Situation et avenir de l'agriculture

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation et l'avenir de l'agriculture, en application de l'article 50, alinéa 1, de la Constitution.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Le Sénat a légitimement souhaité ce débat, alors que la crise frappe nos agriculteurs et, en particulier, les élevages laitiers, bovins et porcins. La crise du lait est d'ampleur mondiale, celle du porc et du boeuf d'ampleur européenne, à la suite notamment de l'embargo russe, à la fois diplomatique et sanitaire. Je dois d'ailleurs me rendre en Russie dans deux jours pour reprendre des contacts.

M. François Marc.  - Très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Le marché du lait souffre d'une surproduction, conséquence d'une demande chinoise plus basse que prévue en 2015. Résultat : les prix ont baissé. Sur ce marché, des décisions importantes ont été prises en 2008 lors du bilan de la PAC, en particulier la suppression des quotas laitiers. Un retour à la gestion de l'offre au niveau européen ne règlera pas tout. Le prix de la poudre de lait et du beurre est désormais largement déterminé par la situation en Asie et l'offre néo-zélandaise.

Le budget de la politique agricole commune a baissé de 12 %, mais de 2 % seulement pour la France. Le président de la République a défendu notre agriculture, salué par les syndicats professionnels.

Le verdissement du premier pilier est un choix que j'assume, destiné à éviter le dumping environnemental. J'ai aussi engagé un débat sur le découplage des aides, auquel j'ai toujours été hostile. Les aides couplées ont été maintenues et augmentées de 13 % pour le premier pilier, le Parlement européen y a ajouté une aide spécifique pour le développement des activités fromagères.

La compétitivité... Nous perdons des parts de marché depuis 2003. Les dernières mesures prises par la majorité précédente datent de 2006, ce sont les exonérations de charges « Fillon », toujours en vigueur ; mais le CICE et le Pacte de responsabilité, ce sont 4 milliards d'euros pour les filières agricoles et agroalimentaires, soit le double de ce qu'elles représentaient lors de notre arrivée aux affaires. C'était nécessaire.

L'abattage-découpe est un maillon extrêmement faible, il souffre d'une concurrence inégale liée à l'utilisation abusive des travailleurs détachés en Allemagne. Nous sommes en train de rattraper le retard avec une enveloppe de 50 millions d'euros pour l'investissement afin de rendre notre abattage compétitif et productif. C'est un changement et un choix stratégique. Il faudra néanmoins un peu de temps pour rattraper notre retard qui s'est creusé avec l'Allemagne et l'Espagne.

La filière volailles est en voie de redressement, l'interprofession va se mettre en place. Comme pour la filière porcine, une procédure d'enregistrement a été mise en place il y a trois jours pour faciliter les investissements.

Quant à la production porcine, nous sommes autosuffisants à 107 % mais nous valorisons seulement 60 % des carcasses. C'est une faiblesse pour l'abattage et une faiblesse globale pour toute la filière. Comment relever le prix payé au producteur ? Les négociations avaient abouti à une hausse sur le marché de Plérin, mais les unions d'acheteurs en ont décidé autrement... Chacun prendra ses responsabilités. Toujours est-il que nous faisons tous nos efforts pour structurer la filière. La caisse de sécurisation doit permettre aux industriels comme aux producteurs de passer les moments difficiles. La grande distribution doit avoir sa part dans ces grands choix stratégiques, l'objectif étant de mieux valoriser les carcasses. Sur la viande bovine, se tiendra le 22 octobre une réunion sur la modification des cotations, les critères qualitatifs et les nouvelles possibilités de contractualisation.

Nous négocions des certificats sanitaires pour accélérer la reprise de nos exportations. C'est aussi le rôle du logo « viande de France » lancé en 2014 au Salon de l'agriculture qui répond à la demande des consommateurs. Nous ne pouvons attendre une nouvelle directive sur l'étiquetage.

L'approvisionnement local dépend de l'État comme des collectivités territoriales - des projets alimentaires régionaux se mettent en place. Un guide a été mis à disposition des collectivités territoriales ; les bonnes pratiques, comme celles de l'expérimentation Agrilocal menée dans la Drôme, sont diffusées.

À cela s'ajoutent des réponses conjoncturelles. Le plan pour l'élevage réduira encore les charges pesant sur les éleveurs, à commencer par les remboursements d'emprunts. Une année blanche leur permettra de reprofiler leur dette ; il semble qu'il y ait des difficultés de mise en oeuvre du côté des banques, mais nous ferons en sorte qu'elle s'applique partout.

De nombreuses mesures fiscales ont été prises : sur la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB), la taxe d'habitation pour les fermiers, le report et les remises d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés ainsi que les encaissements anticipés de TVA : 8 000 dossiers sont à l'étude auprès des cellules d'urgence, guichet unique mis à disposition des exploitants. Les baisses de cotisations maladie, de 400 euros par an pour les très petites exploitations, entreront en vigueur dès cette année.

J'entends parler de prix « politiques », décidés par le Gouvernement. Mais ils correspondaient à la demande des producteurs ! Le résultat a été moins bon que prévu sur le porc. Je poursuivrai la même démarche pour la filière bovine : le 22 octobre les cotations seront complètement modifiées et de nouveaux indices élaborés, notamment pour le steak haché.

À notre initiative, un conseil européen extraordinaire a été réuni le 7 septembre. L'Union européenne a débloqué 500 millions d'euros. J'aurais préféré qu'on prenne des mesures de marché et en particulier qu'on augmente le prix d'intervention du lait, plutôt que de verser des aides directes ou de favoriser le stockage. Seuls quatre pays ont suivi la France... Toujours est-il que notre pays recevra 63 millions d'euros, qui s'ajouteront au plan national de 150 millions, pour aider à mettre en place l'année blanche.

Pour l'investissement, 30 millions d'euros supplémentaires pour soutenir l'investissement dans l'abattage, soit deux fois les investissements faits entre 2002 et 2012.

M. Éric Doligé.  - Tout va bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Non, parce qu'on en a trop peu fait par le passé ! Il était temps de réagir...

Les Groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), qui ont fait débat ici même, nous aident à préparer l'avenir ; ils sont déjà 128 et seront 210 à la fin de l'année, 250 000 hectares couverts. Pas moins de 6 000  Groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec) auront été agréés en 2015. Créer des dynamiques collectives, c'est le choix stratégique que nous faisons. On compte 23 000 dossiers de mesures agroenvironnementales, 1,5 million d'hectares couverts - 800 000 sous la précédente PAC.

Il nous faut aussi lutter contre la volatilité des prix. Le prix du lait a baissé de 30 % en huit mois. C'est cela, la réalité du marché ! Les agriculteurs, grâce aux contrats socles en termes d'assurance, mettront de l'argent de côté lorsque les prix seront élevés pour traverser plus facilement les mauvaises passes. Les caisses de sécurisation répondent au même besoin.

Mon rôle était d'être à l'écoute. J'aurais pris conscience de la crise trop tardivement ? Dès 2013, une médiation avait été lancée sur le prix du lait, avec un relèvement de 30 centimes par litre. Dès 2014, je me suis engagé sur les secteurs bovins et porcins. Mais pour redresser durablement notre agriculture, il faut être capable de prendre des réformes structurelles, d'apporter des réponses collectives, de chercher la valeur ajoutée et pas seulement la compétitivité-prix. C'est ainsi que nous serons fidèles à la belle idée de l'agriculture française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Didier Guillaume .  - Nous nous faisons tous une belle idée de notre agriculture. Certains secteurs fonctionnent bien, les prix y sont rémunérateurs (Exclamations d'étonnement à droite) : ainsi, cette année, de la viticulture, de l'arboriculture, de la volaille. Nos éleveurs, en revanche, souffrent.

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - C'est la profession où il y a le plus de suicides !

M. Didier Guillaume.  - Merci à M. le ministre d'avoir été à leurs côtés, tout au long de l'été.

Quelques orientations simples devraient nous rassembler. Tout d'abord, si des mesures conjoncturelles sont nécessaires, la crise vient de loin. Les lois votées par les majorités successives devaient tout régler, mais c'est plus compliqué... Les critiques faites à ce Gouvernement sont exagérées.

M. François Marc.  - Infondées !

M. Didier Guillaume.  - La compétitivité est la seule issue. N'opposons pas les agricultures, le bio en circuit court et le circuit long pour l'export, toutes sont nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)

C'est de fond en comble qu'il faut repenser l'agriculture française. CICE, année blanche, plan de 3 milliards d'euros, nous espérons que ces mesures porteront leurs fruits. La plupart des demandes de la profession ont été satisfaites par le Gouvernement ; il n'y a rien d'autre sur la table. Nous sommes prêts à nous associer à votre proposition de loi en préparation, monsieur le président du Sénat, pour « répondre sans naïveté » aux enjeux de demain. Oui, les agriculteurs veulent vivre du fruit de leur travail, pas des subventions. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire...

À l'issue des négociations sur la nouvelle PAC, la France a obtenu 9,1 milliards d'euros, personne ne s'y attendait.

Le budget atteint 4,5 milliards, la baisse de 2 % du budget ne portant que sur le fonctionnement. Il faut le saluer. Sans naïveté, monsieur le Président, vous recevrez le commissaire Phil Hogan, à qui il faudra faire prendre conscience de son aveuglement, notamment sur le prix du lait ! (Applaudissements sur divers bancs)

M. Bruno Retailleau.  - C'est au Gouvernement de le faire !

M. Didier Guillaume.  - Nous ne pouvons accepter ce libéralisme à tout crin.

La crise du porc, du boeuf et du lait n'est sûrement pas terminé. Nous devons réorganiser les filières, sans quoi nous ne nous en sortirons pas. Les prix annoncés par le ministre, acceptés par la profession, ont ensuite été diminués à nouveau... La réponse est française, mais aussi européenne. Partons à la reconquête des marchés, discutons avec la Russie et l'Iran.

Je veux finir par une note d'optimisme. Les agriculteurs aiment leur métier et leur territoire.

