Accueil des réfugiés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés.

M. François-Noël Buffet, au nom du groupe Les Républicains .  - En 2015, un million de migrants venus de Syrie, d'Irak, d'Érythrée, d'Afghanistan sont arrivés en Europe ; ils sont déjà plus de 110 000 en 2016, dont 58 000 sont déjà passés en Grèce - après 855 000 en 2015, dont 500 000 via Lesbos.

Tous cherchaient en Europe l'Eldorado promis par des mafias. Ils veulent le plus souvent rejoindre le nord de l'Europe, la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

En septembre 2015, la France s'est engagée à recevoir 30 000 migrants en deux ans ; en même temps, les moyens de Frontex étaient renforcés et des hotspots devaient être créés en Italie et en Grèce. À Champagne-sur-Seine et à Lesbos avec la commission des lois, j'ai pu constater les premiers effets de cette politique européenne.

La procédure de relocalisation consiste d'abord à accueillir les migrants dans des hotspots, sous la supervision du Haut Commissariat pour les réfugiés et d'autres institutions et associations, pour faire le tri, dirai-je trivialement, entre ceux qui relèvent de l'asile et les migrants économiques. Ces derniers reçoivent un laissez-passer pour retourner avant un mois dans leur pays - avant six mois pour ce qui est des Syriens. En fait, tous restent, prennent la route des Balkans et sont bientôt en Allemagne ou à Calais - où la population des migrants est passée de 2 000 à 6 000 personnes en six mois.

Tout en reconnaissant les efforts du Gouvernement, je dois constater que les difficultés demeurent. À l'échelle européenne, les relations se tendent, en Macédoine notamment, et la Belgique a fermé sa frontière. La partie sud de la jungle de Calais doit être démantelée, mais la situation est également difficile à Grande-Synthe.

Les réseaux mafieux sévissent. On compte beaucoup de mineurs isolés parmi les migrants, sachant que 10 000 enfants auraient disparu. Quant aux no border, ils font un contre-travail pour inciter les migrants à ne pas recourir au dispositif de l'accueil et même à ne pas bénéficier de l'asile.

Nous avons toujours été en retard sur les évènements. N'eût-il pas fallu créer les hotspots dans les pays voisins plutôt qu'en Europe, afin de barrer la route aux passeurs voyous ?

L'Union européenne doit les financer pour garantir des standards d'accueil élevés. Nous sommes tous d'accord sur ce point. La France doit plaider pour une politique migratoire à longue vue en Europe. Chacun ne peut pas se défausser sur ses voisins.

À Calais, tous nos services doivent être mobilisés face aux mafias et aux agitateurs. Il est peut-être temps, enfin, de revoir les accords du Touquet avec les Britanniques, afin qu'ils prennent leur part de la charge.

Sans polémiquer, j'estime que nous avons besoin d'une réponse politique plus forte, accueillante à l'égard de ceux qui le méritent, mais également ferme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe UDI-UC et du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-François Rapin .  - Élu du Nord, je me tiendrai aussi éloigné de toute polémique pour rechercher des solutions au développement du camp de migrants à Calais et Grande-Synthe. En visite sur place, nous avons pu constater les difficultés humanitaires, l'action des associations, les dégâts causés par les activistes, mais aussi le fait que nos services sont débordés. Le dispositif des conteneurs au Centre d'accueil provisoire, le CAP comme nous disons, se déploie certes et le démantèlement de la jungle se poursuit. Mais l'État doit intensifier ses efforts pour faire respecter la loi.

L'identification des migrants est indispensable. La procédure biométrique mise en place à Calais est une première étape ; je rejoins les propositions d'identification par photographie ou prise d'empreintes lors de l'entrée sur le territoire.

Les passeurs désinforment les migrants leur faisant croire que, s'ils se mettent dans les mains de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ils n'arriveront jamais en Angleterre. Il faut contrecarrer ce discours.

Le maire de Grande-Synthe se sent un peu seul et se plaint de l'absence de l'Etat - alors que de nouveaux migrants pourraient arriver dans ce camp où je ne mettrais pas mon chien.

