Projet de loi de finances rectificative pour 2015 (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative pour 2015, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Deux mois après l'ouverture de la session budgétaire, il est vain de se lancer à nouveau dans une bataille sur le fond et sur les chiffres.

Un commentaire simplement sur le temps consacré au débat budgétaire. Contrairement à ce que laisse entendre M. Dallier, je pense que nous ne gagnerions guère à le prolonger. Je le trouve pour ma part trop long ! Le texte du projet de loi est rédigé en août, doit passer en Conseil d'État, avant d'être soumis au Conseil des ministres avant que commence la phase parlementaire... De sorte que, entre l'élaboration du texte par le Gouvernement et le vote par la représentation nationale, il s'écoule plusieurs mois au cours desquels la situation du pays a changé -  engagements militaires extérieurs, conditions de la sécurité intérieure, par exemple. L'inflation réelle a pu connaître une inflexion. Sans parler du décalage entre la modification des règles fiscales et leur concrétisation qui intervient seulement un an plus tard. C'est d'ailleurs pourquoi je défends le prélèvement à la source. Bref, nous gagnerions plutôt à raccourcir le processus budgétaire.

Je veux remercier la présidente de la commission des finances, les présidents de séance, les sénatrices et sénateurs qui se sont appliqués à enrichir les débats dans l'esprit constructif qui est celui du Sénat. Dois-je vous encourager de nouveau à ne pas laisser le dernier mot à l'Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; exclamations amusées à droite)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - La CMP, réunie le 14 décembre, n'est pas parvenue à un accord. Ce projet de loi de finances rectificative entérine une dégradation du solde budgétaire, une hausse de la dette publique et une augmentation des dépenses de l'État. Le schéma de fin de gestion pour 2015 appelle à rendre plus transparentes les règles de mise en réserve des crédits - qui représentent pas moins de 8 % désormais.

Ce collectif comporte de nombreuses mesures introduites par des amendements, parlementaires ou gouvernementaux, qui n'ont pas tous pu être examinés dans des conditions correctes...

Le texte est passé de 44 à 110 articles à l'Assemblée nationale. Le Sénat a ensuite adopté 64 articles conformes, en a modifié 34, supprimé 11 et ajouté 24. L'Assemblée nationale en a adopté conformes 44, modifié 12 ; elle a rétabli sa rédaction sur 10 articles et a supprimé 4 articles introduits par le Sénat.

J'ai cru, un instant, en écoutant le ministre, que le Gouvernement allait réviser son hypothèse d'inflation. Évidemment, non. Peut-être aurions-nous procédé différemment s'il l'avait fait.

L'Assemblée nationale nous a suivis sur l'extension de la Tascom, la fiscalité du diesel, la TVA sur la presse en ligne, ou le reporting pays par pays. Elle a introduit de nouvelles dispositions relatives par exemple aux dons aux familles de victimes du terrorisme.

Nos regrets concernent essentiellement la fiscalité énergétique aux articles 3, 11 et 11 ter. Le comité consultatif sur le crédit impôt recherche a été supprimé, c'est dommage, de même que nos précisions sur la révision des valeurs locatives des locaux professionnels. Plus regrettable, le Gouvernement a ouvert de nouveaux sujets en deuxième lecture, en méconnaissance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ainsi à l'article 21, elle a modifié les règles du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales ou communales (FPIC), aux dépens de nombreuses collectivités territoriales franciliennes... et sans aucun rapport avec le contenu de l'article 21.

Je veux saluer l'esprit globalement constructif de nos collègues de l'Assemblée nationale ; la rapporteure générale elle-même a reconnu qu'une nouvelle lecture ne modifierait pas substantiellement les équilibres. D'où cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Canevet .  - Le groupe UDI-UC s'est demandé en lisant le projet de loi de finances rectificative s'il n'était pas plus important que le projet de loi de finances... Nous avons regretté d'emblée le peu de temps qui nous a été alloué pour l'examiner ; cela doit nous inciter à réfléchir au plus haut niveau à la procédure budgétaire.

