Hommage au Président Claude Estier

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs se lèvent) C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris jeudi dernier le décès du Président Claude Estier, sénateur de Paris de 1986 à 2004. Daniel Vaillant m'en a personnellement informé.

Homme de courage et de conviction, entré adolescent dans la Résistance, plus tard fondateur et directeur de l'hebdomadaire L'Unité - un mot qui lui était cher -, Claude Estier mena de front une double carrière de journaliste et d'homme politique de premier plan.

Fervent partisan de l'union de la gauche, il s'engagea aux côtés de François Mitterrand, qu'il suivit dans tous ses combats politiques, jusqu'à l'Élysée, et dont il pouvait s'honorer d'être l'ami, voire le confident.

Fidèle d'entre les fidèles, secrétaire général de la Convention des Institutions républicaines, il joua un des premiers rôles au Congrès d'Épinay, en 1971, pour la renaissance du Parti socialiste.

Tour à tour député à l'Assemblée nationale, député européen, sénateur, il trouva dans chacun des mandats qu'il exerça le prolongement naturel de son engagement militant de toujours pour les valeurs de sa famille politique et de la République.

Au Palais Bourbon, il présida de 1983 à 1986 la commission des affaires étrangères où il fit partager sa parfaite connaissance des questions internationales, acquise au fil de ses nombreux déplacements aux quatre coins du monde.

Cette inclination pour les enjeux diplomatiques restera au coeur des dix-neuf années qu'il passa ensuite au sein du Sénat. II fut ainsi tout naturellement membre de la commission des affaires étrangères, où plusieurs rapports importants lui furent confiés, vice-président de la délégation sénatoriale pour l'Union européenne, où il suivit comme rapporteur le processus d'adhésion de la Hongrie à l'Union européenne, membre de la COSAC et enfin, président du groupe d'amitié France-Algérie et vice-président du groupe d'amitié France-Russie.

Comme président de France-Algérie, il se fit l'avocat inlassable de son projet de toujours de refondation d'une nouvelle relation avec ce pays, tant il avait su tisser un lien particulier avec ses amis algériens pour avoir vécu de près les heures tragiques du début des années 1960 et suivi avec inquiétude celles du terrorisme islamique. Je peux témoigner après la visite officielle que j'ai effectuée en Algérie, que la mémoire de Claude Estier reste vive.

En 1988, à la suite de la nomination d'André Méric au secrétariat d'État aux anciens combattants, il est élu à l'unanimité président du groupe socialiste. Il dirige avec doigté, pondération et le souci constant de la communication un groupe politique en expansion, qui montre le chemin en se rajeunissant et en se féminisant.

Très attaché au bicamérisme de la Ve République, il prend une part active à la réflexion sur la rénovation du Sénat et insiste sur la nécessité d'une présence renforcée de ses collègues dans les débats en commission et en séance publique...

Ses multiples responsabilités ne l'éloignent pas de son « territoire », le 18ème arrondissement de Paris - car il y a aussi des territoires dans la ville capitale - où il fait partie de ce qu'on a appelé la « bande des quatre » : Claude Estier, Lionel Jospin, Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant.

À la fin de son mandat sénatorial, c'est Jean-Pierre Bel qui prend les rênes d'un groupe socialiste en pleine progression, avec l'avenir que chacun sait...

Épris de liberté, homme d'écriture et de presse, autant que fin chroniqueur de l'histoire du parti socialiste, on pouvait souvent le croiser dans notre belle bibliothèque, ou près de son bureau du deuxième étage du 26, rue de Vaugirard, où il m'est arrivé fréquemment de le saluer entre 2012 et 2014, non loin, comme certains le savent, de la photocopieuse...

Toujours la plume au poing, il avait refusé la retraite pour revenir à sa première vocation, celle de journaliste, avec son quatorzième ouvrage consacré à ses mémoires, si justement intitulé « J'en ai tant vu », qu'il publia en 2008 et où il nous apparaît tel qu'en lui-même : engagé dans tous les combats de son siècle sur le plan national et international.

Claude Estier savait, pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, faire preuve d'un humour mordant et d'une énergie passionnée. Il était un débatteur de premier ordre. Ses joutes oratoires avec Charles Pasqua résonnent encore dans nos mémoires.

L'une de ses dernières interventions au Sénat fut pour rappeler les promesses de l'Europe, je veux le citer en ces temps de doute et de tentation du repli : « J'appartiens à une génération qui a connu les débuts de la construction européenne : elle apparaissait alors, au lendemain des déchirements de la Seconde Guerre mondiale, comme une utopie. À partir de la réconciliation franco-allemande, le projet des pères fondateurs a connu tantôt des avancées, tantôt des reculs. Mais, au total, quel chemin parcouru depuis cinquante ans ! Cela n'a été possible que parce que la force des idées et des convictions a été plus forte que tous les obstacles. » Voilà des propos qui méritent une réflexion collective.

C'était un grand républicain qui souhaita réaffirmer, peu avant de quitter cet hémicycle, son attachement à « la valeur de la laïcité, l'un des principes fondateurs de notre République ».

Au nom du Sénat tout entier, je veux présenter, à son épouse nos condoléances les plus attristées et assurer sa famille, ses proches et les membres du groupe socialiste et républicain de notre sincère compassion.

Je vous propose d'observer un moment de recueillement en la mémoire de ce grand militant - les valeurs militantes sont de celles qui nous construisent et nous amènent à croire au rôle de la politique - de ce grand journaliste et de ce grand parlementaire.

(Mmes et MM. les sénatrices et sénateurs observent un moment de recueillement)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Le Gouvernement s'associe à cet hommage. Vous avez raison, monsieur le président, de souligner combien Claude Estier a été un grand parlementaire. Il a joué un rôle éminent dans nos institutions. C'était un homme dont la stature et l'engagement faisaient rayonner les idées bien au-delà des fonctions qu'il exerçait.

Depuis la Résistance, et tout le temps où la gauche était en difficulté, Claude Estier a oeuvré pour le rayonnement de celle-ci. Il a été un grand responsable du PS. Un mot le résume : la fidélité, à ses idées, à François Mitterrand aussi depuis les années 60. Humanité, fidélité et engagement, voilà Claude Estier.

La séance est suspendue à 14 h 50.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

La séance reprend à 15 heures.