Ressources propres de l'Union européenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l'Union européenne.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Ce texte est une des clefs de voûte du budget de l'Union européenne, avec le règlement du Conseil portant sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 : 1 083 milliards de crédits d'engagement, 1 084 milliards de crédits de paiement, soit une hausse de 11 %.

Ce texte concerne les ressources propres de l'Union européenne, qui sont un signe d'intégration - elles distinguent l'Union d'une organisation internationale. Elles sont constituées majoritairement par des contributions budgétaires - liées au revenu national brut (RNB) des États membres et la ressource TVA - ce qui exacerbe les débats sur les soldes nationaux et le « juste retour ». Les mécanismes dérogatoires - tel le rabais britannique - se sont d'ailleurs multipliés.

Comme ce cadre est adopté à l'unanimité, il est difficile à réformer. La décision du Conseil de mai 2014 remplace celle du 7 juin 2007, qui sera en vigueur en 2016 avec application rétroactive au 1er janvier 2014. Les trois principales ressources propres sont les ressources propres traditionnelles, la TVA et le RNB.

Les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles seront plafonnés à 20 % contre 25 auparavant ; la contribution RNB est plafonnée à 1,23 % en crédits de paiement (contre 1,24 % en 2007) et à 1,29 % (contre 1,31 % en 2007) en crédits d'engagement. En outre, certains contributeurs ont obtenu une baisse de leur contribution TVA : l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, à hauteur de 0,15%.

La Suède, le Danemark, l'Autriche et les Pays-Bas bénéficient en outre de rabais forfaitaires. Les modalités de calcul de la réduction britannique restent inchangées.

Aucune modification du système des ressources propres n'a été possible lors de la négociation du cadre financier. Un groupe de haut niveau ou GHN a été créé, présidé par Mario Monti, pour rendre le système des ressources propres plus équitable. Les verrous sont nombreux : unanimité, conséquences pour chaque État... J'ai rencontré M. Monti et lui ai indiqué notre souhait de remettre à plat le système des rabais, à enveloppe constante.

Toute nouvelle ressource propre est examinée selon les critères suivants : rendement, stabilité de l'assiette, commodité technique du système, montant des charges de recouvrement, cohérence avec l'harmonisation de l'assiette à l'horizon 2020, effets sur le comportement des agents économiques, conformité aux objectifs de la politique européenne. Et proximité par rapport à la clé RNB actuelle afin de faciliter les négociations...

Un bouquet large de contributions serait une piste intéressante. Le groupe rendra son rapport l'an prochain et les parlements nationaux seront consultés, dans la perspective de la conférence interministérielle de juin 2016. En attendant, la ratification de cet accord du 26 mai 2014 est essentielle, pour assurer la pérennité des politiques européennes, notamment en faveur de l'agriculture, 34 %du budget, des territoires, 36 % du budget, mais aussi en faveur de la compétitivité -15 % du budget sont dévolus à la recherche et aux infrastructures, Lyon-Turin, Seine-Nord, par exemple. Nous avons besoin de ce budget, y compris pour les opérations extérieures.

Il convient de nous assurer des modalités financières en rapport avec le CFP. Tel est le sens de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)

M. François Marc, rapporteur de la commission des finances .  - Le projet de loi a pour objet l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne du 26 mai 2014, relative au système des ressources propres de l'Union européenne.

Cette nouvelle décision a vocation à se substituer à celle du 7 juin 2007 actuellement en vigueur. Elle sera applicable à partir du 1er janvier 2014.

Deux instruments juridiques permettent la mise en oeuvre de ce cadre financier pluriannuel : tout d'abord, un volet relatif aux dépenses, le règlement du Conseil du 2 décembre 2013 fixant notamment pour la période 2014-2020 les plafonds annuels de dépenses et leur composition par rubrique ; ensuite, un volet relatif aux recettes, régi par la DRP dont le présent projet de loi demande d'autoriser l'approbation.