Nous ne partageons pas l'optimisme du Gouvernement. La croissance, estimée à 0,7 % au premier trimestre, est devenue atone, ce qui fait planer une menace sérieuse sur les hypothèses macroéconomiques. La situation économique du pays entraîne des positions contestataires de nos concitoyens dans les urnes... La solution n'est pas dans l'accroissement du déficit public par des allègements de charges aux entreprises sans contrepartie. Cela ne ferait qu'accroître le fardeau transmis aux générations suivantes. Il faut financer les réductions de charges, pour assurer le retour à l'équilibre des finances publiques. Notre pays a enregistré 42 000 chômeurs de plus en octobre, voilà qui rend impératif un sursaut.

L'impôt sur le revenu augmente, Vincent Delahaye l'a dit, d'autant plus que le nombre de foyers imposables se réduit. L'an dernier, 47,5 % et cela ira en diminuant. Selon nous, tout le monde doit payer l'impôt sur le revenu, même pour un très faible montant...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Comme le voulait Joseph Caillaux.

M. Michel Canevet.  - L'impôt est un acte citoyen par lequel chacun prend conscience que les services publics ne sont pas gratuits...

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Michel Canevet.  - La charge de l'impôt sur le revenu, toujours plus lourde, est concentrée sur un nombre de foyers toujours plus étroit.

Le projet de loi de finance rectificative comporte d'autres dispositions manquant de clarté, sur la fiscalité des carburants ou encore sur le FPIC. Les modifications votées à l'Assemblée nationale ont plus compliqué le mécanisme qu'autre chose.

Faisons confiance aux entrepreneurs, cessons de les stigmatiser. Le groupe UDI-UC votera cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC ; Mme Annick Duchêne et M. Alain Gournac applaudissent également).

M. Claude Raynal .  - Le dépôt d'une question préalable ne nous étonne guère, la majorité sénatoriale ayant exprimé ses désaccords sur le solde budgétaire ou la fiscalité énergétique. Il n'y a pas lieu de réexaminer le collectif point par point...

Les dispositifs drainant l'épargne des particuliers vers les PME de l'économie solidaire et sociale - ISF PME et Madelin - sont renforcés, c'est heureux. Nous nous réjouissons aussi de l'éligibilité au FCTVA des investissements des collectivités territoriales dans le cadre du plan THD. Ce sont 50 milliards d'euros qui seront ainsi fléchés vers nos territoires.

Ce collectif confirme le respect des engagements du Gouvernement sur la trajectoire des finances publiques. Le déficit sera bien de 3,8 % en 2015 et les baisses d'impôts pour les ménages les plus modestes seront poursuivies. Pour la première fois depuis 2009, le taux de prélèvement obligatoire a diminué en France.

M. Didier Guillaume.  - Eh oui !

M. Claude Raynal.  - Le développement de la fiscalité écologique se poursuit. Le prix à la tonne de carbone, prévu pour 2017, nous rapproche de l'objectif de 56 euros par tonne en 2020.

La contribution au service public de l'électricité (CSPE) mettra à contribution les énergies carbonées pour financer la transition énergétique. La création d'un CAS dédié permettra d'assurer un contrôle démocratique renforcé de cette politique.

Je regrette la suppression par le Sénat en première lecture des dispositions faisant converger la fiscalité du diesel, de l'essence et du GPL dès 2017 ; en la matière, il faut envoyer des signaux forts pour encourager la transition énergétique.

En outre, nous saluons les mesures votées à la suite des attentats du 13 novembre 2015 : la défiscalisation des dons aux victimes et à leurs proches, aux militaires, policiers et gendarmes blessés, et le fonds de 4 milliards pour le spectacle.

