Contrats territoriaux de développement rural

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer des contrats territoriaux de développement rural.

Discussion générale

M. Bernard Delcros, co-auteur de la proposition de loi .  - Le 13 décembre 1962, le Premier ministre de l'époque, élu du Cantal, Georges Pompidou, évoquait l'inégalité entre les régions et la nécessité d'un mécanisme redistributif. Vingt ans plus tard, Gaston Defferre portait les grandes lois de décentralisation qui donnaient aux territoires l'autonomie et les moyens de leur développement. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les inégalités demeurent, elles se sont même accrues.

Certains territoires, notamment en moyenne montagne, sont plus fragilisés que jamais. Entre 2007 et 2014, seize départements ont perdu des habitants quand la population nationale s'accroissait de 2 millions de personnes. Le revenu moyen par habitant passe du simple au double, voire davantage, d'un département à l'autre. L'accès aux services publics se dégrade continûment, notamment ceux essentiels à la vie quotidienne. Dans mon territoire, sur onze bassins de santé de proximité, neuf sont considérés par l'ARS au moins comme « potentiellement fragiles »...

Peut-on laisser la situation se dégrader encore, les inégalités se creuser, la désertification gagner des pans entiers du territoire ? Ce serait une grave erreur pour l'équilibre territorial et social du pays, pour la cohésion nationale. D'ailleurs, Madame le ministre, vous avez avancé des mesures importantes lors des comités interministériels pour les ruralités du 15 mars et du 14 septembre. Mais cela ne suffit pas. L'État doit aider les territoires à s'organiser, à saisir les opportunités de développement offertes, par exemple, par le numérique.

Ces territoires ne veulent pas être sous perfusion. Ils veulent un avenir, de la prévisibilité, une meilleure efficacité de la dépense publique. C'est l'objet de la proposition de loi de Pierre Jarlier qui entend créer des contrats territoriaux de développement rural (CTDR). Les territoires ruraux veulent contractualiser comme tous les niveaux le font : l'Europe, l'État, la région, le département... Pourquoi leur refuser le mécanisme créé pour les quartiers urbains sensibles ? Il manque aux pôles d'équilibre territoriaux et ruraux un outil de contractualisation. Celui que propose le texte ne nécessite pas nécessairement des crédits supplémentaires, je le souligne.

Nos territoires ruraux peuvent devenir des terres d'opportunités et d'innovation. Aidons les élus à bâtir la ruralité de demain, la France en a besoin. (Applaudissements)

Mme Annick Billon, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement rural .  - Sans la ruralité, la France serait dépossédée d'une partie de ses richesses, de son patrimoine naturel et culturel. Pourtant, les difficultés s'y accumulent : fermeture de services publics, désertification médicale, fracture numérique, entraves à la mobilité. Tout cela contribue à développer un sentiment d'abandon.

Ce constat est connu ; malheureusement, si le Gouvernement multiplie les annonces pour faire croire que la ruralité fait partie de ses priorités, il n'en est rien. Les dotations fondent, les solutions sont dispersées, sans vision transversale, sans identification des synergies. Les 70 mesures annoncées lors des comités interministériels de mars et septembre, qui reprennent en partie des dispositifs existants, témoignent de la fragmentation d'une politique dépourvue de vision stratégique.

Le Gouvernement a volontiers recours aux appels à projets, encore faudrait-il que les collectivités disposent des moyens, et notamment de l'ingénierie, nécessaires pour y répondre. Les plus fragiles seront laissées sur le bord de la route.

M. Pierre Jarlier propose, avec cette proposition de loi, une approche plus intégrée et partenariale, celle qui a fait ses preuves avec les contrats de ville. La forme du contrat permettra une adaptation aux enjeux locaux, celle du partenariat une mutualisation en ces temps de raréfaction de l'argent public.

En commission, nous avons cherché à simplifier le dispositif afin que les élus puissent se l'approprier et à le rendre conforme aux dernières évolutions législatives, en particulier à la loi NOTRe du 7 août 2015.

Je proposerai de définir des critères simples et efficaces pour identifier les territoires en difficulté.

