Accord France-Russie (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l'accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Cet accord important clôt définitivement le dossier de la vente de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, signé en 2011 alors que trois ans auparavant, ce pays avait agressé un État voisin : c'était un pari risqué. Depuis, l'annexion illégale de la Crimée et la guerre civile au Donbass ont rendu l'exécution du contrat impossible.

La France et la Russie ayant fait conjointement le constat que les deux BPC ne pouvaient être livrés, un accord amiable a été trouvé le 5 août 2015.

Le Gouvernement a pris cette décision en toute indépendance et en pleine responsabilité. Quelle eût été notre légitimité au sein du format Normandie si nous avions cédé ces bâtiments ? La crédibilité de notre appel à la construction d'une défense européenne auprès de nos alliés européens ? La France n'a pas violé ses engagements, puisque le contrat conclu en 2011 a été remplacé par un nouvel accord. Un arbitrage aurait été long, coûteux et hasardeux ; et pendant la procédure, il aurait fallu garder et entretenir les navires sans possibilité de les vendre.

Non que nous refusions de considérer la Russie comme un partenaire. Ainsi, c'est en bonne intelligence avec la Russie que nous avons traité le dossier du nucléaire iranien. Nous parlons avec ce pays - malgré nos nombreux désaccords - pour aborder les crises syrienne et ukrainienne.

Quatre textes ont été signés. Un accord intergouvernemental d'abord, qui met fin au contrat de 2011, accorde la pleine propriété des deux Mistral à la France et exclut tout recours ultérieur ; ne relevant pas de l'article 53 de la Constitution, l'autorisation du Parlement n'est pas requise mais il vous a été transmis. Un accord sous forme d'échange de lettres ensuite, qui fixe le montant du remboursement et exclut toute indemnisation pour tout préjudice à l'égard des tiers - il justifie, lui, votre autorisation. Puis, un avenant au contrat entre DCNS et Rosoboronexport. Enfin, une convention entre l'État et DCNS.

Cet accord répond à nos objectifs tant politiques que financiers - aucune indemnité ne sera versée. Ayant récupéré la propriété des bateaux, nous avons pu négocier leur revente à l'Égypte pour 950 millions. Contrairement à ce qu'on prédisait, notre réputation commerciale n'a pas été entachée. Le Gouvernement a géré au mieux une situation mal engagée de sorte que soient préservés les intérêts diplomatiques, industriels et financiers du pays.

Je vous invite donc à approuver cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Ce débat peut paraître tardif alors que tout est déjà réglé avec la Russie et les Mistral presque revendus... Quelques interrogations cependant.

En 2011, le contexte était favorable : nos relations avec la Russie se développaient et ce pays était considéré comme un partenaire fiable. Le contrat portait sur la livraison de deux Mistral, le Vladivostok le 1er novembre 2014 et le Sebastopol un an plus tard, pour 1,2 milliard d'euros. La crise ukrainienne, l'annexion de la Crimée et l'implication de la Russie dans l'Est de l'Ukraine ont conduit les occidentaux à prendre des sanctions contre la Russie, dont un embargo sur les armes, mais celui-ci n'était pas rétroactif. La décision d'annuler la vente des Mistral, prise en septembre 2014 par le président de la République, était donc politique. Les partenaires de la France avaient d'ailleurs fait part de leurs inquiétudes.

On pouvait craindre un contentieux long et coûteux. Finalement, deux accords intergouvernementaux ont été trouvés avec la Russie, entrés en vigueur et financièrement exécutés dès leur signature le 5 août dernier. Nous n'avons donc guère voix au chapitre...

La commission des affaires étrangères prend acte de la solution trouvée. La Russie récupère les sommes dépensées, soit 949,7 millions, dont 892,9 au titre des avances et 56,8 au titre du remboursement des dépenses de formation des équipages ; elle récupère aussi les équipements installés par elle. La France n'a remboursé à la Russie que les dépenses directement liées à la construction des BPC, à l'exclusion de toute indemnisation, pénalité ou coût indirect. Elle a obtenu le droit de réexporter les navires, à condition d'en informer par écrit la Russie : c'était crucial. L'accord assure enfin la protection des savoir-faire et technologies transférées.