Reposant sur un principe d'équilibre entre recettes et dépenses, le budget de l'Union européenne est encadré par les règles fixées par ces deux types de textes. La DRP organise le système de financement de l'Union européenne sans préjuger du niveau des dépenses ou de leur répartition. Il s'agit en somme d'une tuyauterie et non d'une autorisation de dépenses.

Cependant, pour chacune des années couvertes par le cadre financier pluriannuel, le total des crédits ouverts en dépense ne peut conduire à un taux d'appel des ressources propres supérieur à un plafond donné. Il est de 1,23 % du revenu national brut (RNB) des États membres en crédits de paiement (CP). Dans la limite de ces plafonds annuels globaux, le financement de l'Union européenne par ses ressources propres s'ajuste au niveau des dépenses votées chaque année. Le budget annuel moyen de l'Union est d'environ 150 milliards d'euros sur la période 2014-2020.

Le calcul des contributions nationales se fait en appliquant une correction à la contribution britannique. D'autres États fortement contributeurs, tels que l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Autriche, jouissent d'un rabais de 25 %sur le rabais : leur participation au financement du chèque britannique est écrêtée de 75 %. En outre, une réduction forfaitaire des contributions RNB profite aux Pays-Bas à hauteur de 605 millions d'euros par an et à la Suède, pour 150 millions d'euros.

Toutes ces corrections, qui sont autant de manques à gagner pour le budget européen, sont financées par la ressource RNB. La France est le deuxième pays contributeur au budget communautaire avec environ 17 % du total, derrière l'Allemagne. Elle est également contributeur net, au sens où notre contribution au budget communautaire est supérieure aux dépenses du budget européen sur notre sol. Ce solde net négatif s'élevait à 9,4 milliards d'euros en 2013 et ne cesse de se détériorer, il a été multiplié par près de vingt-quatre depuis 1999.

Cette DRP change peu de choses. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 constitue finalement une occasion de réforme ratée : les rabais n'ont pas été supprimés. Le Danemark bénéficiera d'un nouveau rabais forfaitaire sur sa contribution RNB ; les rabais forfaitaires sur la contribution RNB accordés à la Suède et aux Pays-Bas sont augmentés ; l'Autriche a obtenu un nouveau rabais temporaire dégressif pour sa ressource RNB ; enfin, le chèque déguisé en faveur des gros importateurs et en particulier des Pays-Bas, qui concerne les frais de perception au titre RPT et, notamment, des droits de douane, est maintenu, bien que réduit à 20 %. Car les frais réels sont de l'ordre de 2 % seulement.

La France devra donc contribuer davantage au financement des différents rabais. Sur la période 2014-2020, la contribution de la France au budget de l'Union européenne devrait s'élever à environ 153,3 milliards d'euros, soit 21,9 milliards d'euros en moyenne par an. L'évolution des contributions des États membres au budget de l'Union Européenne entre 2014 et 2020 résulte surtout de la croissance du budget communautaire, la nouvelle DRP affectant surtout les modalités de calcul des contributions. Il n'en reste pas moins que notre statut de contributeur net s'accentuera probablement encore. Monsieur le ministre, disposez-vous de simulations à ce sujet ?

La nouvelle DRP devant entrer en vigueur le 1er janvier 2016, cette même année, notre contribution augmentera de manière plus marquée en raison d'une application rétroactive des corrections et rabais sur les années 2014 et 2015.

Je vous propose d'adopter ce projet de loi, en dépit des défauts de la nouvelle DRP. La construction européenne passe par des compromis toujours imparfaits...

Je déplore que nous nous soyons éloignés des traités fondateurs qui prévoyaient d'abonder le budget européen par le biais de ressources propres. Le système de financement de l'Union européenne restera dénaturé par la multiplicité des rabais et corrections. La France et l'Italie seront d'ici 2020 les seuls contributeurs nets à ne pas bénéficier d'un rabais spécifique. Il faut poursuivre la réflexion sur la réforme du système des ressources propres. C'est la mission du GHN présidé par Mario Monti. Quelle est la position du Gouvernement ?

