Loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015 (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2015.

Discussion générale

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Vous avez fait le choix, pour la quatrième année consécutive, de rejeter le projet de loi de règlement. Ce qui était exceptionnel avant 2013 - il faut remonter à 1998 pour trouver un tel vote par votre assemblée - est devenu courant. (M. Didier Guillaume ironise) Votre comportement a même gagné l'Assemblée nationale puisqu'une grande majorité des députés de l'opposition ont voté contre ce texte - mais pas tous.

Et pourtant ! Les quatre premiers articles se contentent de constater l'exécution du budget de l'année 2015, conformément à la Lolf et la loi organique de 2012. Le niveau du déficit public nominal est calculé par l'Insee, celui du déficit structurel est vérifié par le Haut conseil des finances publiques (HCFP). L'article premier retrace le résultat du budget 2015 ; l'article 2 présente le tableau de financement ; l'article 3 fait état des comptes de l'État en comptabilité générale, tels que certifiés par la Cour des comptes ; l'article 4 opère des ajustements mineurs sur les autorisations d'engagement et les crédits de paiement, de même que les articles 5 et 6 sur les budgets annexes et les comptes spéciaux. Les articles 7 et 8 arrêtent les soldes définitifs des comptes spéciaux.

Bref, ce texte n'est que le constat de l'exécution. Pourquoi le rejeter ? À aucun moment dans vos débats je n'ai entendu de remise en cause des comptes, établis par l'Insee ou certifiés par la Cour des comptes.

Il faut sans doute voir dans ce rejet un travers de l'époque, qui consiste à faire de tout un objet de conflit et de clivage politique. (M. Éric Doligé le nie) Les comptes de l'État ne sont ni de gauche ni de droite, ils sont sincères ou insincères.

Il n'y a donc aucune raison de rejeter ce texte. C'est pourquoi je vous invite à l'adopter. (Applaudissements sur les bancs socialistes et républicains)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Le projet de loi de règlement qui nous revient étant identique bien sûr à celui que nous avons rejeté le 7 juillet dernier, je vous proposerai de faire de même aujourd'hui.

Le texte n'est pas seulement une photographie de l'exécution budgétaire, c'est un document politique, qui reflète des choix budgétaires et fiscaux. Or ces choix, nous ne les approuvons pas - je n'y reviendrai pas.

La France est l'un des quatre derniers pays de la zone euro dont le déficit excède encore 3 % du PIB. Et le déficit de l'État doit être retraité du PIA et du Mécanisme européen de solidarité : les comptes ont été certifiés, certes, mais la Cour des comptes considère que le déficit baisse seulement de 300 millions d'euros, non de 15 milliards. Il faut reprendre l'ensemble de l'avis !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Je ne conteste pas les chiffres.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Si le déficit public a reculé en 2015, c'est essentiellement lié à la baisse de 4,6 milliards d'euros de l'investissement public local. Le niveau de prélèvements obligatoires, en très légère baisse, reste cependant élevé, à 44,7 % du PIB, et la pression fiscale sur les ménages est très lourde. Les économies de dépenses publiques sont minces ; elles résultent essentiellement de la baisse de l'investissement des collectivités, de l'allègement de la charge de la dette et de quelques mesures de régulation ou coups de rabot. Résultat : la dette publique reste élevée, à 2 096 milliards d'euros, soit 96,1 % du PIB.

Les résultats de la gestion passée ne nous rassurent guère pour la gestion future, d'autant que le FMI vient de réviser sa précision de croissance en France pour 2017 à 1,25 % du PIB, pour intégrer les effets du Brexit.

M. Didier Guillaume.  - Le pire n'est jamais certain !

M. Éric Doligé.  - Le mieux non plus !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Il y a en tout cas des annonces qui engagent des dépenses supplémentaires, ainsi un PIA III pour 10 milliards d'euros.

La commission des finances vous invite en conséquence à ne pas adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Vincent Delahaye .  - On se demande, à entendre le ministre, pourquoi nous siégeons aujourd'hui : d'après lui, ce texte devrait être voté automatiquement...

Élu local, je n'ai jamais voté l'exécution d'un budget que je désapprouvais. Je ne vois pas pourquoi nous agirions autrement ici. La Cour des comptes a certifié les comptes, certes, mais avec des réserves qui, dans le secteur privé, auraient rendu impossible une telle approbation. (M. Christian Eckert le nie) Croyez-en mon expérience !

