Travail, modernisation du dialogue social (Nouvelle lecture - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, en nouvelle lecture, relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Discussion générale

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Je viens, une nouvelle fois, devant vous avec une ambition intacte : porter un texte de progrès utile à notre économie et à nos concitoyens ; nourrir un débat franc, exigeant et affranchi de postures aussi convenues que stériles.

La période dont nous sortons n'a pas été un long fleuve tranquille ; elle a été marquée par de fortes crispations et même des violences inacceptables, face auxquelles tous les républicains doivent se montrer fermes et soudés.

Mais la fermeté ne doit pas confiner à l'intransigeance. C'est pourquoi, j'ai oeuvré, tout au long de ces dernières semaines, pour aboutir à un compromis le plus abouti en consultant les organisations syndicales, patronales et de jeunesse.

Le mois dernier, j'ai pris l'initiative de lancer une nouvelle discussion avec les syndicats. Elle a été marquée par un fait nouveau, le souhait de la CGT de renouer le dialogue. Avec tous les autres syndicats, y compris FO, le contact a toujours été maintenu. J'en profite pour saluer le courage des syndicats dits réformistes, ils se sont fortement impliqués pour consolider le compromis trouvé ensemble et défendre les avancées de ce texte.

Ces échanges ont conduit le Gouvernement à proposer des évolutions. Mais dialoguer, négocier, ne signifie pas forcément s'accorder en tout point. L'examen du texte au sein de votre assemblée a mis en lumière deux conceptions du monde du travail et du dialogue social. Je le dis l'esprit d'autant plus serein que j'ai tenu, dans mes échanges avec vous, à me départir de toute approche partisane et à prendre pour seul guide l'intérêt général. L'approche gouvernementale et celle de la majorité sénatoriale apparaissent à bien des égards irréconciliables. Ceux qui nient l'existence d'un clivage entre la gauche et droite en sont pour leurs frais.

Le Sénat s'est empressé de mettre fin aux 35 heures, qui garantissent pourtant le droit de passer du temps avec sa famille ou de s'engager dans des associations, autant de droits qui sont le socle du vivre ensemble. Nous, au contraire, affirmons le droit à la déconnexion, créons un compte d'engagement citoyen, améliorons les congés pour mariage, naissance et décès et sanctuarisons le compte pénibilité ambitieux.

La majorité sénatoriale a une vision singulière du dialogue social : avec elle, le référendum d'entreprise est à la main de l'employeur, comme si le meilleur dialogue social était celui qui se passerait des partenaires sociaux. A l'inverse, nous augmentons de 20 % les moyens des syndicats et maintenons les seuils sociaux pour garantir une représentation des salariés dans les entreprises de plus de 11 salariés.

La majorité sénatoriale a également supprimé la garantie Jeunes qui s'adresse aux moins de 26 ans sans formation, sans emploi et en situation de précarité. Alors que les premiers retours d'expérience sont très encourageants, solidarité ne peut que rimer avec assistanat selon certains d'entre vous. Nous voulons, pour notre part, sa généralisation, le droit universel à la formation et de nouveaux droits pour les collaborateurs des plateformes numériques.

L'expression de nos divergences ne doit pas nous faire basculer dans le sectarisme. Merci à vos trois rapporteurs pour leur travail, il mérite considération et j'ai voulu argumenter sur chacun des amendements durant les 80 heures de séance publique que nous avons passées ensemble.

Pour justifier la question préalable, vous affirmez que l'apport du Sénat a disparu. C'est faux !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Il a fondu !

Mme Myriam El Khomri, ministre.  - Question du handicap, groupement d'employeurs, encadrement du travail détaché, culture du dialogue social, sur tous ces thèmes, le Sénat a enrichi le texte.

Je veux saluer l'engagement de tous les groupes politiques, singulièrement celui du CRC, des écologistes et du RDSE. Un vif remerciement doit être adressé au groupe socialiste et, particulièrement, à Nicole Bricq, inlassable défenseure de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) et au président Guillaume, dont je n'oublierai jamais le soutien en pleine tempête. (Même mouvement)

Entre le statu quo et les surenchères libérales, il existe une voie : celle du progrès négocié. Le triptyque sur lequel repose ce texte ne sera pas remis en cause : renforcement de la démocratie dans l'entreprise ; plus de souplesse et de visibilité pour nos entreprises et, surtout, les plus petites ; inventer la protection sociale du XXIe siècle.

Au coeur de nos débats, la place que nous souhaitons accorder à la négociation d'entreprise. Le président de la République l'a rappelé avec force et conviction dans son entretien du 14 juillet dernier : ce débat rythme notre histoire depuis 1982 alors que la gauche engageait la décentralisation. Pour Jean Auroux, les travailleurs, « citoyens dans la cité », devaient l'être aussi dans leur entreprise. Pour discréditer le dialogue social dans l'entreprise, certains ont agité l'épouvantail de l'inversion de la hiérarchie des normes. Ce procès est sans fondement : cette loi s'inscrit dans la continuité des lois votées depuis 1982, depuis 1998, depuis 2012 qui donnent la priorité à la proximité, à la démocratie dans l'entreprise, aux salariés et à leurs représentants.

