Surveillance des communications électroniques internationales (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.

Discussion générale

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Nous arrivons au terme d'un processus rapide, qui a consisté à combler la brèche ouverte par le Conseil constitutionnel dans la loi relative aux techniques de renseignement ; nous n'avions en effet pas exercé complètement notre compétence législative. Nous remercions le Conseil de nous avoir ainsi défendus.

J'ai présenté une proposition de loi analogue à celle déposée par Mme Patricia Adam à l'Assemblée nationale et demandé au président du Sénat de consulter le Conseil d'État sur ses dispositions. Celui-ci a levé nos doutes et le texte a pu être adopté par notre assemblée, puis en commission mixte paritaire.

Mme Adam, rapporteure de l'Assemblée nationale et présidente de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, a simplement souhaité porter le délai de conservation des données à douze mois à partir de la première utilisation des correspondances interceptées, délai que nous souhaitions fixer à dix mois. La commission mixte paritaire a toutefois décidé que la délégation parlementaire au renseignement étudierait cette question. Il sera loisible au législateur de revenir ultérieurement sur ce point. C'est le seul point qui a suscité des débats en CMP - celle-ci l'a finalement adopté à l'unanimité moins une abstention.

La consultation du Conseil d'État ajoute au contrôle opéré par le Conseil constitutionnel toutes les garanties de constitutionnalité avant son entrée en vigueur. Je vous demande donc d'adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger .  - Je vous prie d'excuser M. Le Drian, retenu par un Conseil de défense.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Il est tout excusé.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État.  - Ce texte d'une grande importance répond à un besoin urgent. Il parachève un processus fondamental pour la sécurité de notre pays, tout en le sécurisant juridiquement après la censure du Conseil constitutionnel - non sur le fond, vous l'avez dit, mais pour incompétence négative du législateur.

En CMP, les points d'achoppement tenaient plus à la forme qu'au fond du dispositif, qui a désormais le plein soutien du Gouvernement. Celui-ci veut remercier tous ceux qui ont contribué à son écriture, en particulier Mme Adam, M. Bas, les rapporteurs, les membres des commissions des lois et des affaires étrangères.

Je le redis : cette proposition de loi est fondamentale, qui donne un cadre légal renouvelé à l'action de nos services tout en protégeant les libertés publiques. (Applaudissements)

Mme Éliane Assassi .  - Si la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, nos réserves demeurent. Les apports du Sénat ne limitent que marginalement la surveillance de masse, rendue possible par ce texte. Même si le Sénat avait obtenu que le délai de conservation des données passe de douze à dix mois, cela n'enlèverait rien au caractère massif de la collecte. Cette véritable pêche au chalut est d'une efficacité douteuse dans la lutte contre le terrorisme. Tous les spécialistes le disent : seule la capacité d'analyse des données fait son utilité, et celle-ci exige des moyens humains.

Des pouvoirs disproportionnés sont en outre données à nos services. Le Premier ministre pourra autoriser des contrôles de flux de communications transitant par câbles sous-marins, sans avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), au seul motif de lien avec les intérêts fondamentaux de la Nation. Nous regrettons que nos amendements encadrant l'usage des algorithmes et protégeant avocats, journalistes et parlementaires contre ces écoutes n'aient pas été retenus.

Les cibles potentielles de cette méthode de détection des signaux faibles excèdent déjà la lutte antiterroriste : des groupes de personnes, organisations, zones géographiques, selon les termes même de la loi, peuvent être écoutées.

Nous nous acheminons vers un système semblable à celui de la NSA, même si, pour être juste, je dois dire que dès lors que la communication écoutée sera tenue par un Français, le régime de conservation valable en métropole s'appliquera.

Nul angélisme dans mes propos, nous n'ignorons pas la menace qui plane sur notre pays. Mais on attend d'un État de droit comme le nôtre qu'il trouve une conciliation plus équilibrée entre sécurité et libertés publiques. Qu'on ne nous réponde pas qu'il faudrait faire comme les autres : ce serait une victoire de nos adversaires si nous en venions à sacrifier nos libertés.

Pour ces raisons, le groupe CRC ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Hélas !

M. Jean-Pierre Sueur .  - La CMP est parvenue à un accord sur les deux points essentiels qui restaient en discussion. D'une part, le Premier ministre prendra lui-même les huit ou dix décisions annuelles d'autoriser la collecte de données ; d'autre part, la durée de la conservation de certaines d'entre elles a fait l'objet d'un consensus.

Il convient de s'accorder sur l'acuité de la menace terroriste, et de mettre en oeuvre tous les moyens utiles pour l'enrayer, et simultanément de tout faire pour protéger les libertés. La CNCTR aura dans cette impérieuse conciliation un rôle décisif. Grâce au Sénat, il a été décidé que trois de ses membres - sur onze - pourront saisir le Conseil d'État. Grâce au Sénat encore, la loi dispose que le respect de la vie privée concerne le secret des correspondances et l'inviolabilité du domicile. Grâce au Sénat, enfin, l'accès aux données sera direct - sans intermédiaire, complet, et permanent. J'appelle les membres de la CNCTR à exercer la plénitude de leurs prérogatives, dont l'effectivité du dispositif et la réalité de notre État de droit dépendent entièrement. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - Cette proposition de loi, déposée début septembre, sera votée une dizaine de jours à peine après son adoption au Sénat : on ne peut que regretter l'absence de débat de fond ; l'engagement de la procédure accélérée n'y a pas peu contribué. Nous avons eu connaissance des conclusions de la CMP seulement hier soir.

La volonté du Gouvernement et de Mme Adam d'adopter rapidement ce texte l'a emporté sur le travail de fond qui nous échoit, c'est dommage. Dommage aussi que les mises en garde des associations et du Défenseur des droits soient restées lettre morte. Quelles sont les garanties contre les excès : aucune.

La CMP a supprimé les faibles avancées votées par le Sénat : le délai de conservation des données a été porté à douze mois, contre dix, par exemple.

Le Premier ministre sera la seule personnalité compétente pour autoriser la collecte des données, maigre garantie ! Les services sont investis de pouvoirs considérables ; nous avons pourtant tous dénoncé la surveillance de masse à l'époque de l'affaire Snowden. La lutte contre le terrorisme nous conduit à menacer de plus en plus gravement nos libertés. Ce texte en est la preuve ; nous ne le voterons pas.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier .  - Le 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel nous a requis d'examiner de plus près les dispositions de la loi Renseignement, qui laissait une marge trop grande au pouvoir réglementaire. Nous exerçons aujourd'hui notre droit à réparation, et nous conformons ainsi aux dispositions de l'article 34 de la Constitution. Tout doit être mis en oeuvre pour préserver les libertés publiques.

Le président Mézard l'a rappelé : le renseignement engage une réflexion profonde sur ce qui est possible et ce qui ne l'est pas pour protéger notre sécurité. Le code de la sécurité intérieure concrétise cette difficile conciliation entre sécurité de tous et liberté de chacun.

La majorité du RDSE approuve l'essentiel du dispositif : les conditions d'exploitation sont de nature à garantir efficacité de l'action des services et protection des libertés. Les personnes visées et les processus décisionnels ont été détaillés ; l'extension des possibilités de recours auprès de la CNCTR est également opportune, mais je m'interroge, comme M. Sueur, sur le rôle grandissant du juge administratif en matière de protection des libertés.

Sur la durée de conservation des données, nous restons favorables aux dix mois proposés par le Sénat. Mais une clause de revoyure existe. La CMP a conservé l'essentiel des garanties votées au Sénat. Un esprit consensuel a prévalu. La majorité du RDSE votera ce texte. (Applaudissements)

M. Yves Détraigne .  - Nous arrivons au terme d'un processus important et nous félicitons de l'accord trouvé sur un texte fondamental pour la sauvegarde de nos intérêts. Les inquiétudes légitimes exprimées lors de l'examen de la loi Renseignement ont resurgi dans nos deux chambres, mais des garanties fortes leur ont été opposées ; la durée de conservation des données permettra leur exploitation ; les conditions de saisine de la CNCTR garantiront l'efficacité de l'action de nos services.

Les clivages partisans ont été dépassés, ce dont nous nous réjouissons. Un grand nombre de membres du groupe UDI-UC soutiennent ce texte. (Applaudissements)

M. Michel Boutant .  - Offrir à nos concitoyens un cadre légal efficace et protecteur : tel était l'objectif de ce texte, atteint en CMP grâce à Patricia Adam et Philippe Bas.

Ce texte introduit un dispositif équilibré. D'aucuns regrettent que le CNCTR ne délivre pas un avis a priori sur les autorisations émises par le Premier ministre : cela aurait porté préjudice à l'efficacité de l'action de nos services.

Dispositif de traçabilité, renseignements collectés, transcriptions de ceux-ci, utilisation des dispositifs de recueil... Ce texte précise les conditions d'exercice de la surveillance, et l'élargit au-delà des flux mixtes de données, ce qui est opportun.

Patricia Adam a souhaité introduire une clause de revoyure sur la durée de conservation des données : le passage à dix mois sera donc possible si le délai de douze mois s'avère inutile. La délégation parlementaire au renseignement examinera la question.

Notre pays fait face à un risque terroriste sans précédent. Nos services ont besoin d'un cadre efficace et protecteur. Daech tente de monter les Français les uns contre les autres avec une communication agressive et habile. Au législateur de prendre la mesure de cette menace inédite.

Comme le dit le Conseil constitutionnel, il lui appartient « d'opérer la conciliation nécessaire entre la protection des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, sans lequel il n'est pas de liberté possible ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État .  - Je veux saluer la qualité des débats. Le Gouvernement entend les exigences voulues par le Sénat qui font honneur à son rôle de gardien des libertés publiques ; je veux remercier à nouveau tous ceux qui ont contribué à l'écriture de ce texte.

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Mme Nathalie Goulet .  - Un mot au nom des membres du groupe UDI-UC qui ne voteront pas ce texte.

J'ai présidé notre commission d'enquête sur les réseaux djihadistes et suis en contact permanent avec l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste selon qui, au 31 août, plus de 7 800 personnes sont signalées. Bref, j'ai une claire vision de la menace et ne fais preuve d'aucun angélisme. Mais ce dispositif nous échappe, n'offre pas les garanties qui manquent au dispositif américain. Les échanges de données ne sont pas protégés, au risque d'être exploités par d'autres.

J'attends avec impatience le budget des services de renseignement car la pêche au chalut ne sert à rien sans moyens pour les exploiter. Nos services font un excellent travail, mais ils sont tout simplement débordés.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

La séance, suspendue à 11 h 25, reprend à 11 h 50.