Notre préoccupation a été de mettre à la disposition des élus un outil simple d'utilisation au service de l'égalité entre les territoires et de la ruralité qui a bien besoin de soutien ! (Applaudissements au centre)

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - J'aurai d'abord une pensée amicale pour notre ancien collègue Pierre Jarlier et je salue son successeur, qui a repris le flambeau.

Face à la situation dégradée des territoires ruraux, l'État reste trop souvent en retrait, voire absent. Chaque année en loi de finances, nous regrettons avec M. Pointereau la réduction des crédits dédiés à l'aménagement et leur saupoudrage.

Les dizaines de mesures annoncées lors des comités interministériels ne rassurent guère. Ce sont souvent des coquilles vides ou la répétition des dispositifs existants qui témoignent de l'absence totale de volonté politique du Gouvernement.

Mme Sylvia Pinel, ministre.  - Caricature...

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Cela vous dérange peut-être, madame la ministre, mais c'est la vérité... Ce texte n'est pas la grande loi d'aménagement du territoire que nous espérons ; il est pragmatique et offre aux élus un outil contractuel simple, sans imposer de nouvelle norme, pour sortir de la logique de guichet et mobiliser intelligemment actions et ressources au service des territoires. Il ne s'agit pas plus de confronter villes et campagnes dans une opposition aussi stérile que dépassée ; mais de développer des solidarités, de renforcer la cohésion territoriale, de répondre au manque de reconnaissance dont souffre la ruralité. Il n'y a pas d'aménagement du territoire sans soutien accru aux territoires ruraux en difficulté.

J'invite le Sénat à voter ce texte actualisé à la lumière de la loi NOTRe. (Applaudissements au centre)

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité .  - Les auteurs de cette proposition de loi souhaitent créer une nouvelle modalité d'intervention coordonnée au service des territoires ruraux, inspirée des contrats de ville créés par la loi de 2014 et dont l'efficacité est reconnue de tous. Mais ce qui fonctionne bien dans certaines zones urbaines ne fonctionne pas nécessairement dans les zones rurales, j'y reviendrai...

Je regrette, monsieur le président de la commission, votre absence à la réunion de ce matin. Vous auriez constaté que le Gouvernement s'engage pour la ruralité. Ou plutôt pour les ruralités car elles sont plurielles, certaines sont très dynamiques. Ne les enfermons pas dans une vision décliniste telle que celle qu'on lit dans l'exposé des motifs du texte.

Si les questions soulevées par ce texte sont pertinentes, les solutions proposées nous semblent inadaptées. Vous voyez, monsieur Maurey, on peut ne pas être d'accord et tenir un langage mesuré...

Le dispositif que vous proposez paraît lourd et complexe, son périmètre bien large, alors que vous prétendez cibler les territoires les plus fragiles. Ce serait un mécanisme supplémentaire dans un paysage institutionnel en mutation, qui a besoin de stabilité. Enfin, votre proposition oublie la montée en puissance de l'intercommunalité et des régions.

La méthode du Gouvernement est pragmatique, en phase avec les réalités locales. Contrairement à ce que laissent penser certains propos, le Gouvernement agit avec détermination pour donner tout son sens au principe d'égalité des territoires et n'en délaisser aucun. Les soixante-sept mesures annoncées lors des comités interministériels sont opérationnelles : mille maisons de services au public fin 2016, mille maisons de santé d'ici 2017, accélération du plan très haut débit, couverture de tous les centres-bourgs en 3G et des zones blanches, élargissement du prêt à taux zéro, 300 millions consacrés pour la revitalisation des centres-bourgs, 200 millions pour l'augmentation de la DETR.

Revenons au texte : le dispositif proposé, dépourvu de crédits supplémentaires, est lourd et peu opérant...

Mme Sylvia Pinel, ministre.  - ... et son périmètre calé sur les ZRR. Le Gouvernement a travaillé à une refonte du zonage en retenant deux critères simples, la densité et le niveau de revenu par habitant.

Les schémas de développement durable issus de la loi NOTRe, articulés à la dynamique des métropoles, offrent davantage d'opportunités. Vous voulez déployer le numérique mais il existe des schémas directeurs de développement du numérique depuis 2009... Je citerai deux dispositions que le Gouvernement met en oeuvre, des solutions simples et adaptées : le programme transversal de revitalisation des centres-bourgs, qui concerne l'habitat mais aussi les commerces, les équipements, les services publics ; les contrats de réciprocité, expérimentés dans quatre régions, qui permettent de bâtir de façon flexible des partenariats entre les territoires urbains, périurbains et ruraux - énergies renouvelables, télémédecine, enseignement supérieur à distance...

