Accès au logement social

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi favorisant l'accès au logement social pour le plus grand nombre, présentée par M. Michel Le Scouarnec et plusieurs de ses collègues (demande du groupe communiste républicain et citoyen).

Discussion générale

M. Michel Le Scouarnec, auteur de la proposition de loi .  - Selon la Fondation Abbé Pierre, 141 000 personnes dorment dans la rue, chiffre qui a doublé en dix ans, tandis que 1,2 million de personnes sont sous la menace d'une expulsion. Le mal-logement a aussi des effets sur la vie scolaire, la santé, le travail, etc... Il y a urgence à agir. Le logement est devenu un bien spéculatif.

On est loin des 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Cela a des conséquences sur l'emploi : 12 000 emplois perdus en 2015 dans le BTP. C'est pourquoi nous proposons une agence pour le logement. Les aides à la pierre baissent drastiquement, ce qui se conjugue à la baisse des dotations aux collectivités territoriales.

L'absence de construction publique crée un déficit de l'offre, et donc pousse à la hausse des loyers dans le privé. Les secteurs public et social sont liés. Le projet de loi de finances pour 2016 nous inquiète. L'État continue de se désengager. Avec moins d'argent, on construira moins !

Il faut réorienter les 40 milliards consacrés au logement et dilapidés par trop de niches fiscales, comme le dispositif Pinel, qui ne servent pas au logement social mais aident les ménages aisés à se constituer un patrimoine. Rien ne prouve l'efficacité de ces niches fiscales. Au contraire, elles créent des effets d'aubaine et nourrissent la rente privée.

L'article premier de cette proposition de loi supprime le dispositif Pinel et réaffecte ses crédits vers le logement social. Certes 240 millions, c'est modeste, mais le dispositif monte en puissance. Surtout cette mesure permettra de lutter contre la ghettoïsation de certains quartiers : le brassage et la mixité sociale sont une réponse aux remises en question du pacte républicain.

M. Jean-Claude Requier.  - C'est vrai !

M. Michel Le Scouarnec.  - Selon l'Union sociale de l'habitat, le logement social est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas, et même de tous. Il arrive que des logements neufs restent vides faute de locataires aux ressources suffisantes.

Un relèvement du plafond d'accès au logement social répond à notre vision généraliste du droit au logement. Le renouvellement urbain dans les zones les plus denses doit être une chance pour mettre en oeuvre la mixité, source de réussite et d'apaisement. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

M. Philippe Dallier .  - Les auteurs de cette proposition de loi dressent un constat sombre que nous ne pouvons malheureusement que partager. L'objectif de construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, ne pourra pas être atteint.

Ils souhaitent une réorientation des aides vers le logement social. Ils posent aussi la question de la mixité sociale et souhaitent y apporter des réponses. L'ambition n'est pas mince !

La politique du logement mobilise 40 milliards par an, dont 16  pour le logement social. Mais le pilotage de cette politique est complexe. Certaines zones sont très tendues - Ile-de-France, PACA, frontière Suisse - tandis que dans d'autres l'offre est supérieure à la demande. Il faut aussi penser à la rénovation énergétique, encore balbutiante.

Cette proposition de loi préconise une hausse des aides à la pierre, la mobilisation des fonds d'épargne gérés par la Caisse des dépôts et consignations - Livret A et livret de développement durable - pour la construction et la réhabilitation, et le financement de ces opérations par la suppression de niches fiscales comme le Pinel.

Pour favoriser la mixité, l'article 2 augmente de 10,3 % les plafonds de ressource pour accéder aux différentes catégories de logement social, revenant sur la baisse opérée par la loi Boutin de Mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Mole) en 2009.

Si je considère, à l'instar des auteurs de la proposition de loi, que la politique du logement présente des résultats insuffisants, j'estime néanmoins qu'il convient de ne pas adopter cette proposition de loi.