Les cinquante départements les plus en difficulté seront soulagés par le fonds de soutien de 50 millions qui leur est consacré d'autant que le Gouvernement s'est engagé à trouver une solution pérenne pour les allocations individuelles de solidarité.

Le groupe socialiste votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Didier Guillaume.  - C'est très clair.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Vous seriez bien embêtés si elle n'était pas adoptée !

M. André Gattolin .  - Ce collectif ne manque pas de surprendre, tant son impact sur le solde de l'année en cours est faible. La première partie de ce collectif est d'une extrême légèreté, un petit nécessaire de circonstance, un baise-en-ville pour l'année 2015. La seconde, par contraste, est obèse comme une hotte de Noël, pleine de petits cadeaux -  pas toujours désirables  - dans les souliers des parlementaires. (Sourires)

Comme les enfants, j'ai ouvert les cadeaux qui me paraissaient les plus tentants. Enfin, une fiscalité écologique ! Cependant, la réforme de la CSPE laisse à désirer en ce qu'elle n'est pas ciblée sur le soutien aux énergies renouvelables parmi lesquelles est préféré le photovoltaïque - une filière exclusivement chinoise depuis des années. L'avenir nous dira si cette CSPE servira aussi à endiguer l'explosion désastreuse des coûts du nucléaire, de l'EPR en particulier. Le maintien de l'avantage au gazole pour la flotte automobile, le refus obstiné du kilométrage vélo et, pourquoi pas trottinette, montre qu'une partie du Gouvernement absente à la COP21 reste arcboutée.

Derniers regrets, l'Assemblée nationale a supprimé le reporting pays par pays et la régularisation de la situation fiscale de la presse en ligne. Au total, ce texte nous revient moins bon qu'en première lecture.

Puissé-je enfin obtenir le document consolidé sur l'effort de l'État pour l'écologie que je réclame depuis longtemps !

M. Jean-Claude Requier .  - Après un marathon avec quelque 400 amendements à examiner en première lecture, les conditions d'examen de ce projet de loi de finances rectificative sont tout autant expéditives en nouvelle lecture.

La baisse de 1,1 milliard du déficit de l'État par rapport aux prévisions est le résultat de la saine politique économique du Gouvernement - même si des facteurs exogènes ont joué leur rôle, à commencer par la faiblesse des taux d'intérêt.

Après des tergiversations sur l'opportunité d'examiner la deuxième partie de ce texte, le Sénat a finalement rendu un texte après que le groupe RDSE, pôle de stabilité de cette assemblée, a pris ses responsabilités.

Nous regrettons la disparition des mesures que nous avions proposées sur le FNGRA à l'article 2 ou sur la fiscalité des carburants. En revanche, l'Assemblée nationale a repris nos mesures sur l'ISF-PME. C'est heureux. Le groupe RDSE votera contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-François Husson .  - Le bilan est mitigé. L'Assemblée nationale a bien fait de supprimer l'aide à la presse en ligne, peu constitutionnelle, de reprendre nos propositions sur l'assiette de la Tascom et nos mesures en faveur de l'agriculture. Oui, le Sénat inspire le Gouvernement. (M. Christian Eckert s'esclaffe)

En revanche, notre vision de la fiscalité écologique ne s'est pas imposée. Certes, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 30 ter qui rendait la TVA déductible pour l'achat de véhicules d'entreprise à essence, comme elle l'est déjà pour les véhicules diesel. Nous aurions ainsi encouragé l'achat de véhicules étrangers pour ne pas avoir donné à nos constructeurs le temps d'adapter leurs chaînes de production.

En revanche, l'Assemblée nationale a refusé de rétablir la déduction d'un centime par litre de la TICPE sur tous les types d'essence, de moduler la TSPE en contrepartie de la hausse de la contribution climat-énergie ou de supprimer la modulation des tarifs des carburants en 2017, ce qui eût pourtant été plus conforme au principe d'annualité budgétaire. Toutes ces mesures auraient permis au président de la République de tenir sa promesse de pause fiscale.

