendement de coordination n°1, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Le vote sur l'article 1er est réservé.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Bas.

I.- Alinéas 15

Rédiger ainsi cet alinéa :

« III.  -  L'article L. 821-5 n'est pas applicable à une autorisation délivrée en application du présent article.

II.  -  Alinéa 23

Rédiger ainsi cet alinéa :

« V.  -  L'article L. 821-5 n'est pas applicable à une autorisation délivrée en application du présent article. » ;

III.  -  Alinéa 35

Remplacer le mot :

dispositifs

par les mots :

appareils ou dispositifs techniques

L'amendement rédactionnel n°2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Le vote sur l'article 2 est réservé.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 18

Rédiger ainsi cet alinéa :

« II  -  Lorsqu'il est fait application de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 821-2, la demande mentionne, lorsqu'ils sont connus, toute indication permettant d'identifier le lieu, son usage, son propriétaire ou toute personne bénéficiant d'un droit, ainsi que la nature détaillée du dispositif envisagé.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Amendement de précision.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°6 est adopté.

Le vote sur l'article 3 est réservé.

ARTICLE 3 BIS

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 10

Supprimer cet alinéa.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Amendement de précision, auquel il ne faut pas donner une portée qu'il n'a pas. Il a été créé un régime permettant aux agents des services de renseignement témoins de violations manifestes des dispositions prévues par cette loi d'alerter la CNCTR. Cet amendement de précision garantit que la sécurité des agents ne sera pas mise en danger de ce fait, ni le bon déroulement des missions légitimes entravé. Le rôle des lanceurs d'alerte n'est nullement remis en cause !

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Cela va mieux en le disant. Avis favorable.

L'amendement n°7 est adopté.

Le vote sur l'article 3 bis est réservé.

ARTICLE 3 TER

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Bas.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

de la responsabilité duquel

par le mot :

dont

L'amendement rédactionnel n°3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Le vote sur l'article 3 ter est réservé.

ARTICLE 7

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Bas.

Alinéa 6

Remplacer les mots :

des articles L. 871-1 et L. 871-4

par les mots :

de l'article L. 871-1 et à l'article L. 871-4

L'amendement de coordination n°4, accepté par le Gouvernement, est adopté.

ARTICLE 11 BIS

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Bas.

Alinéa 94

Remplacer le mot :

troisième

par le mot :

avant-dernier

L'amendement de coordination n°5, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Le vote sur l'article 11 bis est réservé.

Interventions sur l'ensemble

M. Robert del Picchia .  - Ma longue expérience des problèmes de terrorisme me conduit à vous dire un mot. Lorsque j'étais jeune journaliste couvrant les pays d'Europe de l'Est depuis Vienne, j'ai vécu la prise d'otages au siège de l'Opep qui a coûté la vie à plusieurs personnes. Et lorsque je vois ce qui nous attend, avec peut-être les JO à Paris dans quelques années, et la possibilité d'attentats à tout moment, n'importe où, je me réjouis de ce texte, que je voterai avec un grand enthousiasme.

Les conclusions de la CMP, modifiées, sont adoptées.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Je veux remercier tous les sénateurs pour leur travail de grande qualité.

La liberté de ton et la sagesse qui caractérisent cette assemblée ont enrichi le texte, et je m'en félicite. Je salue tout particulièrement l'engagement du président Bas et sa rigueur intellectuelle.

Un mot sur les services de renseignement pour finir : leurs agents ne sont pas des fonctionnaires entièrement à part mais des fonctionnaires à part entière, qui ont un sens professionnel immense et une haute idée de la République qu'ils font profession de servir. Leur mise en cause dans les moments difficiles, impensable dans d'autres pays, n'est pas juste.

Dans une période où la menace est extrêmement élevée, leur activité fait l'objet d'un contrôle accru, plus strict que dans la plupart des démocraties. C'est l'honneur de la République que de leur rendre l'hommage qu'ils méritent.

(Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, du RDSE, UDI-UC et Les Républicains)

La séance, suspendue à 17 h 50, reprend à 17 h 55.