La Cour des comptes le souligne : « Le déficit budgétaire ne s'améliore que faiblement en 2015 et son niveau demeure élevé. » Si l'on voulait équilibrer les comptes comme promis par le candidat Hollande en 2012...

M. Claude Raynal.  - Sarkozy aussi !

M. Vincent Delahaye.  - ...il faudrait doubler le produit de l'impôt sur le revenu !

Deuxième observation : la charge de la dette est allégée, certes, mais sur le court terme, grâce aux primes d'émission, qui reportent sur le moyen et long terme, à hauteur de 22 milliards d'euros. C'est un tour de passe-passe. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Faux !

M. Vincent Delahaye.  - Sur la dépense publique, nous devons viser une réduction, non une simple « maîtrise ». La Cour des comptes juge d'ailleurs sévèrement l'évolution des dépenses publiques.

Chaque année, nous bâclons l'examen de la loi de règlement, tout le monde s'en plaint, et Mme la présidente de la commission des finances, membre du Bureau du Sénat, devrait porter ce message.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances  - De la Conférence des présidents.

M. Vincent Delahaye.  - La Conférence des présidents pourrait s'interroger sur cet aspect de notre organisation. J'ajoute qu'il y a des progrès à faire en matière de sincérité des comptes : j'en veux pour preuve le niveau de « factures non parvenues », qui correspondent à des dépenses engagées mais non constatées, et les 92 milliards de restes à payer sur les autorisations d'engagement.

L'intitulé « loi de règlement » ne dit rien à personne. « Loi d'approbation des comptes » serait une dénomination plus parlante.

Nous sommes assez doués pour trouver des noms ronflants pour les autres lois, nous devrions y parvenir ici aussi !

Le débat d'orientation des finances publiques devrait en outre être décompté de l'examen de ce texte. M. Sapin a prétendu que personne n'avait critiqué la perspective des finances publiques l'année prochaine... C'est que nous n'avons pas eu le temps ! Mais je le dis maintenant, l'effort qui est annoncé pour 2017 ne sera jamais atteint. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-UC et Les Républicains)

Mme Michèle André, présidente de la commission.  - C'est la Conférence des présidents qui organise le calendrier des travaux, non le Bureau. Autre précision, le texte dont nous discutons s'appelle bien « loi de règlement et d'approbation des comptes »...

M. Éric Bocquet .  - Sur la nature des politiques budgétaires à mener, le consensus n'est pas général, puisque nous ne le partageons pas... Mais il est manifeste que l'exécution 2015 conduit à un déficit en réduction.

Les déficits constatés lors de la législature précédente étaient autrement plus importants, produits par le laisser-aller fiscal, la faible détermination à lutter contre la fraude fiscale, les cadeaux aux entreprises... Tout cela avait dégradé les comptes publics de centaines de milliards d'euros.

Certes, depuis quatre ans, nombre d'engagements ont été oubliés, comme celui de lutter contre la finance, qui s'est seulement traduit par une séparation minimale entre activités de détail et activités de spéculation dans les banques. Or l'Union bancaire risque fort de mettre à contribution les déposants dans la crise italienne apparue ces derniers jours, comme ce fut le cas à Chypre. La grande banque publique annoncée s'est transformée en un établissement public chargé de gérer le CICE. Les problèmes récurrents de logement n'ont pas été réglés, celui de l'emploi n'est réduit qu'à coups de radiations administratives et de stages divers.

La loi El Khomri, prise en application des directives de Bruxelles, repose sur l'idée que le chômage se règlerait par une plus grande facilité à licencier...

Les soldes publics souffrent des aides accordées depuis trop longtemps aux entreprises sans contrepartie : CICE, pour 17 milliards d'euros, CIR pour 6 milliards, report en arrière des déficits pour 10 milliards, ajustements liés au régime des groupes pour 42 milliards, remboursement de TVA pour 50 milliards... Voilà des pistes pour redresser les comptes !

Si la loi de règlement consacre la relative efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, nous restons loin du compte, surtout pour les grandes multinationales, et les 1 500 suppressions de postes au ministère de l'économie et des finances ne nous rassurent pas sur ce point - ni l'application éventuelle de la retenue à la source, qui n'y changera rien.