Xavier Bertrand a écrit au président de la République et à M. Cameron pour solliciter une réelle prise en compte des enjeux économiques et sociétaux de cette crise migratoire lors du prochain sommet franco-britannique qui se tiendra à Amiens ce jeudi. Calais souffre d'un chômage endémique, le trafic trans-Manche est perturbé, la restauration et l'hôtellerie souffrent, le développement du port est affecté.

Ne négligeons pas l'attractivité économique du littoral de la Manche et de la mer du Nord. Je ne voudrais pas que la côte entre Ouistreham et la frontière belge devienne un mur de la Manche ! (Applaudissements à droite et au centre, ainsi que sur quelques bancs socialistes)

Mme Valérie Létard .  - L'afflux de réfugiés en Europe s'inscrit dans le contexte international du conflit syrien et de la menace de Daech en Irak, en Syrie et désormais aussi en Libye. L'instabilité politique et les luttes de pouvoir embrasent le Proche-Orient et les millions de Syriens et d'Irakiens fuyant les zones de conflit menacent l'équilibre du Liban, de la Jordanie et de la Turquie. L'Afrique n'est pas épargnée non plus par l'islamisme radical.

Face à ces crises, l'Europe semble désemparée, et les États membres prennent des initiatives en ordre dispersé. Sur onze hotspots prévus, trois seulement sont opérationnels. Où en est-on, monsieur le ministre ?

Le dispositif de relocalisation entre lentement en puissance. 94 relocalisés à Lesbos en janvier, très loin de 450 prévus. En 2015, l'Ofpra et l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ont vu leurs moyens augmenter, afin de traiter 77 130 demandes d'asile, un chiffre en hausse de 22 %. De nouveaux moyens seront nécessaires cette année.

L'appel que vous avez lancé aux collectivités territoriales afin qu'elles participent à l'accueil des réfugiés, a été entendu : 1 680 logements ont été ouverts, soit 5 200 places. Mais peu ont été réellement utilisées. Les collectivités territoriales se préparaient à intégrer des familles de réfugiés et on leur demande d'héberger en urgence des migrants de Calais, ce qui est tout autre chose. Il leur est difficile d'expliquer cela aux administrés.

Beaucoup de migrants veulent rejoindre le Royaume-Uni. N'est-ce pas une raison pour que ce pays prenne sa part de l'effort ?

M. Alain Néri.  - Et toute l'Union européenne !

Mme Valérie Létard.  - Où en est le démantèlement de la jungle de Calais ? Est-il vrai que 20 % des migrants en disparaissent sans laisser de traces ?

Nous nous satisfaisons du travail accompli aujourd'hui par le ministère, mais l'État et les collectivités territoriales doivent dorénavant collaborer en amont. Si un fonds de 50 millions d'euros a été créé pour la réhabilitation de logements, les autres frais restent à la charge des collectivités. Les élus demandent que l'aide européenne de 6 000 euros par migrant puisse être perçue directement par les communes, comme en Allemagne.

Face à la tragédie de la guerre et de l'exil, on ne peut se satisfaire d'une réponse compassionnelle. Calais fait aujourd'hui face à de graves difficultés économiques s'ajoutant à une situation déjà difficile. Évitons de concentrer la misère, montrons que l'État et les territoires, ensemble, maîtrisent la situation, se donnent les moyens de respecter la Convention de Genève, sans opposer la souffrance des Français à celle des étrangers. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également)

M. Christian Favier .  - « Réfugiés : l'Europe se désintègre » titrait Le Monde ce week-end. La Belgique rétablit des contrôles à sa frontière avec la France, Athènes rappelle son ambassadeur à Vienne qui ferme ses frontières comme d'autres pays des Balkans.