Dressons-en le bilan lors de la clause de revoyure.

Le Gouvernement a engagé une politique harmonieuse et transversale pour nos territoires ruraux, dont nos compatriotes mesureront concrètement les effets. Le dispositif que vous proposez me paraît, au contraire, aller à l'encontre de votre objectif louable - il me rappelle les pôles de développement rural, naguère tant vantés. Stabilisation, mise en réseau des territoires, soutien aux initiatives locales, c'est dans cette direction qu'il faut aller.

Vous comprendrez que le Gouvernement ne peut être favorable à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)

M. Rémy Pointereau .  - Je salue le travail de Mme Billon sur cette proposition de loi, due à Pierre Jarlier, dont l'intention est louable, mais qui suscite mes réserves. Les difficultés des territoires ruraux sont réelles : déclin démographique, désindustrialisation, disparition des services publics, difficultés d'accès aux réseaux mobiles, la SNCF elle-même privilégie les zones denses...

Mais je crains que ce texte n'amplifie la concurrence entre territoires. Élu d'un département très rural, je crois à la complémentarité des villes et des campagnes. Je crains aussi de nouvelles complexités administratives : en France, on a trop tendance pour résoudre les problèmes à créer de nouvelles structures... Il en existe déjà : contrats de pays, pôles... Faut-il en rajouter ? Faut-il d'ailleurs une loi pour mettre en place de tels contrats territoriaux de développement ? La loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (dite « Maptam ») permet déjà aux collectivités de contractualiser.

D'ailleurs, comment financer tout cela, alors que le Gouvernement a raboté le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) de 44 millions d'euros en autorisations d'engagement et 14 millions d'euros en crédits de paiement en 2015, ramené la prime d'aménagement du territoire de 30 millions à 27 millions d'euros...

Mme Évelyne Didier.  - Tiens !

M. Rémy Pointereau.  - ...et raboté les crédits des pôles d'excellence rurale ?

Dans mon rapport budgétaire, je constate une fois de plus la baisse des crédits destinés aux territoires...

Je partage l'esprit de ce texte. S'il s'agit d'inciter le Gouvernement à passer de la parole aux actes, pourquoi pas ? Mais il vaudrait mieux mettre sur le métier une grande loi d'aménagement du territoire. Cela supposera une volonté politique, Madame la Ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Évelyne Didier .  - L'intention est bonne, à l'évidence : donner des moyens aux territoires, résorber la fracture territoriale. Mais le dispositif proposé ne nous convainc pas. Un contrat de plus ?

Les élus attendent plutôt que l'environnement normatif soit stabilisé et les liens entre collectivités territoriales précisés - avec par exemple le rétablissement des financements croisés.

L'exemple des contrats de ville ne vaut pas, car ceux-ci portent sur des territoires limités. N'opposons pas, d'ailleurs, la ville à la campagne. La politique de la ville est très spécifique, marquée par l'articulation entre l'urbain et le social née pour résorber les poches de pauvreté créées par la construction de grands ensemble.

Ces contrats territoriaux, d'ailleurs, seront inefficaces sans financement, alors que la politique de la ville est portée par l'ANRU.

Pourquoi les communes n'y ont-elles pas leur place - contrairement, dans la version initiale, aux entreprises censées contribuer à l'intérêt général ?

Le malaise des campagnes est la conséquence de la libéralisation à tout crin de l'économie et de l'austérité. Les services publics désertent les territoires non rentables. Les dotations fondent. Le fonds destiné à soutenir l'insertion locale, les maisons de santé, les maisons de service public sont des initiatives bienvenues - il est trop commode de tout critiquer. Vous avez pris conscience, Madame la ministre, des difficultés rencontrées par les petites collectivités pour monter leurs projets.