Relever les seuils comme nos collègues le proposent reviendrait à ouvrir le logement social à quasiment toute la population. Aujourd'hui, 30,2 % des ménages sont déjà éligibles aux PLA-I, les logements sociaux destinés aux plus défavorisés, et 65,5 % des ménages peuvent demander à se loger dans un logement financé grâce à un PLUS. Quant aux PLS et aux PLI, ils sont déjà respectivement accessibles à 81,4 % et 86,9 % des ménages. Cette proposition de loi rendrait éligible au PLU 35 % des ménages et 92,4 % au PLS. Cela pénaliserait les ménages les plus fragiles qui seraient concurrencés par de plus solvables.

Cette proposition de loi n'apporte pas non plus de réponse efficace au problème de la mixité. Selon moi, la solution est de préserver systématiquement du PLA-I dans les programmes réalisés ainsi que la remise en ordre des loyers, insuffisamment utilisée.

En outre, le dispositif Pinel, mieux calibré que le Duflot, a trouvé son public : il générera 47 000 logements construits en 2015, avec des effets positifs pour l'emploi. Le marché immobilier nécessite avant tout de la stabilité fiscale. Ce serait une erreur de le supprimer. Cela ne nous empêchera pas de demander une évaluation ultérieure. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques .  - Le logement est le premier poste de dépenses des ménages, qui y consacrent 18,5 % de leur budget. Avec 351 000 logements construits en 2015, on est loin de l'objectif de 500 000 ! Pourtant l'effort financier est important : 40 milliards d'euros par an. Toutefois l'État se désengage de plus en plus de l'aide à la pierre, financée désormais par les bailleurs sociaux, qui doivent pour ce faire s'endetter.

Le constat est partagé. Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir le débat, mais nous divergeons sur les solutions.

Le dispositif Pinel a un objectif différent des aides au logement locatif. Il favorise le développement du parc locatif intermédiaire. C'est ainsi que 50 000 constructions ont été réalisées en 2015, et autant sont prévues en 2016 pour un coût de 240 millions d'euros annuels et 1,75 milliard d'euros en tout en une génération. Les professionnels notent un effet positif de ce dispositif dans une conjoncture encore fragile. Ne le supprimons pas. Il n'est pas sûr que l'État récupérerait d'ailleurs les 1,75 milliards qu'il coûte, car les investisseurs se tourneraient vers d'autres niches.

Mieux vaut limiter les effets d'aubaine et mener des contrôles fiscaux ciblés pour vérifier dans le temps le respect des obligations que ce dispositif prévoit.

De même, relever les plafonds de ressources entraînerait une réduction des cas où un supplément de loyer de solidarité est versé par les ménages les plus aisés du parc social.

Nous proposons plutôt d'accélérer la libération du foncier en limitant les contentieux ; de simplifier les normes de construction ; de créer un observatoire pour adapter les politiques aux besoins ; de remédier au départ des investisseurs ; de mieux occuper le parc vacant.

Estimant que la proposition de loi a plus d'inconvénients que d'avantages, la commission des affaires économiques a donné un avis défavorable. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes .  - Le Gouvernement estime que cette proposition de loi est inopportune et porteuse d'effets néfastes. Faut-il supprimer le dispositif Pinel alors que le BTP sort à peine de la crise ? Mieux vaut poursuivre les efforts. La simplicité de ce dispositif est la clef de son succès : 50 000 logements construits en 2015. Il est mieux calibré que le Duflot car ciblé sur les zones tendues. Grâce à des plafonds de revenus, il est adapté. La réforme du zonage A, B, C a renforcé son attractivité. De plus, de tels dispositifs dégagent des ressources fiscales supplémentaires sans compter leurs effets bénéfiques sur l'emploi. Enfin, le secteur a besoin de stabilité.

L'aide au logement intermédiaire n'est pas antagoniste avec l'aide à la pierre : 500 millions en 2016 grâce à un fonds mutuel dédié, géré par l'État, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales.

Ces subventions sont complétées par des aides fiscales : taux réduit de TVA pour l'acquisition de terrains destinés à la construction de logements sociaux, exonération d'impôt sur les sociétés et de taxe foncière sur les propriétés bâties. Cela représente 4 milliards, qui s'ajoutent à l'aide à la pierre. En outre, les conditions de crédit sont très avantageuses. Grâce à quoi 169 000 logements sociaux ont été construits en 2015, soit 2,3 % de plus qu'en 2014.