Selon le droit international, un réfugié est une personne qui se situe hors de son pays de nationalité ou de résidence habituelle, et qui ne peut y retourner parce que sa vie y est sérieusement menacée. Il y a souvent bien peu de sens à faire le tri entre « bons » réfugiés et « mauvais » migrants, comme on s'y acharne aujourd'hui dans les hotspots grecs : les migrations économiques peuvent être tout aussi légitimes lorsqu'elles proviennent de pays où l'esclavage existe toujours, comme la Mauritanie. Alexis Tsipras a menacé de refuser tout accord européen pour que la Grèce ne supporte plus seule le fardeau européen et ne devienne pas un entrepôt d'êtres humains. La France a le devoir de lui apporter son soutien. Le programme de relocalisation doit être revu et rendu effectif : aujourd'hui, seules quelques centaines de personnes ont été relocalisées, sur 80 000 demandeurs d'asile en 2015.

Personne ne quitte son pays de gaieté de coeur, qu'on en soit chassé par la guerre ou la misère et l'exploitation économique.

L'asile relève de l'État, mais aussi, pratiquement, des collectivités territoriales. Celles-ci attendent de l'État un soutien plus important. Avant même le démantèlement de la jungle de Calais, où vivent 326 mineurs étrangers isolés, le Val-de-Marne en accueillait déjà beaucoup. Pourtant, sur les 47 personnes hébergées dans le cadre de la relocalisation, il ne se trouvait qu'une famille syrienne de cinq personnes.

Si l'État peine à relocaliser les réfugiés, c'est que ceux-ci ne veulent pas rester dans notre pays, dont l'image a été ternie par la propagation des slogans du Front national.

L'Union européenne porte sa part de responsabilité dans le chaos qui règne en Syrie et en Libye ; il est de notre devoir d'accueillir les réfugiés avec dignité et humanité. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Yves Leconte .  - Il ne s'agit pas ce soir de politique migratoire, mais de personnes qui fuient la mort, et ont besoin de protection. Parler de « seuil de tolérance », c'est imaginer qu'on pourrait tolérer l'horreur, les camps de la mort. Quand 10 000 enfants auraient disparu l'an dernier selon Europol, il nous faut réfléchir différemment.

L'Europe est terrassée par la peur. Peuplée de 500 millions d'habitants, elle a reçu un million de migrants -  c'est bien peu, en comparaison de la Jordanie, du Liban, de la Turquie, qui en ont accueilli chacun 2 millions, avec respectivement 8 millions, 6 millions ou 80 millions d'habitants.

Le droit d'asile est individuel et ne saurait être abordé en termes de nationalité. Chacun sait que la coopération est indispensable ; et pourtant, on constate partout le repli national. Il faut dire clairement à l'Europe centrale ce que nous attendons d'elle. Il est étonnant, compte tenu de ce que ces pays ont vécu, que le pacte de Varsovie se reconstitue sur cette base-là ! Nous devons aussi être plus clairs avec la Turquie, et non pas lui demander un jour d'ouvrir ses frontières pour remédier aux bombardements russes et le lendemain de garder tous les réfugiés.

La situation en Grèce a de quoi inquiéter : 8 000 migrants bloqués à la frontière de Macédoine, militarisation.... De même en Macédoine avec la Serbie.

La France s'est engagée à recevoir 30 000 réfugiés. Bien peu souhaitent venir ici, il y a de quoi s'interroger... Mais je salue l'action de l'Ofpra. Aidons d'autres pays qui ne disposent pas des mêmes moyens.

J'espère que le sommet prochain illustrera l'entente de l'Union européenne et de la Turquie contre les passeurs - mais la Turquie n'est pas aujourd'hui un pays sûr. Que l'Europe ne perde pas son âme.

Une identification unique dès la Turquie serait un gage de sécurité et d'efficacité. Il faut aussi revoir l'organisation d'Eurodac. Enfin, les demandes de relocalisation doivent pouvoir être enregistrées depuis les pays voisins - sans que cela revienne à créer des camps européens hors de nos frontières.

Souhaitons que la France et l'Allemagne prennent l'initiative pour que l'Europe ne se perde pas. Elle est à la croisée des chemins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi qu'au centre)

Mme Esther Benbassa .  - La guerre civile syrienne, l'aggravation de la crise en Libye, la situation désastreuse en Érythrée ont jeté sur les mers et les routes des millions de réfugiés qui recherchent en Europe un havre de paix et de sécurité. Face à cette situation inédite, le Conseil européen décidait en septembre 2015 d'une procédure de relocalisation de 160 000 personnes en deux ans, la France s'engageant à en accueillir 30 000. C'était un pas vers plus de solidarité.