Le Conseil européen a évoqué comme ressource propre la taxe sur les transactions financières, que le président de la République a récemment indiqué souhaiter attribuer à la lutte contre le changement climatique. Qu'en est-il ?

M. Jean-Claude Requier .  - En 1999 la contribution nette de la France au budget européen était de 400 millions d'euros ; elle est aujourd'hui de près de 10 milliards, conséquence de l'élargissement de l'Union européenne avec des pays en rattrapage.

Le système des ressources propres de l'Union européenne reste un objectif plus qu'une réalité, puisque 75 % des recettes du budget européen proviennent de la ressource RNB, c'est-à-dire des contributions des États membres, celle de la France passera de 20,74 milliards d'euros en 2015 à 22,8 milliards en 2016, par l'effet de la présente décision. Les rabais - tel celui dont bénéficie le Royaume-Uni - se sont de plus multipliés. Cette évolution est préoccupante.

Pour y remédier, une taxe sur les transactions financières a été proposée par la France, mais sa concrétisation tarde à venir. Sera-t-elle affectée comme prévu à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Les droits de douane, première ressource européenne à l'origine, sont devenus marginaux. Il n'est pas question de prôner un retour au protectionnisme, mais d'examiner toutes les pistes, et de s'inspirer de l'exemple des États-Unis et de la Chine qui protègent leurs industries. Gambetta disait que la politique était l'art du possible ; ne nous privons d'aucune possibilité.

Une troisième piste, plus réaliste à court terme, passe par la réforme de la ressource TVA. Représentant 13% du budget total, elle pourrait y contribuer beaucoup plus si les États luttaient plus sérieusement contre la fraude. Celle-ci représente 150 milliards, soit le montant du budget annuel de l'Union européenne.

L'Union européenne doit aussi renforcer ses efforts pour mieux taxer les profits de l'économie numérique, e-commerce et consommation de biens culturels en ligne.

De telles décisions sont profondément politiques ; elles ne peuvent être prises sans l'accord des parlements nationaux.

Le groupe RDSE, historiquement pro-européen, votera ce projet de loi. (Applaudissements)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - À première vue, ce projet de loi semble une formalité : il s'agit d'entériner une décision déjà appliquée en Europe... Il pose pourtant de profondes questions sur l'architecture budgétaire de l'Union européenne, dont le caractère archaïque le fragilise. (Mme Fabienne Keller confirme)

Le budget de l'Union européenne ne représente que 150 milliards d'euros quand celui des États-Unis est de 1 100 milliards de dollars... Or, sans budget autonome, pas de politique budgétaire continentale, pas d'outil pour amortir les chocs... À quoi bon une direction du Trésor européenne dans ces conditions ? Agissons toutefois prudemment, sans oublier les excès d'endettement américains.

Les contraintes ont stimulé la créativité des décideurs européens, comme en témoigne le plan Juncker, qui devra servir à financer des investissements réellement stratégiques.

Les égoïsmes nationaux, pour l'heure, triomphent. Nous avons besoin d'un budget intégré car les défis auxquels nous faisons face - crise migratoire, terrorisme, réchauffement climatique - sont mondiaux. Le budget de l'Union européenne repose à 70 % sur la ressource RNB, où rabais et autres arrangements se sont multipliés. La France est la seule contributrice nette avec l'Italie. On pourrait s'en scandaliser, je me félicite que notre pays joue pleinement le jeu de la participation au budget européen.

Nous devons renforcer les ressources propres de l'Union. La taxe sur les transactions financières est une première piste, mais toutes les nations européennes n'y sont pas prêtes, le Royaume-Uni au premier chef, l'Allemagne elle-même n'y étant guère attachée. Au-delà du problème de l'assiette, il faudra régler celui de sa destination : lutte contre le sous-développement, le réchauffement climatique ? La création d'une telle ressource imposera de conduire une profonde réforme institutionnelle en renforçant le Parlement européen, auquel on confierait un vrai pouvoir d'autorisation de percevoir l'impôt.