Aucun membre de l'UDI-UC n'a voté notre proposition de loi, qui rééquilibrait les moyens... Nous ne voterons pas celle-ci, électoraliste, et qui ne contribuera en rien à résorber la fracture territoriale (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Claude Leroy .  - Personne ne niera la nécessité de soutenir certains territoires. Ce texte, toutefois, suscite chez nous quelques interrogations. Malgré son amélioration en commission, il pose encore problème. À la diversité des territoires doivent correspondre des politiques diverses. Plutôt que de créer un nouveau concept, copié-collé dans la politique de la ville, donnons aux territoires de nouveaux moyens.

La contractualisation existe déjà. Depuis la loi NOTRe, les régions jouent un rôle fondamental de planification, les départements sont renforcés dans leur mission de solidarité. Ce serait donc plutôt aux régions de coordonner les actions, avec le soutien de l'État. L'article 3 n'évoquait-ils pas les fonds européens, qui passent par les régions ?

La définition donnée des territoires ruraux en difficulté, à l'article 2, a connu bien des avatars... Quelle sera l'utilité de la loi, une fois les zones de revitalisation rurale (ZRR) créées ? Vous renvoyez en outre à un décret en Conseil d'État pour préciser les critères, comprenne qui pourra...

Les deux comités interministériels sur la ruralité qui ont eu lieu à Laon et à Vesoul en mars et septembre 2015, au cours desquels 65 mesures ont été mises en place, ont prouvé la mobilisation du Gouvernement en faveur des territoires ruraux et ils ont été bien accueillis par ces territoires. Trois milliards d'euros sont ainsi engagés pour le haut débit : l'objectif est de faire entrer très rapidement l'ensemble des départements dans le plan France très haut débit et de connecter au haut débit satellitaire 150 000 foyers supplémentaires, situés en zones difficiles d'accès, à l'horizon 2018.

L'ensemble des bourgs-centres seront couverts par la téléphonie mobile d'ici la fin de l'année 2016. Confirmation a été donnée par Mme la ministre de l'engagement du Gouvernement lors de son audition par la commission.

J'ajoute la création de maisons de service public, de maisons de santé - 1 000 bientôt -, les plateformes de mobilité -  12,5 millions d'euros pour le maintien des stations-services -, l'enveloppe de 300 millions d'euros pour soutenir les projets d'investissements des petites collectivités...

L'adage dit : « quand le bourg va bien, l'arrière-pays va bien, quand le bourg va mal, c'est tout l'arrière-pays qui souffre ».

Le temps semble s'être arrêté pour les auteurs de cette proposition de loi, qui ne tiennent compte ni de la loi NOTRe, ni des récents pôles d'équilibre et de développements territoriaux, c'est finalement un texte de circonstance, à la veille des élections régionales...

Lors des Assises de la ruralité, à Murol, les maires ruraux ont dit leurs difficultés, mais aussi leurs projets. En Auvergne, par exemple, René Souchon a préféré investir dans le numérique plutôt que dans les routes.

Faisons vivre nos campagnes par des actions concrètes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Joël Labbé .  - Dans ce match, on se renvoie la balle. Pour moi, le Gouvernement fait ce qu'il peut, mais doit aller plus loin. Donner des signes, c'est nécessaire, même si c'est suspect à la veille d'élections...

Les territoires ruraux se sentent oubliés, qu'on le veuille ou non. Nous pouvons être fiers d'avoir maintenu les pays et créé les pôles de développement rural ; il faudra toutefois mesurer l'impact des récentes lois qui ont bouleversé notre organisation territoriale. N'ajoutons pas de nouvelles normes, l'heure est à la simplification.

En commission, M. Dantec proposait que les parcs naturels régionaux puissent être porteurs de contrats ; Mme la rapporteure nous a dit que c'était déjà possible. Nous veillerons à tout le moins à ce qu'ils n'en soient pas exclus.

L'agriculture reste au coeur des campagnes. Prenons soin de la terre, des paysages, de la biodiversité, l'agriculture paysanne doit être soutenue. La relocalisation de notre économie alimentaire grâce aux circuits courts et aux projets alimentaires territoriaux, favorisés par la dernière loi agricole, sera favorable à nos territoires comme à ceux des pays en développement. Je plaide pour une gouvernance mondiale de l'alimentation.

La proposition de loi nous paraît inaboutie. En attendant la navette, nous nous abstiendrons.