Qu'en est-il aujourd'hui ? La mise en place est laborieuse. Au 10 février, 218 personnes avaient été transférées de Grèce vers d'autres États membres, 279 d'Italie, la France en avait accueilli... 135. On est loin de la marée humaine annoncée ! La relocalisation ne concerne que Syriens, Érythréens et Libyens ; 40 % des arrivants ne relèvent pas de cette procédure, beaucoup d'autres y renoncent, de peur de se voir imposer un pays de destination et d'être envoyés loin de leurs proches. À ce rythme, il faudra des dizaines d'années pour relocaliser les 160 000 personnes prévues !

Il est heureux qu'Angela Merkel continue de nous donner une leçon d'humanité. Quel contraste avec les propos de notre Premier ministre ! Rien de très nouveau, quand on sait quel sort la France fit dans l'entre-deux-guerres aux Juifs fuyant les persécutions nazies ou aux républicains espagnols... Claironnant les principes des droits humains, nous ne nous y tenons guère... À la longue, les égoïsmes nationaux risquent de faire craquer l'Union européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Stéphane Ravier .  - Sous le vocable « réfugiés » se cache une forte disparité d'individus. Si quelques-uns fuient la guerre, beaucoup sont des migrants économiques. Ces 10 000 migrants quotidiens sont pour la plupart de jeunes hommes, ayant quitté leur famille au lieu de la défendre les armes à la main, ainsi que leur pays. Ne fait par Verdun qui veut...

M. Alain Néri.  - Non, parlez de ce que vous connaissez !

M. Stéphane Ravier.  - Nos compatriotes sont une nouvelle fois exclus de ce débat. Le Gouvernement excipe de la tradition centenaire d'asile de la France, depuis 1793... sortez vos mouchoirs.

Mme Éliane Assassi.  - Ne vous en déplaise !

M. Stéphane Ravier.  - Nous n'avons pas les moyens de notre générosité. Cette manne de main d'oeuvre bon marché, il est vrai, réjouit le Medef... Il n'y a pas que les passeurs qui profitent des migrations !

M. Christian Favier.  - Le FN !

M. Stéphane Ravier.  - Les attentats de novembre nous ont montré les dangers de notre politique. J'ajoute que vous privez les pays d'origine de leurs forces vives. Le seul débat qui vaille porte non sur l'accueil mais sur le retour de ces populations dans leur pays d'origine.

M. Pierre-Yves Collombat .  - Déjà peu lisible - euphémisme ! - pour l'observateur moyen, la politique migratoire européenne, ou plutôt son absence, qui est en train de virer au « sauve-qui-peut », prend un air surréel vu de Grèce, où la « mission sénatoriale chargée du suivi du dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés » de la commission des lois vient de se rendre. Lesbos, île de 70 000 habitants à quelques milles des côtes turques, a accueilli 500 000 migrants et enterré leurs morts.

L'Union européenne a traité cette situation inouïe avec les procédures de routine. Les migrants en situation irrégulière sont ainsi expulsables. La question des hotspots réglée, l'intendance est censée suivre. Encore faudrait-il que le flux se calme et que les déboutés du droit d'asile soient effectivement renvoyés. Or ces deux conditions ne sont nullement remplies. Ainsi, en France, qui a plus de moyens que la Grèce, 26 700 demandes d'asiles ont été acceptées, 53 200 refusées pour 17 000 reconduites.

En 2014, la Grèce a accueilli un million de migrants... Elle ne peut faire face ! Une fois inscrits, enregistrés, tous prennent les ferries pour Athènes puis font route vers l'Allemagne, la Suède, la Grande-Bretagne, seule la durée de leur sauf-conduit distinguant les déboutés (deux mois) des réfugiés (six mois).

Surréel aussi le plan de relocalisation, obsolète avant de naître. Dès 2015, un procès en sorcellerie était intenté à la Grèce, écrasée par les exigences de la troïka, qui avec ses dix millions habitants a fait face, seule, pour un coût estimé à 600 millions d'euros ! Le maire de Mytilène, 28 000 habitants nous l'a dit : il s'est senti très seul et même humilié par les inspections de la « commission permanente de contrôle de la mise en oeuvre des règles de Schengen » en novembre 2015.

Pour l'heure, je suis accablé de constater que le seul chef d'État à avoir le courage d'appeler la Grèce pour l'aider à ne pas sombrer dans le chaos, comme elle vient de le faire il y a quelques jours encore, c'est Angela Merkel. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit et applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Pour beaucoup de Français, la crise migratoire, c'est d'abord la vision insoutenable de la jungle de Calais. Je m'y suis rendu il y a quelques semaines avec la délégation aux droits des femmes. Jamais, même dans les camps de réfugiés de Syrie, de Jordanie, de Turquie ou d'Irak, je n'ai vu une telle misère, une telle saleté ! Cette situation n'avait que trop duré. Son démantèlement est bienvenu, mais il est indispensable d'assurer le suivi des personnes concernées afin qu'elles ne se retrouvent pas bientôt à la rue, en proie aux réseaux de trafiquants. Quelles mesures prenez-vous pour les mineurs isolés, monsieur le ministre ?

L'insertion des réfugiés est cruciale. L'année dernière, j'avais fait état du retard de la France, où les demandeurs d'asile n'ont pas le droit de travailler pendant l'instruction de leur demande, par rapport à la Suède, à l'Allemagne ou aux États-Unis. Il faut lever un tabou qui empêche les demandeurs de vivre dignement - on alimente l'économie clandestine.

Les réfugiés, dans le monde, se comptent aujourd'hui par millions. Ils forment le quart de la population de certains pays, avec les risques d'explosion économique et sociale qui en résultent. Je sais que vous n'êtes pas en charge, monsieur le ministre, de la coopération et du développement, mais j'insiste : nous devons aider ces pays, à commencer par le Liban et la Jordanie.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Il faut de nouveaux accords de Bretton Woods.

Où en est-on de la procédure d'attribution de visas en Irak ? Les délais se sont allongés. La coopération entre Frontex et l'Otan est en progrès, mais il faut aller plus loin. Où en est l'accord avec la Turquie contre les passeurs ? Qu'est-il prévu pour améliorer la communication entre la police grecque et Frontex ?

Ne laissons pas les égoïsmes triompher dans notre patrie des droits de l'homme qui doit redevenir un leader en Europe sur cette question. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)

M. Jacques Bigot .  - À une exception près, nous avons eu un débat de qualité : monsieur le ministre, la Représentation nationale a conscience de la difficulté du problème mais aussi de la nécessité de le régler, sur le fondement de la solidarité. Même en Allemagne, on oublie trop vite l'image de cet enfant mort sur une plage de la Méditerranée...Il est vrai que les populations souffrent du chômage et des difficultés économiques...

La solidarité doit être européenne, d'abord. L'Europe est-elle capable de construire une politique commune, alors que des États refusent de s'engager et que la Grèce et l'Italie sont laissées seules aux avant-postes ?

Comme les communes face à l'accueil des gens du voyage, chacun souhaite que les réfugiés s'installent...chez le voisin.

En Allemagne, la chancelière s'est dite prête à accueillir des réfugiés, s'attirant des difficultés ; en France, le Gouvernement veut en accueillir, mais les réfugiés ne sont pas très intéressés.

La solidarité est aussi locale, territoriale. En Alsace, nous pouvons rappeler que des Alsaciens ont été heureux d'être accueillis en Dordogne ou dans le Limousin en 1939... Mais les générations concernées vieillissent. Les maires volontaires, qui cherchent à convaincre leur population, malgré elle, doivent être soutenus par l'État.

Oui, l'État doit être présent car certains maires ne sont pas loin de partager les idées xénophobes, les propos démagogiques d'une partie de la population...