Quel sera le coût de cette affaire pour l'État et les industriels ?

M. Christian Cambon.  - Ah !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Et les contribuables !

M. Robert del Picchia, rapporteur.  - DCNS sera indemnisée par la Coface, à l'exclusion de sa marge ; elle pourrait subir un manque à gagner préjudiciable à ses investissements. Les sous-traitants, eux, sont assurés.

Pour les finances publiques, les 56,8 millions d'euros, imputés sur le programme 146 de la mission Défense, déjà soumis à de fortes tensions de trésorerie, correspondent au remboursement des frais de formation des marins russes. Je le dis fermement, ce programme devra être abondé d'autant d'ici fin 2015.

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Robert del Picchia, rapporteur.  - À cela s'ajoute 500 millions de moindres recettes pour la Coface : le coût de l'opération pour le budget de l'État se monte donc à 557 millions.

Nous attendons des précisions sur la revente des bâtiments, quasi prête, et chiffrée à 950 millions d'euros.

Malgré ses réserves sur le montage financier, la commission des affaires étrangères a adopté ce projet de loi, qui nous sort d'un pas difficile en matière industrielle et diplomatique. Pour ma part, je m'abstiendrai. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - Je rends hommage au président, au rapporteur et aux autres membres de la commission des affaires étrangères pour leur travail remarquable.

La commission des finances s'est saisie des aspects financiers de l'opération. On a dit que l'accord serait neutre financièrement... Nos chiffres sont les mêmes que ceux de la commission des affaires étrangères : 949,7 millions d'euros versés à la Russie, dont 56,7 millions au titre d'indemnités pour les frais engagés par elle, supportés par le budget de l'État. La recette de 500 millions de la part de la Coface ne verra pas le jour. Au total, un manque à gagner de 500 millions et un besoin financier de 56,7 millions.

Le SGDSN estime le coût pour l'État à 1,1 milliard d'euros, chiffre appelé à être affiné. On escompte 850 à 900 millions d'euros de la revente des Mistral, la perte sèche devrait donc avoisiner 250 millions d'euros. Les chiffres sont têtus...

La marge de la DCNS, dit-on, n'a pas besoin d'être compensée. C'est oublier que l'État en est actionnaire aux deux tiers...

J'appelle à une opération vérité. J'ai été étonné, pour ne pas dire choqué, de la réponse dilatoire de M. Eckert à ma requête... (On s'en indigne à droite)

La procédure est-elle sécurisée ? Comment, au regard de la loi organique relative aux lois de finance, peut-on indemniser la Russie par un prélèvement sur le programme 146, d'autant que les BPC sont la propriété de DCNS... Il ne faudrait pas que ces 56,7 millions soient soustraits à la somme qui doit venir compenser la non-réalisation des recettes exceptionnelles... Nous devrons être vigilants.

Il y a plus étonnant encore... Aux termes de l'article 53 de notre Constitution, les traités soumis à ratification parlementaire ne prennent effet qu'après celle-ci. Le paiement à la Russie était donc dénué de base juridique.

M. Bruno Retailleau.  - C'est embêtant !

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis.  - Et je m'étonne qu'un comptable public ait choisi de régler 1,1 milliard d'euros sur un fondement aussi douteux... Qu'aurait dit le Conseil constitutionnel s'il avait été saisi au préalable ? S'il l'était a posteriori ? À quoi sert le Parlement si son vote est sans effet ?

L'accord de revente à l'Égypte tombe à point nommé, mais il ne saurait occulter les questions que soulève cet accord, sur les plans budgétaire, juridique et politique. La commission des finances s'en remet à la sagesse du Sénat, et je m'abstiendrai. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Joël Guerriau .  - Cette affaire a envenimé nos relations avec la Russie pendant des mois. Cet accord est un soulagement : c'était le meilleur que l'on pût trouver.

