Lutte contre le crime organisé et le terrorisme (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Discussion générale

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Comme Alexandre Le Grand qui, dit la légende, récitait tout l'alphabet avant de prendre une décision importante, nous ne devons pas, en légiférant, nous laisser guider par l'émotion, mais faire appel à ce que l'historien d'Oxford Sudhir Hazareesingh appelle la « raison publique ».

Les attentats de Bruxelles ont ravivé les images à peine estompées de ceux de Paris. Commis par une même nébuleuse selon un mode opératoire inspiré des attentats coordonnés de Bombay en 2008, après maints actes barbares en Afrique et en Asie, ils nous rappellent que le terrorisme est devenu notre horizon quotidien et l'une des principales menaces pour la sécurité nationale.

Lutter contre cette menace, c'est le premier axe de ce texte. M. Collombat s'inquiète qu'il mette en péril notre modèle juridique français, je vois plutôt de la cohérence dans les textes successifs. Dès la loi du 21 juillet 1982, des assises spéciales furent instituées en matière terroriste. Mais ce n'est qu'en septembre 1986, après les attentats des Champs-Élysées et de la rue de Rennes, que furent votées deux lois, inspirées par les juges Boulouque et Marsaud, qui forment depuis lors la clé de voûte de notre système antiterroriste : création d'une incrimination spécifique d'acte terroriste, centralisation des enquêtes, poursuites et jugements à Paris, spécialisation des policiers et magistrats. La loi de 1996 poursuivra le mouvement en créant l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, puis les lois du 21 décembre 2012 et du 13 novembre 2014.

Le présent texte a été préparé de concert par trois ministères : l'intérieur, les finances et la chancellerie. Il s'agit de renforcer les moyens de la justice, les garanties des justiciables et de simplifier le travail des enquêteurs. Notre débat a été balisé la semaine dernière en commission des lois, comme par l'examen de la proposition de loi du président Bas, dont M. Mercier était rapporteur. Nous sommes d'accord sur bien des points : perquisitions de nuit, suivi socio-judiciaire, captation de données informatiques. Sur 102 articles, six seulement font encore l'objet de divergences de principe : c'est plus qu'un verre au trois quart plein !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Statistiquement...

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux.  - Je souhaite que nous poursuivions sur cette voie. Le Gouvernement, qui n'entend pas s'aventurer sur la voie de l'émotion ou de l'instrumentalisation, s'attachera à préserver un équilibre : ce n'est pas un hasard si le symbole de la justice est une balance. Selon Jacqueline de Romilly, la démocratie à Athènes était avant tout un ton, une méthode, une manière d'être.

Le ministère de la justice poursuivra deux objectifs au cours de ce débat. Renforcer les garanties de la procédure pénale, d'abord, en renforçant le contradictoire, la présence de l'avocat et en élargissant les possibilités de recours. Simplifier les procédures ensuite, qui accaparent trop souvent les policiers et magistrats sans fournir aucune garantie supplémentaire pour les libertés.

Nous avançons donc sur plusieurs fronts, avec une vision globale de la menace. Le Gouvernement reste disponible pour poursuivre le dialogue et faire progresser ce texte, dans le respect des valeurs de la communauté nationale et de l'état de droit.

Un mot de procédure enfin. Le Gouvernement, en application de l'article 44, alinéa 6 du Règlement du Sénat, demande que soient examinés en priorité, après la discussion générale, l'amendement n° 188 portant article additionnel avant l'article 7, les articles 7 et 9, les articles 17 à 21, ainsi que les amendements portant articles additionnels avant l'article 17, après l'article 17 et après l'article 19 ; les amendements nos 63 rectifié et 69 tendant à insérer un article additionnel après l'article 32 AB ; les articles 32 à 32 ter. Le ministre de l'intérieur pourra ainsi être présent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La priorité, acceptée par la commission, est ordonnée.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics .  - Le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, blessent, détruisent, mais qui sont d'abord préparés et financés. Depuis 2001, la loi pénale considère d'ailleurs comme un acte terroriste le financement en connaissance de cause d'une entreprise terroriste. Notre responsabilité commune est d'assécher le financement du terrorisme qui cherche à déstabiliser et à fracturer notre société.

Les modes du financement du terrorisme sont nombreux : trafics illicites, soutien d'une organisation terroriste telle que Daech, mais aussi moyens légaux comme le crédit à la consommation. L'argent ne connaissant pas de frontières, nous devons aussi agir à l'échelon européen et mondial.

Des progrès ont été accomplis ces derniers mois. En plus d'augmenter les effectifs de Tracfin, passés de 94 personnes en 2013 à 118 en 2015, et 138 en 2016, le Gouvernement a facilité la circulation des informations entre les services, et procédé à de premières adaptations de notre droit, afin de faire reculer les moyens de paiement non traçables : abaissement de 3 000 à 1 000 euros du plafond du paiement en espèces, signalement systématique à Tracfin des dépôts et retraits d'espèces supérieurs à 10 000 euros.

C'est dans le même esprit que le présent projet de loi réprime le trafic de biens culturels, qui constitue une source importante de financement du terrorisme tout en portant gravement atteinte à notre patrimoine, plafonne la valeur monétaire susceptible d'être chargée sur des cartes prépayées, renforce le cadre juridique de Tracfin, qui pourra désigner aux établissement bancaires, pour une durée limitée, les opérations ou les personnes présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Le droit de communication de Tracfin est également étendu aux entités chargées de gérer les cartes de paiement ou de retrait.

Nous facilitons aussi la recherche et la constatation par les douanes des infractions liées au terrorisme, en étendant les compétences de la douane judiciaire au financement du terrorisme -  elle pourra ainsi faire valoir son expertise au sein d'unités d'enquête commune avec la police judiciaire. Nous allégeons la charge de la preuve de l'origine illicite des fonds en matière de blanchiment douanier, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous renforçons la législation douanière sur les transferts de fonds transfrontaliers, en imposant la déclaration des transferts supérieurs à 10 000 euros de France vers un pays de l'Union européenne ou inversement : l'amende encourue pour manquement à cette obligation déclarative passera à 50 % de la somme non déclarée. Enfin, le Gouvernement demande une habilitation à transposer par ordonnance la directive du 20 mai 2015.

Ces dispositions seront complétées par un décret en Conseil d'État en cours de préparation, qui imposera le recueil de l'identité des acquéreurs de cartes prépayées dès le premier euro. Tracfin aura aussi accès au fichier des personnes recherchées, afin de mieux orienter ses investigations.

Ainsi, nous ne mettrons pas seulement notre droit au niveau de la menace : nous enverrons un signal fort à nos partenaires sur la détermination de la France. Car la lutte contre le financement du terrorisme ne peut être efficace que si elle est coordonnée au niveau européen et mondial. Qu'il s'agisse de réduire l'anonymat des moyens de paiement, de limiter les paiements en espèces, de renforcer les pouvoirs des cellules de renseignement ou de revoir de fond en comble le système européen de gel d'avoirs, mes demandes réitérées ont enfin été entendues par la Commission européenne, et je veillerai personnellement à ce que le plan d'action annoncé en février soit rapidement traduit dans les faits.

Au niveau international, si en février 2015 à Istanbul mes collègues des finances semblaient, pour beaucoup d'entre eux, découvrir qu'ils avaient un rôle à jouer contre le financement du terrorisme, les choses ont bien avancé, comme en témoigne la résolution récente du Conseil de sécurité de l'ONU. La recherche d'une coordination toujours plus étroite est le fil rouge de notre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du RDSE)