Relever les plafonds de ressources ne nous semble pas adapté. Le Gouvernement préfère soutenir des parcours locatifs ascendants en direction de logements intermédiaires ou de l'accession sociale à la propriété : 66 % des ménages sont sous le plafond de ressources PLUS. La majorité des Français ont ainsi accès au logement social. Mieux vaut faire évoluer l'image du parc social et accroître son attractivité. Il est vrai que la demande reste supérieure à l'offre. Les ménages au-dessus du plafond de ressources ont vocation à s'orienter vers le logement intermédiaire.

Deux fonds gérés par la Caisse des dépôts et de consignation ont été créés pour soutenir la construction du logement social. Le prêt à taux zéro a été amélioré, rendu plus accessible, pour aider les jeunes ménages.

Le logement social est un pilier essentiel de notre politique. Le Gouvernement souhaite développer toute une gamme de logements, du logement social au logement haut de gamme.

Le projet de loi égalité et citoyenneté favorisera une meilleure répartition du parc social sur le territoire, afin de faciliter la mobilité résidentielle en fonction des parcours de vie, dans le cadre de villes plus harmonieuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste. Mme Sophie Primas applaudit aussi)

M. Vincent Delahaye .  - Notre pays connaît depuis plusieurs années une grave crise du logement. Les engagements de campagne du président de la République n'auront pas été tenus. C'est regrettable : 3,8 millions de personnes sont mal logées, 900 000 sont privées de logement personnel, 140 000 sont sans domicile fixe.

Les prix de l'immobilier ont tellement augmenté qu'ils excluent de nombreux Français de certaines zones urbaines. C'est paradoxal, alors que l'épargne des Français, historiquement très abondante, est majoritairement orientée vers la pierre. En 2015, la Caisse des dépôts et consignations a accordé 26 milliards de prêts en faveur du logement social. Elle diversifie son activité vers le logement intermédiaire.

Tout le monde n'a pourtant pas vocation à rester toute la vie dans un logement social. Cette proposition de loi pose la question : faut-il sacrifier le logement intermédiaire au profit du logement social ?

Le groupe CRC propose de supprimer les avantages fiscaux accordés au logement intermédiaire, et de saupoudrer les crédits publics pour aider le logement social. Je ne suis pas favorable à ce que l'on concentre l'effort sur le logement social. Ce n'est pas la solution unique à la crise : il ne peut satisfaire l'ensemble de la demande. Ne sacrifions pas le logement intermédiaire destiné, par nature, aux classes moyennes.

Pourquoi supprimer le Pinel ? Ces dispositifs - Robien, Scellier ou Pinel - fonctionnent : 750 000 logements construits au total.

La question est plutôt celle de l'excès de normes qui pénalisent la construction. Il faut aider les maires constructeurs. Faisons-leur confiance. Ce sont eux qui connaissent le mieux les besoins de leur population.

Mme Isabelle Debré.  - Absolument.

Mme Françoise Gatel.  - Tout à fait.

M. Vincent Delahaye.  - Il faut avoir à la fois du logement social, du logement intermédiaire, de l'accession sociale à la propriété, etc.

M. Michel Le Scouarnec.  - Nous sommes d'accord avec cela !

Mme Isabelle Debré.  - Nous aussi !

M. Vincent Delahaye.  - La congestion du marché limite la circulation. Nous avons proposé de modifier le régime des plus-values immobilières pour fluidifier le marché.

Nous ne voterons pas cette proposition de loi. Sacrifier le logement intermédiaire au profit du logement social n'est pas un remède à la crise du logement en France. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Marie-France Beaufils .  - Chacun constate que la baisse des aides à la pierre n'est pas bonne. C'est pourquoi nous proposons au contraire de l'augmenter. L'État se désengage. Résultat, les bailleurs et les locataires sont mis à contribution. Aussi nous proposons de supprimer le dispositif Pinel. Le rapporteur y est hostile au nom de la stabilité fiscale. De ce point de vue, les gouvernements successifs ont fait preuve d'une stabilité admirable : le Pinel s'est appelé successivement le Duflot, le Scellier, le Besson, le Robien, le Borloo, etc.