Le président de la République, le 14 juillet, a rappelé que les débats rythment nos engagements depuis les origines de la République. L'inversion de la hiérarchie des normes est un épouvantail sans fondement. Cette loi s'inscrit dans la continuité des lois Auroux de 1982, des lois de 1998 et 2012. Les acteurs de terrain sont les mieux placés pour négocier des accords qui tiennent compte à la fois des besoins des entreprises et des aspirations des salariés. N'est-ce pas ainsi que nous avons procédé pour mettre en oeuvre les 35 heures ?

La loi doit protéger, évidemment, mais la loi venue d'en haut ne sait pas s'adapter à chaque situation particulière. Nous, réformistes, n'avons pas renoncé à notre ambition de changer la société. Et, pour changer la société, il faut agir par le haut et par le bas. Nous avons su décentraliser la République, décentralisons le dialogue social.

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

Mme Myriam El Khomri, ministre.  - J'entends toutefois les craintes du dumping social. Si elles étaient fondées, jamais le Gouvernement n'aurait défendu ce texte. Cette menace a été brandie à chaque fois que le législateur a élargi le champ des accords d'entreprise sans jamais se concrétiser.

N'idéalisons pas le fonctionnement des branches : 42 d'entre elles fixent des montants de rémunération inférieurs au Smic. Cette loi les renforcera en réaffirmant leur rôle de régulation et en les rationnalisant - leur nombre passera de 700 à 300 en quatre ans. N'opposons pas les différents niveaux de négociation : accords d'entreprises, conventions collectives et code du travail doivent demeurer les piliers de la démocratie sociale.

Après le dernier tour de table avec les syndicats organisé sous l'égide du Premier ministre le mois dernier, nous nous sommes déclarés prêts à pousser plus loin le point d'équilibre. Trois nouvelles dispositions figurent dans la dernière version de ce projet de loi, à commencer par la définition d'un ordre conventionnel de branche. Aujourd'hui, il existe des domaines où les accords de branche priment, d'autres où les accords d'entreprise l'emportent, d'autres encore où aucun principe n'est fixé. Pour ceux-là, les partenaires sociaux devront se prononcer et définir les thèmes pour lesquels il ne sera pas possible de déroger aux accords de branches. Ensuite, nous confortons le principe de faveur au niveau de la branche sur toutes les questions de pénibilité et d'égalité professionnelle. Enfin, les partenaires sociaux seront étroitement associés à la suite du processus législatif : je confierai au Haut conseil du dialogue social, qui regroupe l'ensemble des partenaires sociaux, y compris ceux qui ont refusé de discuter du rapport Combrexelle, la tâche de formuler des propositions à la commission de refondation du Code du travail. Puisque chacun admet la nécessité de faire évoluer notre législation, que chacun y contribue de façon responsable et constructive pour aboutir en 2019.

Ce texte a été l'otage de considérations fort éloignées de son objet. Qui peut prétendre qu'une loi qui renforce nos entreprises et la protection des salariés ne sert pas le progrès social ? Après des semaines de discussion, nous pensons avoir atteint le point d'équilibre le plus juste : celui qui respecte le compromis passé avec les syndicats réformistes tout en tenant compte du point de vue de ceux qui ont souhaité voir réaffirmer le poids des branches.

Lorsque les débats se seront apaisés, lorsque ce texte sera appliqué au quotidien dans les entreprises, nul doute que notre démocratie sociale aura gagné en sérénité et en efficacité. Nous ne légiférons pas pour nous-mêmes mais pour l'intérêt général, l'amélioration de la vie de nos concitoyens et le redressement de notre pays et, à l'esprit, le temps long - que votre Assemblée perd rarement de vue  - plutôt que le vacarme du temps présent. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements à droite et au centre.) Tout ça pour ça ! En cinq mois, le Gouvernement a réussi l'exploit de bâtir un texte qui ne satisfait personne : ni les syndicats ni les entreprises, ni le groupe socialiste, ni la droite et le centre qui avaient dit leur disponibilité à vous accompagner sur ce chemin dès le 15 février dernier ni la gauche dont une partie a ferraillé longuement contre ce projet de loi. Ne nous faites pas croire que vous avez trouvé le juste point d'équilibre parce que personne n'est content !

Les Français sont las de ces blocages et de ces troubles à répétition autour des manifestations qui ont un impact sur notre économie. Les images d'un véhicule de policiers attaqué ou de l'hôpital Necker sont toujours présentes dans les esprits. Aussi, la commission a-t-elle décidé de déposer une question préalable.

Le débat a été approfondi en première lecture, conformément au souhait du président Larcher. Madame la ministre, vous étiez commise d'office pour mener cette réforme et vos efforts méritent notre respect.

Mme Nicole Bricq.  - C'est un peu fort : Mme El Khomri est ministre de la République !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.  - C'était mission impossible, pour reprendre le titre d'un film célèbre.

Je veux remercier ceux de nos collègues qui ont contribué à la richesse de nos débats mais regrette que nos apports n'aient pas été repris dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé pour la deuxième fois sa responsabilité à l'Assemblée nationale.

Aucune de nos modifications à l'article premier n'a trouvé grâce aux yeux des députés alors que nous avions insisté sur l'objectif de simplification.

À l'article 2, dont nous partageons la philosophie fondée sur la subsidiarité et la primauté de l'accord d'entreprise puisque nous en sommes à l'origine avec les lois de 2004 et 2008, les députés ont opposé une fin de non-recevoir à une modification de la durée légale hebdomadaire de travail. Pourtant, ce n'était ni plus ni moins que la logique de l'article 2 poussé au bout de sa cohérence.

De plus, à l'article 10, qui est en quelque sorte le miroir de l'article 2, vous avez maintenu des règles de validité des accords si bien que peu d'accords risquent de voir le jour. Atteindre 50 % d'un coup d'un seul ? Impossible, disent les directeurs des ressources humaines et les partenaires sociaux. Encore une fois, tout ça pour ça... Les quelques avancées de ce texte resteront virtuelles, enfermées dans le papier du Journal officiel. Nous avions aussi aménagé les règles relatives aux accords de préservation et de développement de l'emploi, le résultat a été analogue.

La déception prévaut, nous en tirons en revanche un précieux retour d'expérience ; pas besoin d'un manuel de l'anti-réforme, il s'est écrit tout seul au fil des semaines. (Marques de protestations sur les bancs socialistes) Nous sommes prêts à proposer un nouveau contrat social au pays qui libère les énergies et table sur l'association du capital et du travail (M. Jacques Chiron s'exclame.) Un autre monde du travail est possible ! (Mme Eliane Assassi ironise.)

M. Didier Guillaume.  - Par ordonnance !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.  - Et c'est nous qui vous le disons ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements au centre) L'analyse des modifications apportées par l'Assemblée nationale suscite la déception. Je comprends que le Gouvernement n'ait pas repris tous nos apports mais regrette qu'il n'ait pas cherché un compromis pour améliorer le texte dans le sens de la simplification et de l'efficacité.

Les députés ont encombré ce texte de dispositions à faible valeur normative, parfois confuses souvent inutiles ou inapplicables, sur la responsabilité sociale des plateformes, le droit à la déconnexion, les règles relatives à la reconduction des contrats saisonniers ou encore la création d'une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise en méconnaissance des relations entre franchiseurs, franchisés et salariés.

Le Sénat avait sécurisé les règles du licenciement économique avec la notion de faisceaux d'indices et encadré le recours devant le juge ; rejet en bloc de la part des députés. Même chose sur l'ensemble des propositions de la délégation sénatoriale aux entreprises : ce n'est pas une différence politique, c'est une différence de culture qui témoigne d'une déconnexion entre le monde de l'entreprise et la gauche gouvernementale.

Les avancées concédées sur le travail de nuit et médecine du travail ne doivent pas masquer la suppression de la visite d'aptitude obligatoire, l'abandon de la création d'une procédure d'appel des avis d'aptitude devant une commission régionale de médecins et le rejet de la modification des règles sur la responsabilité pénale et civile de l'employeur. Ce texte qui ne donne satisfaction à personne apparaît davantage comme un réaménagement de façade qu'un traitement de fond de ce sujet sensible.

Bref, l'attitude de l'Assemblée nationale et du Gouvernement nous ôte l'espoir que nos travaux seront considérés. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Conscient des enjeux d'une meilleure sécurisation des parcours professionnels, le Sénat avait retenu une approche pragmatique.

Échaudé par le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), toujours inapplicable, nous avions allégé le compte personnel d'activité (CPA) ; les députés ont préféré l'affichage politique en maintenant le compte d'engagement citoyen (CEC) qui regroupera des formations qui ont bien peu à voir entre elles. Quoi de commun entre la participation à la réserve sanitaire et la formation d'apprentis ? L'évaluation de son coût et du nombre de bénéficiaires potentiels est bien lacunaire. De même, il nous semblait logique que ce compte personnel d'activité soit clos lorsque son titulaire cesse son activité professionnelle, c'est-à-dire lorsqu'il liquide l'ensemble de ses droits à la retraite. Enfin, nous proposions de simplifier le compte pénibilité afin de répondre aux nombreuses inquiétudes des employeurs. Il y a craindre pour l'entrée en vigueur du CPA...

On peut néanmoins noter que l'Assemblée nationale a adopté conformes plusieurs articles introduits au Sénat, notamment celui relatif au CPF des travailleurs des ESAT, et a approuvé nos indispensables aménagements sur la collecte de la contribution à la formation professionnelle des non-salariés.

Les députés ne partagent manifestement pas notre volonté de faire de l'apprentissage une voie de réussite. Ils ont repoussé les vingt articles votés ici pour améliorer le statut des apprentis et la formation des maîtres d'apprentissage, fruits d'une longue concertation. Je ne peux que regretter que le Gouvernement n'ait pas saisi cette occasion, la dernière du quinquennat sans doute...

M. Charles Revet.  - En effet !

M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. - ...pour valoriser l'apprentissage. (Applaudissements à droite)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°19, présentée par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution en nouvelle lecture relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Mme Annie David .  - Ce texte, passé en force contre une majorité de la gauche, mécontente la plupart de nos concitoyens. Pétitions, manifestations, grèves, tout un peuple vous demande son retrait. Vous ne l'écoutez pas. (Mme Nicole Bricq proteste.)

J'ai à cet instant une pensée pour les salariés Ecopla, une entreprise située à Saint Vincent-de-Mercuze dans mon département de l'Isère. Que le jugement en cours soit en leur faveur, que la SCOP Ecoplascop voie le jour afin de préserver l'emploi et le savoir-faire. Leur combat est exemplaire ; l'employeur, lui, est parti en emportant la caisse. Leur slogan est « Notre ami, c'est l'emploi, Ecoplascop vivra ! »

Droit d'amendement bafoué, refus de débattre en séance seront les marques de fabrique de ce texte. M. Capo-Canellas, en première lecture ici-même, dénonçait déjà l'absence de concertation préalable. Mme Bricq affirmait que ne pas débattre de ce projet de loi serait un déni de nos responsabilités parlementaires. Maintenez-vous ces propos après deux recours au 49-3, chère collègue ?

Mme Nicole Bricq.  - Oui !

Mme Annie David.  - L'article L. 1 du code du travail, que le président Larcher connaît bien, dispose pourtant que tout projet de loi relatif au droit du travail doit faire l'objet d'une concertation préalable avec les partenaires sociaux. Nous savons tous ici que cela n'a pas été le cas : les partenaires sociaux ont été invités à négocier seulement sur le rapport Combrexelle et le CPA, et non sur l'ensemble du texte.

Irrecevable sur la forme, ce texte est contraire à notre Constitution qui fonde, en son article 34, le droit du travail et le droit syndical sur la loi. Le Conseil constitutionnel n'accepte que, par exception, les transferts de compétences de la loi vers les accords d'entreprise. De même, sa jurisprudence établie en 2004 et 2008 censure tout renvoi de dispositions relevant de la Constitution, comme le droit au repos, à l'accord d'entreprise.

Au-delà des aspects purement juridiques, vous bafouez les valeurs de notre République laïque, démocratique et sociale, oubliant que la République est sociale grâce aux luttes syndicales et populaires qui ont émaillé notre histoire.

L'inversion de la hiérarchie des normes n'est pas le seul point juridique à poser problème. Les accords dits en faveur de l'emploi portent atteinte à la liberté contractuelle puisque l'employeur peut imposer une modification du contrat sans avoir à se justifier. Je citerai également les dispositions relatives aux licenciements économiques, qui varient selon la taille de l'entreprise. En plus d'être contraire au principe d'égalité devant la loi, cette modulation ne s'appuie en rien sur la réalité des entreprises : leur taille n'est pas nécessairement liée à leur situation économique.

Ce texte est, en outre, contraire à nos engagements internationaux. En 2012, le comité de la liberté syndicale de l'OIT jugeait une affaire très similaire au sujet d'une réforme menée en Grèce, elle aussi sans doute pensée dans un bureau de la Commission européenne. Selon ce comité, la généralisation de la décentralisation des négociations collectives sapera les fondements de la négociation collective, méconnaissant les conventions nos87 et 98 de l'OIT !

Ce comité n'est pas le porte-parole du parti communiste français ou d'organisations syndicales que vous jugez réfractaires à toute réforme. Composé de neuf membres titulaires provenant des groupes « gouvernement », « employeur » et « travailleur », il est présidé par une personnalité indépendante.

Nous enfreignons même le pacte onusien relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le rapport des experts du comité des droits économiques, sociaux et culturels est sans appel.

M. Charles Revet.  - Eh bien !

Mme Annie David.  - Inquiets des dérogations aux protections acquises, les experts exhortent le Gouvernement à s'assurer « que toute mesure rétrograde concernant les conditions de travail est inévitable et pleinement justifiée, nécessaire et proportionnée à la situation et non discriminatoire ». Pouvez-vous nous assurer, madame la ministre, que vous avez fait le nécessaire ? Je ne le pense pas. Le simple fait que vous n'ayez pas pris le temps de la concertation avec les organisations syndicales le prouve.

Vous n'avez pas envisagé toutes les solutions possibles pour créer de l'emploi et adapter le droit du travail aux évolutions économiques et sociales, comme la réduction du temps de travail explorée dans un rapport de l'IGAS qui, il est vrai, ne vous a pas été transmis. Vous avez accepté les propositions du Medef tandis que vous refusiez d'écouter les organisations syndicales et les représentants des TPE.

Nous refusons, en tant que parlementaires, de participer à cette destruction d'acquis sociaux reconnus au niveau international en invitant nos collègues à contester avec nous la constitutionnalité de ce texte. Il y va du respect de nos engagements internationaux et des valeurs qui fondent notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur .  - Nous poursuivons le même objectif mais n'utilisons pas le même moyen : vous, l'exception d'irrecevabilité ; nous, la question préalable. Le groupe communiste républicain et citoyen fait preuve d'autant de constance et de cohérence que les groupes UDI-UC et Les Républicains.

Si l'article L. 1 du code du travail n'a pas été complètement respecté, il n'a pas de valeur constitutionnelle. Peut-être faudrait-il d'ailleurs la lui donner ?

Le Conseil d'État a écarté le risque d'incompétence négative et estimé que l'article 11 du texte respectait les règles de l'OIT : sur ces points, nous pouvons le suivre. À titre personnel, avis défavorable.

Mme Myriam El Khomri, ministre .  - Avis également défavorable. Je répondrai au comité onusien et vous adresserai le courrier que je lui destine.

Le Gouvernement n'a eu de cesse d'écouter et de modifier son texte. C'est précisément ce qu'on lui reproche !

À aucun moment, vous n'avez souligné les avancées incontestables de ce texte : sur la garantie Jeunes, le compte personnel d'activité, les contrats saisonniers et le renforcement des branches... Tout cela, est-ce revenir au XIXe siècle ? Non ! La loi doit demeurer protectrice mais elle ne peut pas s'adapter à chaque cas particulier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain.)

La motion n°19 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

Mme Nicole Bricq .  - Nous achevons le périple parlementaire d'une loi à laquelle votre nom, madame la ministre, restera attaché. Cela semble dérisoire à la lumière du drame national que nous vivons mais nous ferons notre travail de parlementaire jusqu'au bout. Ce sera notre manière de rendre un hommage démocratique aux victimes des attentats en France, en Europe et dans le monde.

La majorité sénatoriale souhaite interrompre le processus d'examen parlementaire.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.  - On enlève une épine du pied du Gouvernement !

Mme Nicole Bricq.  - À quoi bon, dit-elle, puisqu'il y a eu le 49-3 ? C'est un point de vue, pas le nôtre. Il y a beaucoup à dire sur ce texte repris par le Gouvernement. Associer le Haut conseil du dialogue social aux travaux de la commission d'experts sur la refondation du code du travail garantira une réflexion collective ; ce n'est pas rien.

Ce n'est pas rien non plus de définir les objectifs de la négociation de branche, de prévoir l'adaptation des stipulations nationales des accords de branche au niveau local par des négociations territorialisées, d'engager avant le 31 décembre 2017 une négociation sur la définition de l'ordre public conventionnel applicable dans la branche. Les partenaires sont ainsi mis devant leurs responsabilités ; ceux qui ne les prendront pas, j'ose le dire, seront balayés par l'histoire.

M. Jacques Chiron.  - Très bien !

Mme Nicole Bricq.  - Peut-être la majorité sénatoriale n'a-t-elle pas compris le sens de l'article 10... Le principe majoritaire nous protège des accords au rabais, l'UIMM le dit elle-même dans son dernier bulletin.

Inutile de discuter quand les points de vue sont irréconciliables, entend-on. Pourtant, je note des accords sur des points qui sont loin d'être mineurs : le parcours d'accompagnement personnalisé pour les salariés refusant un accord défensif ou offensif ou encore sur les groupements d'employeur. Nous aurions pu travailler ensemble sur la médecine du travail et les voies de recours car nous sommes très dubitatifs sur le passage devant les prud'hommes. Dommage aussi que nous n'ayons pu aller plus loin sur le travail détaché.

Vos propos, monsieur Lemoyne, sur Mme El Khomri, étaient quelque peu condescendants, alors qu'elle a fait preuve de pédagogie et d'écoute.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur.  - J'ai salué la courtoisie et la dignité !

Mme Nicole Bricq.  - Elle n'était pas « commise d'office » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Elle n'a pas compté ses heures et vous avez évoqué en commission ma présence au meeting de M. Macron, autant le nommer. Merci de vous soucier de mon agenda... (Sourires)

Emmanuel Macron expliquait que le monde du travail changeait. Dommage que la droite refuse de voir que le vieil ordre fordiste, pyramidal, est déjà bouleversé par l'économie numérique. La loi doit accompagner le développement de nouvelles formes de travail, pour instaurer un modèle inclusif.

Parallèlement à cette loi, les partenaires sociaux ont négocié, en vain, la réforme de l'assurance-chômage, mais aussi, et cela est significatif, l'accord sur les intermittents : le nombre de CDD ne sera pas limité, en contrepartie d'une protection adaptée. C'est une voie plus prometteuse qu'un chimérique revenu universel.

Les socialistes français proposent au niveau européen un élargissement de la couverture chômage à l'égard des jeunes.

Toute réforme doit être conforme au principe de la démocratie sociale, de la démocratie d'opinion et de la démocratie politique. L'usage de l'article 49-3 est conforme à nos règles constitutionnelles, madame David. (Murmures sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) Le rapport Laurent sur le droit du travail sera remis à la fin de l'année. Ce sera un test.

Ce texte prévoit 127 décrets d'application. Il faudra veiller à ce qu'ils ne dévient pas, comme cela arrive parfois, de l'esprit de la loi... Espérons que le Gouvernement associera les partenaires à leur rédaction. Cette loi jette les bases d'un nouveau dialogue social. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jean Desessard .  - Ce projet de loi entend accroître le dialogue social et développer la culture du compromis et de la négociation.

Pourtant, et quelque peu contradictoirement, ce texte est combattu par les syndicats. Quant au 49-3, est-ce la démonstration du compromis ? (Exclamations à droite)

Pourquoi donc bouleverser le droit du travail à un an d'une échéance électorale majeure ? La droite s'est engouffrée dans la brèche. En cas d'alternance, nous craignons fort que vos garde-fous soient balayés...

Certes, nous examinons le texte voté par l'Assemblée nationale : les 35 heures auront été rétablies, le plafonnement des indemnités prud'homales a été supprimé, le périmètre des licenciements a été repoussé, la garantie Jeunes et le CPA ont également été restaurés.

Ce texte est donc « moins pire » que le texte initial. Maigre consolation !

Si nous comprenons le souci de développer le dialogue social de proximité, il faut tenir compte des réalités, de l'inégalité des rapports de forces entre salariés et patrons.

Attention au « moins-disant » social : où est le progrès social, si la flexibilité ne s'accompagne d'aucune garantie sur le travail ? Qui plus est, vous ne nous avez nullement démontré qu'une flexibilité accrue favoriserait les créations d'emplois. Au contraire, M. Supiot, éminent spécialiste de droit du travail et des relations sociales, a montré que des standards élevés en la matière allaient de pair avec une main d'oeuvre qualifiée.

La cause du «moins-disant » social avec les pays en voie de développement est sans fin et perdue d'avance. Privilégions nos atouts : la formation, les infrastructures, etc... Nous aurions souhaité des assises du travail préalables, dans un esprit ambitieux et protecteur, qui auraient évité le passage en force syndical et politique d'une loi sur le dialogue social. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et communiste républicain et citoyen)

M. Guillaume Arnell .  - Selon toutes probabilités, ce texte sera rejeté puisque la commission des affaires sociales a voté le dépôt d'une question préalable.

Certes les textes de l'Assemblée nationale et du Sénat sont très différents. Le Sénat avait supprimé les 35 heures, la garantie Jeunes, le droit à la déconnexion, le plafonnement des indemnités aux prud'hommes. Les désaccords sont considérables.

Pour autant, je regrette que nous ne puissions débattre à nouveau : une seule lecture au Sénat, c'est bien peu !

D'autant plus qu'avec l'usage du 49-3 à l'Assemblée nationale, le Sénat est confirmé, comme l'avait déclaré Michel Amiel en première lecture, « comme la garantie de la tenue d'un débat démocratique et transparent où les positions pluralistes pourront s'exprimer et se confronter dans le respect des règles propres au Parlement... ».

Le Sénat a apporté des améliorations au texte, notamment à l'article premier bis A, avec le principe de neutralité, en portant à trois jours le congé en cas de décès d'un proche, ou encore en réduisant à un an l'ancienneté pour bénéficier du congé de proche aidant.

Nous avons amélioré aussi le contrat saisonnier, et élargi la place de la médecine du travail. Ces avancées sont le fruit de nos 80 heures de débat. Nous voterons contre la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Dominique Watrin .  - L'usage en nouvelle lecture du 49-3 à l'Assemblée nationale est le signe d'un passage en force contre les Français et les syndicats, et d'une fuite en avant ultralibérale à l'instigation de Bruxelles et du patronat. (Exclamations à droite)

En supprimant le principe de faveur, ce texte ouvre un boulevard dans lequel la droite s'est engouffré, pour détruire le droit du travail, réduire la représentation syndicale en entreprise et faire travailler les salariés 36, 37 ou 38 heures, payées 35.

Avec l'inversion de la hiérarchie des normes, la durée et l'organisation du temps de travail seront exclues du principe de faveur. Demain, tout le droit du travail sera ainsi mis de côté, revu dans le cadre d'accords d'entreprise !

Le travail de nuit ou du dimanche fera l'objet de négociations en entreprise. Le bouchon a été poussé si loin que les artisans s'alarment du risque de dumping social. Il était possible de faire autrement.

Nos 400 amendements modernisaient le code du travail avec les 32 heures, les sanctions contre les licenciements par les entreprises qui font des bénéfices, de nouveaux pouvoirs d'intervention des salariés dans la gestion des entreprises, comme cela se fait en Allemagne, avec de nouvelles possibilités pour les salariés de recourir à l'expertise. Autant de réformes que vous nous refusez !

Faciliter le licenciement de délégués syndicaux ne va pas non plus dans le bons sens.

Le groupe communiste républicain et citoyen a fait des propositions sur le temps partiel, l'amiante, la lutte contre le travail détaché. En vain ! En refusant la casse du code du travail pour dessiner une alternative, notre groupe n'a été ni immobiliste ni passéiste mais au contraire moderne, combatif et fidèle aux valeurs de la gauche.

Sachez que nous restons mobilisés aux côtés des salariés et nous vous donnons rendez-vous ici même à la rentrée pour continuer à porter les exigences et les aspirations du monde du travail. (Bravos et applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi qu'au banc de la commission) Merci au président de la commission des affaires sociales, aux trois rapporteurs qui n'ont pas ménagé leur temps ni leur peine pour élaborer un texte réformateur. Qu'ils sachent que leur travail ne sera pas perdu...

Madame la ministre, vous voici au terme d'un véritable parcours du combattant et je reconnais volontiers que sur ce texte où il y a non seulement tant à dire, selon Mme Bricq, mais aussi, ajouterai-je, à redire, vous avez fait montre d'un engagement réel : je salue vos convictions, votre pédagogie. Malheureusement, l'élégance de votre démarche, que je tiens à souligner, les caricatures, vous le savez, n'étant pas venues du Sénat, ne rend pas ce texte aimable pour autant...

Ce projet de loi restera comme une occasion manquée, alors que la France a besoin de réformes profondes. Seul le président de la République peut se satisfaire de la situation actuelle. Quand on se compare, on se console, dit-on parfois...Hélas, en l'occurrence, on se désole ! La comparaison avec nos voisins est en effet sans appel : croissance deux fois moindre, taux de chômage très élevé, et en hausse, alors même que la conjoncture était très favorable : nous sommes passés du 14e rang sur 28 en 2012 au 21e rang aujourd'hui !

Pourtant, de l'aveu même du président de la République, quel « alignement de planètes » et il ne s'agit pas d'astrologie, mais bien de la situation économique ! Le Gouvernement n'a pas su mettre à profit la baisse du prix du pétrole, ni celle du niveau de l'euro, ni les taux d'intérêt bas. Mario Draghi avait pourtant jeté, grâce au quantitative easing, des bases favorables, précisément destinées à redonner des marges de réforme aux gouvernements nationaux.

Le Gouvernement a retiré le plafonnement des indemnités prud'homales et multiplie les renoncements. L'article 2 demeure mais corseté par l'article 13 et les accords de branche.

Quelle complexité bien française ! Nous étions prêts à voter la première mouture du texte. Finalement, ce texte, loin de simplifier introduit de nouvelles lourdeurs. L'on a mentionné les 127 décrets d'application... Il y a bien d'autres exemples, en tête desquels le CPP, inapplicable, ou le mandatement syndical.

Ce résultat est la conséquence d'une erreur de méthode et d'une approche idéologique. Le parcours chaotique de ce texte illustre la méthode à ne pas suivre. Sans mandat clair, on ne peut réformer. On ne peut faire le discours du Bourget et changer de cap ensuite ! Les réformes doivent être lancées en début de mandat, pas en fin de quinquennat. Le candidat François Hollande ne disait pas autre chose pourtant et ne voyez, madame la ministre, nulle mise en cause personnelle dans mes propos.

Il faut aussi fixer un cap clair, faire briller la lueur qui point à l'horizon, dire aux Français où vous allez et comment. Cela n'a pas été le cas et votre majorité, instable, s'est fractionnée. La majorité sénatoriale, elle, a été unie pour proposer un autre texte.

Vous vous êtes mis la France à dos. D'abord celle de gauche, qui regarde le code du travail comme un totem auquel on ne doit toucher à aucun prix.

Mme Éliane Assassi.  - Vous n'avez pas écouté monsieur Laurent !

M. Bruno Retailleau.  - Vous avez également déçu l'autre partie de l'opinion, qui croyait à votre volonté réformatrice. Alors, vous avez voulu faire du Sénat un bouc-émissaire idéal : nous avons l'habitude...

M. Roger Karoutchi.  - Eh oui !

M. Bruno Retailleau.  - Le Sénat, ultralibéral ? Sur les 35 heures, nous avons fait ce que Manuel Valls avait proposé en 2011 et votre texte, dans le fond, s'accommodait avec la réforme des 35 heures : nous l'assumons, nous ! (Applaudissements à droite)

Outre ce problème de méthode, je déplore le retour des vieilles lunes de gauche : votre conception des rapports sociaux dans l'entreprise, fondée sur une idéologie surannée, postulant une tension dialectique entre capital et travail est datée : elle appartient au XXe siècle, pas au XXIe ! Pour nous, l'entreprise est d'abord une communauté d'intérêts. Pour nous, il était indispensable de valoriser et de développer l'apprentissage et, là aussi, ce texte est une occasion manquée. (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs au centre)

Vous avez illustré cette phrase d'Edgar Faure : « la France est toujours en avance d'une révolution car elle est toujours en retard d'une réforme ». (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs au centre)

M. François Zocchetto .  - Nous espérons tous la fin de l'examen de ce texte, non parce que nous souhaitons une promulgation rapide, mais pour mettre fin à des tensions sociales et politiques qui durent depuis longtemps.

Le Gouvernement n'a pas suffisamment consulté en amont, ni tenu compte des réserves, nombreuses, qui ont été exprimées. Ce texte n'a jamais eu de majorité. La gauche est divisée, car elle n'a pas su revoir sa vision de l'entreprise. Entre les idées de Mme Bricq et celles de Mme Lienemann, il y a un monde !

Le texte initial comportait pourtant des mesures utiles, mais le Gouvernement n'a pas su convaincre, ni expliquer. Une meilleure préparation aurait facilité la réforme. En dépit des amendements adoptés à l'Assemblée nationale, il n'y a pas eu de débat au Palais-Bourbon, seulement un dialogue de sourds, l'expression de postures irréconciliables.

Au Sénat, en revanche, le débat a eu lieu, et nos rapporteurs, auxquels je tiens à rendre hommage, ont su élaborer un autre texte, reprenant aussi des avancées de la minorité. Il associait souplesse et efficacité grâce à l'encouragement de l'intéressement, au soutien à l'apprentissage, à la redéfinition du licenciement économique, à la modernisation de la médecine du travail, à la place laissée aux accords d'entreprises. Il ne faut pas avoir peur de la négociation avec les entreprises.

Malheureusement, le texte a été revu à l'Assemblée nationale. Il est temps de revoir notre manière de légiférer, de sortir du tempo médiatique, de prendre à nouveau le temps d'expliquer, de mettre en oeuvre ce que l'on annonce, alors que vous avez fait tout le contraire !

Nous regrettons que l'objectif initial de votre projet, qui était de permettre aux cinq millions de Français au chômage de retrouver le chemin de l'emploi, se soit rapidement effacé au profit de querelles idéologiques et de calculs politiques.

Nous voterons la question préalable. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Myriam El Khomri, ministre .  - Pourquoi une réforme la dernière année du quinquennat ? Un président de la République est élu pour cinq ans et doit réformer pendant tout son mandat, de 2012 à 2017. Plusieurs lois de réforme ont été votées : sécurisation de l'emploi en 2013, l'ANI et la modernisation du dialogue social. Pour préserver notre modèle, nous devons nous adapter. Je n'ai aucune vision manichéenne de l'entreprise.

Le Gouvernement a suivi les recommandations du rapport Combrexelle. Que m'auriez-vous dit si nous ne l'avions fait ? Le dialogue social, au plus près des entreprises, avec les garde-fous du principe majoritaire, permettra d'avancer et d'évoluer.

La formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont besoin. Jamais le Gouvernement n'a opposé la garantie Jeunes à l'apprentissage. Celui-ci est un facteur de réussite. Mais la garantie Jeunes est tout sauf une allocation, c'est avant tout un levier d'insertion.

Les syndicats ont des approches différentes. Leurs divergences ne sont pas nouvelles : certains boycottent déjà les accords sur les retraites et ne signent pas les ANI. Il n'y a jamais eu d'entente parfaite. Ne feignons pas de croire le contraire !

Je ne peux que déplorer les caricatures. Comment gagner la bataille de l'opinion quand certains affirment qu'à cause de ce texte les apprentis travaillent 60 heures par semaine ? Ce texte est tout sauf un retour au XIXe siècle. Il crée de nouveaux droits, bien réels et modernes.

Quand le CPP entrera en vigueur, quand les artisans bénéficieront du droit à la formation professionnelle, quand les jeunes en situation de précarité en sortiront grâce à la garantie Jeunes, alors vous serez convaincus que cette réforme n'aura pas été vaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°1, présentée par M. Lemoyne, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (n°771, 2015-2016).

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ainsi qu'au banc de la commission) Le contenu comme l'intitulé de ce texte ont évolué. Le 13 juillet, notre commission des affaires sociales a approuvé cette motion. Or dans un contexte social tendu, le Sénat avait examiné ce texte en détail, alors que nos collègues députés avaient été privés de débat par l'usage de l'article 49-3.

La commission des affaires sociales a consacré le 1er juin dernier près de 13 heures à l'examen du projet et à l'élaboration de son texte. Sur 411 amendements déposés, 201 avaient été adoptés, dont 155 émanant des rapporteurs.

Cet examen est intervenu au terme d'une phase d'auditions courte, mais intense : plus d'une soixantaine d'organismes, d'experts et de représentants des partenaires sociaux avaient été entendus en moins d'un mois. Notre commission avait également reçu successivement les organisations syndicales et patronales représentatives.

Nous avons cherché à renouer avec l'ambition initiale de ce texte, telle qu'elle ressortait de l'avant-projet transmis au Conseil d'État, alors salué par tous ceux qui cherchent à donner un nouveau souffle à l'économie française.

Nous étions parvenus à un texte cohérent, renouant avec l'ambition initiale : lever les freins à l'emploi, améliorer le mandatement ou encore la formation professionnelle. Las, l'Assemblée nationale et le Gouvernement n'ont pas pris en compte nos propositions, faisant montre, même, d'une certaine désinvolture. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Sur la formation professionnelle, après le rapport de Mme Lamure, nous avions des propositions concrètes, partagées, de bon sens - et fortes de la comparaison avec la situation allemande. Le Gouvernement a balayé nos propositions d'un revers de la main. Un pacte pour la formation sur le modèle allemand, une meilleure formation aux métiers en alternance, une médiation consulaire sur le modèle alsacien avant toute rupture du contrat d'apprentissage -  rien n'a trouvé grâce aux yeux du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.

Pourquoi, dans ces conditions, nous livrerions-nous à une nouvelle lecture ? Le temps est venu de dire « Non » au Gouvernement sur ce texte dont il ne reste rien, ni sur la forme, ni sur le fond : ce texte n'aura été voté ni par l'Assemblée nationale, ni par le Sénat, malgré notre pragmatisme. Voilà le paradoxe : après avoir tant critiqué Nicolas Sarkozy et François Fillon pour leur prétendu autoritarisme, eux qui n'ont jamais utilisé le 49-3, ni eu à faire face à des manifestations de l'ampleur actuelle, vous allez mettre en place une loi dont personne ne veut. C'est dire que le Gouvernement ne tient pas compte de la demande des Français. Ceux qui disent que « Ça va mieux » croient sans doute que nous serions devant un événement sportif.

Certains parlent d'une VIe République ; si elle doit être conforme à ce qui se passe à propos de ce texte, mieux vaut en rester à la Ve. Le « coup d'État permanent », c'est ce gouvernement qui le pratique.

Malgré toute mon estime personnelle, je dois vous dire, madame la ministre, que j'invite le Sénat à voter cette question préalable. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Myriam El Khomri, ministre.  - Avis défavorable.

M. Pierre Laurent .  - Nous ne la voterons pas, car nous sommes opposés à l'esprit de surenchère dont elle est la traduction. Vous ne combattez l'article 2 que pour aller plus loin encore dans cette voie que nous réprouvons.

Le recours à la question préalable est une petite habileté pour ne pas montrer trop évidemment votre soutien à ce texte. Vous en souhaitez les dispositions mais sans laisser vos empreintes sur la scène de crime (Exclamations à droite)

C'est un déni de démocratie supplémentaire ; ce texte n'aura pas été discuté à l'Assemblée nationale et il ne l'aura été qu'une fois au Sénat. Le défaut de compromis avec la droite serait la raison du 49-3 ? Pourquoi n'avoir pas cherché d'accord avec votre majorité ? Voilà le problème ! Nous resterons mobilisés, au côté des forces syndicales, dont nous nous ferons les porte-voix ici. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

À la demande de la commission des affaires sociales, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°439 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 187
Contre 154

Le Sénat a adopté la question préalable.

En conséquence, le projet de loi n'est pas adopté.