Lors de la discussion de la loi Sapin, le verrou de Bercy a été retiré contre l'avis du Gouvernement. Et le ministre Macron a accepté une version croupion du reporting des grands groupes pays par pays.

Le vote sur la loi de règlement ne vaut ni approbation ni rejet de la politique menée, mais ce débat peut être une occasion de réfléchir à une réorientation complète de nos choix budgétaires et fiscaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Thierry Carcenac .  - Les points de vue du rapporteur général et de la majorité sénatoriale sont incompatibles avec ceux de la majorité de l'Assemblée nationale, il faut en prendre acte.

Les chiffres sont là, la Cour des comptes les a analysés ; les prévisions pour 2015 ont été tenues, contre tous les pronostics. Après le rabot et la RGPP drastiques, qui ont touché aussi la police et la gendarmerie, le Gouvernement a montré que l'on pouvait faire différemment.

Les baisses de dépenses sont insuffisantes... aux yeux de ceux qui réclament pourtant plus de dépenses régaliennes ! Les 50 milliards d'économies de dépenses n'ont pas été respectées ? La droite en promet 100 milliards, soit deux fois plus... En matière d'artifice comptable, les gouvernements du passé ont été créatifs, sur la dette de la Cades par exemple.

La dette publique tend bien au ralentissement. Elle n'a progressé que de 8 points depuis 2012, contre 25 points sous le mandat précédent. Gouverner implique aussi de s'adapter aux événements : crises, terrorisme, Brexit...

Et vous qui disiez avant les élections départementales, « nous n'augmenterons pas les impôts » vous venez de les augmenter dans un tiers des départements que vous gérez !

Résolument, nous voterons cette loi de règlement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et républicains)

M. André Gattolin .  - Comme chaque été la majorité sénatoriale refuse mécaniquement de voter la loi de règlement. Le groupe écologiste, pour sa part, renouvellera son vote positif. Nous avons de nombreuses divergences de vues avec le Gouvernement sur la politique à conduire, mais cela ne nous conduit pas à juger les comptes insincères. Rappelons-nous des années où les réserves de la Cour des comptes étaient bien plus substantielles... Gardons chers collègues, notre capacité de contestation pour le jour où elle sera vraiment nécessaire. Ne faisons pas comme le berger de la fable d'Esope, qui criait beaucoup au loup.

En revanche, la minoration du rôle du Parlement dans la procédure budgétaire est un vrai problème.

Les délais d'examen des textes - rendus encore plus touffus par les amendements, y compris ceux du Gouvernement - sont intenables, en particulier sur les textes les plus complexes, comme la loi de financement de la sécurité sociale. La loi de finances rectificative de fin d'année est devenue la voiture balai de la loi de finances, ce qui n'était nullement l'esprit de la Lolf. Le CICE a été créé par deux amendements du Gouvernement - pratique qui le dispense d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État. Quelques jours à peine après l'adoption du budget, le président de la République faisait des annonces budgétaires impliquant des décrets d'avance massifs. D'autres annonces intervenues fin juin ont empêché le Gouvernement de remettre dans les temps au Parlement le rapport sur lequel se fonde le débat d'orientation budgétaire... Il en va des régulations budgétaires autorisées par la Lolf comme du 49-3 : ce qui est constitutionnellement possible n'est pas pour autant politiquement légitime.

Notre commission des finances ne devrait-elle pas prendre l'initiative d'une proposition de loi organique visant à limiter les possibilités de contourner le Parlement ?

M. Jean-Claude Requier .  - Après l'échec de la CMP, nous sommes amenés à nous prononcer à nouveau sur ce projet de loi de règlement. Alors que la loi de finances initiale retient l'attention des parlementaires, les lois de règlement sont le parent pauvre de nos débats...

En 2015, le PIB aura été de 1,3 % contre 0,6 % en 2014, grâce notamment à des prix bas du pétrole et à une faible charge de la dette. Le solde structurel est également inférieur au niveau anticipé. Mais nos résultats restent en-deçà de ce qu'exige de nous le Pacte de stabilité. Depuis 2012, la France a bénéficié par deux fois d'un report de l'obligation de respect des 3 % de déficit public...

Quoi qu'il en soit, les résultats doivent nous encourager à aller plus loin, pour ne pas subir les déboires de l'Espagne et du Portugal, lequel est en déficit excessif depuis trop longtemps. Les lauriers sportifs n'induisent pas les lauriers politiques !

Sans sous-estimer les difficultés, je déplore les discours alarmistes laissant croire à un État au bord de la faillite. En matière budgétaire, il faut être pragmatique, laisser l'État jouer son rôle de stabilisateur et d'amortisseur de crise. Pour cela, il faut être plus rigoureux en période de croissance.

Nous avons des fondamentaux solides : épargne solide, faible endettement privé, administration fiscale efficace... Hélas, la baisse des dotations aux collectivités territoriales grève nos capacités d'investissement.

Le groupe RDSE votera le texte de constat de l'exécution 2015. Une remarque technique pour finir : l'article 11 crée un document de politique transversale intéressant, mais nous craignons d'y perdre en rigueur comptable. (M. André Gattolin applaudit ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État .  - Merci monsieur Requier d'avoir rappelé que le résultat de l'exécution 2015 est meilleur que ce qui était prévu...

La loi de règlement et d'approbation des comptes donne une photographie de ce qui est. Vous pouvez bien sûr contester les commentaires, estimer que les résultats sont bons ou mauvais, mais dire que la diminution du déficit est « insatisfaisante » ou « insuffisante » ne veut rien dire. Alors qu'il faut faire face au besoin de sécurité, à des crises agricoles, aux interventions internationales, je ne sais quel niveau de déficit peut être dit « satisfaisant ». Chacun a son avis, mais une loi de règlement, c'est un quitus donné lorsque l'autorisation de dépense est respectée.

Que certains s'abstiennent, je le comprends. C'est en général ce que font les oppositions dans les collectivités territoriales, au moment du vote sur le compte administratif.

Mais que l'on vote contre, je ne peux qu'en prendre acte... et le texte achèvera son parcours à l'Assemblée nationale.

Monsieur Delahaye, le paiement de la charge de la dette n'est aucunement reporté dans le temps par le recours aux primes d'émission : c'est le contraire ! Les taux d'intérêt sont très faibles, 0,16 % environ. Pour schématiser, disons 0 % : à ce niveau, emprunter 100 à dix ans impose de rembourser 100 dans dix ans. Si vous utilisez une souche ancienne d'emprunt et remplacez un emprunt à 1 % par un autre à 0 %, vous payez un prime d'émission et déboursez un par an, mais au bout de dix ans, vous ne remboursez que 90. La dette est alors comptabilisée à 90. Il n'y a là ni entourloupe ni manipulation des chiffres. Je rappelle enfin que la dette de la sécurité sociale a été ramenée à zéro.

Vous prédisiez que nous ne respecterions pas les prévisions de déficit : nous avons fait mieux ! Vous faites planer l'incertitude sur 2017 : nous assumons entièrement les priorités dégagées, en faveur du travail, de la formation, du soutien à l'embauche.

Un mot sur la lutte contre la fraude.

M. Bocquet a jugé la loi Sapin II timorée en regrettant que le verrou de Bercy n'ait pas été supprimé. Toutes les analyses le démontrent : les poursuites administratives sont nettement plus rapides et plus fructueuses que celles menées par l'autorité judiciaire. Et ce, pour une raison simple : seuls des spécialistes peuvent démêler des montages aussi complexes. La justice aura bientôt les compétences - cela vient d'ailleurs puisque des fonctionnaires de Bercy sont mutualisés avec le parquet national financier - mais elle ne les détient pas encore. Vous en seriez surpris, les peines administratives sont bien plus lourdes que les sanctions judiciaires.

Il faudra bien sûr travailler sur le problème posé par le principe non bis in idem, que nous avons traité pour l'AMF et les abus de marché. Les décisions récentes du Conseil constitutionnel sur les affaires Wildenstein et Cahuzac confortent plutôt notre analyse.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Après une épreuve à main levée déclarée douteuse, l'article liminaire, mis aux voix par assis et levé, n'est pas adopté, non plus que les articles premier, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.

Mme la présidente.  - Si l'article 11 n'est pas adopté, il n'y aura plus lieu de voter sur l'ensemble du projet de loi dans la mesure où tous les articles auront été supprimés. Or le scrutin public est de droit sur une loi de règlement.

L'article 11 est mis aux voix par scrutin public de droit.

Voici le résultat du scrutin n°438 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 134
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme la présidente.  - Les articles du projet de loi ayant tous été supprimés, un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire.

Le projet de loi n'est pas adopté.