Néanmoins, le paiement immédiat de l'indemnité prive le Parlement de son pouvoir de décision, alors même que des inquiétudes subsistent. Certes, l'équilibre financier de DCNS est préservé. La limitation des transferts de technologie, en revanche, est un voeu pieux, nous avons formé des centaines de marins russes pendant des mois et nous allons indemniser ceux qui peuvent à présent reproduire notre savoir-faire ! Il est clair que le projet de loi sous-évalue les conséquences locales à moyen terme de cet épisode...

Sur le plan financier, le coût de l'opération reposera essentiellement sur l'État, avec un prélèvement sur le programme 146 et une réallocation des crédits au sein d'une mission dont l'architecture a déjà été mise à mal.

La revente des Mistral à l'Égypte est une bonne nouvelle, mais elle ne doit pas se faire au rabais. Et des interrogations subsistent sur la marge de DCNS ou la prise en charge des coûts de réaffectation de bâtiments conçus pour naviguer en eau froide... Le Canada, l'Inde semblaient aussi intéressés. Ne donnons pas le sentiment que la France est un revendeur de deuxième main. Alors que nos Rafale commencent à connaître le succès, il ne faut pas que la marque France dans le monde de la défense se dégrade.

Si les agissements de la Russie doivent être condamnés, elle reste un interlocuteur - on notera que je n'ai pas dit partenaire - incontournable. Des réflexes de guerre froide ont ressurgi à la faveur de la crise ukrainienne. Heureusement, le dialogue a été renoué dans le format Normandie. Cet accord inaugure peut-être une nouvelle ère dans nos relations avec la Russie. La France doit être ferme, cohérente et constructive. Les sanctions sont souvent contre-productives : voyez Cuba ou l'Iran. Ne renonçons pas à faire évoluer la position de la Russie en discutant avec elle.

J'espère que vous répondrez à nos interrogations, monsieur le ministre. Dans l'immédiat, la plupart des membres du groupe UDI-UC s'abstiendront.

Je salue, pour finir, le travail, le savoir-faire et le dévouement des entreprises et artisans qui travaillent dans nos chantiers navals. Je sais ne pas être le seul ici. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Reiner .  - L'affaire de la vente des Mistral n'était simple ni pour le président de la République, ni pour le ministre des affaires étrangères, ni pour son homologue de la défense. Avec cet accord amiable, ils en sont sortis par le haut, en cohérence avec la politique étrangère de la France. Cet accord poursuit d'abord un objectif politique : solder ce qui aurait pu être un grave contentieux avec la Russie. Il s'agit aussi de limiter l'impact financier pour nos industriels, enfin de conserver la faculté de revendre les navires. Ces objectifs ont été atteints dans un délai raisonnable.

Le 5 août, la France a versé 949,7 millions à la Russie, dont 56,7 au titre de la formation des marins russes et du développement de matériels spécifiques, à l'exclusion de toute indemnité ou pénalité. Notre crédit commercial n'a nullement été atteint, comme en témoigne l'intérêt manifesté par plusieurs pays à l'égard de ces navires. Les carnets de commandes de nos industriels ont triplé depuis la suspension du contrat : voyez Airbus, qui a finalement signé un contrat avec la Pologne.

Le bilan financier de l'opération sera dressé plus tard, mais je veux déjà saluer la célérité et l'efficacité du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale Louis Gautier et de son équipe.

M. Jean-Jacques Filleul.  - Très bien !

M. Daniel Reiner.  - Dès 2011, peu après la guerre en Géorgie, une partie de notre état-major n'était guère favorable à la vente de Mistral à la Russie. La Pologne avait fait part de son étonnement et de son mécontentement. Après l'annexion de la Crimée et l'intervention russe au Donbass, il n'était plus possible de faire comme si de rien n'était. Que se serait-il passé si un des BPC avait croisé alors en mer Noire ? De plus, la France a participé activement à la mise en place de l'embargo sur les armes imposé à la Russie, conformément au point 4 de l'article 2 de la position commune européenne interdisant la vente d'armes à des pays menaçant la paix, et même si celui-ci n'était pas rétroactif.

La vente d'armes n'est pas un commerce comme les autres. Elle doit rester soumise aux objectifs de notre politique extérieure. Peut-être est-ce l'occasion de renforcer le contrôle du Parlement en la matière.

Si nous n'oublions pas que cette affaire résulte avant tout de la violation, par la Russie, des traités qui assurent la stabilité des frontières en Europe, ce pays reste un interlocuteur nécessaire pour la résolution des crises, avec lequel il faut continuer de dialoguer avec fermeté.

Le groupe socialiste et républicain votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Vincent Placé .  - L'exportation d'armes n'est jamais un sujet facile. L'arbitrage à faire entre les intérêts industriels, géopolitiques, éthiques conduit souvent à des contradictions...

Dès l'origine, l'accord de vente des Mistral était contestable. Il aurait mieux valu, ajouterais-je à l'adresse de la précédente majorité, ne jamais le signer !

Avoir vidé ce contentieux permettra à la France d'avoir un dialogue plus constructif avec la Russie, partenaire essentiel dans le règlement de la crise syrienne, et de peser dans la crise ukrainienne. Cet accord ménage aussi nos intérêts industriels et financiers.

Des incertitudes subsistent. Si le montant du contrat conclu avec l'Égypte n'a pas été rendu public, la moins-value paraît certaine. Quid, également, du démontage des équipements russes ? Nous attendons de la transparence.

C'est seulement parce que cet accord a des conséquences financières qu'il nous est soumis. Un seul des deux textes signés nous est présenté ; l'accord de 2011, lui, ne nous a jamais été communiqué, pas plus que celui qui vient d'être signé avec l'Égypte. Les principes démocratiques imposeraient pourtant un contrôle parlementaire sur les ventes d'armes, par exemple via une délégation parlementaire dédiée, comme il en existe dans de nombreuses démocraties, et comme le groupe écologiste de l'Assemblée nationale l'avait proposé dans le cadre de la loi de programmation militaire 2014-2019. Les carnets de commandes sont bien garnis, et nos clients sont rarement des démocraties. La vente d'armes n'a rien du « doux commerce » cher à Montesquieu...

Le Gouvernement a cherché à se débarrasser au plus vite des navires, faisant fi du caractère dictatorial du régime al-Sissi. Nous le regrettons. Néanmoins, par souci de cohérence avec la politique française vis-à-vis de la Russie, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères.  - Bravo l'artiste !

Mme Michelle Demessine .  - Cet accord, bon à certains égards, résulte d'une mauvaise décision. Grâce à l'implication du SGDSN, un accord amiable a été trouvé avec les Russes - preuve que ceux-ci ne sont pas si obtus. Le contentieux avec la Russie a été vidé et nous avons retrouvé la faculté de vendre les navires, moyennant le remboursement des frais avancés par la Russie.

Soyons lucides : le Parlement n'est amené à se prononcer qu'après que la Russie a été payée.

Le montant global du remboursement comprend les frais de formation des marins russes et d'équipement spécifique des bâtiments.

Il est primordial que cet accord préserve nos intérêts financiers, mais aussi diplomatiques. La Russie est un interlocuteur dont on ne peut se passer, compte tenu de la situation en Syrie.

En matière d'exportation d'armes on ne peut raisonner hors de tout principe. Rien ne nous obligeait à suspendre la livraison des navires, car l'embargo ne portait que sur les futurs contrats d'exportation d'armes.

Le président de la République a pris une mauvaise décision, cédant aux pressions d'une poignée de pays de l'Alliance atlantique. Il serait opportun de revoir les mécanismes d'autorisation d'exportations d'armes. Le Parlement devrait avoir son mot à dire, et le débat gagnerait à être organisé en toute transparence.

Cet accord est satisfaisant mais il n'est que la conséquence d'une mauvaise décision du chef de l'État. Le groupe CRC s'abstiendra.

M. Jean-Claude Requier .  - Le projet de loi est empreint d'une double caducité : d'abord, les sommes ont été versées le 5 août 2015 : le Parlement est au pied du mur, voire derrière celui-ci. De plus, le rachat des bâtiments de projection et de commandement par l'Égypte change quelque peu la donne, dont nous ignorons cependant encore le détail.

Est-ce Mistral gagnant ou Mistral perdant pour la France ? L'on pouvait craindre, il y a peu, le naufrage financier... Le chèque égyptien sauve la situation. Toutefois, le montant global du contrat s'élevait à 1,2 milliard : la Coface couvrira-t-elle l'intégralité de ce montant, en particulier la marge de la DCNS ?

Le coût pour l'État devrait être de 200 à 250 millions d'euros selon notre commission des finances ; sans parler des transferts de technologie consentis, gracieusement de fait, en matière d'assemblage de coque.

Les sanctions européennes n'imposaient pas la suspension de la livraison : ce fut une décision purement politique. A-t-elle été prise en toute indépendance ? Nous n'avions aucune leçon à recevoir de l'Allemagne et des États-Unis, qui ont exercé de fortes pressions. L'Ukraine est, pour l'Allemagne, un réservoir de main-d'oeuvre bon marché qu'elle ne trouve plus en Mitteleuropa. En 2010, l'Allemagne avait 1 800 usines en Ukraine quand la France n'en avait que 50. Qui a le plus à perdre dans la crise ukrainienne ? Quant aux États-Unis, ils ont repris le dialogue avec la Russie.

Un mot sur notre nouveau client : l'Égypte. Ses relations avec la Russie sont étroites, et ce depuis Nasser. Si c'est indiscutablement un pilier pour la stabilité de la région, ce n'est pas un modèle s'agissant de respect des droits de l'homme. Tout cela manque un peu de cohérence.

Gardons-nous de céder aux sirènes d'une nouvelle guerre froide. La Russie restera - et doit rester - un partenaire privilégié. Je conclurai en citant François Mitterrand, qui a dit à Moscou en 1984 : « Rares ont été les moments au cours des siècles où nous nous sommes affrontés, et lorsque ces affrontements se sont produits, le mouvement naturel de l'Histoire les a aussitôt surmontés, effacés, avant de nous réunir jusques et y compris dans la fraternité d'armes ». (Applaudissements)

M. André Trillard .  - Nous avions plutôt l'habitude de débattre d'accords de coopération scientifique, culturelle, économique. Celui-ci est particulier. S'il rompt un accord avec la Russie, il a été négocié par le SGDSN et le vice-Premier ministre russe sous forme d'échanges de lettres, il a la particularité d'être déjà en vigueur... Il y aurait beaucoup à dire sur l'engagement du Gouvernement à consulter la représentation nationale. La conformité de cette rétroactivité à l'article 53 de la Constitution est douteuse.

Cet accord affecte l'équilibre du programme 146 de la mission Défense, devenu un amortisseur de Mistral, alors qu'il y a à peine trois mois, le Gouvernement affirmait que les crédits de la loi de programmation militaire serait intangibles.

Sur le fond, le sujet est complexe. La France doit concilier éthique, économie et équilibres internationaux. Ce contexte géopolitique appelait une réaction proportionnelle à la gravité des faits commis par la Russie. Mais les volte-face successives de notre diplomatie nous laissent dubitatifs. En mars 2014, le ministre de la défense défendait le respect par la France de ses engagements ; le 25 novembre, ceux-ci ne pouvaient plus être honorés... Ce n'est pas tant la livraison des Mistral qui a porté préjudice à la France, que sa longue période d'indécision.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. André Trillard.  - Les pressions de nos voisins ont emporté le revirement du Gouvernement.

Sur tous les bancs, nous sommes attachés au respect du droit international. Oui, l'accord limite le coût pour l'État français. 949 millions ont déjà été versés, en euros, alors que le rouble a depuis perdu 70 % de sa valeur. Mais la facture ne s'arrête pas là : qui paie les 2 millions mensuels que coûte la maintenance des navires ? Et les 2,5 millions à quoi revient le démontage des équipements russes ? Les pertes subies par nos industries restent méconnues. La Coface indemnisera les industriels. Mais quid de leur image ?

La clause de réexportation limite les pertes à 250 millions. J'espère que nous aurons bientôt ce chiffre exact.

Les garanties de la Coface ne couvrent pas les pertes relatives aux fuites de savoir-faire. Pendant plusieurs mois, la Loire-Atlantique a accueilli des centaines de marins russes pour les former. Les transferts de technologies de pointe, fruits de nos investissements en recherche et développement ne seront jamais rétrocédés... Nous faisons face à une concurrence effrénée en matière d'armement.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. Je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains)

M. Yannick Vaugrenard .  - Avec ce texte, il s'agit surtout de positionnement stratégique et diplomatique de notre pays.

Les deux navires ont été construits à Saint-Nazaire, avec autant de minutie et de compétence que pour les grands paquebots. La suspension de leur livraison était conforme à nos engagements : dès l'été 2014, le Gouvernement a annoncé que l'attitude russe conditionnait l'exécution du contrat. Or la Russie violait les conclusions de la Conférence de Minsk et le mémorandum de Budapest, ranimant la perspective d'une nouvelle guerre en Europe. Fallait-il fermer les yeux ? Non.

Cette décision était aussi conforme à nos valeurs et à l'image que la France se fait d'elle-même.

M. Roland Courteau.  - Absolument.

M. Yannick Vaugrenard   - Certes, le commerce international ne fait pas toujours bon ménage avec les droits de l'Homme. Mais livrer des navires de guerre à un pays méprisant la souveraineté de ses voisins n'était pas possible.

C'était une décision conforme à la position du général de Gaulle qui, lors de la guerre des Six Jours en 1967, n'avait pas hésité à suspendre les ventes d'armes à Israël, pays pourtant ami. Cette décision est bien le fait d'une grande puissance, qui n'est vassale de personne.

Le chemin était toutefois étroit pour éviter toute humiliation et toute insulte à l'avenir. Cet accord amiable souhaité par la Russie montre que la France est plus respectée lorsqu'elle est ferme sur les principes.

Nous savons depuis mercredi que les navires seront vendus à l'Égypte. Mettons de côté nos vaines querelles ; nous traversons une période troublée et dangereuse. L'intérêt de notre pays doit primer, y compris financier de très court terme. Cet accord tient compte du présent et prépare l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Merci à tous. Personne ne conteste, au fond, la décision de ne pas livrer ces navires à la Russie, même si certains regrettent que le contrat ait été signé en 2011.

Compte tenu de notre rôle dans le règlement de la crise ukrainienne - une réunion au format Normandie se tiendra bientôt - et de la situation autour de la mer Noire - une réunion au format Weimar se tiendra également - que fallait-il faire ? Nous avons choisi de négocier avec la Russie pour dénoncer le contrat en limitant les frais : nous remboursons à la Russie les sommes qu'elle a versées, sans pénalités. L'accord nous rend aussi la pleine propriété des bateaux et nous assure la possibilité de les revendre, ce qui profite à nos industriels comme à l'État.

Le Gouvernement a informé le Parlement de cet accord dès sa signature ; vous en avez été saisis dès la rentrée parlementaire. La revente des navires a été signée avec l'Égypte -  vous avez communication de tous les détails. Le programme 146, cela a été dit, supportera une perte, mais il sera réabondé.

Un mot sur notre politique de vente d'armes. Notre dispositif est l'un des plus rigoureux qui soient. Une commission interministérielle autorise les transactions ; la France respecte ses engagements européens, issus de la position commune de 2008, et ceux du traité international sur le commerce des armes.

Merci de ne pas vous opposer à cet accord. Je me réjouis du dénouement de ce dossier, conforme aux intérêts de la France et de son industrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Hervé Maurey .  - En tant que président du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine, je voterai ce projet de loi, et veux dire mon soutien aux sanctions décidées à l'encontre de la Russie, qui a envahi la Crimée. La Russie soutient de plus activement les séparatistes du Donbass dans un conflit qui a déjà fait 8 000 morts. Dans ce contexte, livrer des navires de guerre ne s'imposait pas. Je suis bien conscient de l'importance du dialogue franco-russe, mais cela ne justifiait pas la violation du droit international.

M. Alain Joyandet .  - L'annulation du contrat a provoqué de légitimes débats au sein de la commission des affaires étrangères. Son président et les rapporteurs ont l'intérêt national chevillé au corps.

Je ne peux laisser faire ici le procès des décisions prises en 2011. Je n'étais alors pas très loin des décisionnaires. Rien n'interdisait de vendre du matériel militaire à la Russie. Si la crise ukrainienne avait été gérée avec le même sens du leadership que celui dont il a été fait montre lors de la crise géorgienne, nous n'en serions peut-être pas là...

Quid de la vente des Mistral à l'Égypte ? Peut-on en savoir plus ? Le contrat a-t-il été signé ? À quel prix ?

La Russie n'avait de toute façon pas un vrai besoin de ces navires qui n'auraient rien changé à la crise ukrainienne. La décision de 2011 s'inscrivait dans le cadre du réchauffement de nos relations avec la Russie. Je regrette le tour pris depuis par les événements, et le coût que devra supporter la France.

M. Richard Yung .  - La conclusion de notre rapporteur pour avis, au sein de la commission des finances, est d'en appeler à la sagesse ; pour notre part, nous voterons ce projet de loi avec conviction.

M. Éric Doligé .  - Je ne peux accepter que l'on vende cet accord comme un bon accord financièrement neutre car ce n'est tout simplement pas le cas. De nombreuses entreprises françaises vont souffrir du fait que la France ne tienne pas ses engagements.

Les agriculteurs ont perdu 300 millions et l'État n'a pas annoncé les soutenir en urgence (Applaudissements à droite)

L'écotaxe aussi a coûté 1 milliard d'euros. Peut-être peut-on tenter de vendre nos portiques aux Égyptiens ! (Rires et applaudissements à droite)

M. Jacques Genest .  - Sur le fond, on ne peut s'opposer au projet de loi. Mais sur la forme, la conformité à la Constitution est douteuse. Je ne participerai pas au vote.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission .  - Le sujet est très difficile : peut-on vendre des armes en toute circonstance ? Comment éviter qu'un conflit cannibalise les relations diplomatiques avec un autre pays ? Mais il est un principe fondamental : la France doit défendre le droit international ; on ne joue pas avec les frontières. La négociation n'est pas mauvaise, mais elle ne pouvait être gratuite, ne serait-ce qu'en termes d'image. Mais l'objectif prioritaire - sortir de la négociation avec un accord amiable - a été atteint.

Le président russe a fait des propositions pour sortir de la tragédie syrienne. Nous sommes en guerre contre le même ennemi : Daech. On ne peut dès lors laisser le président Obama seul face à Vladimir Poutine. Notre position ne peut être conditionnée à la seule situation ukrainienne. Souhaitons que le dispositif monté en format Normandie aboutisse, et tâchons de gagner la guerre contre Daech. Oui à la négociation, non à l'ostracisme de la Russie. (Applaudissements sur de nombreux bancs au centre et à droite, ainsi que sur un certain nombre de bancs à gauche)

Le projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 30.