Rétablir la confiance dans l'action publique (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi et du projet de loi organique rétablissant la confiance dans l'action publique.

Discussion générale commune

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe La République en marche ainsi que sur certains bancs du groupe socialiste et républicain ; Mme Corinne Bouchoux applaudit également) Conformément à l'engagement pris par le président de la République, vous êtes saisis d'une réforme très attendue : rétablir la confiance dans l'action publique.

Dès son entrée en fonctions, mon prédécesseur, M. Bayrou a préparé un projet de loi et un projet de loi organique qui ont été présentés en Conseil des ministres le 14 juin dernier et déposés sur le bureau de l'Assemblée le même jour.

La transparence, la probité des élus, leur exemplarité...

M. Charles Revet.  - Qui a toujours existé.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - ...constituent une exigence sociale, politique, éthique. C'est le fondement de la confiance des citoyens en leurs gouvernants, principe ancré dans notre histoire. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclame en son article 15 : « La société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration. »

Plusieurs textes ont été votés sur ces sujets : loi du 11 octobre 2013 créant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, loi du 6 décembre 2013 instaurant le parquet national financier, loi du 20 avril 2016 sur la déontologie des fonctionnaires, loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique qui a créé l'agence anti-corruption.

Dès 2009, le Sénat, sous l'impulsion du président Larcher, s'est doté d'un comité de déontologie parlementaire, suivi par l'Assemblée nationale en 2011.

Beaucoup reste à faire cependant. Il n'est aucunement question de stigmatiser l'ensemble des élus locaux et nationaux dont l'engagement exemplaire est avéré. Certaines pratiques ne sont pourtant désormais plus acceptables. L'exigence éthique est de mise. Définir non des principes moraux mais des règles claires donnera des garanties et des repères aux élus et permettra aux citoyens d'apprécier à leur juste valeur l'engagement de leurs élus, qui ne comptent ni leur temps ni leurs efforts. C'est pourquoi nous avons besoin d'un choc de confiance.

Nous restons fidèles à un projet, celui exprimé par Jaurès en 1903 dans son discours d'Albi : « Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République ? C'est un grand acte de confiance ».

La réponse globale, fondatrice, que présente le Gouvernement proscrit certaines pratiques mais renforce aussi la transparence et le pluralisme de la vie politique.

Tout en renforçant les garanties de probité des élus et la prévention des conflits d'intérêts, cette réforme se veut respectueuse de la séparation des pouvoirs et de l'équilibre institutionnel, à commencer par l'autonomie des assemblées.

Je veux rendre hommage à votre commission des lois et à son président-rapporteur Philippe Bas, qui se sont inscrits dans cet esprit. Les travaux de votre commission des finances et de son rapporteur général, Albéric de Montgolfier, ont également été riches. Si les voies que vous souhaitez emprunter se distinguent parfois de celles tracées par le Gouvernement, nos perspectives convergent.

La réforme a trait tout d'abord à l'exercice du mandat parlementaire, le plus noble qui soit. Parce qu'ils représentent le peuple et incarnent la souveraineté nationale, les parlementaires sont tenus à un devoir d'exemplarité. Ils doivent pouvoir agir en toute indépendance, à l'abri de la pression des lobbies.

Les mesures applicables à l'Assemblée nationale et au Sénat sont au coeur de ce projet de loi. Elles ont été conçues dans le respect de la séparation des pouvoirs et de l'autonomie des assemblées : la mise en oeuvre des dispositions est ainsi renvoyée à leur Règlement. Votre commission a parfois adapté les dispositifs en prévoyant que le Bureau était compétent - le Gouvernement peut le comprendre. Ces mesures s'appliqueront également aux représentants français au Parlement européen.

De nouveaux cas d'inéligibilité et d'incompatibilité sont créés. Les parlementaires qui ne justifient pas avoir satisfait à leurs obligations fiscales ne pourront rester en fonction. Un parlementaire ne pourra exercer une activité de conseil débutée dans l'année précédant le début de son mandat. La dérogation qui s'applique pour les professions réglementées, comme celles d'avocat, est supprimée. Les fonctions de direction d'une société de conseil et le contrôle par un parlementaire d'une société de conseil sont également pris en compte. Le dispositif proposé conciliera prévention des conflits d'intérêts et liberté d'entreprendre, en évitant les écueils mis en évidence par la décision du Conseil constitutionnel du 9 octobre 2013 qui avait censuré une interdiction trop générale.

Quant au renforcement de la prévention des conflits d'intérêts, le Gouvernement a choisi de retenir une définition moins englobante que dans les lois du 11 octobre 2013 et 20 avril 2016. Il reviendra à chaque assemblée de préciser les règles internes sur ce sujet.

Dans un souci de transparence, l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) sera remplacée par un remboursement de ces frais sur une base réelle et sur présentation de justificatifs. La commission des lois a adopté un nouveau dispositif dont nous débattrons, sachant qu'il appartient aux assemblées de fixer les conditions et le plafond de ce remboursement.

Enfin, le projet de loi organique met fin à la pratique de la réserve parlementaire, contestée, et dont la logique est contraire à l'article 40 de la Constitution (Protestations sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et RDSE)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ce n'est pas vrai !

M. Alain Fouché.  - Pas du tout !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Nous en débattrons.

La commission des lois a proposé un mécanisme de substitution. Le Gouvernement est ouvert mais le débat relève de la loi de finances.

Deuxième axe : la réforme renforce les règles de probité des acteurs politiques. Les obligations de transparence à l'égard du président de la République sont renforcées avec une déclaration de patrimoine déposée à la HATVP en début et fin de mandat.

Une peine complémentaire d'inéligibilité sera prononcée pour tout crime ou infraction à la probité - corruption, détournement de fonds publics, fraude électorale ou fiscale - dans le respect des principes de nécessité et d'individualisation des peines.

Enfin, il sera interdit au président de la République, aux membres du Gouvernement, aux parlementaires et titulaires de fonctions exécutives locales d'employer des membres de leur famille comme collaborateurs. C'est déjà le cas pour le président de la République et les membres du Gouvernement depuis le décret du 14 juin 2017.

La réforme conduit à une refonte importante des règles de financement des partis politiques, jusque-là peu favorables au renouvellement de la vie politique et au pluralisme.

On renforcera le contrôle des comptes des partis politiques et des campagnes électorales dans le respect de l'article 4 de la Constitution selon lequel les partis et les groupements politiques se forment et exercent leur activité librement. Le mandataire financier du parti recueillera l'ensemble de ses ressources ; la comptabilité devra être conforme aux règles édictées par l'Autorité des normes comptables et inclure les comptes de toutes les organisations territoriales. Votre commission a souhaité étendre ces obligations aux micro-partis, ce qui pose certaines difficultés ; nous en débattrons.

Le financement des campagnes électorales sera mieux encadré quant aux prêts des personnes physiques afin d'éviter les dons déguisés. Les prêts des personnes morales, y compris de droit étranger, sont interdits.

En contrepartie, l'accès au financement par les candidats et les partis politiques sera facilité par la création d'un médiateur du crédit - que votre commission a souhaité rebaptiser. Nous y reviendrons.

Enfin, le Gouvernement souhaite créer une structure pérenne de financement, la banque de la démocratie. Elle pourra se constituer sous la forme d'un établissement doté de la personnalité morale, être adossée à un établissement de crédit existant ou prendre la forme d'un mécanisme de financement spécifique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - À préciser, c'est un peu vague.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Une mission va être confiée en ce sens à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale de l'administration. Il semblerait que nous ayons une divergence avec votre commission des lois.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.  - Et avec la commission des finances.

M. Pierre Charon.  - Ça fait beaucoup.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Ces dispositions apporteront à la démocratie un surcroît de transparence, de justice et d'éthique. Ambitieuses et équilibrées, elles répondent aux questions que se posent nos concitoyens, singulièrement ces derniers mois. Il ne s'agit pas seulement de poser des interdits, mais de consolider le pluralisme et la transparence et, partant, la confiance dans les institutions.

Ces mesures seront complétées par la réforme constitutionnelle annoncée par le président de la République. Il s'agit ici du premier acte, essentiel, inaugural. Le Gouvernement sera naturellement attentif aux propositions de la Haute assemblée ; il souhaite que cette réforme volontariste soit à la hauteur des attentes des Français.

Les forces du Sénat se sont fédérées pour travailler sur ces textes, s'est réjoui le président Bas. Il faut s'en féliciter, car c'est ainsi que nous progresserons ensemble. (On applaudit, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - Votre conclusion me rassure : en écoutant votre propos et en examinant les amendements du Gouvernement, j'avais le sentiment que le Gouvernement voulait rétablir son texte, un point c'est tout. Le débat permettra peut-être de rapprocher des points de vue que vous avez antagonisés.

C'est un honneur pour le Sénat d'être saisi en premier de ces projets annoncés comme très importants. Le Sénat est disposé à aller de l'avant dans ces domaines. Dans la nouvelle configuration, tous les pouvoirs sont alignés autour du président de la République, comme la limaille autour de l'aimant, sauf deux : le Conseil constitutionnel et le Sénat, cette assemblée indépendante et constructive - pléonasme que de le dire, car le Sénat construit toujours. Face à ce bloc majoritaire, le Sénat est là, chambre de réflexion, qui défend les principes fondamentaux de la Constitution et la séparation des pouvoirs.

M. Charles Revet.  - C'est très important.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Nous défendrons les droits fondamentaux de nos concitoyens, l'autonomie des deux assemblées, l'égalité de traitement des parlementaires et des membres du Gouvernement.

Nous défendrons aussi notre propre travail car le Sénat a pris de l'avance, sous l'impulsion du président Larcher, sur les règles en matière d'IRFM : chaque sénateur a dans sa poche le petit guide vert qui précise ce qui est ou non autorisé. (L'orateur brandit le guide en question.) Nous avons instauré les premiers un comité de déontologie, présidé par Jean-Jacques Hyest puis par François Pillet, réglementé les emplois familiaux, posé des règles concernant les représentants des lobbies ainsi que sur l'obligation de déport en cas de conflits d'intérêts. Le Sénat s'engage donc dans l'examen de ces textes l'esprit serein. Je souhaite que nos discussions soient fécondes, si tant est que le Gouvernement admette un apport de notre assemblée...

Il fallait éviter qu'une personne condamnée pour crime ou manquement grave à la probité puisse siéger au Parlement, mais c'est au juge de se prononcer sur l'inéligibilité. L'exigence d'un casier judiciaire vierge, repoussée par le Conseil constitutionnel, posait la question de la responsabilité du juge, sans parler de la difficulté insurmontable qu'aurait constitué la rétroactivité.

Le « quitus fiscal » n'en est pas un, c'est heureux car des centaines de milliers de Français peuvent avoir un litige avec l'administration fiscale sans être pour autant des fraudeurs. Le parlementaire devra simplement prouver qu'il a déclaré et acquitté les impôts exigés. Le Sénat propose d'améliorer le texte en prévoyant que toute erreur puisse être corrigée avant que le Bureau de l'assemblée ne soit saisi.

Nous avons demandé que les règles de déport appliquées aux parlementaires le soient aussi aux membres du Gouvernement en conseil des ministres ; que les frais de mandat soient pris en charge sur la base de justificatifs, en s'inspirant du très rigoureux modèle anglais, sans rigidité excessive ; que les collaborateurs familiaux visés par le texte aient le temps de se retourner, comme tout salarié qui perd son emploi.

Les communes ont perdu 9,6 milliards d'euros de dotations en trois ans : nous souhaitons un fonds d'État pour financer des projets signalés par les parlementaires, en toute transparence, sous la forme de dotations de soutien à l'investissement des communes.

Enfin, nous ne voulons pas habiliter le Gouvernement à légiférer pour créer une banque de la démocratie dont vous ne savez pas vous-même ce que vous voulez faire ! L'article 38 de la Constitution exige que les modalités de la délégation du pouvoir législatif soient clairement définies. Revenez-nous voir quand vous serez prête ! Il ne faut pas que les partis politiques soient dans la main d'une banque d'État qui décide de les financer ou non.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.  - Comme en Union soviétique.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Loi de moralisation ? Bien sûr que non : la morale précède la loi, la loi ne crée pas la morale. Loi de nature à rétablir la confiance ? Ce sera la 31e loi depuis 1985 sur ces sujets : n'en attendons pas trop. La confiance reviendra quand le chômage reculera, que le pouvoir d'achat remontera, que la sécurité sera assurée, le terrorisme éradiqué - et aussi quand le service public de la justice, exsangue, trouvera les moyens de son redressement.

Il nous paraît donc plus exact de qualifier ces textes de projets de loi relatifs à la régulation de l'action publique. J'espère que cette sobriété ne vous choquera pas. (On applaudit, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances - La commission des finances s'est saisie pour avis des dispositions concernant la dotation d'action parlementaire - terme qui a nos faveurs - et la banque de la démocratie.

Le Gouvernement justifie la suppression de la première en évoquant tantôt un contournement, tantôt une pratique contraire à l'article 40 - le Conseil constitutionnel ne l'a pourtant jamais censurée ! Si les risques de clientélisme ont pu exister par le passé, la transparence est totale depuis 2013 : les deux assemblées publient en open data la liste des subventions. Publicité supérieure à celle des subventions versées par les services de l'État...

Le Gouvernement annonce l'économie de six emplois d'administration centrale - bien peu, d'autant que sont maintenus les effectifs pour gérer la réserve dite ministérielle. Enfin, il évoque le respect de critères normés - alors que les critères de recevabilité sont les mêmes que pour les subventions de l'État !

La dotation d'action parlementaire correspond à 0,03 % du budget de l'État : ce sont 147 millions d'euros, dont 56 millions pour le Sénat, consacrés à 80 % aux collectivités territoriales. C'est un soutien important à l'investissement local, dans le contexte de baisse des dotations. Outre le tissu associatif, elle apporte un soutien récurrent à certains programmes budgétaires : instituts et alliances françaises, travaux sur les bâtiments religieux, actions éducatives, développement du tourisme... La dotation d'action parlementaire ne finance pas les sénateurs, elle leur permet, forts de leur connaissance du terrain, de soutenir des projets d'intérêt général.

Le fonds d'action pour les territoires ruraux annoncé a disparu du texte cédant la place à une « éventuelle réallocation des crédits vers des dispositifs existants ». Nous proposons d'inscrire dans la LOLF une dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements. Nous proposons également d'améliorer la transparence de la réserve ministérielle en imposant la publication en format ouvert. Au-delà, nous attendons des précisions sur le financement des alliances françaises, notamment.

Le dispositif de banque de la démocratie, retiré du projet de loi à la suite de l'avis du Conseil d'État, a été remplacé par une demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances. Cette demande est très large et ne repose sur aucune étude préalable ; elle est donc prématurée. Vous le reconnaissez, madame la ministre, puisque vous annoncez une mission des inspections générales des finances et de l'administration sur ce sujet. Suivant le principe qui consiste à analyser avant de légiférer, la commission des finances a proposé, à l'unanimité, de supprimer cet article. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Union centriste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Jack Lang avait dit, à un moment de notre vie politique, que l'on était passé de l'ombre à la lumière... (Sourires)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Il avait la langue bien pendue.

M. Jean-Pierre Sueur.  - De même, on nous présente ces textes comme une rupture : il y aurait un avant et un après... Rappelons tout de même, comme Philippe Bas, qu'il s'agit de la trente-deuxième et de la trente-troisième lois sur ces sujets... Depuis la loi du 11 mars 1988 sur la transparence financière de la vie politique - Michel Rocard et Alain Juppé ont été précurseurs - jusqu'à la loi du 11 octobre 2013 créant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, nous continuons à aller de l'avant.

J'ai appris avec surprise qu'il y avait 451 partis politiques en France, en raison de règles particulièrement complexes, notamment outre-mer où il est très facile de constituer un parti politique. Je ne citerai pas ce petit parti mosellan qui a ainsi pu s'implanter... en Guadeloupe ! Il faut réformer cela. Alain Richard le disait très justement : il ne s'agit pas tant du financement public que de la possibilité de dons fiscalement déductibles à 66 %. Notre groupe a déposé un amendement sur ce sujet, je sais que le président Bas y travaille aussi. Il faudra être ferme, madame la ministre, car on ne peut laisser perdurer ce système.

Cessons donc de faire la loi en fonction de l'actualité : ce n'est pas une bonne manière de légiférer. Personne ne parlerait des emplois familiaux sans la chronique de ces derniers mois... Notre groupe propose de traiter plus globalement des collaborateurs parlementaires, avec des amendements prévoyant que la cessation d'activité pour cause de non-réélection soit qualifiée de licenciement économique - sans pour autant soumettre le parlementaire aux obligations découlant de l'article L. 1203-4 du code du travail.

M. Didier Guillaume.  - Très bien.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Sur la réserve parlementaire, j'aurais compris que ce texte nous fût proposé il y a dix ou quinze ans. C'était alors un sujet complexe, donnant lieu à bien des disparités. Mais aujourd'hui, la transparence est totale : on connait le montant des propositions - car c'est ce dont il s'agit...

M. François Pillet.  - Exactement !

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...que nous pouvons faire sur la ligne budgétaire du ministère de l'intérieur.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les sommes affectées, que ce soit aux petites communes rurales ou aux quartiers en difficulté, sont publiques.

M. François Pillet.  - Absolument.

M. Charles Revet.  - C'est transparent.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce n'était pas le cas jadis et naguère, mais aujourd'hui, vous êtes quelque peu hors sujet. En quoi serait-il immoral d'affecter ces subventions à des petites communes qui en ont besoin ? L'amendement de la commission des lois définissant strictement le nouveau dispositif que vous proposez est une piste de repli intéressante.

Sur les indemnités parlementaires, nous proposons que les indemnités de président de commission, de président de groupe ou de vice-président du Sénat soient fiscalisées. Quant à l'IRFM, il faut justifier ces dépenses professionnelles sous l'autorité du Bureau, qui fixera les règles conformément à la loi.

Sur les bulletins n°2 du casier judiciaire, nous ne partageons pas votre position, qui n'est pas celle du Conseil constitutionnel - je le dis avec beaucoup de modestie ! Et vous invite à consulter le rapport de l'Assemblée nationale sur le sujet.

Oui, les 550 000 élus que compte ce pays sont, dans leur immense majorité, profondément dévoués à l'action publique.

Enfin, je note que ce texte nous est présenté en procédure accélérée. Je ne voudrais pas que cela devînt la procédure commune... En tant que garde des sceaux, j'espère que vous serez vigilante. (On applaudit, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président

Mme Corinne Bouchoux .  - Ces textes font l'objet d'une consultation citoyenne, lancée par Joël Labbé et Henri Cabanel, semblable à celle organisée sur la loi pour une République numérique, jusqu'au 23 juillet. Cette ouverture de nos hémicycles prouve notre volonté de co-construire le débat. Au regard des nombreuses propositions déjà formulées, elle sera sans aucun doute une réussite.

Ne jamais légiférer dans la précipitation, cela signifie ne pas laisser de côté des points essentiels tels que la formation des élus locaux. Un élu mieux informé évitera davantage les conflits d'intérêts.

La réduction d'un tiers du nombre de sénateurs nous oblige à prendre nos responsabilités en tant qu'employeurs. Nos collaborateurs, salariés de droit privé, doivent bénéficier de mesures protectrices : entre autres, la négociation collective et le licenciement pour motif économique en fin de mandat. Sécuriser leurs conditions de travail, encadrer leur profession n'empêchera pas les parlementaires d'engager les collaborateurs qu'ils souhaitent dans les limites posées par ces textes.

Merci au président-rapporteur Bas d'avoir reçu toutes les parties sur ce dossier complexe ; à Mme Cartron pour présider l'Association de gestion des assistants du Sénat (AGAS) qui, tout en étant la gardienne des exigences sénatoriales, cherche à ménager la dignité des collaborateurs parlementaires ; au président Larcher pour sa vigilance et à tous les collègues qui ont bien voulu réfléchir à cette question en fin de mandat de façon transpartisane. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen)

M. Alain Richard .  - Naturellement, nous examinons ces projets de loi, qui correspondent à un engagement du président de la République, dans l'esprit qui est celui de la période nouvelle qui s'ouvre. Bien sûr, ils peuvent provoquer un sentiment de gêne. Cependant soyons lucides quant aux interrogations et critiques qui se développent dans notre société vis-à-vis de la collectivité des élus. Ayons la force de caractère de prendre des dispositions pour répondre à ces exigences, cela est dans notre intérêt.

Ces textes, en écho au discours qu'a prononcé le président de la République devant le Congrès, viennent devant nous alors qu'est réaffirmé le respect du Parlement et, cela importe au Sénat, du bicamérisme.

Sont fixées des règles éthiques plus précises : des inéligibilités supplémentaires sont prévues en cas de condamnation pénale pour manquement à la probité dans la gestion de ressources publiques, une attestation fiscale sera sollicitée en début de mandat. Ces exigences renforceront l'honorabilité du mandat parlementaire.

La France a accompli des progrès en matière de prévention des conflits d'intérêts.

M. Charles Revet.  - Il faut le rappeler !

M. Alain Richard.  - De ce point de vue, la France n'est pas isolée des autres démocraties parlementaires. Le texte revient à formaliser des pratiques qui ont déjà cours au Sénat - et ce n'est pas le président de notre comité de déontologie qui me contredira !

J'en viens à la limitation des activités de conseil : la Constitution, en son article 23, interdit toute activité professionnelle aux ministres tandis que son article 25 l'autorise aux parlementaires en renvoyant à une loi organique le soin de définir les incompatibilités. Ce paradoxe constitutionnel, d'un autre âge, constitue une rémanence du libéralisme aristocratique des Lumières. M. Michel Debré, qui était attaché à l'héritage du parlementarisme britannique, n'y est pas pour rien. Des limites strictes sont posées par ce texte, reste cependant de la marge : le volume de ces activités et les recettes qu'elles dégagent sont parfois surprenants au regard du principe de disponibilité des parlementaires pour leur mandat.

Si nous comprenons qu'il faille supprimer le lien direct entre un parlementaire et une aide localisée, ne risque-t-on pas dans un fric-frac budgétaire de supprimer la réserve parlementaire ? (Mme Corinne Bouchoux s'esclaffe ; de nombreux membres du groupe socialiste et républicain, également.)

Alors que le président de la République insiste sur la nécessité de maintenir la dynamique d'investissement, nous ferions disparaître quelque 140 millions d'euros d'aides...

M. François Pillet.  - Très bien !

M. Alain Richard.  - ...qui profitent souvent à des associations nationales non lucratives.

Ce matin, au Conseil national de la transition écologique, j'ai écouté avec grand intérêt la mise en garde du président d'une ONG, qui n'est pas avare de critiques envers les élus, contre la disparition de ces fonds.

L'interdiction des assistants familiaux vise à répondre au risque de détournement de ces emplois. Le Gouvernement propose une solution raisonnable que nous soutenons.

La Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques exerce correctement sa mission. Toutefois, des soupçons pèsent, Jean-Pierre Sueur l'a souligné, sur le détournement par certains de l'intitulé de parti politique ou, plutôt, sur leur réalité. Puisqu'une réforme constitutionnelle est attendue, précisons l'article 4 de la Constitution pour habiliter le législateur à fixer au minimum les principes d'organisation des partis ; en somme, des règles pour distinguer ce qui est un parti politique de ce qui ne l'est pas.

Le groupe La République en marche soutient cette réforme en remerciant Philippe Bas de s'être montré si constructif, si tant est qu'il accepte ce qualificatif. (Sourires) Je souhaite que ce débat inaugure une nouvelle période de travail entre l'exécutif et le législatif. (MM. Jean-Pierre Sueur et Didier Guillaume applaudissent, MM. François Pillet et Jean-Claude Lenoir également.)

Mme Éliane Assassi .  - Ce projet de loi a pour but de répondre à la défiance des Français vis-à-vis de certains comportements de femmes et d'hommes politiques, à l'égard des vases communicants entre fonctions électives ou ministérielles, fonction publique ainsi que postes et intérêts privés. La dernière campagne présidentielle a porté au point le plus haut cette exaspération. Cette situation est insupportable tant pour nos concitoyens que pour la grande majorité des élus.

« Moralisation de la vie publique », « confiance dans la vie démocratique », « confiance dans l'action publique » puis « régulation de la vie publique », je vois dans ces hésitations sémantiques la difficulté qu'ont éprouvée les auteurs de ces textes à en circonscrire le champ.

Quelles sont, au juste, les sources de cette défiance ? D'abord, un doute profond sur l'utilité du vote.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Exactement.

Mme Éliane Assassi. - Le vrai changement consiste, non pas à interdire les assistants familiaux, mais à faire reculer le chômage et revenir au plein-emploi, garantir des études et des soins gratuits et de qualité, lutter résolument pour la transition écologique et contre les lobbies industriels et financiers. L'exaspération provient des promesses non tenues. Oui, ceux qui n'ont rien ne supportent pas que certains tirent profit de leur mandat.

Ensuite, nos institutions ne permettent plus la proximité entre peuple et représentants. Emmanuel Macron a remporté l'élection présidentielle et son mouvement, une majorité, alors qu'ils sont minoritaires dans l'opinion.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Très juste.

Mme Éliane Assassi.  - L'opposition est minorée par le rouleau compresseur de la Ve République tandis qu'Emmanuel Macron repousse chaque semaine les limites de l'hyperprésidence verticale quand son mouvement disait privilégier l'horizontalité. Instaurer une véritable proportionnelle, pas un saupoudrage de proportionnelle, est une exigence ; comme l'est le renforcement du Parlement qui passe par la suppression de l'article 49-3, le rétablissement d'un droit d'amendement plein et entier, y compris en matière budgétaire, l'accroissement des pouvoirs de contrôle...

Le fonctionnement et les liens du pouvoir politique avec la haute administration doivent être transformés. Que dire des excès du CAC 40, de l'explosion des fortunes gagnées sur des vies asservies et parfois brisées, comme à Whirlpool et GM&S ! Enfin, comment ne pas évoquer le lien entre les médias, la finance et la politique ? Lors de la dernière élection, comment ne pas avoir noté le caractère partisan de chaînes récemment tombées dans les mains d'hommes d'affaires...

M. Alain Fouché.  - C'est vrai !

Mme Éliane Assassi.  - ...et la proximité entre certains instituts de sondage avec les allées du pouvoir ou de la Bourse ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi.  - Ce texte, s'il est utile, consiste en une rustine sur un pneumatique au bord de l'explosion. Le CRC soutiendra les améliorations apportées par le président-rapporteur Bas (on s'en amuse à droite) en proposant de s'affranchir du cadre restreint que veut nous imposer le Gouvernement pour, entre autres, donner enfin aux collaborateurs parlementaires un véritable statut.

Je regrette, madame la ministre, que vous ayez renoncé à une consultation démocratique sur ce projet de loi. Un aller-retour démocratique aurait été profitable quand un grand quotidien du soir a souligné, dans un dossier récent, la montée en puissance du secteur privé dans nos vieilles démocraties. Le poison de l'argent dans la vie publique, et c'est là où notre position diffère, doit, non pas être régulé, mais combattu et éradiqué. Montesquieu le disait trois siècles plus tôt, « Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne ou se soutienne (...). Mais dans un État populaire, il faut un ressort de plus qui est la vertu. » (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat .  - Nul besoin de sondage, dénué de toute rigueur scientifique, pour mesurer la défiance des Français envers leurs représentants. Emmanuel Macron a été élu par 43,10 % seulement des électeurs inscrits. Quant aux députés, leur score moyen est de 20 %. Et l'on voudrait nous faire croire que ces textes renforceront le lien entre les citoyens et leurs représentants...

Les comportements indélicats et parfois clairement délictueux de certains élus n'expliquent pas la sécession civique. Cette loi d'exorcisme, pas plus que celle présentée alors que l'affaire Cahuzac paniquait l'Olympe, ne rétablira la confiance dans l'action publique. D'ailleurs, elle est très éloignée de son inspirateur initial, François Bayrou, qui voulait lutter contre l'influence et les intérêts des industriels et financiers.

La sécession civique, sur fond de langueur économique, est d'abord la conséquence d'un système verrouillé. Si le tsarisme, selon Custine, était une monarchie absolue tempérée par l'assassinat, la Ve République est une République oligarchique régulée par la lapidation médiatique.

L'instauration du quinquennat jointe à l'inversion du calendrier électoral a fait du président de cette République consulaire à la fois le chef de l'exécutif et celui de la majorité parlementaire. Ne manque plus que le statut de Première dame, cela ne saurait tarder... (Sourires) La séparation des pouvoirs n'existe que dans l'esprit des constitutionnalistes, étant entendu que l'État n'est plus là pour garantir l'intérêt général mais la concurrence libre et non faussée entre des intérêts.

Pantouflage, explosion des autorités administratives indépendantes, partenariats public-privé, agence de conseils adossés à l'État, les séparations sont abolies avec une mention spéciale aux médias détenus par des opérateurs téléphoniques, essentiels à la stabilité du système dont leur prospérité dépend. À telle enseigne que l'on peut affirmer, avec Laurent Mauduit, que « jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, la liberté et le pluralisme de la presse n'ont à ce point été menacés ; jamais le droit de savoir des citoyens n'a été à ce point malmené. » La manière dont François Fillon a été neutralisé au terme d'une longue carrière sans anicroches parce qu'il gênait le candidat du système est un cas d'école. Malheureusement, je manque de temps pour développer cet exemple...

M. François Pillet.  - Quel dommage !

M. Roger Karoutchi.  - Des détails !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Les sénateurs du groupe RDSE, dans leur diversité, se détermineront sur ce texte qui, retravaillé par notre commission des lois est « moins pire » mais demeure en deçà des enjeux. (Applaudissements)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Ces deux projets de loi répondent à l'engagement du président de la République, voulu par François Bayrou, de moraliser la vie publique. Sujet ancien, presque éternel. Montesquieu l'observait déjà : « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (...) C'est pourquoi il faut que le pouvoir arrête le pouvoir ». Travaillons à prévenir les abus sans flatter l'antiparlementarisme. La quasi-totalité des élus exercent leur mandat avec rigueur, abnégation et un grand sens de l'intérêt général ; il suffit d'une affaire pour jeter le discrédit sur tous. A nous d'y mettre un terme ; rien ne serait pire qu'une énième loi de circonstance.

Quel statut pour le parlementaire de demain ? Le mécanisme prévu pour le déport interpelle : si un médecin ne peut plus siéger à la commission des affaires sociales, et un avocat à la commission des lois sans se priver de son droit de vote, ne prive-t-on pas nos institutions parlementaires d'expériences précieuses ?

J'ose une autre provocation : l'IRFM a été créée en 1848 lors de l'abolition du cens pour assurer l'indépendance des élus face aux pressions de toutes sortes. Comme le rappelait un de nos augustes prédécesseurs, Clemenceau, l'indemnité parlementaire est un gage de démocratie. Il n'en existait pas sous la Restauration et la Monarchie de juillet.

L'attractivité du mandat dépend aussi de la considération portée au travail parlementaire. Souvent discret, il se déroule hors du champ des caméras.

M. Roger Karoutchi.  - C'est vrai !

M. Vincent Capo-Canellas.  - Notre président-rapporteur a travaillé ce volet du texte avec la précision et la prudence d'un horloger.

Ces textes posent frontalement la question des collaborateurs parlementaires et des emplois familiaux. Ils conduiront à la rupture de nombreux contrats de travail dans des conditions assez frustes, nous veillerons à les humaniser. Prenons date pour parachever le travail.

Le non cumul des mandats ne doit pas conduire à une fracture entre représentation nationale et action locale. À ce titre, la suppression de la réserve parlementaire, seul moyen concret d'actions locales, est regrettable. Cette enveloppe de 146 millions d'euros soutient les investissements locaux et les collectivités dont les ressources sont grevées par la contribution au redressement des finances publiques.

Enfin, le financement de la vie politique : les affaires ont conduit de nombreuses banques à considérer les partis politiques comme des débiteurs à risque. Les propositions du Gouvernement à cet égard demeurent sous-dimensionnées.

Une hirondelle ne fait pas le printemps, ces deux textes n'apporteront pas la transparence à eux seuls. Nos concitoyens n'ont rien à gagner à un Parlement affaibli.

Rénovons le parlementarisme sans jeter l'opprobre sur tous.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Très bien !

M. Vincent Capo-Canellas.  - Menons ce travail en gardant à l'esprit qu'un Parlement affaibli est le symptôme d'une démocratie malade. (On applaudit, sauf sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen.)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) S'il faut restaurer la confiance dans l'action publique, elle a été perdue. Quand l'a-t-elle été ? J'ai une petite idée sur la question... Selon moi, elle remonte aux origines du pouvoir de la même manière que la crise du cinéma remonte aux frères Lumière.

Ce premier texte du quinquennat est consacré à la sacro-sainte transparence. On pourrait gloser à loisir sur le rêve de la « maison de verre », chère à André Breton, alimenté la circulation d'une information qui n'est pas toujours vérifiée. Cela étant, je suis de ceux qui prennent acte de cette exigence de transparence.

Heureusement, l'action publique ne se réduit pas à la morale ; le néo-puritanisme n'est pas dans notre culture. Nietzche avait forgé le terme de « moralisme » pour alerter contre les risques de surenchère qui alimentent les bûchers pacificateurs.

« On aime à blâmer les vices qu'on n'a point, parce que c'est une manière tacite de se louer », pensait Jean-Baptiste Laborde. Le Nouveau Testament ne dit pas autre chose quand Voltaire reconnaissait que nous sommes tous pétris de faiblesses. Au vrai, toute morale publique est relative, historique et partielle.

Le Sénat a fortifié ces textes dont la cohérence d'ensemble n'est pas forcément assurée. Déports, prévention des conflits d'intérêts, incompatibilités supplémentaires, interdiction des emplois familiaux, suppression de la réserve parlementaire essentielle pour les petites communes rurales (M. Alain Fouché renchérit.), ce sont là des mesures fort disparates.

Du reste, on pourrait égrener les noms de grands serviteurs de l'État, dont la probité n'a pas été irréprochable. Richelieu, Mazarin, Colbert sous lequel nous siégeons et dont les historiens du XIXe siècle ont forgé une image complaisante, Talleyrand ont amassé des fortunes... Gardons-nous de surjouer l'indignation, la loi a ses limites.

Le point de vue moral a atrophié le débat lors de l'élection présidentielle. L'emballement médiatique autour des déclarations de patrimoine cachait mal une curiosité parfois malsaine et envieuse. Chômage de masse, pauvreté, terrorisme, violence quotidienne, école qui ne joue plus son rôle, crise migratoire et, plus généralement, impuissance publique généralisée, n'oublions pas les enjeux vitaux pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Union centriste et RDSE)

M. Jean-Yves Leconte .  - Ce texte tire les enseignements d'une séquence électorale : la confiance des concitoyens est nécessaire pour que le message politique soit audible.

La démocratie représentative est mise en cause partout. Ce n'est pas propre à la France, ce qui l'est est l'hyperpersonnalisation du pouvoir. Chacun espérant en profiter un jour, aucun ne la remet en cause.

L'Union européenne est le cadre majeur de la vie économique et sociale de notre pays. Les élections nationales ne peuvent pas tout. La démocratie, c'est aussi que les décisions se prennent au bon niveau, et plus dans les couloirs du Conseil européen.

La révolution numérique modifie le travail du législateur, il faut améliorer l'interaction avec la société. Je regrette que cela n'ait pas été le cas pour ce texte. On demande aux élus davantage d'explications. N'ayons pas peur de défendre l'ombre quand elle est utile pour préserver l'intérêt général.

« À quoi servez-vous ? », nous demande-t-on parfois. Le rôle des élus est de porter des projets, des idéaux, non de se transformer en une technocratie d'interface qu'on remplacerait quand elle ne donne plus satisfaction.

Voyez l'histoire italienne : la lutte contre la corruption est une exigence mais ne délaissons pas pour autant le projet et les idéaux politiques.

Notre ancien collègue, le ministre Mézard, avait raison de le dire : la loi n'est pas un communiqué de presse. Au vu de l'expérience outre-Atlantique, nous mesurons combien il faut des institutions fortes face à un président intrusif.