M. Jean-François Husson.  - Mais ils n'en vivent pas !

M. Didier Guillaume.  - Ils travaillent beaucoup, sept jours sur sept, mais ils peinent à s'en sortir. Aidons-les ensemble à vivre de leur métier. Face à cela, il y a deux postures : celle qui consiste à dire « y'a qu'à faut qu'on » et « ce n'est pas assez » ; l'autre revenant à chercher ensemble un chemin... Et le chemin, ce n'est pas de taper sur la tête du ministre. Réunissons les acteurs pour trouver un accord qui n'existe pas encore.

Le groupe socialiste et républicain soutient sans réserve l'action du Gouvernement. (On ironise à droite) N'est-il pas surprenant que les parlementaires de droite ne le soutiennent pas, quand le président de la FNSEA lui tope dans la main ?

Vous nous trouverez à vos côtés pour dessiner l'avenir de notre agriculture, monsieur le président, sans naïveté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. le président.  - La parole est à M. Labbé.

M. Bruno Sido.  - Ah ! Les belles fleurs et les petits oiseaux...

M. Joël Labbé .  - L'heure est trop grave pour se laisser aller à des provocations, même si les belles fleurs et les petits oiseaux, c'est important....

Moi aussi, j'ai eu une belle idée de l'agriculture. En son nom, ne laissons plus l'agro-business et le syndicat majoritaire dicter leurs lois. Le modèle productiviste a fait faillite. J'ai pris l'initiative de réunir, ici, au Sénat, jeudi, les syndicats minoritaires.

La détresse morale est profonde dans nos campagnes : il y a 20 % de plus de suicides chez les agriculteurs que dans le reste de la population, plus de 20 000 exploitations au bord de la faillite. Rendons l'espoir à celles et ceux qui ont la noble fonction de nous nourrir, en retissant des liens étroits avec le territoire, en réconciliant l'agriculture avec un sol fertile, riche en matière organique, respectueux du vivant et régulateur du climat.

Le bilan du modèle actuel est accablant. En 40 ans, le nombre d'exploitations a été divisé par quatre, les agriculteurs ne représentent plus que 3 % de la population active, 20 000 emplois disparaissent chaque année dans les fermes françaises. Et certains voudraient étendre l'agro-business à la planète entière ! Ils voient des bouches à nourrir comme des parts de marchés, alors que l'agriculture familiale et paysanne représente encore plus de 80 % en valeur de la production mondiale. Protégeons et renforçons cette agriculture résiliente, force majeure dans l'adaptation au changement climatique. Elle est touchée de plein fouet, au Nord et surtout au Sud. Condamner les paysans à produire toujours plus, à se mécaniser, à se robotiser, est-ce cela l'agriculture « intelligente » voire « climato-intelligente » ? De qui se moque-t-on ?

Évitons les grands discours simpliste d'un côté comme de l'autre.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Joël Labbé.  - Beaucoup d'outils sont inscrits dans la loi d'avenir pour encourager l'agroécologie. Accélérons la mise en oeuvre du plan sur les protéines végétales, pour nous libérer du soja américain. La loi d'avenir doit marquer la reprise en main de l'agriculture par les politiques que nous sommes. Enfin, mettons en place une gouvernance mondiale de l'alimentation, salutaire pour la planète (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. David Rachline .  - La crise actuelle est le résultat de la politique agricole menée depuis trente ans. Le traité transatlantique aurait des conséquences désastreuses, mettons fin aux négociations. Abrogeons la directive sur le travail détaché, qui est un fléau, et finissons-en avec les normes européennes absurdes. Favorisons les produits français dans les marchés publics par des normes sociales et environnementales. Créons aussi des labels pour acheter français (M. Le Foll s'exclame que cela existe)

Pour cela il faudra d'abord se libérer du carcan européen. Les 244 millions de la Commission européenne pèsent peu face aux milliards de débouchés perdus en Russie. Mettons enfin un terme à la politique agricole commune : la France ne reçoit que 13 milliards d'euros sur les 22 versés. Sectoriser les agricultures entre pays a tué la spécificité française, les immenses exploitations ont été favorisées au détriment des petites qui animaient nos campagnes. La logique imposée par la grande distribution a conduit le monde agricole à ne vivre plus que de subventions... Il faut inverser le système et lutter contre les ententes sur les prix. C'est au producteur de fixer le prix de sa production.

Écoutons la détresse de ceux qui travaillent sans relâche pour un salaire de misère. Vous mentez à la France, vous mentez à nos agriculteurs en leur faisant croire que vous pouvez arranger la situation. Ce qui tue notre agriculture, c'est l'Europe. Vous ne voulez pas le voir. (M. Stéphane Ravier applaudit et fait un signe de victoire)

M. Jacques Mézard .  - La France doit donner à son agriculture et à son industrie agro-alimentaire les moyens de vivre. Notre agriculture, les femmes et les hommes qui s'y consacrent avec passion, jouent un rôle important dans des territoires comme le mien dont ils forment la substance même. Ceux qui veulent supprimer nos communes arriveront à leurs fins si les exploitations agricoles disparaissent. Oui, je le répète à cette tribune, une lumière qui s'éteint dans une ferme, chez nous, c'est la vie qui s'en va. (Marques d'approbation sur divers bancs)

Ne demeure qu'un grand ranch. L'école ferme ses portes, l'agence postale également. Le médecin n'est pas remplacé, la gendarmerie, puis la trésorerie, n'existent plus. C'est la responsabilité, non pas de ce Gouvernement, mais d'une décentralisation ratée. Choiseul disait « Quand le feu est à la maison, on ne s'occupe plus de la grange ». Monsieur  le Ministre, j'ai salué votre négociation de la PAC, favorable aux éleveurs français.