Si nous voulons que l'Union européenne fasse le saut qualitatif dont elle a besoin, voilà à quoi il faut s'atteler. Le présent projet de loi s'accommode de ce qui existe déjà et ne l'aménage qu'à la marge. Ce n'est pas à la hauteur des besoins mais nous ne pouvons faire autrement que l'accepter. (Applaudissements)

M. Jean Bizet .  - Ce débat est récurrent ; les difficultés sont connues, mais chaque ajustement n'est que marginal. Le Conseil européen de février 2013 a même aggravé les défauts du système actuel.

Le débat est d'ailleurs tronqué ; les dépenses sont votées annuellement - certes sur la base d'un cadre pluriannuel - mais les ressources propres sont définies lors de l'élaboration de ce cadre, la dernière décision ressources propres datant de 2007.

Comment ensuite passer sous silence la modestie du budget européen : quelque 1 000 milliards sur 7 ans, soit guère plus de 150 milliards par an, soit 1 % du PIB européen. Le décalage entre les ambitions affichées et les moyens explique en partie le discrédit actuel de la construction européenne. Le budget américain, d'autres l'ont souligné, est autrement plus substantiel.

La ressource TVA n'a cessé de décliner ; la ressource RNB, elle, n'a cessé d'augmenter, et représente désormais 75 % du budget. Voilà qui est parfaitement contraire à l'esprit et à la lettre des traités, qui prévoient le financement des politiques européennes par des ressources autonomes. Résultat : les discussions budgétaires se résument à des négociations de boutiquiers, des demandes de rabais... La notion de solde net conduit chaque État membre à scruter le budget ligne à ligne pour estimer son bénéfice particulier...

La France, opposée par principe au rabais, n'a jamais souhaité en demander ; elle est aujourd'hui le principal financeur du chèque britannique... Deuxième contributrice au budget de l'Union européenne, elle affiche un solde net en constante dégradation. En outre, nous avons lieu d'être inquiets de la position britannique sur la PAC, dont nous bénéficions encore...

Nous voterons néanmoins ce texte, issu d'un compromis. Le dossier de la réforme du budget européen n'est pas clos. Un groupe de travail présidé par M. Monti est chargé de réexaminer le système des ressources propres ; son second rapport est très attendu.

La commission des affaires européennes sera attentive à la levée des incertitudes, sur la taxe sur les transactions financières notamment : financera-t-elle la lutte contre le réchauffement climatique comme l'a annoncé le président de la République ?

Nous voterons également ce texte, pour imparfait qu'il soit. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - Pour un européen convaincu comme moi, cette discussion est priori une aubaine, tant la question des ressources propres est primordiale. C'est en effet du budget européen - et du contrôle démocratique sur les décisions européennes - que dépend la relance économique et politique de l'Union.

Les premières propositions de la commission européenne étaient audacieuses... Or les résultats sont bien maigres. J'ose même le mot de supercherie : la part des ressources propres n'en est pas sortie renforcée.

Des études d'impact, pays par pays, sur les effets de l'architecture budgétaire européenne seraient bienvenues ; leur publication est sans cesse repoussée...

Les ressources RNB sont complexifiées par les mécanismes de rabais qui alourdissent la charge de ceux qui n'en bénéficient pas... Le thème de la réforme du budget est ancien : notre ancien collègue Bernard-Reymond l'abordait dans son remarquable rapport de 2012. Rien n'a changé depuis les années 1990.

Les raisons en sont connues : la règle de l'unanimité, qui exigerait de surmonter les égoïsmes nationaux, et une procédure budgétaire déséquilibrée, qui ne laisse aux parlements européen et nationaux que le choix d'avaliser ou de rejeter le projet qui leur est soumis.