Il faut adapter l'offre à la demande notamment en termes de surface : avec 41 mètres carrés en moyenne, les logements Pinel sont trop petits pour satisfaire les attentes des ménages. Le Pinel est réservé aux ménages aisés. L'argent public devrait être mieux utilisé.

Nous ne souhaitons pas pénaliser le logement privé. Simplement le logement public doit être prioritaire. L'État n'a plus les moyens de financer l'assistanat du logement privé : le Pinel coûte 1,8 milliard ! C'est pourquoi nous proposons d'augmenter les aides à la pierre.

En relevant les plafonds d'accès au logement social, nous favoriserions la mixité. En les abaissant en 2009, on a fait sortir du parc des ménages solvables et entraîné une paupérisation du parc social qui concentre les personnes en difficulté. La politique publique du logement est le meilleur levier pour assurer le brassage des populations et reconstruire la République.

Le logement social a été un domaine d'innovation, de modernité architecturale. Il n'est pas forcément laid et gris, ni le logement privé beau et coloré. Nous plaidons pour un logement social de qualité, à haute exigence environnementale.

Le vivre ensemble ne passe pas seulement par les choix intelligents des commissions d'affectation, ni par des programmes mixtes : il faut faire en sorte que des populations diverses cohabitent dans le même parc social. Il faut réorienter les crédits vers les aides à la pierre, pour que chacun soit bien logé, et puisse s'épanouir. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Daniel Raoul .  - Cette proposition de loi a le mérite de nous permettre un débat sur le mal logement, que le 21e rapport de la Fondation Abbé Pierre analyse comme un facteur d'aggravation des inégalités, aux effets terribles sur la santé, et de décrochage scolaire et social.

Il faut en priorité construire et réhabiliter des logements dans des villes qui en manquent, et sans doute - comme vous le dites madame la ministre - territorialiser l'application de la loi. Il est anormal qu'il y ait autant de mal logés et de SDF, qu'autant de logements soient vacants : 3,1 % des logements sociaux et jusqu'à 5 % en Bourgogne !

On recense 2 000 logements vacants dans mon département. Un maire qui avait réhabilité des logements sociaux ne trouvait aucun locataire, même en leur offrant trois mois de loyer. La dégressivité de la taxe sur les plus-values alimente la spéculation foncière. Nous pourrions nous inspirer des pays du nord, qui versent le produit de cette taxe aux collectivités ayant classé le foncier en zone constructible.

Nous transférons des crédits d'aide à la pierre vers des aides à la personne, alors que ces dernières ont un effet haussier sur le marché...

M. Michel Le Scouarnec.  - Donc vous convenez qu'il faut augmenter les aides à la pierre !

M. Daniel Raoul .  - Ne faudrait-il pas proportionner l'APL à la surface ? 40 milliards d'euros, c'est trop, pour trop peu d'effets.

Les premiers résultats de la politique du Gouvernement se font sentir, 120 000 logements en 2013, soit 2,3 % de plus qu'en 2014.

L'article premier de la proposition de loi supprime purement et simplement le Pinel, alors qu'il a débloqué des programmes en panne et stimulé un secteur en difficulté. La loi Égalité et citoyenneté permettra de faire encore mieux.

L'article 3 est un gage financier qui n'a aucun sens...

Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis.  - Sinon politique !

M. Daniel Raoul.  - ...Sinon d'exprimer l'hostilité de principe du groupe communiste républicain et citoyen au CICE ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis, applaudit également ; exclamations sur les bancs du groupe CRC)

M. Joël Labbé .  - Après le nécessaire débat sur le traité transatlantique, je salue l'initiative de mon collègue morbihannais Michel Le Scouarnec, dont je respecte l'engagement sans faille en faveur des valeurs humanistes...