Parlons enfin de la solidarité des territoires face à l'accueil des mineurs étrangers isolés. Nous devons les accueillir, ils sont souvent les victimes de réseaux de trafics d'êtres humains, que leur famille restée au pays a payé cher en échange de promesses fallacieuses. Nous avons besoin de plus de solidarité. (Applaudissements sur la plupart des bancs à gauche)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le problème auquel l'Europe est confronté, sans précédent dans notre histoire récente, ne se règlera pas par des incantations, moins encore par des imprécations.

Nous n'avons pas à nous seuls la clé des conflits qui déchirent le Proche-Orient et qui sont à l'origine d'une partie des migrations actuelles. Une partie seulement, toutefois, car beaucoup sont des migrants de la misère. Sur le million de personnes entrées en Europe l'an dernier, plus de la moitié seraient venues pour des raisons économiques. Bref, nous devons faire face à un cumul de migrations.

Face à ces flux, les pays les plus allants sont dépassés ; les retours vers les pays d'origine sont inexistants. Les Balkans sont au bord du chaos.

La commission des lois du Sénat a mis en place dès le mois de septembre une mission de suivi du dispositif européen de relocalisation. Je tiens à remercier François-Noël Buffet et à le féliciter pour la qualité de son travail...

M. Bruno Retailleau et Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Nous nous sommes rendus en Grèce, avec des membres de tous les groupes politiques représentés à la commission des lois. Nous avons apprécié la qualité et le dévouement des agents de l'OFII, de l'Ofpra, de la DGSI, des policiers détachées auprès de Frontex, l'engagement des ONG françaises. Leur travail n'est nullement en cause. Ils évaluent avec professionnalisme les demandes d'asile. Mais le système actuel connaît des limites inhérentes à la situation. Il donne de bonnes chances aux demandeurs d'asile authentiques - écartant ceux dont on pourrait soupçonner d'être sensible aux thèses djihadistes  - d'être accueillis et intégrés. Mais il ne concerne que la partie émergée du phénomène.

La Turquie ne respecte pas ses engagements, en dépit des crédits importants qu'elle a reçus de l'Europe. La Grèce est débordée. L'aide qu'elle reçoit ne lui permet pas d'enregistrer tous les migrants. L'appel d'air de l'Allemagne a joué un rôle très négatif, amplifiant le phénomène, le dénaturant en attirant des migrants économiques.

L'espace Schengen est en train de voler en éclats sous nos yeux. De nouvelles frontières sont érigées en son sein : la Belgique rétablit unilatéralement des contrôles, le ministère de l'intérieur a fait à cet égard les remarques qui s'imposaient.

L'Européen que je suis souhaite que l'Europe cesse de reculer, que la France et l'Allemagne surmontent leurs divisions pour mettre en oeuvre rapidement une politique susceptible d'entrainer l'ensemble de leurs partenaires. Un sursaut est indispensable. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Merci au groupe Les Républicains d'avoir demandé ce débat. J'ai entendu bien des chiffres, bien des propos. Cela me rappelle la difficulté de l'exercice ministériel, tant l'information a du mal à passer...

J'y vois l'effet, pour une part, considérable sans doute, de ma difficulté à transmettre certains messages - et, très accessoirement, de la mauvaise foi de certains.... (Sourires)

La crise migratoire est sans précédent. En 2014, 174 000 réfugiés en migrants économiques irréguliers entraient en Europe par la Grèce ou l'Italie.

En 2015, ils étaient plus d'un million. Sur les deux premiers mois de 2016, les tentatives d'entrée en France depuis l'Italie ont bondi de 63 % et 60 000 migrants ont déjà tenté de débarquer en Grèce, et cela malgré l'hiver. Il est à craindre que les chiffres de l'année entière soient encore plus élevés que ceux de 2015.