Une note positive toutefois : en 2014, un groupe d'experts a été créé, sous la présidence de M. Monti. Il s'est montré dès le départ très critique à l'égard des égoïsmes nationaux ; espérons que ses travaux iront à leur terme. Dans son évaluation préliminaire de février dernier, ce groupe a été loin d'être tendre, pointant d'un doigt très critique la dépendance actuelle du budget de l'Union aux intérêts de ses États membres. Je regrette cependant qu'il se borne à proposer des adaptations plutôt qu'une réforme globale, même si je sais que l'unanimité oblige fatalement à restreindre toute volonté réformatrice, et à se satisfaire d'un compromis. J'espère néanmoins que ses travaux se poursuivront sans tabou.

Il faut doter sans délai l'Union d'un budget conséquent, et à même de créer des effets distributifs au sein de l'Union européenne. Ce budget doit être majoritairement basé sur des ressources vraiment propres. Les réponses se trouvent certainement dans une taxe ambitieuse sur les transactions financières, une convergence fiscale de l'impôt des sociétés ou encore une taxe carbone. L'on parle parfois de budget de la zone euro : pourquoi pas, mais il faudra éviter les avanies et les avatars du budget global.

Le groupe écologistes s'abstiendra.

M. Éric Bocquet .  - Ce débat porte sur des masses financières réduites ; l'exercice n'en est pas moins difficile, compte tenu de l'importance des rabais. Avec 5 milliards d'euros rétrocédés aux États membres, les rabais sont une entorse à la solidarité européenne.

La lutte contre la fraude fiscale, qui coûte 28 milliards d'euros à l'Union européenne, éloignerait les débats sur la juste contribution. La TVA intracommunautaire gravement préjudiciables à la stabilité de l'Union. Mais les débats sont plus globaux : la PAC ne suscite guère l'enthousiasme des agriculteurs ; les politiques de l'emploi et de la cohésion incitent à la flexibilisation du droit du travail et à la précarisation des travailleurs. Certains voudraient un code de travail de 150 pages. Mais si le nôtre est touffu, ce n'est pas à cause des garanties offertes aux salariés, mais du taillis des formes atypiques du contrat de travail, souvent assorties d'allègements de charges sociales.

La persistance de la question grecque a fait prendre aux négociations budgétaires un tour nouveau. La question de la dette publique ne pourra être éludée. On se borne pour l'heure à se repasser la patate chaude, alors que solidarité et coopération devraient primer.

Le présent projet de loi est une compilation de décisions hybrides à courte vue, loin du projet européen d'origine - dernier vrai projet politique du siècle passé. Où en est-on de la taxe sur les transactions financières ?

Notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs écologistes ainsi que du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Richard Yung .  - La décision que nous devons prendre ici est assez bordée... Curieux débat d'ailleurs, qui porte sur un texte non encore entré en vigueur, mais qui s'appliquera rétroactivement, et qui déconnecte les recettes des dépenses... Que se passerait-il si nous ne votions pas nos propres recettes ? Une crise ? Elle serait peut-être salutaire... La question restera en suspens.

Le budget européen est faible : 1 % du PIB de l'Union alors que dans un grand État fédéral, le budget approche plutôt les 20 %. Il est de plus rigide : 40 % vont à l'agriculture, 35 % à la cohésion régionale, soit 75 %, que l'on ne peut redéployer là où nous en aurions davantage besoin - numérique, infrastructures, développement durable - alors que l'on va de crise agricole en crise agricole.

Le budget n'est guère efficace, en somme. Ce n'est pas la faute de la commission. Une forte majorité des États membres refusent un budget européen significatif, par peur de perdre en souveraineté, par crainte de devoir harmoniser budgets nationaux et budget européen, par absence de vision sur ce que doit être l'Europe, surtout.