M. Bruno Retailleau.  - Pas tous !

M. Jacques Mézard.  - Mais les situations de trésorerie sont parfois alarmantes. On demande aux agriculteurs de faire toujours plus en gagnant de moins en moins.

M. Bruno Sido.  - Exact.

M. Jacques Mézard.  - Et le Gouvernement colmate les brèches de plan d'urgence en plan d'urgence, dans la précipitation... Il faudrait mieux anticiper les crises de marché, comme les conséquences des crises diplomatiques, comme celle provoquée par l'embargo russe. De nombreuses exploitations sont désormais au bord de la cessation d'activité. C'est un problème de long terme.

Longtemps seconde nation agricole, la France se trouve aujourd'hui au cinquième rang. Le monde paysan, composé de femmes et d'hommes passionnés, a besoin d'un cadre normatif équitable, clair et sécurisé. Or ce n'est pas vraiment le cas. (On renchérit à droite) Est-ce équitable d'imposer des normes environnementales à nos producteurs quand, ailleurs, on ne les respecte pas ? Est-ce équitable de supprimer les normes de régulation en Europe quand les États-Unis et le Canada en imposent ? On se fait hara kiri, d'autant que ce sont les mêmes technocrates qui négocient l'accord commercial transatlantique, dit Tafta !

Il est indispensable de développer le système assurantiel, de réagir au plus tôt. Il est du temps qui ne se rattrape plus, à défaut d'anticiper. Nous avons subi ainsi l'épidémie de fièvre catarrhale, face à laquelle les vaccins ont manqué. Vous vous en rendrez compte au sommet de l'élevage de Cournon.

Nous connaissons votre engagement, monsieur le ministre. Tout doit être fait, en France, pour soutenir l'agriculture, y compris dans l'urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Merci au président Larcher pour avoir organisé ce débat sur l'agriculture. (Applaudissements au centre et à droite) Vous connaissez, Monsieur le Ministre, l'engagement du Sénat aux côtés des agriculteurs. Dès les premiers jours de la crise, notre commission des affaires économiques a voulu vous entendre. Depuis le 1er juin, votre discours a changé : vous semblez avoir pris la mesure de la situation. Quoique, vous êtes sortis satisfaits de votre rencontre avec le commissaire Phil Hogan, quand il n'y a même pas été question, ai-je lu par ailleurs, de l'élevage français. Cessons les polémiques...

M. Claude Bérit-Débat.  - Commencez donc !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Il est un peu simple de renvoyer la responsabilité au Gouvernement précédent.

Débattons, cela est utile. Si des mesures ont été prises - pour alléger la taxe foncière, faciliter le recours à la MSA, aider les plus endettés... - nous manquons, en un mot, d'une stratégie claire.

Un autre mot, qui a été prononcé, a toute son importance : la compétitivité. Reconnaissons-le, nous sommes passés à côté durant le débat sur la loi d'avenir à force de se perdre dans les considérations environnementales. (M. Bruno Retailleau applaudit)

Un agriculteur m'a appelé tout à l'heure, il me lisait ce qu'il a trouvé sur l'agroécologie sur le site du ministère : il y était question de « capacité de renouvellement », de « haut niveau de production », de « sécurisation des coûts », de « haute performance écologique »...

M. Joël Labbé.  - C'est très bien !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Je le dirai vertement : les agriculteurs ont la tête ailleurs ! Première préoccupation, l'accroissement des normes. M. Daniel Dubois s'est vu confier un groupe de travail à ce sujet. Le groupe Les Républicains élabore une proposition de loi, grâce à vous, monsieur le Président Larcher, qui y avez travaillé avec nous tout l'été, car vous n'êtes pas le seul à avoir travaillé cet été, monsieur le ministre.

Quels sont ses objectifs ? Plus de transparence sur les produits carnés, un accès facilité à l'investissement - via des déductions pour aléa et amortissement - ou encore à une transposition stricte des directives. Sur les normes et les charges excessives, nous ferons des propositions.

J'étais le week-end dernier à Alençon, en pays sarthois, où se tenait un salon de l'agriculture local intitulé « Ferme en fête ». Les excellents produits qui y sont présentés obtiennent souvent des récompenses au salon international de l'agriculture. Si les agriculteurs sont tristes, ils sont aussi déterminés. Comme le disait le président Larcher ce matin, nous sommes de ceux qui veulent les aider. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Dubois .  - (Applaudissements au centre) Je souscris au constat : la crise conjoncturelle s'est muée en crise structurelle, l'Europe ne joue pas son rôle de régulateur.

Au sein de la commission des affaires économiques, j'anime un groupe de travail sur les normes agricoles. D'emblée, il nous est apparu que les éleveurs, avec la suppression des quotas laitiers, deviennent des acteurs économiques à part entière, confrontés à une vive concurrence mondiale. Faisons-leur confiance plutôt que les présumer suspects d'atteintes à l'environnement !

Faire confiance, c'est consulter avant de décider de nouvelles normes. C'est simplifier les procédures pour leur éviter l'indigestion administrative - je pense notamment aux documents d'avances-PAC.

Plutôt que de se contenter d'un moratoire, annoncé par le Premier ministre, d'ici à mars 2016, remettons à plat notre réglementation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Traquons les cas de surtransposition de directives - les seuils Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) pour les boucheries, les élevages de vaches laitières ou les phytosanitaires par exemple...

M. Bruno Sido.  - Bien sûr !

M. Daniel Dubois.  - Je regrette que le Parlement, qui a voté deux textes importants sur l'agriculture, ne se soit pas penché sur la compétitivité. J'aurais voulu que l'observatoire des prix et des marges soit aussi celui de la compétitivité.

Faire confiance aux agriculteurs, c'est aussi mettre en place un système de régulation interne pour anticiper les crises. Le système assurantiel a ses limites. En agriculture, il y a de bonnes et de mauvaises années. Des exonérations fiscales des bénéfices réalisés les bonnes années pourraient aider à passer les mauvaises. En toute matière, la prévention doit primer le curatif.

Monsieur le Ministre, j'espère que vous regarderez d'un oeil bienveillant la proposition de loi qui sortira du Sénat. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Le Scouarnec .  - Le combat des agriculteurs pour les quelque 800 000 emplois de ce secteur vital pour notre pays est juste et légitime. Le tableau est bien sombre : dérèglementation, consécration du principe de libre négociation entre producteurs et acheteurs laissent les producteurs désemparés devant les grandes plateformes qui concentrent désormais 80 % des ventes.

J'ai vu Bigard et Cooperl refuser de se rendre au marché au cadran de Plérin...Les marges des producteurs ne cessent de baisser, les résultats financiers de la grande distribution de progresser. Alors que Carrefour a réalisé 1,2 milliard d'euros de bénéfices en 2014, on ne reprend pas la loi Chatel.

Pourquoi ne pas adopter le système du coefficient multiplicateur qui existe depuis des années au Canada ?

Monsieur le Ministre, tout l'été, vous avez annoncé des mesures d'urgence. Si c'est mieux que rien, cela ne réglera pas la crise qui est structurelle. Le budget de l'agriculture a fondu de 756 millions d'euros si l'on regarde les choses dans le long terme.

Un mot sur la canne à sucre réunionnaise. Quelque 20 000 emplois seraient détruits prochainement avec l'abandon de la régulation. Que comptez-vous faire ?

Le libéralisme nous conduit droit dans le mur : l'accord de libre-échange avec les États-Unis mais aussi celui qui nous liera au Canada nous emmènent loin de l'agroécologie que vous prônez. Examinons ces questions dans la durée.

Mieux vaudrait promouvoir les lois, assurer la traçabilité des produits et privilégier les circuits courts. Pourquoi acheter un poireau chez un grossiste espagnol quand l'agriculteur du coin peine à vendre le sien ? (Sourires)

Nos agriculteurs sont parfaitement conscients des contraintes environnementales.

Il faudra également exiger un prix minimal européen et le retour des quotas.

Nous croyons à un nouveau modèle agricole fondé sur l'aide à l'installation et au renouvellement des agriculteurs, leur juste rémunération, la traçabilité des produits, les enjeux économiques et écologiques ainsi que ceux relatifs à l'alimentation de la planète (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe écologiste)

M. Henri Cabanel .  - Sénateur paysan, j'ai des rêves pour notre agriculture...

M. Claude Bérit-Débat.  - Un agriculteur parle aux agriculteurs !

M. Henri Cabanel.  - Entre les rêves et la réalité, il y a la volonté ; la volonté de changer la donne en ne se voilant pas la face, en ne tombant pas dans les querelles politiques stériles.

Changement climatique, évolution des besoins des consommateurs, émergence de nouveaux acteurs, les défis sont nombreux. Face à cela, le ministre a eu un mot : agriculture durable, inscrite dans le temps. Il n'est pas responsable d'utiliser le mal-être des agriculteurs pour faire valoir des postures politiciennes, pour s'opposer au Gouvernement.

Sous une autre majorité, on a supprimé les quotas laitiers : je regrette que la FNSEA défende le libéralisme tout en réclamant le soutien de l'État ; déclare vouloir exporter tout en exigeant une garantie de prix hauts sur le marché national, car tout cela est, à l'évidence, contradictoire...

La seule issue est l'amélioration de la qualité. L'agriculture durable, c'est, entre autres, l'agroécologie, les circuits courts. Il est choquant que plus de 80 % des produits consommés en cantine scolaire ne soient pas français.

Je veux croire à l'agriculture. La viticulture languedocienne a réussi sa mutation. Cela devrait redonner espoir aux éleveurs.

En 1976, le Languedoc-Roussillon réalisait 45 % de la production viticole française. J'avais 21 ans quand mon exploitation familiale a été touchée par la crise. Il a fallu faire des choix douloureux, les assumer, arracher des vignes, renoncer à notre potentiel de production. Chute de la consommation du vin -  passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 44 litres aujourd'hui -, concurrence des vins européens et du Nouveau Monde ont provoqué un formidable séisme sur les prix.

En quelques années, nous avons opéré une véritable révolution par des réencépagements et avec l'appellation IGP vins de Pays d'Oc. Il y a eu des conséquences humaines à ce changement de modèle. Il faut les anticiper. En 2015, la production sera de 13 millions d'hectolitres, soit une baisse de 60 %. Le parti pris de la qualité paie toujours.

Le Gouvernement a pris des mesures d'urgence portées à 3 milliards d'euros d'aides en trois ans. Au-delà, notre agriculture doit engager la mutation qu'a connue la viticulture languedocienne. Cela ne se fera pas sans les filières. On ne peut pas tout attendre de l'État.

Sénateur paysan, je veux conserver mes rêves et continuer d'être fier de mes racines (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)

M. Jean Bizet .  - Les agriculteurs français sont désabusés, parfois en colère. Ils ont le sentiment qu'on leur reproche de ne jamais en faire assez. Les quotas laitiers étaient le dernier symbole d'une régulation dont nos partenaires ne veulent plus.

La PAC plaisait aux Français parce qu'elle avait été conçue par eux et pour eux. Nos partenaires n'en veulent plus. Quand nous sommes tournés vers le passé, les autres Européens avancent à grands pas vers l'avenir et adaptent leur modèle agricole. Désolé, Monsieur Le Scouarnec, il ne sert à rien de demander le rétablissement des quotas laitiers. Il n'en a jamais été question dans les discussions.

En revanche, utilisons mieux les contrats laitiers. (M. Michel Raison applaudit) Nous allons négocier la deuxième génération de ces contrats. Soyons vigilants.

Deuxième remarque, il nous manque un cap. Nous voulons une stratégie qui ne soit pas un fourre-tout. Oui, il faudra faire des choix douloureux ! J'ai entendu parler de compétitivité, passons aux actes ! Osons des regroupements techniques et industriels, expérimentons, comme le préconisent MM. Raison et Haut dans leur rapport pour le Sénat et comme le font déjà certains pays.

Troisième observation, la PAC, même rénovée, est à bout de souffle. On dépense 50 milliards d'euros par an pour des résultats bien maigres et tous les États membres en sont mécontents. Dépassons les idéologies dévastatrices. Je l'ai dit : paiement unique, paiement inique.

Évoluons vers une PAC assurantielle, sur le modèle américain, avec des aides directes contra-cycliques. Cela sera possible si le traité transatlantique est d'aventure signé. J'ai entendu le mot de compétitivité dans la bouche du ministre, j'ai vu les mains tendues de M. Guillaume. Pourquoi pas ? L'agriculture est trop importante pour être sacrifiée à des querelles politiques. (Applaudissements au centre et à droite, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Changeons de regard sur les agriculteurs. De grâce, arrêtons d'opposer les solutions entre elles : agriculture bio et de masse doivent se développer de pair. À nous de régler leurs difficultés, toutes en ont, comme toutes présentent des handicaps. Réconcilions l'agriculture et l'opinion. Des propos démagogiques ont détruit notre industrie agricole.

L'agroalimentaire est un fleuron de notre économie. Or il y a un véritable risque de rupture d'approvisionnement de l'industrie laitière et de la filière viande. Donnons leur chance aux contrats ! La régulation de la grande distribution doit fuir les excès du marketing pour s'appuyer sur de vrais labels de qualité dans lesquels les consommateurs se retrouveront enfin.

Nous devons sauvegarder nos outils de production. Il y a urgence. Sur l'hydraulique, sortons des clichés émotionnels sur l'utilisation de l'eau. (Applaudissements au centre)

Idem sur les bâtiments d'élevage : les normes rendent pratiquement impossible leur existence. Enfin, et si la compétitivité n'était pas un gros mot ? Charges sociales, fiscalité, tout doit être revu. Monsieur le président Larcher, nous serons à vos côtés pour préparer votre proposition de loi très attendue ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Gérard Bailly .  - Merci au président Larcher de ce débat très intéressant. J'espère des réponses du ministre à nos questions.

L'agriculture est en crise : 25 000 exploitations d'élevage sont au bord de la faillite, d'après le site même du ministère, à cause d'un prix de vente inférieur au prix de production. Un éleveur me le disait hier : il n'y a pas de demande. Beaucoup d'animaux, peu de fourrages à cause de la sécheresse, c'est la désespérance chez les paysans. Ils font les frais de l'embargo russe, de la baisse de la demande chinoise, mais aussi de la campagne de promotion de l'alimentation végétarienne !

M. François Bonhomme.  - Il ne manquait plus que cela !

M. Gérard Bailly.  - C'est terrible... La course au prix bas, c'est mon dada, est un fléau. Voyez la publicité des centres Leclerc qui s'étalait hier encore en pleine page dans la presse ! Toujours plus bas !

Vous devez taper sur la table, monsieur le ministre ! Mais peut-être les prix bas arrangent-ils le Gouvernement, à cause du pouvoir d'achat ? Eh oui, il n'est pas besoin de revaloriser les pensions, ni les salaires, pendant ce temps... Il y a certes un médiateur et un observatoire des prix, mais que font-ils, au juste ?

Les agriculteurs attendent une réponse sur l'aide de l'Europe. Quand sera-t-elle perceptible dans les exploitations ? En Rhône-Alpes, on me dit que les dossiers font 24 pages : c'est beaucoup trop !

Quand aurons-nous des vaccins en nombre suffisant ? Cela impacte nos exportations.

J'ai souvent évoqué le feuilleton du loup à cette tribune. Les éleveurs concernés par la Convention de Berne sont découragés. Quand la reverra-t-on ?

Le budget de l'agriculture a baissé de 2,8 %. Comment financer toutes nos priorités, photovoltaïque, outils de transformation, adaptation de la fiscalité... ?

Quand les salaires seront-ils harmonisés en Europe ? Nous payons deux fois plus cher en France pour transformer nos produits. L'Espagne va distribuer 300 euros par vache laitière à ses éleveurs. L'Europe le permet-elle ? Si oui, qu'attendons-nous ?

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Gérard Bailly.  - Un mot pour évoquer le problème du stockage de la viande et du lait.

L'Europe, qui s'est faite autour de la PAC, est bien éteinte en matière de soutien à l'agriculture. Notre élevage agonise. À vous, à nous, de réagir plus vigoureusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC.)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains). Ce débat a tout son sens au Sénat, compte tenu de l'impact de l'agriculture sur l'aménagement du territoire. L'enjeu alimentaire n'a de plus jamais été aussi important.

S'il est un secteur stratégique en matière d'aménagement du territoire, c'est bien l'élevage. Il faut pouvoir donner des perspectives économiques aux exploitants? Les conséquences de la situation du secteur pour nos concitoyens sont fondamentales. Quel en sera le coût pour la société, pour la vie locale rurale, racine de notre pays ?

Alors que nous avions besoin de clarifier les compétences des uns et des autres, de l'État et de l'Europe, la réforme territoriale confie la compétence économique aux régions.

M. Claude Bérit-Débat.  - C'est déjà le cas.

M. Daniel Gremillet.  - C'est une perturbation significative, car leur capacité d'intervention aux côtés de l'État au niveau financier et stratégique est mise en doute.

Si vous avez un peu de temps, monsieur le ministre, relisez les articles 38 et 39 du Traité de Rome du 25 mars 1957 : « la politique européenne doit assurer un revenu équitable à la population agricole ». Aujourd'hui pourtant, nous vivons une rupture : pour la première fois depuis que l'Union européenne existe, les agriculteurs sont seuls face au marché.

M. François Marc.   - Que proposez-vous ?

M. Daniel Gremillet.  - C'est simple. L'accord issu de la récente table ronde sur le secteur laitier ne traite que de 16 % des produits. Pour les 84 % restants, la baisse des prix a été confirmée, puisque vous demandez à la grande distribution le statu quo pour 2016...

Quand vous dites vouloir associer la grande distribution à l'interprofession, soyez prudent, monsieur le ministre, car les agriculteurs sont dans une grande fragilité.

Le prix ne fait pas forcément le revenu - voyez l'Allemagne : 2 % de chiffre d'affaire sur le dossier TVA ! La solution ne passe pas uniquement par les circuits courts ou la restauration collective, il faut des réformes structurelles.

Que 57 % seulement des agriculteurs renvoient leur dossier PAC montre bien leur ras-le-bol.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Gremillet.  - Il faut favoriser les installations, assurer un renouvellement des générations, imaginer des prêts sur une plus longue durée.

La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier, demandaient Michel Raison et Claude Haut ? Monsieur le ministre, vous êtes devant un rendez-vous historique. La France doit avoir de l'ambition pour son agriculture et faire confiance aux femmes et aux hommes sur le terrain. (Applaudissements à droite et au centre).

M. Stéphane Le Foll, ministre .  - Je me félicite de ce débat.

En allégeant les charges, en mobilisant 350 millions par an, avec un effet de levier de 1 milliard sur trois ans, nous apportons des réponses à la fois conjoncturelles et structurelles à la crise que traversent actuellement les éleveurs.

Oui, l'accord sur le lait concernait entre 25 et 30 % des produits...

M. Daniel Gremillet.  - 16 % !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Car nous avons visé les produits laitiers prioritaires, la crème fraîche, les yaourts nature - à la demande de la fédération... Fallait-il relever les prix pour les industriels qui possèdent des marques ? Certaines grandes laiteries ont fait, ces derniers mois, des bénéfices, pas les producteurs. Cette stratégie a été convenue avec les professionnels ! J'ai dit qu'on ne pouvait pas tout demander à la grande distribution, que les industriels eux-mêmes devaient faire un effort, de même que les banques, car il y aura une année blanche : elles ont intérêt à pérenniser l'activité pour se voir rembourser les prêts qu'elles ont consentis.