Cela résulte en effet des désordres du monde, qui poussent des hommes à quitter un pays où ils voudraient vivre et développer leurs talents. Tant que la situation actuelle en Syrie et en Irak perdurera, tant qu'une solution politique nationale n'aura pas été trouvée en Libye, où opèrent des organisations criminelles qui représentent un grand danger pour l'Europe, se livrant au trafic des êtres humains, au trafic d'armes, sans oublier Daech, cela continuera. (M. Alain Néri applaudit)

Avant d'accuser l'attitude de la France, avec une sévérité qui m'a paru excessive, compte tenu des initiatives qu'elle n'a cessé de prendre, pour prévenir cette crise et y faire face, rappelons la chronologie des faits.

Dès le 31 août 2014, avant même l'éclatement de la crise migratoire, j'entamais une tournée des capitales européennes pour proposer un agenda précis. Je plaidais d'abord pour un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne, sans quoi on ne pourrait bientôt éviter une fermeture désordonnée des frontières intérieures, à laquelle nous assistons aujourd'hui.

Ensuite j'appelais à transformer Frontex en une véritable agence constituée d'un corps de garde-côtes et d'un autre de garde-frontières et dotée de moyens accrus, me heurtant, lors du premier conseil Justice et affaires intérieures consacré à cette question, au scepticisme général. L'identification des migrants et l'organisation de la reconduite des déboutés du droit d'asile me paraissaient aussi indispensables à la soutenabilité de l'accueil des réfugiés. Enfin, je proposais des centres de maintien et de retour en lien avec le HCR. Eh bien, c'est sur la base de la proposition française que Mme Mogherini a été mandatée pour négocier des conventions de retours sans guère de résultats pour le moment, je regrette de devoir le dire.

La France a toujours proposé à l'Allemagne de faire ces propositions conjointes. Malgré un parfait accord entre nos deux pays, l'Union européenne a mis 18 mois pour prendre la décision de les mettre en oeuvre, 10 ans à approuver le PNR...Elle ne devra pas attendre autant pour les appliquer !

N'imputez pas ces difficultés à la France ou au couple franco-allemand seul : c'est le système européen tel qu'il fonctionne qui est en cause. L'Allemagne n'a pas été seule à aider les Grecs, monsieur Collombat.

Thomas de Maizière et moi sommes allés ensemble, il y a quinze jours, proposer à la Grèce l'aide de nos deux pays. Une mission du ministère de l'intérieur a été envoyée sur place.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Les Grecs l'ont très mal pris !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Quand je vous entends dire que les grecs auraient accueilli un million de personnes, je dois rectifier : les réfugiés entrés en Grèce sont aujourd'hui en Allemagne.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La Grèce dit qu'il y en a un million sur son sol.

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Ce n'est pas vrai. L'Allemagne assume sa responsabilité, car par ses initiatives, elle a pu contribuer aux conditions de survenance de cette situation.

Je me suis rendu, tout de suite après la Grèce, en Turquie. Qu'y ai-je vu ? Le HCR, le programme alimentaire mondial, l'Unicef ont dit que trois millions de réfugiés syriens étaient aujourd'hui sur le sol turc, dont 300 000 à 500 000 dans des camps de réfugiés dont les standards sont supérieurs, selon ces agences des Nations unies, à ceux du HCR. Les Turcs ont aussi agrandi leurs écoles pour scolariser 300 000 enfants syriens, qui apprennent leur propre langue, grâce à des enseignants également venus de Syrie. Nous demandons aujourd'hui à la Turquie d'accueillir encore plus de migrants, grâce aux trois milliards d'euros alloués, mais nous ne pouvons lui demander de faire ce que nous sommes incapables de faire...

M. Jean-Yves Leconte.  - Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Rien ne serait pire que de confondre les persécutés par les barbares de Daech et les quelques bourreaux qui pourraient se fondre parmi eux. Pour éviter une telle confusion, nous devons prendre de nouvelles dispositions : à l'entrée dans l'Union européenne, le système d'information de Schengen doit être interrogé avec efficacité, ce qui suppose que tous les États membres le renseignent de la même façon, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Ce système d'information doit être connecté aux autres fichiers, Eurodac notamment. Une task force de lutte contre les faux documents doit être mise en place, contre l'usine à faux papiers constituée par Daech à partir des centaines de passeports vierges récupérés en Irak et en Syrie.