Pourquoi un budget européen ? Pour stimuler la conjoncture économique d'abord, et résorber les déséquilibres entre États membres.

Une seule politique monétaire est menée à l'échelle de la zone euro, malgré les différences entre pays. Puisque les États ne peuvent plus actionner le levier budgétaire, il doit l'être au niveau communautaire - à l'échelle de l'Union, de la zone euro ou d'un ensemble plus restreint de pays décidés à aller de l'avant. Pour créer une Europe des transferts, une impulsion publique est indispensable, car le marché unique des capitaux n'a pas conduit à ce que l'épargne allemande s'investisse dans les pays du Sud - l'autorité allemande de régulation bancaire s'y oppose.

Le Mécanisme européen de stabilité (MES) pourrait être l'instrument approprié, qui peut mobiliser jusqu'à 700 milliards d'euros. Outil de solidarité, il se ferait aussi outil de politique industrielle, complémentaire du plan Juncker.

Tous les obstacles ne sont pas levés : articulation avec les budgets nationaux, montant idéal - 700 milliards ne suffiront pas - gouvernance. Sur ce dernier point, différentes propositions circulent ; la création d'un commissaire européen a été proposée. Quel contrôle démocratique ? Par le Parlement européen seul, ou par une chambre mixte réunissant Parlement européen et parlements nationaux ? Quels liens avec les pays non membres de la zone euro ? Je ne parle pas seulement du Royaume-Uni, qui finance son rabais avec notre argent. Si nous ne lançons pas les modifications de statut du MES par un nouveau traité, nous n'avancerons pas.

Je reviens au présent texte. Sur les rabais, tout a été dit. Dépassons l'amertume ; la France s'honore à refuser le logique de la ristourne mais il faudra un jour tout remettre à plat, d'autant que certains pays bénéficiaires de rabais pratiquent un dumping fiscal à notre détriment. L'Union européenne n'est pas un supermarché dans les rayons duquel chacun prendrait ce qui l'intéresse.

Si quelqu'un peut faire avancer la réflexion, c'est bien Mario Monti. Les ressources propres sont improprement appelées telles : seules les ressources douanières en sont réellement, le reste n'est que restitution. Si l'on parvient à harmoniser les assiettes d'impôt sur les sociétés, une part de son produit pourrait constituer une ressource propre nouvelle. Une vieille idée passée à l'arrière-plan : la mutualisation des indemnités sociales. La taxe sur les transactions financières est une autre piste. Le système bancaire, français et européen, y semble hostile. La question n'est pas simple.

Cela dit, nous voterons le projet de loi avec enthousiasme ! (Sourires et applaudissements)

Mme Fabienne Keller .  - La décision du Conseil européen date d'il y a plus d'un an. Le 26 mai 2014... L'architecture budgétaire a été rappelée : le budget de l'Union européenne n'est pas alimenté par des impôts européens, mais par des « ressources propres » mises à disposition par les États membres : les droits de douane, qui représentent 12 % du budget de l'Union, la « ressource TVA », avec un taux d'appel de 0,3 %, qui représente 13 % du budget européen, et la ressource « RNB » qui constitue les trois quarts du budget. Cette contribution de chaque État membre est calculée en fonction de sa part dans le Revenu national brut européen avec d'éventuelles corrections. Des mécanismes compensatoires existent aussi, pour un certain nombre d'États membres, en matière de TVA avec un taux d'appel réduit pour l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède. Les Britanniques ont obtenu un rabais dès leur adhésion ou presque. La contribution de la France, qui ne bénéficie d'aucun rabais, va augmenter de 10 %, de 20,7 milliards d'euros pour 2015 à 22,8. Le Danemark a obtenu un rabais supplémentaire en échange du passage de son taux réduit de TVA de 0,1 à 0,15 %... Heureusement que nos concitoyens ne sont pas trop informés de ces tractations qui seraient plutôt de nature à les inquiéter !

La France a toujours refusé la logique du rabais ; elle finance à présent le chèque britannique...