M. David Rachline .  - Vous prenez enfin conscience de l'abandon des territoires ruraux, à quelques semaines des régionales et proposez de refaire ce que vous avez défait depuis des décennies....

L'article premier est pavé de bonnes intentions. Mais les Contrats territoriaux de développement rural (CTDR) ne feront que rigidifier le carcan administratif. On superpose les dispositifs, mieux vaudrait supprimer ce qui ne fonctionne pas.

Pourquoi compliquer encore la vie des élus ? Le métier de maire rural est de plus en plus complexe et l'outil que vous proposez est baroque, sans compter qu'il n'est pas financé !

Ce qu'il faut, c'est alléger la fiscalité des TPE-PME, soutenir l'agriculture française, mettre fin à la disparition des services publics, développer le tourisme local et les trains régionaux. Bref, du concret !

M. Jean-Claude Requier .  - Le recours au contrat masque l'incapacité à simplifier et à penser globalement. Nous partageons évidemment le diagnostic des difficultés rurales. Mais cette proposition de loi ne répond pas à la diversité des réalités.

Comme l'a souligné Alain Bertrand, la notion de « ruralité » n'a plus grand sens : il y a des ruralités, il y a aussi une hyper-ruralité. Les critères proposés ne tiennent aucun compte de l'enclavement, de la faiblesse des ressources des services publics.

Quant à la contractualisation, elle n'a d'effet qu'à la condition d'une volonté forte de l'État assortie de financements. Ainsi, elle n'a guère fait la preuve de son efficacité dans la politique de la ville...

Nous attendons avant tout une péréquation équitable, car nationale, autrement on ne fait que redistribuer la pénurie. Plus que d'une politique de cohésion rurale, c'est d'une politique d'aménagement du territoire que la France a besoin. Cette proposition de loi n'apporte qu'une réponse partielle, quand les élus attendent une politique globale, conduite par l'État, garant de l'intérêt général.

Nous saluons les mesures annoncées lors du comité interministériel sur la ruralité, même si nous aurions préféré un projet de loi sur l'aménagement du territoire.

Le RDSE, peu convaincu par cette proposition de loi trop timide, ne lui apportera pas son soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Luche .  - Précisons d'emblée que cette proposition de loi due à Pierre Jarlier date du printemps 2015 et n'a aucun lien avec les élections régionales. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC) Elle part d'un constat : les inégalités structurelles qui pèsent sur nos territoires ruraux. Les collectivités rurales sont soumises à des contraintes propres, liées à l'éloignement ; les services publics ne peuvent obéir à une logique purement comptable. En ville, il ne faut que quelques mètres de tuyau pour relier un foyer au réseau d'eau, en zone rurale, plusieurs kilomètres parfois : si le prix de l'eau est identique dans les deux cas, il n'en va de même de son coût !

Les habitants financent les équipements par leurs impôts, alors que les opérateurs de téléphonie mobile se livrent une concurrence acharnée pour le faire en ville...

M. Gilbert Roger.  - Ne rêvez pas !

M. Jean-Jacques Filleul.  - Dites-le à M. Fillon !

M. Jean-Claude Luche.  - Le renouvellement des médecins généralistes est en péril dans les campagnes, ce qui entraine la disparition des services publics, qui nuit elle-même à l'attractivité de ces territoires : c'est un cercle vicieux.

Il est urgent de réagir. Une ruralité réinventée, dynamique, solidaire, attractive, c'est à quoi je travaille dans l'Aveyron - qui ne gagne d'habitants que grâce au solde migratoire. Les contrats territoriaux de développement rural sont un outil parmi d'autres, et je crois en leur efficacité. Ils associeront tous les acteurs, publics, privés, associatifs..., à commencer par l'État, premier partenaire par les financements qu'il apporte et par son rôle de garant de l'égalité.

La commission a utilement simplifié le dispositif, j'en remercie la rapporteure, et regrette cependant que son amendement revoyant les critères ait été rejeté.

Les contrats territoriaux de développement ruraux et les zones de revitalisation rurale sont parfaitement complémentaires. Reste que ces contrats devront être adaptés aux atouts, aux richesses, aux difficultés de chaque territoire. L'équité en milieu rural, c'est le droit à la différence !

Le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - Bien que 80 % de notre territoire soit rural, la France n'est pas un pays rural, mais un pays qui définit ses politiques en fonction de critères démographiques. Voilà longtemps que l'État aide les quartiers sensibles de nos villes. Mais on souffre aussi dans nos campagnes et nos montagnes. Le critère démographique ne suffit pas.

Dans les campagnes, la population vieillit et diminue, les services publics ferment, les entreprises se raréfient. Si le désordre public n'y menace pas, le malaise est réel.

Malgré les beaux discours, quelles nouvelles perspectives sont-elles réellement offertes aux habitants ?

Ce qui marche en ville ne marche pas forcément à la campagne, où les besoins comme les attentes diffèrent. Les contrats territoriaux peuvent être un moyen de valoriser la complémentarité entre villes et campagnes. Outre le maintien des services publics, la mobilité est essentielle à nos campagnes.

L'objectif de cette proposition de loi est louable, mais les collectivités devront mettre la main à la poche... Difficile pour les départements d'envisager de nouveaux contrats, alors qu'ils peinent déjà à financer le RSA !

Je voterai cependant ce texte, ainsi, je pense, que nos collègues du groupe Les Républicains. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Filleul .  - L'implication de la rapporteure méritait mieux qu'un texte d'affichage, repêché tardivement, à quelques mois des régionales. Je regrette qu'il enfonce des portes ouvertes en se fondant sur des critères inadaptés. En commission, même la majorité sénatoriale a exprimé son désappointement...

Les dispositifs existants fonctionnent bien, à commencer par les pôles d'équilibres territoriaux et ruraux (PETR), pourquoi en rajouter ? Rapporteur de la loi Maptam, j'ai dit qu'il s'agissait de prendre en compte les spécificités rurales, non en créant un échelon de plus mais en approfondissant les dynamiques territoriales. Chaque PETR élabore un projet de territoire ; il peut conventionner avec les départements et les régions. Le monde rural et périurbain y participe évidemment, n'opposons pas les territoires entre eux.

Malgré les prophéties du déclin, la France avance ! Dans la loi NOTRe aussi, les campagnes ont été prises en compte, avec la création de deux schémas prescriptifs et la possibilité de contractualiser entre intercommunalités et régions dans le cadre du contrat de plan État-Région. Les deux réunions récentes du comité interministériel à la ruralité témoignent de l'engagement du Gouvernement : près d'un milliard d'euros pour 67 mesures nouvelles, dont beaucoup sont déjà engagées.

Les péréquations horizontale et verticale progressent aussi, c'est décisif pour l'équilibre territorial.

À cela s'ajoutent d'autres mesures pour l'investissement et sur la fiscalité et le remarquable travail des régions en faveur des villages et centre-bourgs, comme dans le Centre-Val de Loire.

Les territoires ruraux ne sont pas tous à l'abandon. Loin s'en faut ! Dans certains, on vit bien et même très bien. La ruralité est une force, tout doit être fait pour favoriser l'attractivité des territoires, sans qu'il soit besoin d'ajouter aux dispositifs existants. Le groupe socialiste votera donc contre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Daniel Chasseing .  - Cette proposition de loi est bienvenue. Depuis des années, nous sommes nombreux à réclamer une politique pour la ruralité, comme il en existe une pour la ville. Certes, le Gouvernement a fait des annonces à Vesoul.

La loi Maptam a instauré des PETR mais n'a prévu aucun mécanisme contractuel pour engager une dynamique dans les territoires ruraux en difficulté. À l'image des contrats de villes, il nous faut un outil pour associer tous les acteurs locaux. S'il existe bien plusieurs ruralités, les territoires ruraux profonds sont des oubliés de nos politiques publiques. Ils décrochent : crise de l'agriculture, baisse des dotations, fracture numérique. Les petites communes sont incapables de mettre sur la table les 20 % restants nécessaires pour financer la fibre optique.

Si nous ne faisons rien, la désertification s'accélérera et bientôt il sera trop tard. À Vesoul, le Gouvernement a annoncé une simplification des ZRR. C'est une bonne chose. Et ce serait encore mieux si cela était articulé avec l'article 2 de cette proposition de loi définissant les territoires ruraux en difficulté.

C'est bien grâce à l'activité économique que les territoires pourront maintenir de la vie. Loin de complexifier, ces contrats mobiliseront tous les acteurs et inciteront les entrepreneurs à s'installer.

Je voterai ce texte (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Billon, au nom de la commission.

Rédiger ainsi cet article :

Sont définis comme territoires ruraux en difficulté au sens de l'article 1er de la présente loi, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre caractérisés par une faible densité de population et un faible revenu par habitant, en référence à des valeurs nationales.

Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du présent article.

Mme Annick Billon, rapporteure.  - Je propose de mieux définir les territoires ruraux en difficulté.

Mme Sylvia Pinel, ministre.  - Cet amendement a le mérite de mieux cibler le dispositif. Est-il pour autant opportun de créer un nouvel outil ? Sagesse.

M. Claude Bérit-Débat.  - Cet amendement est symptomatique des difficultés de la majorité sénatoriale à s'accorder sur ce texte. Deux rédactions ont été rejetées. Finalement le bon sens a prévalu, avec des critères qui sont aussi ceux des ZRR. Dès lors, ce nouveau contrat est-il utile ? On ne peut faire fi des mesures prises par le Gouvernement, avec un milliard d'euros pour les territoires ruraux sur le très haut débit, la téléphonie mobile, les maisons de santé et j'en passe.

Cette proposition de loi est inutile.

M. Jean-François Longeot.  - Cet amendement, loin d'être « symptomatique » d'une difficulté, témoigne de l'écoute de la rapporteure. Nul n'oppose les territoires urbains et les territoires ruraux. Ces contrats ne sont rien d'autre que le pendant des contrats de ville, un outil pour plus d'équité, non d'égalité malheureusement car un citadin touche deux fois plus de DGF qu'un rural. Les milliards qu'on nous annonce pour la campagne, je ne les vois pas pleuvoir sur nos têtes. Que deviendra la dotation du chef-lieu de canton après 2017 ? Nous sommes incapables de financer le déploiement de la fibre optique. Ce texte ne doit pas susciter des antagonismes quand son but est simplement de rétablir l'égalité.

M. Michel Canevet.  - J'apprécie la souplesse de la formule du contrat car les territoires ruraux sont très divers. Certes, le Gouvernement a annoncé des mesures mais elles sont générales. Ce dont les territoires ruraux ont besoin, c'est de mesures adaptées à leur réalité. Certaines communes connaissent de telles difficultés qu'elles ne peuvent pas apporter les concours demandés pour financer le très haut débit, pourtant essentiel à leur développement.

Je voterai cet amendement.

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Delcros.

Alinéa 2, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

ou un syndicat portant le schéma de cohérence territoriale

M. Bernard Delcros, co-auteur de la proposition de loi.  - Certains syndicats mixtes ne servent qu'à porter les Scot, ce n'est pas le cas de tous.

Mme Annick Billon, rapporteure.  - Retrait. L'objet d'un Scot est différent. En outre, nous donnons à toute personne publique la possibilité d'être signataire, ce qui répond à votre souhait.

Mme Sylvia Pinel, ministre.  - Même avis.

M. Jean-Claude Leroy.  - Pour une fois, je partage l'avis de notre rapporteure.

M. Bernard Delcros.  - Je répète que des syndicats mixtes ont une compétence plus large que de porter un Scot.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article 3 est adopté.

L'article 4 demeure supprimé.

L'article 5 est adopté.

Les articles 6 et 7 demeurent supprimés.

L'article 8 est adopté.

ARTICLE 9

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par MM. Chasseing, Grosdidier et Roche, Mme Imbert, M. Morisset, Mmes Deromedi et Morhet-Richaud, M. D. Laurent, Mme Lamure, MM. Trillard, Milon, Laménie et Houpert, Mme Duranton, MM. Laufoaulu, de Raincourt, Commeinhes, Charon, Genest, Darnaud, Grand et Lefèvre, Mme Lopez, MM. B. Fournier, Pierre, Luche et A. Marc, Mme Cayeux, MM. Perrin, Raison, Nougein et Mayet, Mme Gruny et MM. Pinton, G. Bailly, Masclet, Longeot, Vasselle et Poniatowski.