La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) a marqué la fin des quotas, auxquels on a substitué un système de contractualisation. Mais c'est la loi d'avenir qui a renforcé le rôle des organisations professionnelles en leur permettant de recourir au tribunal si les prix ne sont pas respectés. Il faudra franchir une nouvelle étape dans la contractualisation en associant la grande distribution à la négociation avec les contrats tripartites, intégrant des éléments de rémunération du producteur. Veut-on se priver d'un tel outil ? Trois fois non !

Favoriser l'origine française des productions passe par un accord de valorisation. Pour répondre au sénateur non inscrit qui est intervenu, je ne l'ai pas attendu pour lancer le label « Viande de France » dès février 2014. C'est la première fois que l'on assure la traçabilité, même sur les produits transformés. Certains, en Bretagne, me demandent de rendre ce label obligatoire, alors qu'ils n'usent pas de cette facilité. À chacun d'assumer ses responsabilités.

Dire que nous n'avons plus besoin de PAC, c'est oublier que si l'industrie agroalimentaire française est la première du monde, c'est parce qu'elle exporte ! Abandonner les règles européennes nous condamnerait.

Monsieur Bizet, vous avez le mérite de la cohérence. Mais quelles conclusions tirez-vous de votre analyse ? Dans le Gers, je connais une exploitation de 5 000 hectares regroupant 35 exploitants. Nous sommes favorables aux regroupements ! 5 000 hectares, vous avez bien entendu - le ministre n'a pas perdu la tête, il sait parfaitement où il va. La stratégie collective ne remet pas en cause la place des éleveurs, mais repose sur une dynamique de groupe. Faites donc le saut culturel nécessaire !

Sera remis d'ici la fin de l'année un rapport « Innovation 2025 », qui traitera de l'innovation scientifique, technique mais aussi de l'innovation dans le domaine social, car la condition de l'appropriation de l'innovation technique passe par là.

L'agriculture de demain passe aussi par l'autonomie fourragère, pour prévenir la hausse des prix des protéines végétales. Réfléchissez ! C'est cela qui assurera la compétitivité de notre élevage demain, quand les Danois ou les Allemands sont obligés d'importer.

Le choix des groupements agricoles d'exploitation en commun, l'organisation collective de la production permettra demain de renouveler le capital agricole en partageant la part du capital qui revient à chacun et en facilitant l'installation des jeunes.

Je ne suis pas satisfait pour autant, car la crise est là, et elle est forte.

M. Bailly a cité les aides versées en Espagne. Les éleveurs de Galice s'intéressent précisément à notre système de médiation et ont demandé à leur ministre de faire ce que nous avons fait en France. Les exploitations espagnoles ont entre dix et quinze vaches : les aides ne sont pas très élevées. Baisser les charges, apporter des aides ? Ce n'est pas un problème : nous faisons mieux qu'ailleurs, ce qui nous vaut d'être beaucoup imités.

Sur la question des normes, seul M. Dubois a été précis. Sur les veaux de boucherie et les vaches laitières, les normes ont été adoptées en 2011 - à la satisfaction de la FNSEA. C'est vous qui les avez fixées, c'est nous qui allons les assouplir, comme nous le ferons sur le porc et la volaille. Nous progressons donc ; il est faux de prétendre qu'il y a eu surtransposition.

Les difficultés sanitaires liées à la fièvre catarrhale ovine (FCO) tiennent au fait que le vaccin n'existait plus : il a fallu en produire 3 millions. Les vaccins disponibles permettent de vacciner 900 000 bêtes - nous en exportons 600 à 700 000. Relancer des contrats de production prend du temps. J'ai rencontré mes homologues pour renégocier les contrats sanitaires : cela se passe bien avec l'Espagne, moins bien avec l'Italie ou la Turquie. Face à ces difficultés, il faut apporter des réponses avec célérité et transparence, pour conserver la confiance des acheteurs. J'ai aussi engagé des discussions avec l'Europe pour obtenir que la réglementation sur la FCO soit assouplie ; la maladie est peu contagieuse et n'a aucune conséquence sur la qualité de la viande. Bruxelles est prête à discuter, je poursuis mes efforts pour dégager un peu de marge.

Je ne crains pas d'aborder la question de la compétitivité. Un grand colloque est en préparation sur l'innovation scientifique, technique, écologique, génétique, économique... Je suis ouvert à tout, car il faut une stratégie globale. Malgré la crise, notre responsabilité est de nous projeter. Ce que je souhaite le plus ardemment, c'est de redresser la barre pour l'ensemble des agriculteurs, de donner un sens et un avenir à notre agriculture, afin qu'elle reste la première en Europe. C'est une fierté, ainsi qu'un enjeu économique, social et territorial, qui mérite que l'on se mobilise. (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 20 h 15.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 21 50.