Non, les chefs d'entreprise ne sont pas spoliateurs, ces dogmes sont d'un autre âge. Ce collectif illustre, encore une fois, la politique de pompier pyromane que mène le Gouvernement. Un exemple, la taxe foncière sur un terrain de 1 000 mètres carrés était de quelques centaines d'euros, elle aurait pu atteindre 5 000 euros et même 10 000 euros en 2017.

Le Gouvernement s'emploie enfin à éteindre le feu en modifiant le logiciel. Il était temps ! Nous avons obtenu satisfaction sur quelques points seulement à l'Assemblée nationale, à cause d'une poignée de frondeurs. Dès lors, le groupe Les Républicains votera la question préalable. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. de Montgolfier, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat,

Considérant que le projet de loi de finances rectificative pour 2015 entérine une nouvelle dégradation du solde budgétaire et une nouvelle augmentation de la part de la dette publique dans la richesse nationale ;

Considérant qu'il traduit un dérapage des dépenses de l'État dont les effets sont seulement limités par un prélèvement sur le Fonds national de gestion des risques en agriculture et par des économies de constatation sur le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ainsi que sur la charge de la dette ;

Considérant que l'ampleur inédite du schéma de fin de gestion en 2015 témoigne de l'incapacité du Gouvernement à respecter les priorités qu'il a lui-même fixées en loi de finances initiale et d'un manque de transparence sur les objectifs de la mise en réserve de crédits ;

Considérant qu'il comporte une réforme d'ampleur de la fiscalité énergétique, qui aurait dû trouver sa place en loi de finances initiale, et qui contribuera à alourdir la fiscalité pesant sur les entreprises et les ménages dans les années à venir ;

Considérant enfin qu'il comprend de nombreuses mesures introduites par voie d'amendement du Gouvernement dans des conditions n'ayant pas permis leur examen approfondi ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2015, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général .  - Nous n'avons obtenu un compte rendu des travaux que l'Assemblée nationale a effectués hier soir sur ce collectif que bien après midi. Nous n'avons donc pas pu en étudier sérieusement les dispositions. Ne serait-ce que pour cette raison, les conditions ne sont pas réunies pour une seconde lecture fructueuse.

M. Richard Yung.  - Avec tout l'enthousiasme dont je suis capable après trois semaines de débats (Sourires), je veux d'abord répondre à M. Husson. Non le Gouvernement ne voit pas en les chefs d'entreprise des spoliateurs : il s'emploie depuis des années à restaurer leur compétitivité !

Le solde budgétaire passe de 4,1 à 3,8 % du PIB, soit un gain de 0,3 % du PIB. C'est la première fois et ce chiffre est validé par le Haut Conseil des finances publiques, notre juge de paix. Quant à la dépense publique, elle se réduit de 6,3 milliards d'euros par rapport à l'exécution de 2014.

Le groupe socialiste et républicain votera contre la question préalable.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Et le Gouvernement est farouchement contre !

M. Vincent Capo-Canellas.  - Le groupe UDI-UC votera, lui, farouchement pour la motion. La procédure budgétaire est longue et lourde, ce qui amène le Gouvernement à introduire dans le collectif des dispositions qui n'ont pu trouver place dans la loi de finances initiale. L'Assemblée nationale a quand même repris tels quels 44 de nos 69 articles et 11 partiellement, preuve que le bicamérisme fonctionne. Je suis heureux que les députés aient accepté l'article 16 terdecies allégeant la fiscalité sur le transport aérien.

Cependant, le compte n'y est pas. En particulier, les économies ne sont que de constatation.

Le scrutin public est de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°118 :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption 188
Contre 136

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - En conséquence, le Sénat a rejeté le projet de loi de finances rectificative pour 2015.

La séance suspendue à 17 h 05, reprend à 17 h 20.