Au début de cet article

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

Les contrats territoriaux de développement rural prévoient un volet économique comportant une compensation financière pour les entreprises installées en zone à faible densité de population.

Un décret en Conseil d'État précise les conditions d'application du premier alinéa.

M. Daniel Chasseing.  - C'est par l'emploi que la vie sera maintenue dans les zones rurales et hyper-rurales. Il faut donc aider les entreprises installées dans ces territoires.

Cette proposition de loi est bonne et n'a rien de politicien. On ne peut pas se refuser à légiférer parce que des élections approchent, il y en a tous les ans !

Mme Annick Billon, rapporteure.  - Cet amendement risque de rigidifier les choses quand nous avons cherché la simplification. Retrait ?

Mme Sylvia Pinel, ministre.  - Même avis.

M. Daniel Chasseing.  - Si nous n'aidons pas les entreprises de ces territoires, la désertification progressera inexorablement.

L'amendement n°1 rectifié ter n'est pas adopté.

L'article 9 est adopté.

L'article 10 demeure supprimé.

Interventions sur l'ensemble

Mme Annick Billon, rapporteure .  - Comme Jean-Claude Luche l'a dit, cette proposition de loi n'a rien d'une manoeuvre politicienne : Pierre Jarlier l'a déposée en mai dernier. Elle vise à simplifier les outils existants en évitant le saupoudrage.

Nous avons justement évité le copier-coller avec les contrats de ville. La commission a récrit le texte pour inclure les EPCI et les régions. Chacun devrait soutenir cette contractualisation. Pourquoi la refuser aux territoires ruraux ?

Madame la ministre, vous avez beau jeu de dresser un catalogue de mesures. En attendant les territoires sont en difficulté. L'outil simple que nous proposons est une solution.

M. Hervé Maurey, président de la commission .  - Il ne suffit pas de dire que l'on mène une politique ambitieuse pour que ce soit vrai ! Ce n'est pas parce que vous annoncez 67 mesures à grand frais que la situation changera. La désertification médicale n'a jamais été aussi aiguë.

M. Claude Bérit-Débat.  - Que ne l'avez-vous dit avant 2012 !

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Je l'ai dit. Ces problèmes ne datent pas d'hier. Mme Lemaire a eu la franchise de nous dire hier en commission que tout le monde n'aurait pas la fibre. Accordez-vous avec elle, madame Pinel !

Ce texte a été déposé en mai. Comment parler d'électoralisme ? Certains, à l'inverse n'ont pas manqué d'évoquer leur région... Ce n'est qu'un texte concret et pragmatique. Comment parler de solution d'uniformité quand nous proposons des contrats adaptés aux réalités locales ? Pourquoi ceux qui partagent notre diagnostic mais pas notre médication n'ont-ils pas déposé des amendements ?

M. Michel Vaspart .  - Pour le groupe Les Républicains, inquiet du manque de moyens accompagnant ce texte et d'une possible complexification des interventions avec ce nouveau contrat, c'est un « oui, mais ». Toutefois, parce qu'il importe d'alerter le Gouvernement, le groupe Les Républicains votera pour.

M. Jean-Marc Gabouty .  - La crise des territoires ruraux ne date pas d'hier. Il est temps d'agir et de cesser les petites annonces décousues ; une politique de mise sous morphine qui ne fait qu'aider le patient à mourir sans douleur.

Plutôt que la logique de guichet, développons la contractualisation. Elle sera plus efficace que l'accumulation de schémas qui débouchent rarement sur du concret. Enfin, pourquoi ne pas réfléchir aussi à une modulation de l'impôt sur les sociétés en fonction du nombre d'emplois sur un territoire ?

M. Jean-Claude Leroy .  - M. Maurey est injuste vis-à-vis du groupe socialiste : c'est bien nous qui avons proposé la rédaction améliorée de l'article 2.

Cette proposition de loi date de mai mais la loi NOTRe a changé la donne depuis. Les régions sont désormais le lieu de la contractualisation et le Gouvernement a tenu des conseils interministériels sur la ruralité. Comme il a été dit sur les bancs du groupe « Les Républicains », ce texte complexifiera une politique qu'il faut simplifier. Nous voterons contre.

La proposition de loi est adoptée.