M. Michel Le Scouarnec.  - Bon début !

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Attendez la suite !

M. Joël Labbé.  - Avec plus de 3,5 millions de mal logés et 140 000 personnes qui dorment dans la rue, dont 30 % d'enfants, le constat est terrible.

L'objectif du Gouvernement - construire 500 000 logements par an dont 150 000 logements sociaux - est loin d'être tenu, avec 300 000 logements sortis de terre en 2014.

Il est bon de citer l'Abbé Pierre. « Sur ma tombe, au lieu des fleurs et des couronnes, apportez-moi la liste des milliers de familles, des milliers de petits enfants à qui vous aurez donné la clé d'un vrai logement. »

L'article premier supprime le Pinel, qui ne semble pas atteindre les objectifs souhaités tout en coûtant bien cher, d'autant plus qu'il est permis de louer à son ascendant ou son descendant : c'est une subvention à l'augmentation du patrimoine privé ? De plus, toutes les zones ne sont pas éligibles, ce qui crée des inégalités territoriales...

M. Philippe Dallier.  - On peut investir où l'on veut !

M. Joël Labbé.  - Mais il faudrait évoquer aussi le Censi-Bouvard, véritable cadeau aux centres de vacances privés, Center parcs et autres. La demande de rapport votée en octobre 2013 n'a toujours pas été honorée.

L'article 2 nous a laissés perplexes...

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Vous n'êtes pas les seuls...

M. Joël Labbé.  - Il apporte certes une réponse au mécontentement des classes moyennes inférieures, et plus d'égalité, mais comment le relèvement des seuils, dans une situation de pénurie, pourrait-elle régler la situation ? Nous aurions préféré une augmentation de surloyers.

Nous ne pouvons que souscrire à l'article 3 : le CICE n'a pas atteint ses objectifs de résorption du chômage, tout en profitant aux grandes entreprises qui pratiquent l'évasion fiscale.

Je souscris aux deux tiers de notre proposition de loi. Je m'abstiendrai sur l'article 2, mais voterai la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste citoyen et républicain)

M. Jean-Claude Requier .  - Les chiffres du rapport de la Fondation Abbé Pierre sont éloquents. Mais comment une politique du logement peut-elle être détachée de la politique de l'emploi ou du développement économique ?

Cette proposition de loi serait contraire au droit de chacun à un logement décent, qui est un objectif à valeur constitutionnelle consacré par le Conseil constitutionnel en 1995. L'article premier, qui tire un trait sur le très jeune dispositif « Pinel » en faveur de l'investissement locatif privé serait un mauvais signal pour un secteur qui connaît une timide reprise, sans parler, bien sûr, de l'affection de notre groupe pour Sylvia Pinel... (Rires) Ce dispositif en effet, qui a remplacé avantageusement son prédécesseur, dit « Duflot », en favorisant la construction de 40 000 logements de haute qualité énergétique dès sa mise en place en 2015, est le premier du genre qui, en offrant des loyers inférieurs de 20 % aux prix du marché, soit territorialisé et réservé aux zones tendues. Ce n'est pas en le supprimant que nous offrirons un logement aux 1,7 millions d'inscrits sur les listes d'attente !

L'article 2 suppose de reconnaître le droit au logement social de la grande majorité de la population, ce qui n'est pas souhaitable. Il doit être réservé à ceux qui en ont le plus besoin, et qui sont encore trop nombreux à être logés dans le parc privé dans des conditions indignes. En outre, il a été conçu pour être provisoire dans un parcours vers l'accession à la propriété...

M. Alain Gournac.  - Absolument !

M. Jean-Claude Requier.  - La proportion de ménages modestes est la même dans les parcs privé et public.

Les réponses de cette proposition de loi ne sont donc pas adaptées. Le projet de loi Égalité et citoyenneté devrait réformer la détermination des loyers ou les critères d'accès.

Tout en partageant une grande partie des constats dressés par ses auteurs, nous ne pourrons voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Francis Delattre .  - Le constat est partagé sur l'échec de la politique du logement. Les résultats tardent à se produire depuis vingt ans. On doit réformer cette politique du logement, dont le coût est prohibitif selon les observateurs étrangers. C'est le premier poste de dépense pour nos concitoyens. Le taux de rotation dans le parc social est faible, 10 % contre 22 % dans le privé. Il faudra des milliards pour mettre aux normes des immeubles vieillissants.

La loi Alur présente bien des inconvénients mais la plupart des décrets d'application n'en ont fort heureusement pas été publiés.

M. Alain Gournac.  - Tant mieux !

M. Francis Delattre.  - Aujourd'hui, les logements sociaux sont construits de manière obsessionnelle, affectés au Dalo, dans une logique d'urgence, qui se comprend, mais ne doit pas se substituer à une logique de long terme évitant la ghettoïsation.

Le problème n'est pas que l'on ne construit pas de logements sociaux, mais qu'on ne les construit pas là où il faudrait : en dehors de centres anciens, dans des quartiers sans âme, dont les habitants ressentent amèrement cette mise à l'écart...

Mme Marie-France Beaufils.  - Caricature !

M. Francis Delattre.  - L'accès à l'emploi y est difficile, tant les temps de trajet sont longs et le lieu de résidence est même devenu un critère d'embauche...

La mixité sociale a disparu de ces quartiers.

Souvent la recherche de la bonne école fait fuir les classes moyennes. Le départ des commerçants aggrave l'insécurité. D'un autre côté, un tiers des occupants ont un revenu supérieur au plafond. Il faudrait s'intéresser à la gestion et à l'application des critères.

Avec 2 % du PIB, la France est la championne d'Europe des dépenses pour le logement... avec des résultats décevants.

Les coûts de la construction sont plus élevés de moitié en France qu'en Allemagne, autant d'argent en moins pour les ménages. Les aides peuvent être aisément captées par les professionnels de l'immobilier, avec un effet inflationniste.

L'écart des prix entre construction et consommation a augmenté de 14 % contre 5 % en Allemagne. Les normes sont au coeur du sujet. Si seuls 20 % des logements respectaient les normes pour les personnes handicapées, cela répondrait aux besoins et coûterait beaucoup moins cher. Des espaces devraient être revalorisés dans les zones urbaines. L'État et les collectivités territoriales devraient s'associer pour leur dépollution. Les politiques de réserve foncière à long terme, comme l'Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) en Île-de-France devraient être favorisées.

Même chose pour les logements sociaux dans les zones très tendues avec les baux emphytéotiques ou le paiement différé du terrain. Les quartiers datant des années 1970 devraient être repensés.

Les aides doivent servir à augmenter l'offre, au lieu de nourrir l'inflation. En ce qui concerne l'aide au logement des jeunes, il n'y a pas lieu de distinguer entre les étudiants et les jeunes actifs. Des baux de deux ou trois ans favoriseraient la rotation tout en laissant aux jeunes le temps de mettre au point leur parcours résidentiel. C'est une erreur que de préférer les résidences tout public à celles qui sont réservées aux jeunes actifs et étudiants. (M. Philippe Dallier approuve)

La récente loi Vieillissement a enfin reconnu aux seniors le droit à un logement adapté.

Les collectivités territoriales devraient avoir plus de responsabilités : les maires connaissent chaque quartier, chaque rue, et ils ne peuvent gérer que 20 % de leur parc... Il faut trouver un consensus entre les anciens habitants et ceux qui arrivent dans de nouveaux logements sociaux... Ce n'est pas toujours facile ! (M. Alain Gournac renchérit)

L'accession sociale à la propriété doit être relancée, grâce à la diversification de l'activité des organismes de logement social. Même si le groupe Les Républicains votera contre, remercions le groupe CRC pour le débat que sa proposition de loi a suscité. (Applaudissements à droite et au centre ; exclamations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - M. Delattre est bien consensuel aujourd'hui !

