Modernisation du système de santé (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de modernisation de notre système de santé.

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE 46 TER (Supprimé) (Suite)

M. Alain Milon, président de la commission.  - Quand nous avons examiné la loi de bioéthique, j'ai proposé un délai de révision de cinq ans que Mme Hermange a allongé à sept ans - le ministre Xavier Bertrand, lui, était défavorable à un tel renouvellement. Cette proposition est passée avec l'appui des parlementaires de gauche. Nous devons bientôt réviser la loi de bioéthique, raison de plus pour ne pas maintenir ici cet article 46 ter.

M. Jean-Noël Cardoux.  - Nous touchons à l'intime. Le don d'organes doit être un geste de solidarité, non une obligation. Bien sûr, des patients attendent des organes. Néanmoins, imaginez le choc pour les familles des donneurs si le don est obligatoire en l'absence d'expression contraire. Or, madame la ministre, vous dites que les familles seront sollicitées, or dans votre texte, elles sont simplement informées.

Je crois davantage à une démarche d'information et de persuasion. Pourquoi ne pas inscrire la volonté de chacun quant au don d'organes sur la carte Vitale comme ses volontés sur la fin de vie ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - L'actuel article 1232-1 est plus protecteur : les médecins doivent s'efforcer de recueillir l'avis des proches. Dans votre rédaction, ils se contentent de les informer. Par conséquent, même si la pluralité d'expression me semble une bonne chose, je voterai contre cet amendement.

M. Gilbert Barbier.  - À lire le texte, on ne tient pas compte de l'avis de la famille ; on se borne à l'informer avant le prélèvement. Pourquoi ne pas demander au médecin de recueillir le consentement des proches ? M. Milon a raison : mieux vaut renvoyer ce point à la loi de bioéthique. D'autant que je vous sens attachée, madame la ministre, à l'avis des familles.

Mme Catherine Génisson.  - Passionnant débat parce qu'éthique.

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur.  - Justement ! Attendons la loi de bioéthique.

Mme Catherine Génisson.  - Je n'entends pas de divergence entre la rapporteure et la ministre. L'amendement ouvre le débat, il ne fige rien, et si sa rédaction est un peu sèche, il diffère de la proposition très incisive du professeur Touraine, préoccupé sans doute par le manque de greffons...

Les disparités que nous observons sur notre territoire s'expliquent par la variation dans la formation des personnels et l'accueil parfois maladroit des familles dans les services d'urgence. Les familles sont sous le choc de la nouvelle du décès, on leur demande de se prononcer sur le prélèvement d'organes. Travaillons à mieux les entourer, dans une ambiance plus sereine.

Mme Laurence Cohen.  - Ma réflexion a évolué depuis ce matin : l'amendement du Gouvernement me paraissait brutal et maladroit, mais la ministre nous a donné des garanties sur le respect de l'avis des familles, ce qui n'exclut nullement de mieux former le personnel de santé. Mon groupe votera l'amendement.

M. René Danesi.  - Cet amendement autorise les médecins à prélever des organes sur des personnes en état de mort cérébrale à moins qu'elles n'aient signé le registre du refus du don d'organes. Et cette lecture s'appuie sur le texte de l'amendement, mot après mot, virgule après virgule. On ne règlera pas le problème en nationalisant le corps des défunts. On ne doit pas forcer la main des familles mais leur prendre la main pour les convaincre. Je voterai contre.

M. Michel Forissier.  - Moi également car il va contre mes convictions les plus profondes. Il manque de précision, pour vous retourner un reproche que vous faites souvent aux amendements des sénateurs. Comment renvoyer à un hypothétique décret ?

M. Jean-Marc Gabouty.  - Faut-il se référer à la famille ? Cela créera des conflits de génération. Je vous renvoie à une affaire bien connue de fin de vie où une famille se déchire devant les tribunaux.

À mon sens, il faut obliger nos concitoyens à se prononcer sur leur accord ou leur désaccord au don d'organes et faire figurer la réponse sur la carte Vitale. À titre personnel, je voterai l'amendement du Gouvernement.

M. André Reichardt, rapporteur pour avis.  - Pour la commission des lois, cet amendement revient symboliquement sur la capacité des familles à s'opposer au prélèvement : le malade sera présumé acceptant le don et l'avis de sa famille minoré.

Le renvoi à un décret sur un point majeur est le signe d'une réforme inaboutie, sans compter que nous courons un risque d'incompétence négative. Un travail de fond est nécessaire, et la commission des lois a émis un avis fortement défavorable.

M. Dominique de Legge.  - Un don peut-il être présumé ? Je m'interroge. On sera sommé de se prononcer sur le don d'organes - comme sur la fin de vie avec les directives anticipées. Tout cela est bien compliqué. Enfin, le texte est clair : les familles seront simplement informées.