Ce qui a choqué, plus que les emplois familiaux, c'est le caractère fictif d'un poste et l'enrichissement personnel en découlant. Il faut marquer notre solidarité avec les collaborateurs parlementaires : maintenir les contrats actuels conformes à cette loi et être attentifs aux licenciements comme nous y a invités le président-rapporteur Bas.

L'accès à la fonction parlementaire doit être égal pour tous, que l'on vienne du secteur privé ou du secteur public.

Nous défendrons des amendements sur le financement des partis politiques ; une question qui, à mon sens, doit être pensée également dans son articulation avec le niveau européen.

Beaucoup d'associations ont besoin de la réserve parlementaire, en particulier à l'étranger, je pense aux écoles notamment, pour survivre, se développer ou faire face à un coup dur.

Le groupe socialiste fera le maximum pour que la loi réponde à ces nouvelles exigences de la vie démocratique, mais rien, en définitive, ne remplacera l'éthique personnelle.

Il faudra finaliser la réforme constitutionnelle sur l'indépendance du Parquet afin que ce que nous construisons soit durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et La République en marche)

M. Alain Fouché .  - Si ces textes sont très attendus par les Français, certains points appellent davantage de réflexion. D'abord, je me réjouis de l'abandon par la commission de la suppression pure et simple de la réserve parlementaire proposée initialement par le Gouvernement. L'étude d'impact ne comportait aucune évaluation de ses conséquences sur le tissu local.

En dépit de quelques abus, la réserve parlementaire reste indispensable au financement de certains projets locaux, non éligibles à d'autres subventions.

Le dispositif proposé par la commission des lois, à savoir une dotation de soutien aux projets d'investissement des communes et des groupements, limités à 20 000 euros et dont la liste sera adressée au Gouvernement, reste perfectible : rien n'est dit sur les conditions de répartition de cette dotation. Or un minimum doit être garanti à chaque parlementaire. Il faudrait aussi que chacun dispose d'une somme identique, pour qu'aucun territoire ne soit oublié.

De même, il est dommage que les associations n'y soient plus éligibles. Ainsi la grande région Aquitaine réduit pour une très grande part ses soutiens aux associations. J'ai alloué une partie de ma réserve parlementaire à la lutte contre le SIDA, à la SPA, ou encore à un festival d'opéra en milieu rural. Quelle est la différence entre la réserve parlementaire et les subventions allouées par un maire ? Il n'y en a guère !

Pour un sénateur qui attribue quelque 140 000 euros, il n'y a pas de clientélisme. Si le parlementaire n'a pas d'autre mandat, il n'aura plus de moyens d'action concrets sur son territoire.

Ensuite, il y a deux poids deux mesures : la réserve ministérielle demeure alors qu'on n'en connaît ni le montant, ni la destination. En 2015, près de 2,06 milliards de subventions ont été distribuées par l'État aux associations, en toute opacité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.  - Il faudrait toutes les contrôler !

M. Alain Fouché.  - Dans certains cas, un avocat élu devra renoncer à son activité, ce qui favorise une professionnalisation de la vie publique. Or rien n'empêche le lobbyiste qui nous invite volontiers à de bonnes tables aux frais de sociétés privées ou publiques, voire de certains ministères, de se présenter aux élections. C'est un problème !

Enfin, il est grand temps de nous doter d'un statut de l'élu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Pierre-Yves Collombat et Bernard Lalande applaudissent aussi)

M. Marc Laménie .  - Ces textes sont très attendus, même si plusieurs lois ont été adoptées ces dernières années, comme l'a rappelé M. Sueur : création de la HATPV, déclaration de patrimoine, lutte contre les conflits d'intérêts sont autant d'avancées.

En tant qu'élu, nous devons absolument montrer l'exemple. Grâce à l'action résolue de M. le président Gérard Larcher et du Bureau du Sénat, nous sommes très attentifs à l'utilisation en toute rigueur de l'IRFM. Je partage les intentions et propositions du président Bas à ce sujet.

Je soutiens le non-cumul des mandats. Nous devons défendre l'intérêt général.

Merci, madame la garde des sceaux, d'avoir souligné le dévouement des élus.

Un mot sur les collaborateurs parlementaires. Au Sénat, grâce à l'action de l'AGAS, les contrats sont examinés avec rigueur, avec déclaration des heures de travail effectif. Je n'ai aucun collaborateur à Paris, mais deux assistantes en circonscription, à temps partiel, qui n'ont aucun lien de parenté avec moi, et une suppléante, qui est entièrement bénévole. C'est une petite équipe.

Autre sujet de discorde, la réserve parlementaire... (Exclamations à droite) Sa disparition complète serait préjudiciable aux petits projets des communes rurales qui nous sollicitent. Entre 2008 et 2017, j'ai disposé de 120 000 à 140 000 euros, exclusivement réservés aux communes et intercommunalités. J'ai soutenu une trentaine de projets, d'investissements avec des subventions de 500 euros minimum à 12 000 euros, sous le contrôle des ministres de l'intérieur successifs, selon une procédure rigoureuse et totalement transparente : devis, suivi administratif attentif par le ministère de l'intérieur et les services préfectoraux, vérification de la réalisation des travaux, certification des factures, en attestent. Ces aides soutiennent l'investissement des collectivités locales, en particulier dans les secteurs en difficulté comme le BTP, au même titre que la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) versée par l'État ou les aides de la région ou du département. J'espère que nous débattrons avec passion et conviction, utilement, afin de faire les bons choix, au service de l'intérêt général et de la rigueur. (Applaudissements depuis les bancs du groupe Les Républicains jusqu'aux bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Merci pour vos interventions, très riches, parfois critiques.

J'ai évité à dessein le mot « moralisation ». Il s'agit ici de fixer des règles de droit protectrices. Point donc de moralisation. Je ne suis pas certaine toutefois de soutenir l'intitulé de la commission des lois car la « régulation » ne dit rien du lien de confiance qu'il faut rétablir avec les Français. C'est pourtant l'enjeu.

Monsieur le président Bas, qui avez accompli un travail remarquable, il y a bien un souci de convergence, que vous avez appelé de vos voeux, entre nous, sur plusieurs propositions acceptables : ainsi, le Gouvernement vous a entendu sur l'attestation fiscale, la publicité de la réserve ministérielle, l'extension du droit de communication directe de la HATVP, la possibilité d'un délai pour laisser le temps aux collaborateurs membres de la famille des parlementaires de se retourner. Certes, il demeure des sujets pendants, comme la réserve parlementaire et l'IRFM, mais j'ai bon espoir que la convergence puisse avoir lieu et je vous fais part de ma volonté très forte de poursuivre notre travail en commun.

Monsieur de Montgolfier, sur l'analyse constitutionnelle de la réserve, j'ai entendu des rumeurs lorsque je me suis exprimée tout à l'heure. Facialement, il s'agit d'un amendement du Gouvernement. C'est une convention de la Constitution qui s'est mise en place, révélant une pratique qui n'est pas exactement conforme à ce que dit la Constitution. Nous en reparlerons.

Il faut aussi renforcer la transparence de la réserve ministérielle, d'un montant très modeste, je le rappelle. Les mesures que vous proposez y contribueront.

Vous avez développé vos craintes, vos oppositions à la banque de la démocratie...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.  - En l'état !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Si le Gouvernement souhaite une habilitation pour légiférer par ordonnance à ce sujet, c'est parce que le médiateur du crédit n'est manifestement pas une institution suffisante pour porter remède aux difficultés que rencontrent les partis politiques pour présenter des candidats aux élections.

Toutes les pistes sont ouvertes : structure dédiée, recours à un opérateur au mécanisme spécial de financement. Dans tous les cas, le Gouvernement travaillera avec le Parlement, en toute transparence, conformément à la procédure législative. La loi de ratification vous permettra de prendre parti sur ce que les ordonnances proposeront.

M. Sueur a mentionné « l'ombre et la lumière »...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je citais Jack Lang !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le jour et la nuit !

M. Roger Karoutchi.  - Il en est resté à 1981 !

M. François Bonhomme.  - Nostalgie, nostalgie...

M. Alain Richard.  - C'est un propos de Goethe pour 1789 !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Nous n'étions pas nés !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Dois-je répondre à toutes les interpellations ?

M. le président. - Non.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - La définition des partis politiques est une question éminemment sensible. Le sénateur Portelli l'avait évoquée lors de mon audition en commission. Les micro-partis n'entrent pas dans le cadre de la loi de 1988, c'est une question ancienne et récurrente.

Comme vous le suggérez, nous devons avancer dans le respect de l'article 4. J'entends votre proposition, monsieur Richard, de le compléter. Nous pourrons peut-être en débattre à un autre moment.

M. Sueur s'est aussi interrogé sur le bulletin numéro 2. Le Conseil d'État a souligné qu'une inéligibilité totale et automatique risquait d'être inconstitutionnelle. D'où notre dispositif qui laisse au juge un pouvoir d'appréciation. Quant à la fiscalisation des IRFM, c'est un vaste sujet qui ne peut être traité ici.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il suffit de fiscaliser toutes les indemnités parlementaires.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Cela relève d'une autre démarche.

Madame Bouchoux, je ne suis pas hostile par principe à la consultation citoyenne mais il est difficile d'ouvrir ce chantier alors que la discussion a déjà commencé.

Le Gouvernement veillera à respecter les principes généraux applicables au droit du travail sur le statut des collaborateurs parlementaires. Il appartiendra aux assemblées de dialoguer avec eux.

Merci pour vos propos, monsieur Richard. Oui, il faut être « lucide ». Selon une enquête parue dans Le Monde, 69 % des Français estiment que les élus sont corrompus. C'est atterrant. Je le ressens, sinon comme une vexation, comme un échec, à titre personnel.

M. Alain Fouché.  - Les médias se plaisent à en parler à longueur de journée.

M. Éric Doligé.  - Ils font de la démagogie permanente !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - « Fric-frac budgétaire », avez-vous dit ? Joli jeu de mots ! Il s'agit plutôt d'un « ping-pong » législatif, car c'est dans la loi de finances qu'il conviendra de statuer. Je suis certaine que nous trouverons un accord.

Je ne suis pas certaine qu'il faille interdire toute activité professionnelle aux parlementaires, comme le conseil par exemple : ce ne serait pas constitutionnel.

Mme Assassi, vous avez replacé à juste titre votre propos dans une perspective globale, au-delà même de son objet. C'est l'absence de résultats qui a conduit à cette situation.

Dire simplement que nos institutions ne reflètent pas la réalité du pays, c'est oublier les annonces du président de la République sur la proportionnelle, l'accroissement des pouvoirs de contrôle du Parlement ou l'indépendance de la justice par la réforme du statut du Parquet.

Vous avez raison monsieur Collombat : la loi ne suffira pas en elle-même à restaurer la confiance. Mais vos propos dépassent largement le cadre de ce texte. Je serai attentive à vos propositions.

Monsieur Capo-Canellas, il nous appartient en effet d'être collectivement à la hauteur des enjeux. Les questions que vous avez posées les rappellent. Vous avez souligné avec raison la nature fondamentalement démocratique de l'indemnité parlementaire. En effet, il faut que les parlementaires disposent des moyens d'exercer leur mandat.

La société n'accepte plus les emplois familiaux aujourd'hui. Prenons-en acte. Sur le parachèvement du statut des collaborateurs, aux assemblées de résoudre les difficultés dans la concertation.

La transparence a donné lieu à de mauvais procès en vertu, en effet, monsieur François Bonhomme, dont j'ai relevé les références historiques. Mais on ne procède plus comme Colbert ou Rousseau qui abandonnait ses enfants pour écrire ensuite des traités sur l'éducation...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Belle référence !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Monsieur Leconte, le Gouvernement sera très attentif, avec le concours de la commission des lois, à la séparation des pouvoirs. Le financement de la démocratie européenne, que vous avez évoqué, ne relève-t-il pas du seul règlement de l'Assemblée européenne ? (M. Jean-Yves Leconte fait signe que non.)

Monsieur Fouché, je n'ai jamais utilisé le mot « clientélisme » qui jette inutilement l'opprobre sur le travail des parlementaires...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Très bien !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Enfin, je dois vous faire part d'un désaccord avec M. Laménie qui a réclamé avec insistance le maintien de la réserve parlementaire. (Applaudissements sur la plupart des bancs depuis ceux du groupe La République en marche jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)