M. Francis Delattre.  - La gauche devrait m'applaudir ! (Sourires)

Mme Annie Guillemot .  - Le logement n'est pas une marchandise comme les autres. La ministre du logement l'a dit, le logement social est un pilier de notre politique en la matière qui permet à 4 millions de ménages de préserver leur pouvoir d'achat. La Fondation Abbé Pierre a fait part de ses constats accablants. Les ménages sont 45 % de plus qu'en 2006 à consacrer plus de 35 % de leur budget au logement.

Le Gouvernement intensifie ses efforts pour construire des logements sociaux et intermédiaires. Les deux ne s'excluent pas. Dès 2012, le Gouvernement a recadré le dispositif d'initiation à la construction des logements neufs locatifs...

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - C'est pour cela qu'il a été corrigé avec le Pinel...

Mme Annie Guillemot.  - Cette proposition de loi revient sur la mixité sociale dans l'habitat, qui est au coeur du projet de loi Égalité et citoyenneté. Au dernier congrès HLM, le président de la République a réaffirmé son objectif de construire plus et la volonté de l'État d'accorder des moyens pour l'atteindre. Les constats de la Fondation Abbé Pierre ont été rappelés.

Pourtant le plan de relance de la construction commence à produire ses effets, la reprise se confirme ! Le marché des logements neufs est ainsi en hausse de plus de 20 % par rapport à 2014 et les mises en chantiers doublent, ainsi que le nombre de permis de construire. Avec le budget 2016, dont on peut regretter encore que le Sénat ait rejeté les crédits de la mission logement, le Gouvernement intensifie encore ses efforts pour la construction et la rénovation.

Dès 2012, le Gouvernement a recadré le dispositif d'investissement locatif pour éviter les effets d'aubaine et réduire sensiblement son impact sur les finances de l'État.

On ne peut admettre que des populations entières soient exclues de certaines communes, faute de logements sociaux. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve)

La mobilisation du Gouvernement pour le logement social a commencé à porter ses fruits puisque l'année 2015 est marquée par l'augmentation du nombre de logements sociaux financés de 2.3 % par rapport à 2014. Le président de la République vient d'annoncer lors du bicentenaire de la Caisse des dépôts et consignations que 3 milliards d'euros vont être mobilisés pour accroître la capacité d'investissement de la Caisse d'ici 2017 avec deux priorités : le logement et la croissance verte.

Les sanctions contre les communes qui construisent insuffisamment de logements sociaux ont été aggravées. Si 1 022 communes soumises à « obligation SRU » se sont en majorité engagées dans des actions utiles pour combler leur retard, la minorité de celles qui résistent à la loi reste considérable : plus de 220 communes ont été déclarées en carence au titre de ce bilan.

Le 14 janvier, nous étions nombreux autour de Louis Besson et de Jean-Claude Gayssot, qui ont porté la loi SRU promulguée le 13 décembre 2000 : il est indispensable de lutter sans relâche contre les effets de la ségrégation sociale et territoriale. Près de la moitié des logements sociaux construits entre 2000 et 2008 est due à la loi SRU dans les communes où elle s'applique. Elle a ainsi permis la construction de près de 450 000 logements.

J'espère que vous serez nombreux à soutenir le projet de loi à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Jean-Pierre Bosino .  - L'article premier supprime le Pinel, qui coûte 240 milliards d'euros en 2016, un montant déjà multiplié par trois. Il s'agit d'argent public qui profite à des particuliers pour un logement pas toujours de qualité, dont on a pu s'inquiéter qu'ils deviennent les copropriétés dégradées de demain. Si l'on ajoute que le revenu moyen des bénéficiaires de ce régime s'élève à 67 000 euros par an et que les locataires sont parfois leurs enfants ou petits-enfants...

Le fonds national d'aide à la pierre sera financé par les bailleurs, donc par les locataires. À nos yeux, c'est l'offre de logement publique qui peut influer sur le marché privé. Depuis 1977, le glissement de l'aide à la pierre vers des aides personnelles est une erreur stratégique.