Mme Catherine Deroche, co-rapporteur.  - Pour ma part, je crois que la volonté du défunt doit primer, y compris contre celle de sa famille. Néanmoins, je ne voterai pas cet amendement qui me paraît prématuré. Les réactions quelque peu irrationnelles à l'amendement Touraine, dont personne ne conteste l'excellence et l'implication dans l'Agence de biomédecine, le montrent.

Nos concitoyens ignorent visiblement ce qu'était le consentement présumé : après les débats au Palais Bourbon, le nombre d'inscription sur le registre des refus a augmenté. Attendons la loi bioéthique. D'ici là, sensibilisons les Français à cette question.

M. Alain Vasselle.  - Je partage les points de vue de MM. Barbier, Cardoux et de Legge. Soit Mme la ministre campe sur sa position, quitte à cristalliser des positions radicales, soit elle retire son amendement, soit, enfin, elle modifie sa rédaction pour s'assurer, comme M. Barbier l'y a invitée, du consentement de la famille.

En l'état, je voterai contre cet amendement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Ce débat me laisse perplexe. Croyez-vous que les Français savent que le prélèvement est automatique en l'absence de refus ? Je ne le crois pas. Pensez-vous que votre rédaction concernant la consultation des familles est bonne ? Non.

Vous souhaitez renforcer la concertation. Il serait prudent d'attendre la loi de bioéthique. Je ne voterai pas l'amendement...

M. Yves Daudigny.  - Je le voterai car il maintient le consentement présumé et la place des familles et tend à une diversification de l'expression de leur volonté par les vivants. Il y a urgence : 20 000 personnes sont en attente d'une greffe. En votant cet amendement, nous ouvrirons une période de débat d'un an. Ce sera l'occasion de sensibiliser nos concitoyens et de répondre aux inquiétudes exprimées.

M. Daniel Chasseing.  - Nombre de personnes attendent un don d'organes et je comprends la volonté du Gouvernement.

Je suivrai toutefois l'avis de la commission des affaires sociales. M. Gabouty a raison : il faut inciter nos concitoyens à indiquer leur volonté, accord ou refus. En attendant, la rédaction proposée par M. Barbier me paraît bonne : le médecin « informent les proches qui donnent leur consentement ».

Mme Annie David.  - Ne découpons pas l'amendement. Nos collègues sénateurs médecins sont les premiers à nous rappeler que les médecins ne sauraient aller contre la volonté de leur patient. Pourquoi en irait-il autrement ici ? Comment nous fera-t-on croire qu'ils iront contre la volonté des proches en prélevant des organes ? De plus, l'amendement indique que le prélèvement « peut » être pratiqué, il n'est pas automatique.

Quant à l'inscription de sa décision sur le registre, elle est révocable. Aucune obligation n'est inscrite dans le texte de l'amendement. Les familles endeuillées vivent des moments terribles. Mais des malades sont sauvés par un don d'organe... Encourageons le don. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Milon, président de la commission.  - Nous avons eu ce débat lors de la loi de bioéthique. Les dispositions de cet amendement y figurent déjà ! Le prélèvement est déjà possible après recherche du consentement des familles.

Le problème n'est pas là. Il faut avant tout sensibiliser et informer les Français. Avec la même loi, l'ouest affiche un fort taux de prélèvement alors qu'il est très bas à Paris et à Marseille. Nous réviserons la loi de bioéthique l'an prochain. Cela nous laisse un an pour débattre, monsieur Daudigny.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Parce que beaucoup de choses se régleront en 2017 !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Pourquoi attendre 2017 ? Combien de malades espèrent une greffe ? Certains d'entre vous s'émeuvent et se demandent comment on peut présumer le consentement : mais il est écrit dans la loi depuis quarante ans... La question concerne plutôt la manière de l'appliquer. Vous m'accusez de revenir sur l'autorisation à rechercher auprès des familles : mais elle n'existe pas dans notre droit ! En pratique, la famille ne peut être contournée, ce n'est pas la loi qui l'exige, mais la vie. Comment passer outre l'avis d'une femme venant de perdre son mari, de parents dont l'adolescent vient de mourir dans un accident ? La matière est complexe. L'objectif, ne le perdez pas de vue, est de sauver des vies. Il faut le faire de façon intelligente et attentive. (Applaudissements à gauche)

À la demande de la commission des affaires sociales, l'amendement n°1258 est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°1 :

Nombre de votants34 2
Nombre de suffrages exprimés32 6
Pour l'adoption13 8
Contre 188

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 46 ter demeure supprimé.

Mme la présidente.  - Nous avons examiné 127 amendements, il en reste 97.

La séance est suspendue à minuit cinquante-cinq, pour reprendre aujourd'hui, jeudi 1er octobre 2015, à 10 h 30.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques