Normes agricoles

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la proposition de résolution en faveur de la réduction des normes applicables à l'agriculture.

M. Gérard Bailly, co-auteur de la proposition de résolution .  - La France a la passion des normes, des règlements, l'horreur du vide juridique. Tous les secteurs sont touchés, l'agriculture plus que d'autres, au carrefour de bien des domaines juridiques : droit de l'environnement, du travail, du commerce, de la consommation, de l'urbanisme, et j'en passe...

Cette multiplication et ce durcissement des règlements de tous ordres forment un maquis incompréhensible sur lequel les agriculteurs nous alertent depuis des années : ils en ont ras-le-bol.

Cette prolifération normative entraîne des conséquences graves : perte de compétitivité, découragement de nos paysans, en particulier des éleveurs... Un groupe de travail pluraliste a analysé le phénomène, au sein de la commission des affaires économiques. Président du groupe, j'ai constaté, avec tous nos interlocuteurs professionnels, que la cote d'alerte était dépassée.

Certes, les normes agricoles dépendent pour beaucoup du droit européen, elles découlent de la PAC ou de règlements en matière de protection du consommateur ou de l'environnement. Mais le niveau national garde son importance, d'autant que prévaut dans notre pays la tendance à surtransposer les directives et que les autorités françaises interprètent les règlements européens avec sévérité...

Le principe de précaution conduit à abandonner des productions : faute de solution alternative au diméthoate, seul traitement efficace connu à ce jour, pour lutter contre le moucheron suzukii, l'abandon de cette molécule, interdite, conduirait à la disparition de la cerise française...

Nous tirons la sonnette d'alarme : il est temps d'avoir une ambition forte de simplification et d'allègement des normes applicables à notre agriculture. Si nous ne faisons rien, le découragement gagnera les paysans, et un retour en arrière sera impossible (Applaudissements à droite)

M. Daniel Dubois, co-auteur de la proposition de résolution .  - En juin, le groupe de travail publiait son rapport Normes agricoles, retrouver le chemin du bon sens. Oui, le bon sens paysan, déboussolé par la prolifération de contraintes incomprises, et parfois inconnues.

L'agriculture évolue dans une forêt de normes : avec le plan Ecophyto, il faut un certiphyto pour épandre ; de nombreuses substances ont été interdites...Mais où sont les alternatives ? La règlementation sur les nitrates et l'épandage sur le bien-être animal sont de plus en plus drastique. Maintenant, on veut interdire les néonicotinoïdes. Idem pour la PAC : diversité des assolements, non retournement des prairies, présence de surfaces d'intérêt écologique, maintien des haies.

Les agriculteurs sont aussi en première ligne face au droit du travail, de la consommation, etc. Les nouvelles normes de la PAC ont retardé certains investissements et fragilisé des exploitations. Les normes ne cessent de changer : la PAC est réformée tous les sept ans. Les retards de versement des aides dus à la dernière réforme ont mis en difficulté certaines exploitations.

L'agriculteur, à la tête d'une PME, voire d'une TPE, se trouve fort dépourvu face à la forêt des normes. On comprend alors la peur des contrôles. Voyez le rapport de Frédérique Massat : pas moins de dix corps de contrôles différents !

Les agriculteurs consacrent 15 % de leur temps de travail à la gestion administrative ! Le coût administratif de l'installation d'un élevage de porcs pourrait atteindre 25 000 euros... Beaucoup hésitent à se lancer dans des projets nouveaux, comme la méthanisation.

Certes, des efforts de simplification sont néanmoins accomplis. À l'échelle européenne, on s'en fait une curieuse idée : un règlement de cent pages au lieu de dix pages.... Au niveau national, une revue des normes agricoles est en cours, sous l'égide du Comité de rénovation des normes en agriculture (Corena). L'intention est bonne, mais où en est-on ?

Des téléprocédures ont été créées, pour les autorisations à l'exportation par exemple. Attention cependant à ne pas reporter la charge de travail de l'administration vers les agriculteurs !

On manque aussi d'études d'impact et d'évaluation a posteriori des normes adoptées.

L'allègement normatif en agriculture n'a jamais été une priorité politique. Nous voulons changer de braquet, avec un plan annuel de simplification adopté par une instance dédiée, comme le Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire, le parlement de l'agriculture ? Ce plan serait opposable aux ministères et débattu par les assemblées parlementaires.

Nous proposons de systématiser l'évaluation a priori et a posteriori de mener plus souvent des expérimentations, appelons à ne pas surtransposer le droit européen, à faire pression pour une simplification des normes européennes et à alléger les plans d'épandage. Nous proposons que le Gouvernement s'y engage.

Enfin, comme le proposait la proposition de loi Lenoir, toute création de norme devrait être gagée par la suppression de l'autre...

MM. Jean-Claude Lenoir et Rémy Pointereau.  - Très bien !

M. Daniel Dubois.  - Quand allons-nous enfin mettre en oeuvre ces simplifications ? Nos agriculteurs attendent des signes pour retrouver confiance en la politique. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Henri Cabanel .  - J'ai cosigné cette proposition de résolution, avec Franck Montaugé. Passons sur l'exposé des motifs, qui ne rend pas compte du chantier de simplifications mis en oeuvre depuis cinq ans par le Gouvernement. Pourquoi avons-nous signé ce texte ? Parce que l'enjeu est important et parce que notre agriculture mérite de dépasser les clivages.

L'excellent rapport de notre collègue Odette Herviaux a montré les multiples contraintes juridiques auxquelles les agriculteurs doivent faire face. La question de la norme est centrale pour l'agriculture. Quelle complexité doivent affronter les travailleurs de la terre ! Ils y passent 15 % de leur temps et le temps, c'est de l'argent.

Un exemple, vécu, parmi tant d'autres : le viticulteur que je suis resté a reçu un rappel de cotisation d'un centime d'euro de la MSA, qui aura coûté 1,60 euro en timbres !

Ne caricaturons pas. Les normes ont aussi accompagné la modernisation de notre agriculture. Mais leur inflation ne doit pas compenser la disparition d'outils publics de régulation.

C'est la faisabilité, l'applicabilité des normes sur le terrain qui est d'abord en cause. La complexité est souvent gratuite. Ainsi des mutuelles obligatoires pour les saisonniers, des procédures d'installation...Les agriculteurs doivent gravir une montagne de normes enchevêtrées.

Des chantiers de simplification sont en cours : expérimentation d'une autorisation environnementale unique, simplification de la procédure d'ICPE... Mais la simplification est elle-même parfois source de complexité !

Si les véritables incohérences sont rares, il faut se soucier de l'acceptabilité de la norme, lever les incompréhensions. Je rends hommage aux douanes, qui ont su inverser leur image traditionnelle chez les viticulteurs.

S'agissant de la PAC, aucune surtransposition n'a eu lieu depuis 2012. Reste à simplifier les règles européennes, ce qui n'est pas simple, mais il faut à tout le moins le vouloir, pour avancer.

Je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur divers autres bancs)

M. Jean-Claude Lenoir .  - Débat intéressant, qui fait suite aux travaux de la commission des affaires économiques. Les états généraux de l'agriculture ont démontré combien le poids des normes pénalise la profession. Les agriculteurs en ont ras-le-bol !

M. Charles Revet.  - C'est peu dire !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Un groupe de travail pluraliste a donc été constitué au sein de la commission des affaires économiques. Je remercie ses membres, en particulier, Gérard Bailly et Daniel Dubois.

Les normes sont là pour éviter abus et excès. Elles ne doivent pas être pénalisantes ! Les agriculteurs sont plus que d'autres soucieux de l'environnement.

M. Charles Revet.  - Bien sûr !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Ils disposent aujourd'hui de techniques, par exemple d'épandage, qui rendent certaines normes obsolètes.

Les seuils, pour les ICPE, doivent être alignés sur les seuils européens. D'une manière générale, il faut éviter de surtransposer.

Nous proposons aussi qu'une norme chasse une norme ; que la prolifération des normes soit mise sous la surveillance d'une instance nationale à l'instar du conseil national d'évaluation des normes, présidé par Alain Lambert.

L'excès de normes tue la responsabilité. Faisons confiance à celle des agriculteurs ! (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Le Scouarnec .  - Le thème de la prolifération normative n'est pas propre à l'agriculture, mais il y est particulièrement sensible. Rappelons toutefois que les normes protègent agriculteurs et consommateurs, participent de la valorisation des AOC et labels. Les causes de la crise agricole ont été identifiées ; hélas, ni le Gouvernement ni Bruxelles n'en prennent acte. Pourquoi ne pas revenir sur la LME et la liberté de négociation des prix entre les centrales d'achat des grandes surfaces et les fournisseurs, pour endiguer ses effets pervers bien connus ? Pourquoi ne pas aider prioritairement les petits et moyens exploitants !

Le fardeau des normes a un impact sur la compétitivité, dit le rapporteur, sans citer aucun chiffre à l'appui...

Nous approuverions une réduction des délais administratifs, mais peut-être faudrait-il alors embaucher dans les préfectures !

Mobilisés contre le Tafta, de nombreux agriculteurs refusent un affaiblissement de notre système de production sanitaire et alimentaire. Il est vrai que tout un travail d'information pèse sur les agriculteurs. Mais la traçabilité est une exigence.

C'est surtout l'insécurité juridique qui alarme les agriculteurs. Nous préconisons plutôt un moratoire : il faciliterait la connaissance des normes actuelles et la diffusion des outils déjà disponibles.

La société se préoccupe de plus en plus de la santé et de la biodiversité. Il faut tout faire pour les protéger, en encourageant notamment le recours à des techniques de substitution par rapport à l'épandage classique.

Le groupe CRC ne s'opposera pas à cette proposition de résolution, mais s'abstiendra sur ce texte qui comporte plusieurs aspects justes et positifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Alain Bertrand .  - Trop tatillonnes, les normes handicapent nos agriculteurs, vous le dites vous-même, monsieur le ministre. Nous en sommes arrivés à l'overdose...

Certes, le droit rural s'est développé pour permettre à notre agriculture d'accomplir ses missions.

La protection de la santé et de l'environnement est également indispensable. N'oublions pas, cependant, que l'agriculture doit nourrir les hommes. Elle est soumise à de nombreux et considérables aléas, tels ceux du climat, des marchés...

On comprend, dès lors, que l'excès de normes exaspère nos agriculteurs, d'autant que les petits exploitants, nombreux, n'ont pas les moyens de digérer une réglementation qui change tout le temps.

Il faut avoir une approche plus préventive et moins punitive : vous vous y employez, monsieur le ministre.

Sur le modèle du Conseil national de l'évaluation des normes, il faut constituer une structure du même type sur les normes agricoles.

Certains dispositifs, par ailleurs justifiés, comme le compte pénibilité, sont inapplicables dans le domaine agricole. Il faut le reconnaître. Idem pour certains textes européens, comme la directive nitrates. Le bien-être animal doit aussi faire l'objet de normes de bon sens.

Nous reconnaissons vos efforts, monsieur le ministre, mais il faut accélérer. Les agriculteurs, qui font beaucoup d'efforts, méritent un aggiornamento - d'autant qu'ils constituent un bataillon offensif pour l'avenir économique de la France, prêt à se battre pour notre balance commerciale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Henri Tandonnet .  - Je salue l'initiative de cette proposition de résolution. La norme, dans ses fondements, a une vocation positive. C'est son niveau et sa méthode d'élaboration qu'il faut revoir. Les exemples de normes inappropriées ou disproportionnées ne manquent pas.

Les tracasseries administratives sont sans fin. J'ai eu dans ma permanence la visite d'un agriculteur excédé qui, ayant accueilli chaque année des apprentis, y a renoncé après la visite de l'inspecteur du travail !

Le principe de précaution est aussi source de bien des problèmes. La noisette du Lot-et-Garonne est menacée, faute de produit de substitution à une substance désormais prohibée en France - mais qui ne l'est pas ailleurs.

Presque 90 % des normes sont produites à Bruxelles. Comment les agriculteurs peuvent-ils donc faire entendre le retour du terrain ? Quant au niveau national...

Travailler en tunnel est un travers français : chaque ministère travaille de son côté ! Le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) préconise des réserves d'eau, à l'inverse du ministère de l'environnement... Les réserves permettraient pourtant de faire face aux pics de sécheresse, appelés à se multiplier.

Systématiser l'étude d'impact priori etposteriori serait également utile, alors que les éleveurs se voient souvent imposer de nouvelles installations avant même d'avoir amorti les précédentes !

Une alimentation suffisante, de qualité et bon marché, tels sont nos objectifs communs. La simplification est un défi à relever pour notre compétitivité et notre indépendance alimentaire. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Joël Labbé .  - C'est la troisième fois en quinze jours que nous débattons des normes agricoles... Notre pays croule sous les normes partout, y compris pour tous les petits entrepreneurs, les petits artisans, les petits commerçants, les petits restaurateurs... Mais la crise que nous connaissons tient moins aux normes qu'à des disparitions de la régulation que l'État imposait au marché.

Le groupe écologiste salue cette proposition de résolution mais ne saurait cautionner l'attaque frontale du principe de précaution.

Vous attaquez aussi le verdissement de la PAC, qui est une avancée pour les agriculteurs qui seront enfin rémunérés pour leurs services environnementaux et écosystémiques. Le poids des dossiers administratifs, en revanche, est insupportable, surtout pour les petites exploitations.

M. Rémy Pointereau.  - Pour tout le monde !

M. Joël Labbé.  - A fortiori pour les plus petites, qui ont moins de moyens.

L'agriculture biologique génère peu de normes, car elle respecte la biodiversité, la qualité de l'eau, des sols, la santé humaine. La seule contrainte, acceptée, est de respecter le cahier des charges.

La résolution invite le Gouvernement à faire adopter par le Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CSO) un plan de simplification opposable à l'ensemble des ministères et dont il serait rendu compte devant le Parlement. Un tel dessaisissement du pouvoir exécutif et législatif au profit d'une instance non élue est inacceptable.

S'il faut simplifier, alléger nos normes, il ne faut pas diminuer notre protection. Le groupe écologiste votera contre cette proposition de résolution.

M. Jean Bizet.  - Encore !

M. Joël Labbé.  - Isabelle Saporta, dans son livre Foutez-nous la paix, présente ces petits agriculteurs - éleveurs d'agneaux de pré salé, producteurs de beaufort ou de roquefort, petits vignerons - asphyxiés sous des normes formatées pour et par les multinationales, pendant que l'agrobusiness attend son heure... Cessons d'assassiner la France de la bonne chère ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Franck Montaugé .  - Les normes affectent la compétitivité de l'agriculture française, c'est pourquoi, avec Henri Cabanel, nous avons cosigné cette proposition de résolution, qui fait suite au rapport de MM. Dubois et Bailly, auquel nous avions contribué.

Cependant, certains points méritent d'être nuancés, en particulier dans l'exposé des motifs. Il n'est pas juste de laisser entendre que le Gouvernement n'aurait rien fait en matière de simplification. Il a agi, sur les ICPE, la réduction des délais de recours par des tiers, la déclaration unique, la zone totale. Les négociations avec l'Union européenne ont permis d'adapter l'application de la directive Eau, avec l'aide à la création de réserves d'eau. Le ministère de l'agriculture a tracé une feuille de route, dont le CORENA, instance paritaire créée en mars 2016, est la traduction. L'excellent rapport d'Odette Herviaux fait des propositions concrètes pour une approche nouvelle de l'élaboration des normes. Intégrer la problématique de la simplification au CSO conduirait à la marginaliser.

Quant à la sur-transposition, c'est une pratique qui a cessé depuis 2012.

M. Marc Daunis.  - Très bien.

M. Franck Montaugé.  - Les professionnels nous parlent surtout d'interprétation des normes. En fait, tous les pays européens n'entendent pas la même chose par simplification : certains y voient l'occasion d'une déréglementation tous azimuts. Pour notre part, nous estimons d'une part, que la simplification doit figurer comme un objectif explicite dans la PAC post 2020 et d'autre part, que la norme peut et doit être développée dans le cadre d'une stratégie internationale. Alors que les exigences de qualité et de sécurité vont croissant, la norme est facteur de protection, de différenciation, d'avantage comparatif. Oui à la simplification, mais oui aussi à la norme comme moyen de compétitivité.

Dans ce domaine, nous sommes en retard. Les principes ultralibéraux qui prévalent à Bruxelles limitent la portée du processus de révision des normes européennes.

Le compte pénibilité, la complémentaire santé obligatoire posent question concernant leur mise en oeuvre, non leur justification sociale.

Cette proposition de résolution est un pas vers la prise en compte des enjeux de compétitivité, de qualité et de développement de notre agriculture. Le Gouvernement a montré la volonté d'avancer. Reste à construire une démarche collective, politiquement efficace. Le chemin sera long et difficile. Faisons cause commune !

Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra, mais les sept cosignataires de la proposition de résolution la voteront. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Marc Daunis.  - Excellente intervention !

M. Jean Bizet .  - Les réformes successives de la PAC, depuis 1992, ont promu une agriculture plus juste, plus verte et plus simple. Qu'en est-il ? Nos agriculteurs sont en colère, exaspérés par la dérive normative, au point que certains baissent les bras...

Je salue cette proposition de résolution. J'apporterai l'éclairage européen de la Task force sur les marchés agricoles, mise en place en janvier 2016, qui rassemble douze experts. Son rapport du 14 novembre fait des propositions concrètes sur la transparence des marchés, la gestion des risques, les relations contractuelles, les marchés à terme, l'accès au financement. Elle propose une dérogation aux règles en matière d'entente, sur le modèle américain. J'avais proposé, dès 2013, une prise en compte spécifique de l'agriculture par les autorités de la concurrence... Les règles actuelles, ambiguës, n'assurent pas une sécurité juridique suffisante. Il faut clarifier les règles, mieux reconnaitre le rôle des organisations professionnelles contre la fragmentation des producteurs.

Adapter le droit de la concurrence à l'agriculture, c'est revenir à l'esprit des traités de 1957. L'ensemble de notre appareil administratif doit s'imposer une révolution copernicienne, car l'essentiel de la prolifération normative lui est imputable. Désormais, la compétitivité des exploitations doit primer. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Laurent .  - La ferme France est performante mais subit la maladie de la norme. Nous avons tranché avec les professionnels, ils nous ont dit leur exaspération ; les normes ont accompagné l'agriculture productive après la guerre, mais la montée des exigences environnementales et sanitaires ont changé la donne, surtout lorsqu'on a surtransposé les normes européennes. Les charges administratives représentent jusqu'à un tiers du temps de travail ; on compte au moins dix corps de contrôles avec des calendriers inadaptés et des sanctions disproportionnées...

Il faut plus d'accompagnement, de pédagogie, de coordination.

La gestion de l'eau est source de contentieux : le simple entretien des cours d'eau occasionne des sanctions... Que faisaient nos anciens ? Nous sommes tous pour la préservation paysagère, mais gardons notre bon sens ! Combien d'investissements ont été obérés par les contraintes réglementaires ? S'y ajoute les normes transversales comme le compte pénibilité, inadapté au monde agricole.

Il faut co-construire les normes agricoles avec la profession, sans surtransposer, utiliser nos marges de manoeuvre, faire une analyse coût/bénéfice des normes, expérimenter, et parfois, alléger les normes. Il faut avant tout une volonté politique. Nous libérerons ainsi le monde agricole d'un poids énorme ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Pascale Gruny .  - Les agriculteurs sont des chefs d'entreprises. Ils souffrent de l'empilement de réglementations toujours plus tatillonnes qui les placent dans l'illégalité : je pense à cette agricultrice qui ne peut utiliser le thym de son jardin... parce qu'il n'est pas vendu à Rungis ! À cet éleveur dont l'abattoir n'est pas agréé parce qu'il y a trop de bottes dans son vestiaire... Un autre est démuni et préfère laisser déborder ses fossés, ne sachant quelle législation respecter, entre l'obligation de curer les fossés, et l'interdiction de curer les cours d'eau...

M. Charles Revet.  - Très juste !

Mme Pascale Gruny.  - On devient agriculteur pour travailler la terre, pas pour étudier le droit ! Nous avons besoin d'un choc de simplification, d'abord à l'échelon européen. La France devra peser dans la définition de la nouvelle PAC, se montrer plus offensive, cesser de s'illustrer par l'absence de son ministre de l'agriculture à Bruxelles !

Où en est le projet de taxe carbone aux frontières de l'Europe ?

Au niveau national, les normes coûteraient 60 milliards d'euros selon l'OCDE. Il y a urgence à faire de la simplification une priorité nationale. Monsieur le ministre, vous m'aviez demandé des exemples concrets en mars, je vous ai envoyé un courrier en juin, resté sans réponse à ce jour.

M. Charles Revet.  - Incroyable.

Mme Pascale Gruny.  - Une plan de simplification s'impose. Stoppons l'inflation normative, généralisons les études d'impact et les expérimentations, assouplissons le principe de précaution. Commençons par exiger que toute interdiction d'un produit ou d'une pratique s'accompagne d'un délai suffisant pour trouver une alternative, et cessons enfin les excès de zèle dans la transposition ! C'est un vaste chantier, mais qui en vaut la peine s'il permet à nos agriculteurs de se consacrer à leur vrai métier. Nous soutiendrons sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Y a-t-il trop de normes ? Oui, bien sûr. Je n'en n'ai ajouté aucune, elles étaient en place en 2012 ; que chacun balaye devant sa porte ! M. Montaugé a dit ce que nous avons fait en matière de simplification, notamment sur les ICPE pour que nos normes ne soient pas plus lourdes qu'à l'échelle européenne. Nous l'avons fait pour le porc, pour la volaille, et c'est en cours pour le boeuf. Nous avons simplifié les normes, et nous continuons avec le Corena.

Certains remettent en cause le verdissement de la PAC ? Attention, car chaque pays pourrait définir ses propres normes. La France y gagnerait-elle ? J'en doute, car certains pays pourraient aller très loin. Je sais ce qui se passe en Europe centrale, en Ukraine, en Russie : je vois les résultats en termes de compétitivité, mais aussi de pollution... Gare aux conséquences !

L'Allemagne proposait que le verdissement bascule dans le deuxième pilier, avec des cofinancements sur les budgets nationaux, sachant que ses capacités financières sont bien supérieures aux nôtres - surtout si nous abaissons les dépenses publiques de 100 milliards d'euros, comme le proposent certains candidats à la présidentielle...

L'Institut technique Terres Inovia vient de publier, le 16 novembre, une étude sur le colza associé aux légumineuses qui fait état d'un gain de rendement de 10 % par hectare, d'une baisse de 30 % des frais de désherbage, qui permet des économies en azote et de supprimer un insecticide... Ces méthodes à la fois plus productives et plus économes lui ont valu le premier certificat d'économie de phytosanitaire dans le cadre du plan Ecophyto II. Le président Lenoir voulait une agriculture de précision, je veux lui parler d'agronomie de précision !

Les normes ont été appliquées à des modèles qui dégageaient des externalités négatives. On les a empilées, c'est vrai. Vous voulez en supprimer - mais lesquelles ? Voudriez-vous que j'autorise le diméthoate, alors que l'Anses le classe parmi les cancérigènes ? Assumez ! (Applaudissements à gauche) Dans ce débat, il faut avancer avec précaution... un principe constitutionnalisé par Jacques Chirac, pourtant attaché à l'agriculture, car il le pensait juste. Le remettre en cause ne réglera aucun problème.

La France a besoin de garder d'une grande agriculture, de rester leader. Comment combiner performance économique, environnementale et sociale : tel sera le débat du futur. Je suis convaincu que la ligne que j'ai toujours tenue correspond aux enjeux de demain. Si nous sommes capables d'anticiper les mutations en cours, de définir une agriculture à la fois compétitive et durable, nous aurons gagné notre pari. C'est tout l'enjeu de l'agroécologie ! (Applaudissements à gauche)

Nous proposons de juger les agriculteurs non plus sur leurs outils mais sur leurs résultats, ce qui suppose de changer la PAC dans son ensemble pour intégrer les enjeux environnementaux et sociaux.

C'est ce que nous faisons pour les normes nitrates, que nous intégrons dans un nouveau modèle, avec des zones homogènes, dans lesquelles les agriculteurs s'organisent pour atteindre les objectifs. Même chose avec les GIE environnementaux pour réduire l'utilisation d'azote minéral tout en améliorant les rendements. Voilà l'avenir ! L'enjeu n'est pas de supprimer des normes, mais de changer de modèle. François Fillon a dit qu'il voulait supprimer des normes... Soit, mais j'attends de voir les résultats. Si l'on ne pose pas le bon diagnostic, on ne peut apporter les bonnes réponses. La France de demain devra être compétitive et durable, un exemple d'innovation !

M. Bruno Sido.  - Nous sommes dépassés par l'Allemagne !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - Nous étions en contentieux sur la directive nitrate à mon arrivée, nous allons en sortir le 8 décembre. Huit pays européens y rentrent, dont l'Allemagne : tout son territoire est en zone vulnérable. De même, les Pays-Bas sont contraints d'instaurer des quotas de phosphates car leur sol est saturé. La France qui subit des règles environnementales ! Pensez-vous qu'en Allemagne, les procédures soient plus simples que chez nous ? Regardez de plus près : le coût des enquêtes publiques, en Allemagne, incombe aux agriculteurs, pour 15 à 80 000 euros !

Je n'ai rien ajouté, je n'ai jamais surtransposé, j'ai cherché à simplifier, à trouver des solutions. Je me suis battu pour mettre en place le système d'azote total : en utilisant l'excédent de matière agricole, nous sommes sortis du contentieux en Bretagne. (M. Bruno Sido le reconnaît) Ce n'est pas tombé du ciel ! Je suis fier de cette avancée, qui mériterait d'être généralisée. Avec les légumineuses, on a moins besoin d'azote minérale : là aussi, c'est une piste.

Cette proposition de résolution sera votée, très bien, mais le vrai débat, c'est de penser globalement de nouveaux modèles de production, performants sur le plan économique et environnemental. C'est de cette façon que notre agriculture restera un modèle et que nos agriculteurs pourront exercer leur métier en étant respectés et en gagnant leur vie ! (Applaudissements à gauche)

À la demande du groupe écologiste, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°71 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 219
Pour l'adoption 208
Contre 11

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements au centre et à droite)

Prochaine séance mercredi 7 décembre 2016, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 20.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus