Signalement de situations de maltraitance (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie .  - C'est la deuxième fois en moins d'un an que la Haute Assemblée débat de la protection de l'enfance. Et par deux fois, nous devons à l'initiative parlementaire d'avoir fait émerger dans chaque disposition législative l'intérêt supérieur de l'enfant. À trois semaines de l'anniversaire de la convention des droits de l'enfant et à trois mois de l'examen de la France par le comité des droits de l'enfant de l'ONU, nous voici donc réunis pour examiner en deuxième lecture la proposition de loi de Mme Giudicelli.

La protection de l'enfance a trop longtemps fait figure d'angle mort de nos politiques publiques. Elle mérite mieux qu'un regard furtif. Elle mérite l'écoute des enfants, la mobilisation des professionnels et l'engagement du Gouvernement comme du Parlement. Parmi les nombreux professionnels intervenant auprès des enfants, la proposition de loi s'intéresse plus particulièrement aux médecins. Ce sont souvent les premières personnes hors de la famille avec lesquelles les enfants sont régulièrement en contact, dès les premiers âges de la vie.

Parce qu'ils assurent le suivi et les vaccins des enfants, parce que les parents les sollicitent quand ils se posent des questions, ils sont à même de repérer les phénomènes de maltraitance. Envisageons-les comme tels, ainsi que le préconise la Haute autorité de santé (HAS), car la maltraitance de l'enfant est une question de santé publique, et pas une question de société.

En 2002, seulement 2 à 5 % des signalements émanaient des médecins. Comment expliquer ce déficit ? D'abord par la crainte d'être poursuivi pour diffamation et pour avoir violé le secret médical. Cette crainte est pourtant infondée depuis la loi du 2 janvier 2004, qui prévoit l'irresponsabilité pénale et disciplinaire des médecins procédant à un signalement, et la loi du 5 mars 2007, qui a introduit la notion d'information préoccupante et créé dans chaque département une cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes (Crip) - un cadre pour l'échange d'informations à caractère secret pour compléter un diagnostic et envisager un signalement. Si les médecins peuvent être poursuivis pour non-assistance à personne en danger s'ils ne signalent pas une maltraitance, la HAS a élaboré un modèle-type de signalement et des fiches pratiques. Les médecins ont donc tous les outils à leur disposition.

Il s'agit, avec cette proposition de loi, de rendre le dispositif plus lisible. L'article premier redit, réaffirme le droit. Le Gouvernement le soutient : il contribue à déconstruire les préjugés et les approches faussées ; il s'inscrit dans les objectifs de ma feuille de route sur la protection de l'enfance qui désigne un médecin référent dans chaque département pour coordonner les échanges d'informations.

Cette proposition de loi aurait d'ailleurs mieux trouvé sa place sous forme d'amendement au texte que j'ai préparé ; je regrette que le rôle des médecins soit abordé de façon un peu isolée. La protection de l'enfance passe par l'interdisciplinarité et le décloisonnement. Travailler ensemble, croiser les regards et échanger est fondamental pour l'intérêt de l'enfant.

Ce n'est pas parce que le Gouvernement regrette un peu la forme que le fond doit en être comptable. Nous soutenons ce texte, outil supplémentaire pour les professionnels de santé. N'oublions pas que la finalité est bien de mieux protéger les enfants. (Applaudissements à gauche)

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois .  - Ce texte déposé par Mme Colette Giudicelli renforce le rôle des professionnels de santé dans la lutte contre la maltraitance, en réaffirmant leur irresponsabilité. Cette démarche, opportune au regard de son objectif, s'inscrit dans le travail constant de notre assemblée sur la protection de l'enfance.

Sans modifier au fond le droit, cette proposition de loi réaffirme sans ambiguïté, explicitement, qu'un médecin signalant un cas de maltraitance bénéficie d'une immunité. Le Sénat avait étendu cette irresponsabilité à l'ensemble des professionnels de santé et aux auxiliaires médicaux ; et, afin de rassurer les professionnels, ouvert la possibilité de saisine de la CRIP. Nous avions aussi renforcé la formation des médecins à la détection de la maltraitance.

L'Assemblée nationale a préféré viser « les médecins et tous les autres professionnels de santé », ce qui inclut les auxiliaires de puériculture et les pharmaciens. Ce changement, bienvenu, me conduit à vous proposer d'adopter conforme cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - L'objectif de cette proposition de loi est louable : instaurer une meilleure protection juridique des médecins en modifiant l'article 226-14 du code pénal. Le Sénat a étendu le champ de l'irresponsabilité à tous les auxiliaires médicaux ; l'Assemblée nationale à tous les professionnels de santé qui interviennent auprès des enfants. La commission des lois du Sénat a adopté cette rédaction conforme aux intérêts de l'enfant. Ainsi les médecins, mais aussi les pharmaciens ou les auxiliaires de puériculture bénéficieront d'une immunité.

Le groupe écologiste votera sans hésitation ce texte opportun et consensuel qui encouragera les médecins à signaler les cas de maltraitance, en levant le dilemme entre devoir moral de signaler la maltraitance, respect du secret médical et crainte d'être poursuivis. L'intérêt supérieur de l'enfant justifie la mise en oeuvre d'un tel dispositif. (Applaudissements)

Mme Françoise Laborde .  - Une semaine après avoir débattu de la protection de l'enfance, nous examinons la douloureuse question de la maltraitance, longtemps niée ou banalisée. Malgré les dispositifs de prévention et de protection, la maltraitance reste sous-estimée : si 90 000 cas d'enfants en danger sont connus, le chiffre est probablement en dessous de la réalité.

Les médecins ne sont à l'origine que de 5 % des signalements ; outre la difficulté à envisager la maltraitance, ils craignent d'être tenus responsables d'une dénonciation calomnieuse. Le manque de formation en est une des causes principales : en 2002, 80 % des étudiants en médecine déclaraient ne pas avoir suivi la formation sur les violences, alors que 50 % affirmaient avoir eu affaire durant leur stage à des patients victimes de violences, en particulier des femmes. Ainsi la Haute Autorité de santé recommandait-elle en novembre dernier une sensibilisation des médecins au repérage de la maltraitance et à son signalement.

Je remercie Collette Giudicelli pour cette proposition de loi. Le Sénat a étendu l'immunité à tous les auxiliaires médicaux. Le médecin de famille n'est, en effet, pas toujours le mieux placé pour signaler un cas de maltraitance. Il était bon d'autoriser les sages-femmes, par exemple, à le faire. De même, le signalement auprès des Crip lève des freins psychologiques, les médecins étant réticents à contacter directement le procureur. Le Sénat a réaffirmé le principe d'une irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire, tout en renforçant la formation. Les ajouts de l'Assemblée nationale sont les bienvenus.

Le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements)

M. Yves Détraigne .  - La France compte 20 000 enfants en situation de maltraitance, 80 000 dans une situation à risque ; et encore ces chiffres sont-ils sous-estimés.

La proposition de loi de Mme Giudicelli vise à lever les craintes faisant obstacle au signalement. Réaffirmer l'immunité des médecins va dans le bon sens, de même que son élargissement à tous les professionnels de santé et la possibilité d'effectuer le signalement auprès des Crip, plus seulement auprès du procureur. Tout cela contribuera à lever les réticences des médecins. L'obligation de formation est opportune.

Nous saluons le travail de notre rapporteur et suivrons ses recommandations pour voter ce texte conforme. (Applaudissements)

M. Éric Bocquet .  - La HAS définit la maltraitance comme le non-respect des droits et besoins fondamentaux des enfants. Si les médecins, notamment aux premiers âges de la vie, sont des acteurs essentiels dans le repérage de la maltraitance, ils ne sont à l'origine que de 5% des signalements. En cause, la réticence à mettre en cause la sphère de la famille, la méconnaissance des dispositifs existants, l'absence de formation, la peur des poursuites pour dénonciation calomnieuse. L'absence de signalement est cependant passible de poursuite pour non-assistance à personne en danger.

Nous avions voté ce texte en première lecture, qui réaffirme l'obligation de signalement en contrepartie d'une irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire pour les médecins et auxiliaires médicaux. Il est nécessaire. Je veux évoquer le cas d'une sage-femme qui a établi un certificat médical attestant de violences sur une femme et est poursuivie par le conjoint qui estime qu'elle a violé le secret médical. Une pétition de soutien a recueilli 3 500 signatures, dont de nombreux médecins. Selon l'ancienne directrice de la maternité des Bluets, 30 à 40 % des violences conjugales commencent dès la grossesse. Il importe que les professionnels de santé puissent signaler pareils cas sans crainte.

La maltraitance ne disparaîtra pas pour autant du jour au lendemain, il faut apporter des réponses supplémentaires, dont des moyens pour la formation et l'information.

Je veux enfin relayer l'inquiétude de certaines associations, notamment de parents d'enfants autistes, qui craignent dans certaines situations des placements abusifs - elles citent le cas d'un enfant placé qui présentait des hématomes... dus à la maladie des os de verre. Pour éviter ces erreurs, renforcer la formation de tous les professionnels est indispensable. Le groupe CRC votera ce texte en deuxième lecture.

Mme Claudine Lepage .  - M. Bigot, qui s'est exprimé au nom du groupe socialiste sur ce texte en première lecture, a été retenu à Strasbourg. Permettez donc à une sénatrice de la commission de la culture de prendre le relais.

Ce texte de Mme Giudicelli fait l'objet d'un large consensus, on ne peut que s'en féliciter. Tous, nous voulons protéger les enfants en danger, auxquels il faut venir en aide le plus tôt possible. Autrefois, on considérait que les affaires de famille devaient se régler en famille. Ce temps est révolu.

Le texte affirme sans ambiguïté que les professionnels de santé ne peuvent voir leur responsabilité engagée s'ils signalent une maltraitance, sauf en cas de mauvaise foi - ce cas est explicitement prévu à l'article 6. Cela les encouragera à s'impliquer davantage dans le repérage des enfants maltraités, d'autant qu'ils y seront mieux formés ; les médecins ne sont à l'origine aujourd'hui que de 5 % des signalements. On sait aussi que les situations de maltraitance sont difficiles à caractériser.

J'espère que nous adopterons ce texte par un vote conforme. (Applaudissements)

Mme Colette Giudicelli .  - J'avais préparé mon intervention, bien sûr, mais je m'en tiendrai à un voeu : que le Gouvernement déclare l'année 2016 année de la lutte contre la maltraitance. Merci à notre rapporteur, François Pillet. Pour finir, quelques lignes du poète libanais Khalil Gibran : « Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les fils et les filles de l'appel de la vie à elle-même et bien qu'ils viennent au monde à travers vous, ils ne vous appartiennent pas ». On ne peut dire mieux. (Applaudissements)

Mme Nicole Duranton .  - Le constat est partagé : les médecins signalent peu les cas de maltraitance par crainte de poursuites. Aussi ce texte réaffirme-t-il leur irresponsabilité. Le Sénat, puis l'Assemblée nationale, l'ont élargi aux auxiliaires médicaux et à tous les professionnels de santé.

Les cas connus de maltraitance sont au nombre de 90 000 ; on compte entre 180 et 200 cas de bébés secoués par an. La maltraitance est un problème de santé publique qui concerne toutes les classes sociales ; les facteurs psychosociaux sont premiers par rapport aux facteurs socioéconomiques.

Parce que les professionnels de santé sont en première ligne, leur action est déterminante. Pourtant, peu de cas sont signalés par eux à cause d'une formation insuffisante ; de barrières psychologiques, des liens de proximité avec la famille, de la crainte d'une erreur et des conséquences sur la vie familiale. Si ce texte réaffirme l'irresponsabilité, il l'exclut toutefois en cas de mauvaise foi ; il renforce en outre la formation des médecins.

Un chiffre pour conclure : 10 % des enfants en France sont victimes de maltraitance. Adoptons cette loi ! (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Faute d'amendement, le vote sur cet article, le seul qui reste en discussion, vaudra vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

L'article premier est adopté.

La proposition de loi est adoptée définitivement.

(Applaudissements)

Mme la présidente.  - Je suis très heureuse de l'adoption à l'unanimité de ce texte, que j'ai cosigné. Chacun comprendra mon émotion.