Mme Marie-France Beaufils .  - Aucun argument n'a été proposé démontrant l'utilité du dispositif Pinel. Les seuls chiffres dont nous disposons concernent les bénéficiaires de cet avantage fiscal : 4 727 foyers fiscaux en 2014, pour un coût de 16 millions d'euros. Le nombre de logements locatifs a certes augmenté, mais pas celui des logements intermédiaires. Au vu de sa durée, l'avantage fiscal couvre presque le coût de l'investissement, cela devrait interpeller tout le monde.

J'espère que la discussion du projet de loi « égalité et citoyenneté » tiendra compte de notre débat d'aujourd'hui.

Ces sommes doivent être réorientées vers l'aide à la pierre. On prétend que la suppression du Pinel freinerait la construction, la mise en chantier de nouveaux logements publics la relancerait au contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

L'article premier n'est pas adopté.

ARTICLE 2

M. Jean-Pierre Bosino .  - Le logement social était considéré naguère comme une promotion, la base d'un parcours résidentiel, un outil d'aménagement du territoire. Il y a cinquante ans, y entrer, c'était un signe de réussite, d'autant que des très grands architectes comme Le Corbusier les avait imaginés. Comment est-on passé à la vision restrictive qui a cours aujourd'hui ? Cet article revient sur la loi Boutin, bien nommée Molle, pour la mixité. Ce n'est que justice dans un pays de bas salaires comme le nôtre ! Je pense au cas d'un professeur des écoles qui débute.

Monsieur le sénateur Raoul craint que cela prive les bailleurs des surloyers. Arrêtez d'abord de ponctionner leurs fonds propres ! La demande est là, il ne sert à rien de casser le thermomètre. Cela ne fera pas tomber la fièvre, l'envolée des prix, le mal-logement.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Onze des trente-six communes des Hauts-de-Seine sont hors la loi, par leur nombre de logements sociaux, voire vingt-deux si l'on prend comme référence la barre des 25 %.

Neuilly-sur-Seine qui n'en affiche que 4,61 %, comptabilise des hébergements d'urgence : quelque 40 cabines de 9 m2 sur une péniche gérées par l'Armée du Salut et financées par l'État ! (M. Jean-Claude Requier s'exclame)

Quant à la résidence universitaire d'Antony, son espace de 11 hectares a aiguisé l'appétit des promoteurs, et il n'y aurait plus là, bientôt, que des logements de haut standing, outre 1 000 logements étudiants au lieu de 2 000 actuellement (soit 14 % du parc étudiant de l'Ile-de-France), d'une surface réduite...

Cet article a toute sa pertinence.

M. Philippe Dallier .  - Si en 2009, dans la loi Molle, Mme Boutin a réduit les plafonds, c'est qu'ils avaient augmenté mécaniquement avec le taux horaire du Smic. La loi Molle n'a fait que revenir à la situation antérieure. La commission des finances maintient son avis défavorable.

Mme Marie-France Beaufils .  - Il ne s'agit pas de chasser les plus fragiles du parc : ils sont prioritaires pour les commissions d'attribution. Il s'agit de faire en sorte qu'une nouvelle catégorie sociale y accède.

J'ai logé une vingtaine d'années dans le parc social : il y avait de la mixité sociale ; les conditions n'étaient pas dégradées comme aujourd'hui. Pour faire la mixité jusque dans la cage d'escalier, comme dit le rapporteur, il faut lever les conditions de ressources qui sont un obstacle. Cela permettrait de créer un logement pour tous - s'il faut changer de nom. En continuant à séparer les gens, nous allons dans le mauvais sens.

L'article 2 n'est pas adopté.

ARTICLE 3

M. Michel Le Scouarnec .  - Satisfait du débat qui a eu lieu, je sais qu'il y a des maires bâtisseurs parmi nous. Peut-être faut-il inventer de nouvelles gammes de logement pour notre jeunesse.

L'essentiel est d'offrir des logements de qualité à un loyer abordable. Beaucoup de familles n'arrivent que de justesse à payer leur loyer...

Le logement social est une grande affaire pour notre pays. Une famille mal logée a moins de chance de s'épanouir dans tous les domaines.

L'article 3 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 16 h 30, reprend à 16 h 35.