Ce système est bien sûr imparfait ; il pèse sur les ressources propres et affaiblit l'esprit communautaire. Les rabais ne tiennent aucun compte de l'impact de certaines politiques sur les États membres. Ils sont contraires, M. Bizet a raison, à la lettre et à l'esprit des traités.

Je crois beaucoup à la taxe sur les transactions financières, mais la coopération renforcée sur le sujet ne regroupe que onze États. Nous attendons une décision de la Commission européenne. L'attribution de son produit reste incertaine : retour aux États, aide au développement, contribution climatique ?

Marquons une exigence pour que de vraies ressources soient trouvées au budget européen, et que les égoïsmes nationaux soient mis de côté.

Nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Merci de vos interventions. Il est probable, monsieur Marc, que la contribution de la France augmente, en raison d'abord de l'augmentation des dépenses budgétaires de l'Union européenne - élargissement, PAC, politiques de cohésion, renforcement des politiques de compétitivité. Ensuite, parce que la part du RNB français dans le RNB européen a légèrement augmenté. La France est la deuxième économie européenne, le deuxième pays contributeur net au budget de l'Union.

Le système de rabais n'est pas satisfaisant, il s'est stratifié, opacifié ; il est contraire à l'esprit communautaire. Les droits de douane constituaient une véritable ressource propre. Ils ont diminué, stimulant la croissance, ce qui est en soi une bonne chose ; mais il a fallu trouver d'autres ressources.

Après l'accord sur les dépenses est venu celui sur les recettes. Il faut donc revoir le régime juridique propre aux recettes, qui date du précédent cadre financier 2007-2013. On ne peut laisser les choses en suspens, ce qui n'interdit pas de réfléchir à une réforme du système de ressources propres.

Notre contribution sera de l'ordre de 22 milliards, mais les contributions nationales peuvent être revues en cours d'année - on l'a vu l'an dernier pour la Grande Bretagne, qui a eu la mauvaise surprise de constater qu'elle devait payer 1 milliard de plus que prévu.

Quant à la TTF, le président de la République souhaite que son produit soit principalement affecté à la lutte contre le réchauffement climatique, notamment dans les pays du Sud. Ceux-ci acceptent de réduire leur consommation d'énergies fossiles, à condition qu'on les aide à développer d'autres sources d'énergie. Ce qui suppose transferts de technologies et financements.

Une autre partie de la taxe va au financement du budget de l'Union. Elle fait l'objet pour l'instant d'une coopération renforcée à onze États membres. L'objectif est de l'étendre au minimum à tous les États de la zone euro et même d'en faire une nouvelle ressource propre pour le budget à 28.

S'agissant de la TVA, la commission européenne propose une contribution de 1 % calculée sur la réalité des recettes, soit une assiette plus large qu'aujourd'hui.

À cela s'ajoute une part de la fiscalité écologique, à commencer par le marché du carbone. Nous pourrions ainsi recourir à un bouquet de recettes.

Bien sûr, le budget européen devrait, à l'avenir, être beaucoup plus conséquent. Faut-il cependant le comparer avec le budget d'un pays fédéral comme les États-Unis, qui comprend une grande partie des dépenses d'éducation, de défense ou de protection sociale ? Évidemment non. Cela dit, pour conduire les politiques communes, il faudrait effectivement plus de moyens - pour répondre à la crise des migrants, par exemple. Le Conseil européen a d'ailleurs demandé à la commission d'y affecter 1,7 milliard d'euros. Un euro dépensé pour la stabilisation de la Jordanie ou de la Libye est plus utile que dix euros affectés au financement des hotspots en Grèce ou en Sicile, même s'il faut jouer sur tous les tableaux.

Merci à tous ceux qui soutiennent ce projet de loi. Il faudra aller vers un système plus transparent, plus efficace et où la part des ressources propres soit revue à la hausse. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 h 45, reprend à 16 h 50.