Contre ceux qui provoquent les peurs les plus instinctives, dont nous avons eu un exemple éloquent tout à l'heure, (M. Stéphane Ravier sourit) nous avons cette responsabilité.

À Calais, 6 000 personnes vivaient dans la jungle fin 2015. Voyant le nombre augmenter, nous avons ouvert 102 centres d'accueil et d'orientation, accueilli 3 000 personnes -  un échec selon le grand journal du soir  - dont 85 % ont fait une demande d'asile en France et 15 %, en moyenne, se sont évaporé.

Aujourd'hui, il n'y a plus que 3 800 migrants dans le froid et la boue à Calais. Contre 3 000 naguère, il n'y en a plus que 800 à Grande-Synthe.

Non pas parce que le ministre de l'intérieur survolant en hélicoptère, a ordonné aux forces de l'ordre de disperser ces gens, mais parce que les travailleurs sociaux de la direction de la cohésion sociale, de l'OFII, de l'OFPRA, les bénévoles des associations, ont fait leur travail.

Maintenir des hommes, des femmes, des enfants dans la boue de la jungle ne correspond pas à un idéal humanitaire. Il faut, au contraire, les accompagner, leur donner un hébergement et un accès à la langue française. Il convient de ne pas se contenter de postures. Je ne comprends pas la logique qui consiste à envoyer des artistes et des intellectuels à Calais expliquant que la jungle est indigne... et empêcher les travailleurs sociaux de travailler, en caillassant des policiers qui les protègent. Les agents de l'OFII et de l'OFPRA ne sont pas des brutes !

Madame Létard, monsieur Rapin, la ville de Calais n'est pas seule : nous mettons en place un centre d'accueil de jour, des bungalows accueillant 1 500 personnes ; nous négocions un investissement britannique de près de 60 millions d'euros. Je peux entendre que l'État pourrait en faire plus, mais pas qu'il ne fait rien. Ce n'était pas le cas lorsque Sangatte a été fermé, et que des migrants ont été répartis sur toute la côte septentrionale de notre pays... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Christine Prunaud applaudit aussi)

À l'époque, maire de Cherbourg, devant faire face seul, je ne me suis pas répandu sur toutes les antennes. Vous le savez, la maire de Calais, le nouveau président du Conseil départemental et le Gouvernement travaillent dans un climat excellent.

Nous avons fait voter une loi sur l'asile faisant passer de 24 à 9 mois la durée de la procédure d'asile. Cela ne peut se faire sans moyens. Il faudra augmenter les effectifs de l'OFII et de l'OFPRA, les places en CADA, en hébergements d'urgence, les moyens de certaines associations. A Paris, nous ne pouvons faire autrement que vider des squats ; nous le faisons en ouvrant des hébergements d'urgence.

Cela nécessite un vrai parcours de l'hébergement d'urgence vers le logement à long terme. Lorsque je demande aux maires d'identifier des logements, c'est à la fin de ce parcours. Mais pour les migrants de Calais, je demande des locaux très différents. Sans parcours de résidence complet, l'accueil des réfugiés est impossible.

La pression migratoire va se poursuivre et les pays européens devront être à la hauteur. Pour accueillir ceux qui doivent l'être, il faut organiser et maîtriser les choses. Là aussi, il faut se départir de certaines postures. Organiser des contrôles aux frontières, c'est faire preuve de la lucidité qui rend possible la générosité.

Il y a toujours des activistes qui n'ont pas intérêt à ce que les problèmes soient réglés... (M. Jean-François Rapin fait signe qu'ils y ont un intérêt financier) C'est la condition de leur prospérité. Les postures nous font du mal et les manipulations font croire que rien n'est possible. Face au Front national, il y a pourtant urgence à montrer qu'en unissant nos forces, nous pouvons venir en aide à ceux qui sont dans la détresse.

Merci d'avoir voulu ce débat qui nous a permis d'échanger en toute franchise sur cette question difficile, au coeur de l'action du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit aussi)

Prochaine séance, demain, mercredi 2 mars 2016, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 5.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus