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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Immigration, droit d'asile et intégration (Procédure accélérée - Suite)

Explications de vote

M. Patrick Kanner

M. Dany Wattebled

M. Jean Louis Masson

M. Guillaume Arnell

M. François-Noël Buffet

M. Alain Richard

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

Questions d'actualité

Négligences de l'État envers les collectivités

M. Benoît Huré

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Pensions de réversion (I)

M. Jean-Claude Luche

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Pensions de réversion (II)

M. Michel Amiel

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Désertification médicale

Mme Véronique Guillotin

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Hôpitaux en Guyane et en métropole

Mme Laurence Cohen

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Le président de la République, chanoine de Latran ?

M. Alain Duran

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

Réforme de la zone euro

M. Emmanuel Capus

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Action publique 2022

Mme Christine Lavarde

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Europe et crise migratoire

M. André Gattolin

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Dysfonctionnements de la justice

M. Hugues Saury

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Dons aux associations

M. Jean-Michel Houllegatte

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Mises au point au sujet de votes

Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques

M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Jean-Pierre Decool

M. Franck Menonville

M. François Patriat

Mme Cécile Cukierman

M. Henri Cabanel

M. Daniel Gremillet

Mme Françoise Férat

M. Joël Labbé

M. Laurent Duplomb

M. Pierre Louault

Mme Nicole Bonnefoy

M. Pierre Cuypers

M. Stéphane Travert, ministre

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

Débat préalable à la réunion du Conseil européen

Orateurs inscrits

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Jean-Claude Requier

M. Pascal Allizard

M. André Gattolin

M. Pierre Ouzoulias

M. Philippe Bonnecarrère

M. Claude Raynal

Mme Colette Mélot

M. Claude Kern

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Mme Nathalie Loiseau, ministre

Débat interactif et spontané

Mme Nathalie Goulet

M. André Reichardt

M. Jean-Pierre Decool

Mme Pascale Gruny

Mme Christine Prunaud

M. Jean-Yves Leconte

Mme Catherine Morin-Desailly

M. René Danesi

M. Claude Raynal

M. Marc Laménie

M. Patrice Joly

Mme Victoire Jasmin

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Annexes

Ordre du jour du mercredi 27 juin 2018

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 26 juin 2018

102e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi, Mme Françoise Gatel.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Immigration, droit d'asile et intégration (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Explications de vote

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Pourquoi ce projet de loi ? Madame la Ministre, après une semaine de débats, nous ne comprenons toujours pas votre objectif. Ce texte est même contre-productif à plusieurs titres et fait un amalgame discutable entre asile et immigration.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est vrai !

M. Patrick Kanner.  - Cette loi est un épouvantail dissuasif qui n'aborde pas la seule vraie question : les moyens humains et financiers, renforcés lors du précédent quinquennat.

La maîtrise de l'immigration est une problématique européenne qui ne se règlera qu'à cet échelon. Comment la France pourrait-elle seule se prévaloir de le faire alors qu'elle n'est que rarement le pays d'entrée en Europe ? La polémique récente avec nos voisins italiens a bien rappelé ce problème de l'inégalité européenne face au flux de migrants.

Notre continent subit depuis cinq ans la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dès 2014, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, a pris la mesure du constat. L'Europe a tardé à mettre en place les mesures adoptées avec le renforcement de Frontex, le mécanisme de répartition ou encore la création de points d'accueil - que nous avons été fiers de défendre.

Le 20 juin Gérard Collomb mettait en garde : « l'Europe peut se démanteler sur les problèmes migratoires ». Plutôt qu'une loi isolationniste, il aurait fallu faire vivre la solidarité européenne.

Comment le droit d'asile sera-t-il amélioré si l'on contraint le délai de sa demande et ses conditions d'examen ? Vos mesures ne feront qu'affaiblir l'accueil des demandeurs d'asile, leur situation ne fera que s'aggraver.

L'objectif d'accélérer l'examen des demandes est louable ; il a été rempli par la loi de 2015. Pourquoi changer encore les règles ? La loi de 2015 est allée au bout de ce que nous pouvions faire en tant que pays d'accueil. Un droit d'asile européen est une pure fiction qui se heurte aux égoïsmes et nationalismes exacerbés.

Notre amendement sur le dispositif de Dublin a été rejeté, je le regrette.

Réussir l'intégration ? Vous annonciez un texte équilibré. Mais on ne saurait pondérer une remise en cause de nos valeurs et principes.

Nous prenons acte de certaines mesures introduites dans ce texte. L'accueil digne et le droit d'asile sont des valeurs auxquelles nous ne renoncerons pas. Loin d'être une loi de fermeté, cette loi est de fermeture.

Une loi ne fera jamais renoncer les migrants à venir en Europe.

La situation ne peut que s'aggraver. Vous avez fait de la surenchère et la majorité sénatoriale a embrayé malgré sa faible présence sur les bancs : les droits des étudiants étrangers ont été réduits.

Nous continuerons à combattre. Vous ne réussirez pas à effacer la valeur de la France. Nous aurions voté contre le texte de l'Assemblée nationale. Nous voterons avec encore plus de fermeté contre le texte sorti du Sénat.

Nous préférons intégrer plutôt que précariser. En ce jour anniversaire du chantre de la fraternité qu'est Aimé Césaire, citons-le : « Ce n'est pas par la tête que les civilisations pourrissent, c'est d'abord par le coeur ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) La question migratoire, sujet très sensible, est devenue un enjeu de souveraineté nationale et de cohésion nationale. Notre débat a été passionné et parfois difficile. L'enjeu est fort pour nos concitoyens car le phénomène n'est pas enrayé : alors que les demandes refluent en Europe, elles augmentent dans notre pays.

La France a délivré 262 000 titres de séjour en 2017 et 300 000 étrangers en situation irrégulière sont inscrits à l'Aide médicale d'État (AME), plus de 100 000 demandes d'asile ont été déposées l'an dernier. Quand on ajoute à cela que 96 % des déboutés de l'asile restent dans notre pays, on prend la mesure du problème. La situation est d'autant plus intenable que nos dispositifs d'accueil sont saturés.

L'insertion linguistique, économique et sociale des immigrants que nous accueillons est inférieure à celle des pays voisins - en Allemagne en particulier.

Ce texte tente de relever le défi. Nul ne peut prétendre au monopole du coeur. On peut constater une continuité politique entre tous les gouvernements, qui repose sur la recherche d'un équilibre entre immigration, intégration et droit d'asile. Le Gouvernement s'inscrit dans cette tradition française d'équilibre - et notre commission des lois a amélioré le texte, faisant preuve de pragmatisme et de réalisme.

Si nous voulons développer une solution globale, il nous faut de la volonté politique et des moyens financiers.

En mars 1945, de Gaulle appelait à un grand plan national pour intégrer avec « méthode et intelligence » l'immigration dans la population française.

Les moyens manquent pour mettre en oeuvre cette stratégie, en particulier les forces de l'ordre ; la Commission nationale du droit d'asile (CNDA) a vu progresser les demandes d'asile d'un tiers en 2017, à 53 000. Ce chiffre est impressionnant.

La question doit être portée au niveau européen. Nous espérons que le Conseil européen de cette semaine sera productif. Le sommet de dimanche dernier a montré une Europe divisée.

La France doit redonner corps à la promesse européenne de sécurité. Si nous échouons, nos débats n'auront servi à rien.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (MM. Emmanuel Capus, Jean-Marie Janssens et Mme Anne-Catherine Loisier applaudissent.)

M. Jean Louis Masson .  - (On s'exclame sur divers bancs.) Dans le passé, l'immigration conduisait à l'assimilation; elle conduit désormais au communautarisme, les flux de migrants menacent notre pays. Pour que la France reste la France (Exclamations), il est urgent de reprendre notre destin en mains.

Il faut lutter contre l'irresponsabilité de ceux qui soutiennent cette invasion migratoire. Prenons exemple sur la Hongrie et la Pologne, et maintenant l'Autriche et l'Italie.

Mme Laurence Cohen.  - Ah oui !

Mme Éliane Assassi.  - Nous avons des valeurs, nous !

M. Jean Louis Masson.  - Tout comme ces pays, nous devons fermer nos frontières, supprimer les aides sociales qui servent d'appel d'air, expulser les clandestins en situation irrégulière, expulser tout étranger qui commet un crime ou un délit sur notre sol, mettre un terme au laxisme à l'égard du communautarisme et de l'extrémisme musulmans ! (Exclamations à gauche)

Nos aides sociales sont une pompe aspirante, car les migrants choisissent de se rendre dans les pays où l'aide sociale est la plus forte, comme l'a souligné le ministre de l'Intérieur.

Commençons par régler les problèmes de nos concitoyens plutôt que ceux des autres. (Protestations à gauche) Certaines veuves d'agriculteurs ou de petits commerçants ne touchent que 300 euros par mois, alors que chaque migrant coûte 1 000 euros par mois ! (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)

Le 13 octobre 2015, j'avais dit que l'immigration d'aujourd'hui est le vivier du terrorisme de demain, les faits m'ont donné raison, contre les bien-pensants : trois semaines plus tard, il y avait l'attentat du Bataclan !

M. David Assouline.  - Amalgame !

M. Jean Louis Masson.  - Il y a un mois, on a découvert que nous hébergions un bourreau de l'État islamique recherché par toutes les polices. Or non seulement il avait été régularisé au titre de l'asile des migrants mais en plus il percevait les aides financières de l'État.

Face à ces faits, les tenants de la pensée unique crient à l'amalgame - alors que c'est seulement la terrible réalité !

La France doit rester la France. (On s'impatiente, les sénateurs CRCE et SOCR couvrent la voix de l'orateur en tapant sur leur pupitre, manifestant que le temps de parole est écoulé.)

M. Wauquiez lui-même le dit enfin : qu'il accepte donc de travailler avec ceux qui ont toujours été clairs sur le sujet !

Lors des prochaines élections, les Français sauront faire la différence. (MM. Sébastien Meurant et Stéphane Ravier applaudissent.)

M. Guillaume Arnell .  - Nous partageons tous le constat de notre rapporteur sur les insuffisances actuelles de notre système d'accueil des migrants sur notre territoire. La saturation de l'hébergement menace la dignité des migrants, l'État ne fait pas respecter les décisions d'éloignement, les moyens manquent pour l'intégration.

Il est donc regrettable que nous n'ayons pas su dépasser nos clivages politiques pour nous livrer à une évaluation scrupuleuse des données. La dimension prospective est pourtant essentielle.

Peu de chose sur les outre-mer et une difficulté à légiférer sur l'admission au séjour à Mayotte sans toucher au droit de la nationalité. Une approche globale nous a manqué.

Le texte ne fait que modifier le système procédural des demandes d'asile et d'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Le rééquilibrage de notre rapporteur déplace le curseur de la fermeté à l'égard des étrangers sans renforcer la protection de leurs droits fondamentaux. La justice sans la force est impuissante mais la force sans justice est tyrannique écrivait Blaise Pascal.

Quel sens aurait un État de droit qui protégerait mieux les individus vulnérables que ceux qui savent défendre leurs droits ? C'est pourtant ce que fait ce texte en facilitant les télé-audiences, en étendant les cas de recours devant un juge unique, ou encore, dans certains cas, en supprimant l'effet suspensif du recours.

Le rapporteur a certes fait preuve de sagesse, en allongeant le délai de recours devant la CNDA, mais avec réserve puisqu'il n'a pas abrogé le délai pour les personnes concernées par une procédure selon le règlement de Dublin.

Il faut assurer aux étrangers présents sur notre sol un accès au juge dans des conditions conformes à notre héritage juridique. Dans bien des contentieux, l'accès au juge a pour fonction de faire entendre justice auprès des publics les moins informés.

Attention à ne pas réduire le débat à la conformité à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou à la réglementation européenne.

Il revient au législateur de prendre une position claire plutôt que de se cacher derrière d'autres textes, d'autres autorités. Avec mes collègues, nous nous sommes opposés à la rétention en centres de rétention administrative des mineurs accompagnés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM et RDSE)

Nous ne pouvons nous satisfaire de l'adoption que de quelques amendements, comme celui qui rend obligatoire la présence d'un interprète. Ce texte aurait mérité d'être plus long encore.

Le groupe RDSE votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, LaREM et RDSE)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous arrivons au terme de l'étude de ce texte. Madame la Ministre, le groupe Les Républicains souhaite vous dire ses regrets. Nous attendions un grand texte sur l'immigration et l'asile qui porterait une stratégie claire...

Mme Esther Benbassa.  - Vous attendiez un texte indigne !

M. François-Noël Buffet.  - ... qui conclurait la série des 29 textes qui se sont succédé depuis les années quatre-vingt. Ensuite, nous aurions souhaité éviter la procédure accélérée qui nous a empêchés d'aller au bout des choses.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est vrai.

M. François-Noël Buffet.  - Des manquements rendaient le texte faible. L'absence de la problématique de l'outre-mer, de celle de l'accueil des mineurs le rendaient insuffisant.

Il y a aussi deux grands absents : l'Union européenne et les moyens budgétaires.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Et aussi le ministre de l'Intérieur... (Sourires)

M. François-Noël Buffet.  - Le groupe Les Républicains a décidé de réécrire le texte pour lui donner du sens. Nous sommes favorables à une politique d'intégration digne de ce nom pour recevoir moins mais mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous souhaitons que les procédures du droit d'asile soient continues, plus simples et plus rapides, pour que la protection soit accordée plus rapidement à ceux qui en relèvent, plutôt que de servir de moyens d'action aux passeurs. Vis-à-vis de l'immigration illégale, nous devons être extrêmement fermes. Il faut arrêter de croire que tous les migrants sont des réfugiés.

Le projet de loi a progressé. Nous avons introduit la notion d'aide médicale d'urgence, instauré un débat annuel sur la politique migratoire.

Dire les choses, c'est se donner la chance de trouver des solutions. Nous avons adapté le droit de la nationalité à Mayotte. Nous avons nettement amélioré la politique d'intégration. Nous avons limité la durée de rétention aux mineurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous avons renforcé l'enseignement du français. Nous avons invité les collectivités territoriales au débat et travaillé sur le fichier national des reconnus majeurs.

Une politique migratoire doit marcher sur deux pieds et s'inscrire dans la durée. Les enjeux sont européens. Faute d'une stratégie claire, nous sommes peut-être à l'aube d'une dislocation européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La réforme du règlement de Dublin a débuté en 2014 et n'avance pas.

Je veux aussi saluer la diplomatie parlementaire. Notre président Gérard Larcher était hier au Maroc pour travailler à ces sujets avec son homologue. Ils ont réaffirmé leur volonté de lutter contre l'immigration irrégulière.

Ce projet de loi, réécrit, retrouve de la cohérence - merci aux collaborateurs de la commission et à chacun de vous d'avoir rendu ce débat utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Alain Richard .  - Notre échange de cet après-midi conclut un débat intense et complet. Le groupe LaREM est favorable aux objectifs de ce texte : améliorer les procédures d'asile, renforcer l'intégration, en particulier son volet familial, rendre effectives les reconduites à la frontière. Le raccourcissement de la procédure de demande d'asile correspondait aux souhaits des demandeurs.

Le choix d'améliorer le contrôle sur notre territoire est une responsabilité régalienne. Nous souhaitons tous plus de coopération européenne mais je rappelle que c'est une compétence nationale. Nous allons vers une période très difficile. Le résultat probable de la rencontre européenne sur la migration est des accords partiels locaux. La survie de l'accord de Schengen est en cause.

Je salue le travail du rapporteur et non de l'orateur qui m'a précédé ; mais des divergences demeurent. La majorité du Sénat a tenu à montrer son opposition au Gouvernement sur ce projet de loi. Remplacement de l'AME par un système inconnu à ce jour ; automaticité du refus ou du retrait de titres, contraire aux principes de base de notre droit et bafouant le principe de libre appréciation des autorités sous le contrôle du juge ; ou encore limitations excessives au droit de la réunion des familles.

Le groupe LaREM votera donc contre ce projet de loi déformé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jean-Claude Requier et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi .  - Une toile de fond sinistre s'est déployée au Sénat pendant que nous discutions ce texte. Le Guardian a publié la liste de 34 361 migrants morts depuis 1993 en tentant de rejoindre la forteresse Europe.

La semaine dernière, 629 migrants ont été ballotés sur la Grande Bleue, à 7 kilomètres des côtes françaises, avant d'être accueillis à Valence. Dimanche, la tragédie reprenait pour 239 migrants dont quatre bébés.

En 2015, la question était de savoir comment répartir les réfugiés ; maintenant, il s'agit de les empêcher d'arriver. Le président Macron fait le grand écart, il critique l'Italie mais refuse d'accueillir l'Aquarius : l'hôpital se moque de la charité ! On veut créer des quotas, sans s'interroger sur les motifs qui poussent des milliers de gens à migrer.

Vous remplacez l'aide médicale d'État par un dispositif d'urgence, alors que Médecins du monde et le Centre Primo-Levi alertent sur les traumatismes des exilés liés à leur errance : tentative de suicide, automutilation, décomposition, addictions et développement de troubles psychiatriques.

Vous rétablissez le délit de solidarité, que l'Assemblée nationale avait assoupli.

Vous ouvrez une brèche au droit du sol à Mayotte.

La commission des lois, drapée de sa cape de défense des libertés, a allongé à cinq jours la durée initiale de rétention. Elle a aussi, de fait, légalisé la rétention des enfants.

La grande majorité de nos amendements a été rejetée alors qu'ils défendaient les droits fondamentaux des migrants. Dans une Europe en proie à la montée des nationalismes, la France doit jouer un rôle. La Banque mondiale estime à 148 millions le nombre de réfugiés climatiques d'ici à 2050. Qu'en ferons-nous ?

M. Stéphane Ravier.  - Accueillez-les chez vous !

Mme Éliane Assassi.  - Ce projet de loi n'offre aucune issue à ce défi humanitaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'histoire s'est accélérée en une semaine. Notre débat de mardi dernier a témoigné d'un malaise. Les modes de régulation pensés par les Européens ont failli.

Il faut clarifier notre pensée et notre action - notre débat a eu au moins ce mérite. La clarification, pour les centristes, passe par une Europe plus forte et plus aboutie. La solution sera européenne ou ne sera pas. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Nous sommes interdépendants. La souveraineté française trouve sa pleine expression dans une souveraineté partagée. Nous faisons confiance au président de la République que nous savons moteur sur l'Union européenne. L'idéal serait un accord européen sur le fond : il paraît peu probable.

La deuxième solution serait une coopération renforcée, celle d'une Europe à plusieurs vitesses, avec un groupe de pays pionniers, en rappelant que le droit d'asile n'est pas soumis à la règle de l'unanimité. (M. Michel Canevet applaudit.)

Une dernière solution serait des accords intergouvernementaux.

Nous analysons ce projet de loi comme un texte de transition - et regrettons la procédure accélérée. La solution est à une autre échelle.

La question du long terme se pose. Le terme de « crise » n'est plus adéquat. La réponse aux migrations est le sujet de toute une génération. Nous voterons ce texte malgré ses défaillances, comme une proposition. L'échec de la CMP serait une catastrophe, perdant-perdant. Ainsi, le groupe centriste n'adopte pas avec ce texte un contre-projet à celui du Gouvernement mais une base de discussion en CMP. Nous souhaitons un rapprochement avec l'Assemblée nationale car le sujet est grave. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Chers collègues socialistes et CRCE, nous reconnaissons que vous avez posé une bonne question : jusqu'où l'adoption de mesures répressives défend-elle contre la montée des populismes ? Où est la limite pour ne pas être les otages d'une surenchère permanente ?

Madame la Ministre, nous comptons sur vous pour la CMP même si les réactions observées cet après-midi ne laissent pas présager la facilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. le président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des Conférences.

Je remercie nos collègues M. Éric Bocquet et Mmes Jacky Deromedi et Françoise Gatel, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et je suspends la séance jusqu'à 16 h 25, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 25.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°171 sur l'ensemble du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote.

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l'adoption 197
Contre 139

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Je voudrais vous remercier pour votre participation à ce débat important. En particulier, je tiens à remercier le président Bas et le rapporteur de la commission des lois, ainsi que tous les vice-présidents, qui ont contribué au bon déroulement des discussions.

Au-delà des divergences sur des détails mais aussi sur des points plus importants, voire majeurs, l'ambiance a été bonne.

Aux divergences mentionnées par le rapporteur, j'ajoute celles sur les quotas et sur l'aide médicale d'État.

Le Gouvernement forme des voeux pour que les uns et les autres soient suffisamment éclairés et fassent preuve d'ouverture d'esprit, en perspective de la CMP qui aura lieu la semaine prochaine.

Tous les orateurs ont repris le triptyque sur lequel repose notre politique d'immigration : la responsabilité nationale, la nécessaire coopération européenne dans un contexte difficile, enfin, une diplomatie active avec les pays de départ, de transit et d'arrivée, certains comme le Maroc étant tout cela à la fois. Certes, la diplomatie n'est pas toujours facile, mais vous pouvez compter sur le volontarisme du président de la République, du Premier ministre et du ministre d'État, ministre de l'intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. le président.  - Je profite de l'occasion pour remercier les secrétaires qui ont assuré le bon déroulement des opérations de vote : Mmes Françoise Gatel et Jacky Deromedi et M. Éric Bocquet.

La séance suspendue à 16 h 30 reprend à 16 h 45.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat, en même temps que nous subissons la concurrence du match de la France... (Sourires)

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

Négligences de l'État envers les collectivités

M. Benoît Huré .  - Neuf milliards d'euros par an : c'est en moyenne ce que l'État ne rembourse pas aux départements qui versent les allocations de solidarité pour le compte de la Nation. Depuis 2012, de négociations en négociations, on achoppe sur le financement des politiques de solidarité et le financement n'est toujours pas pérenne, mais des fonds d'urgence sont mis en place pour venir en aide aux départements les plus accablés. La prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) s'y est ajoutée. À ce jour, nous ne disposons que de fonds d'urgence qui maintiennent la tête des départements hors de l'eau.

Le Gouvernement a prévu une aide supplémentaire de 250 millions d'euros pour les Allocations individuelles de solidarité (AIS), ce qui est mince mais a été accepté par les départements dans un esprit constructif.

À 77 %, les départements se sont prononcés contre le principe du pacte financier car les modalités de sa mise en oeuvre restent trop floues. À la surprise générale, certains membres de votre administration ont dit que sans signature, les propositions du Gouvernement ne seraient pas mises en oeuvre. C'est un chantage et un autoritarisme déplacé.

Pour se redresser, la France a besoin de tous : État, collectivités et notamment les départements. Chacun doit faire sa propre part d'efforts. Pour que la confiance s'installe, la concertation est nécessaire.

Qui les départements doivent-ils croire ? Certains membres de votre administration ou vous, Monsieur le Premier ministre, qui nous avez fait des promesses, la semaine dernière encore ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et quelques bancs du groupe UC)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Depuis très longtemps, les relations financières entre l'État et les départements sont compliquées. Le dynamisme des dépenses sociales dites AIS est tel que les départements doivent faire des efforts colossaux pour les financer. À cela s'ajoute la prise en charge de plus en plus lourde des mineurs non accompagnés (MNA).

Les gouvernements successifs ont prévu année après année l'attribution de 140 millions d'euros aux départements sous forme de fonds d'urgence. Conscient des difficultés, le Gouvernement s'est rapproché de l'Assemblée des départements de France (ADF). S'agissant des mineurs non accompagnés, il s'est engagé à ce que l'État reprenne en main certaines responsabilités, il a créé un fichier national pour éviter les redoublements des coûts de traitement des dossiers et a veillé à éviter une prise en charge allongée par les départements. Cette proposition convient, semble-t-il, aux départements.

S'agissant des AIS, le Gouvernement a dit qu'il était prêt à mettre sur la table 250 millions d'euros - beaucoup plus que les 140 millions jusqu'à présent versés - et qu'il laissait aux départements le soin d'organiser une péréquation horizontale accrue.

Si les départements en sont d'accord, ils pourront augmenter les Droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ce qui consisterait en une augmentation des prélèvements obligatoires ; ce n'est pas exactement ma tasse de thé. Les départements nous ont fait savoir que cette proposition ne leur convenait pas, d'où notre retrait.

Les collectivités territoriales contractantes bénéficieront de l'engagement de stabilité pris par le Gouvernement. Les collectivités qui ne souhaitent pas signer les contrats seront bien sûr respectées, dans le cadre de l'article de loi voté et déclaré conforme par le Conseil constitutionnel.

En cas de dépassement de la norme de 1,2 %, les conséquences ne seront pas identiques pour les collectivités signataires et pour les autres.

Aucun chantage, là-dedans, mais une négociation claire. (Applaudissement sur les bancs du groupe LaREM)

M. Benoît Huré.  - Il faut mettre fin aux incompréhensions qui opposent l'État aux collectivités locales et particulièrement les départements. La solidarité nationale ne peut s'exercer sans eux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Pensions de réversion (I)

M. Jean-Claude Luche .  - Le Gouvernement a engagé une réflexion sur les pensions de réversion. Mme la ministre a affirmé que le Gouvernement ne toucherait pas aux acquis et aux pensions déjà versées. Ce débat a néanmoins suscité de nombreuses inquiétudes. Les pensions de réversion concernent pour 90 % des femmes. Elles compensent souvent des écarts de salaires entre les femmes et leur mari. Comment ferez-vous pour tenir compte des nouvelles formes de familles, qu'il s'agisse du PACS ou des familles recomposées ?

Après la hausse de la CSG, l'annonce de la réforme des pensions de réversion pointe une fois de plus du doigt les retraités.

Quand annoncerez-vous vos décisions ? Plus tôt sera le mieux pour sécuriser chacun. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Dès juin 2017, avant même les élections législatives, nous avions annoncé qu'il y aurait outre une réforme du droit du travail et de la formation professionnelle, une réforme globale des retraites en 2019. Nous avions annoncé que nous consacrerions l'année 2018 à la réflexion et à la concertation car le sujet est redoutablement complexe et au coeur de notre pacte républicain. La précipitation aurait été contreproductive.

C'est pourquoi nous avons nommé un haut-commissaire pour consulter tous les acteurs : organisations syndicales, organisations patronales, représentants de la société civile, ensemble des forces politiques. Les objectifs sont simples : préserver notre système de retraite par répartition, garantir la solidarité nationale, faire face au vieillissement de la population. La question des pensions de réversion est essentielle : c'est une nécessité pour les femmes qui en bénéficient, mais les inégalités entre les bénéficiaires sont criantes, car il existe treize régimes bien différents les uns des autres, notamment en raison de la situation du conjoint.

Tous les dossiers liés à la retraite sont sur la table. Il ne s'agit pas de faire disparaître les pensions de réversion, car elles sont une forme de solidarité pour ces femmes qui ont renoncé à leur carrière pour élever leurs enfants. Mais nous voulons plus d'égalité.

En aucune façon le Gouvernement ne travaille à une remise en cause des pensions de réversion. Ne laissons pas prospérer les angoisses. Mais l'année prochaine, nous aurons les décisions à prendre pour sauver notre système et aussi traiter la question de la dépendance. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe UC)

Pensions de réversion (II)

M. Michel Amiel .  - Bis repetita placent. Je ne cacherai pas l'inquiétude de la population sur les pensions de réversion. La rumeur, le plus vieux média du monde, circule et empoisonne le débat. Il y a déjà eu la suppression de la demi-part des veuves par M. Sarkozy. Bien sûr, les pensions de réversion, c'est 4,4 millions de bénéficiaires pour un coût de 36 milliards soit 1,5 point de PIB ; sans oublier que 89 % des pensions de réversion sont versées aux femmes.

La volonté d'harmonisation est au coeur de la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement.

La remise à plat sera-t-elle à enveloppe constante ? Quand l'harmonisation s'appliquera-t-elle ? Les conjoints qui bénéficient aujourd'hui d'une pension de réversion seront-ils touchés ? Je sais que le Gouvernement ne réforme pas pour le plaisir de réformer, mais parce qu'il souhaite un système juste et pérenne pour l'équilibre des comptes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Notre système de retraite, avec ses multiples régimes et multiples règles, est inéquitable et illisible. Il crée de l'anxiété notamment pour les jeunes générations qui sont persuadées qu'elles n'auront pas de retraite. Diverses questions ont été posées aux partenaires sociaux et sont en discussion, sous l'égide du haut-commissaire à la réforme des retraites, M. Jean-Paul Delevoye.

Elles portent sur le système universel de répartition ; la construction d'un système de redistribution solidaire qui tienne compte des droits non contributifs liés à la maternité, au chômage à la maladie. Les droits familiaux sont aussi abordés, d'où la question des pensions de réversion. L'égalité homme-femme doit être prise en compte. L'objectif n'est bien évidemment pas de réduire les pensions de réversion des femmes.

Trois autres blocs seront discutés cet automne : les conditions d'ouverture des droits à la retraite, la reconnaissance des spécificités de parcours professionnels et les modalités de transition entre nouveau et ancien régime. Ce débat sera passionnant. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Désertification médicale

Mme Véronique Guillotin .  - Madame la Ministre de la santé, vous étiez entendue ce matin à l'Assemblée nationale sur la question de l'égal accès aux soins. Cette audition intervient dans un contexte de grande tension dans les hôpitaux.

Dans une lettre au Premier ministre, 175 médecins affirment ne plus pouvoir assurer leur mission de service public faute de moyens dans les hôpitaux. Les services d'urgence sont les plus touchés et la situation devrait encore s'aggraver d'après une étude de l'ARS Île-de-France : pendant les deux mois d'été, durant 600 journées de vingt-quatre heures, il manquera un médecin dans un service d'urgence de la région. Pour répondre à cette situation, un décret a été publié début juin pour modifier l'organisation des lignes de garde. Les syndicats se sont opposés à cette mesure qui répond pourtant à une nécessaire réorganisation des services.

En Meurthe-et-Moselle, la maternité de Mont-Saint-Martin est menacée de fermeture en raison d'un trop grand nombre de médecins remplaçants, alors qu'elle enregistre 670 naissances chaque année, dans un territoire où le préfet de région vient de se voir confier une mission de prospective par Jacques Mézard.

Vous ne portez pas la responsabilité de l'absence de réformes de vos prédécesseurs et vous avez eu le courage d'annoncer une refonte du système de santé. Quelle place accorderez-vous aux hôpitaux de proximité et êtes-vous en mesure de rassurer les habitants de mon territoire sur le maintien de cette maternité ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Dans certains territoires, nous faisons face à de grosses difficultés en matière d'urgence et d'obstétrique où le recrutement des médecins est difficile. C'est le résultat de trente ans de mauvais choix des gouvernements successifs (On proteste sur les bancs des groupes Les Républicains et CRCE.) qui ont réduit le numerus clausus. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe UC). Ils n'ont pas anticipé le besoin de temps des soignants, d'autant que les jeunes médecins aspirent à mieux concilier leur profession avec leur vie personnelle.

Les services d'urgence qui nécessitent huit médecins à temps plein sont particulièrement touchés. Il en va de même pour les services de gynécologie obstétrique. Si l'on fait appel à des intérimaires, on met en jeu la santé des patients et des parturientes. D'où la nécessité des mutualisations. Les hôpitaux de proximité seront préservés. Nous sommes mobilisés pour transformer notre système de santé afin d'assurer la qualité des soins partout en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Hôpitaux en Guyane et en métropole

Mme Laurence Cohen .  - Au centre hospitalier de Cayenne, 17 médecins urgentistes ont annoncé leur démission le 3 juillet prochain, victimes d'un ras-le-bol face aux bâtiments vétustes, au nombre de lits insuffisants, aux manques de praticiens, aux défaillances de la médecine générale...

En Guyane, comme partout ailleurs, les dysfonctionnements résultent de la défaillance du système de santé, ce que nous avions dit en juillet 2017 dans le rapport d'information de la commission des affaires sociales de Mme Génisson et M. Savary.

Quelles mesures d'urgence comptez-vous prendre pour combler le manque de praticiens à Cayenne, comme dans toute la Guyane et les autres départements ultramarins qui vivent de façon encore plus aigüe la crise de notre système de santé ?

Pourquoi attendre des actions lourdes de conséquences comme la démission de praticiens, la grève de la faim dans l'hôpital psychiatrique de Rouvray ou la démission de 35 maires dans la Nièvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - La modernisation du centre hospitalier de Cayenne est programmée. Le comité de performance et de modernisation de l'offre de soins hospitaliers a donné le 19 juin son accord au plan. Une enveloppe de 40 millions d'euros sera débloquée.

S'agissant des urgences, les ARS reçoivent les médecins qui en font la demande et elles rencontrent les médecins de ville pour réguler les soins d'urgence.

La réserve sanitaire de l'armée a été mobilisée. Des médecins étrangers formés aux urgences sont aussi sollicités. Nous avons créé 100 postes d'assistants spécialistes pour les DOM dont bénéficiera la Guyane. Une nouvelle séquence de négociation a commencé aujourd'hui même et nous mettons tout en oeuvre pour qu'un accord soit conclu.

Une mission d'audit du professeur Pierre Carli, président du Conseil national des urgences hospitalières, est prévue du 7 au 9 juillet pour évaluer la situation des urgences de Cayenne.

Toutes les mesures ont été prises pour redresser la situation dégradée.

Mme Laurence Cohen.  - En fait, l'hôpital public, symbole de l'excellence de notre système de santé, est en difficulté partout. Vous dites être à l'écoute : ce n'est pas ce qui nous est dit. Les aides-soignantes, les infirmières, les chefs de services, tous appellent au secours !

Il faut créer 100 000 postes, supprimer la taxe sur les salaires, mettre fin à l'Ondam et la politique d'austérité qui met à genoux les hôpitaux.

Nous poursuivrons notre tour de France des hôpitaux et élaborerons avec eux un programme de réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Le président de la République, chanoine de Latran ?

M. Alain Duran .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Aujourd'hui, le président de la République accepte le titre de premier et unique chanoine d'honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Henri IV avait initié cette pratique en 1604, avant que la Révolution ne la fasse tomber en désuétude jusqu'en 1957.

Il ne s'agit ni d'une obligation institutionnelle - la Constitution rappelle que la France est une République laïque, la loi de 1905 précise que la République ne reconnait aucun culte - ni d'une coutume traditionnelle : Georges Pompidou, François Mitterrand et François Hollande s'en sont tous trois abstenus. Il s'agit plutôt d'un énième dévoiement de la laïcité au profit d'un oecuménisme communautariste qui affaiblit la République. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) En février 2017, le président regrettait que la loi sur le mariage pour tous n'ait humilié une partie des catholiques ; en avril dernier, il déclarait vouloir « réparer le lien qui s'est abîmé entre l'Église et l'État »...

Alors que votre majorité se fissure sur la déclaration du lobbying des associations cultuelles auprès des décideurs publics, quel est le sens de cette visite au moment où les fondements de notre République laïque sont affaiblis par les revendications identitaires et communautaristes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE ; Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Le président de la République et le Gouvernement n'ont jamais dévié d'un attachement profond à la loi de 1905, conçue par Aristide Briand comme une laïcité de liberté, chacun étant libre de croire ou de ne pas croire, et d'exercer son culte dans de bonnes conditions.

Cette visite d'État est l'occasion pour le président de la République de rencontrer le Pape, qui est aussi chef d'État, pour échanger sur les migrations, le changement climatique, l'aide au développement, la situation des chrétiens d'Orient ou la protection des minorités.

Le titre de chanoine de Latran est un titre laïc, sans aucune dimension spirituelle, et purement honorifique. Il revient au chef de l'État français depuis Henri IV ; tous les présidents de la République ont eu ce titre, même si tous n'ont pas fait le voyage. (Mouvements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Michèle Vullien applaudit.)

Le président de la République poursuit son dialogue avec toutes les religions. Il n'y a pas lieu de polémiquer. L'histoire est l'histoire, la religion en fait partie. Au-dessus de vous, dans cet hémicycle, Monsieur le Sénateur, Saint-Louis vous observe ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC, Les Indépendants et Les Républicains)

Réforme de la zone euro

M. Emmanuel Capus .  - Une réunion cruciale de l'Eurogroupe s'est tenue la semaine dernière. L'accord sur la dette grecque a été acté. Après une décennie de sacrifices, la Grèce a récupéré son autonomie financière : c'est un grand moment pour la Grèce, la France et la zone euro, enfin capable de sortir de la crise.

Le projet de réforme de la zone euro présenté par M. Macron et Mme Merkel est équilibré : entre l'idée française d'un budget commun et la volonté allemande de créer un Fonds monétaire européen, il associe rigueur budgétaire et investissement dans l'avenir.

Mais bien des questions restent en suspens : financement, utilisation, volume de ce budget. Le président Macron s'est heurté au refus de la chancelière d'annoncer un montant précis. Espérons que la montagne française n'accouchera pas d'une souris allemande ! (On apprécie diversement.)

La zone euro est plus divisée que jamais. Les Pays-Bas ont pris la tête d'une fronde de douze pays contre le projet franco-allemand. La chancelière est affaiblie, l'unité de l'Eurogroupe est rompue, la France apparaît bien seule pour porter une ambition européenne forte.

Comment comptez-vous convaincre nos partenaires de réformer la zone euro avec nous pour construire une union économique et monétaire plus protectrice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - L'accord sur la Grèce est une avancée majeure, après dix années de soutien. Les difficultés de la Grèce ont révélé les faiblesses de la zone euro. Celle-ci s'est réformée grâce au mécanisme européen de stabilité, mais le statu quo n'est pas une option. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une union monétaire qui ne soit pas une union économique. Nous avons renforcé le mécanisme européen de stabilité. D'où la feuille de route que nous avons élaborée avec l'Allemagne. Nous voulons parachever l'union bancaire, renforcer le mécanisme européen de stabilité, créer un budget de la zone euro pour une Union européenne prospère et stable.

Nous devons porter nos propositions au sein de l'Eurogroupe. Nos partenaires ont convenu que les propositions de travail étaient solides. Les discussions font partie d'un processus normal et sain. MM. Le Maire et Scholz sont déterminés à convaincre nos partenaires, car il faut avancer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM)

Action publique 2022

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La France est championne, non de football, mais de la dépense publique ! Cela fait cinquante ans que les gouvernements successifs s'efforcent de rendre celle-ci plus efficace.

J'ai participé avec enthousiasme au Comité Action publique 2022, qui devait être celui d'un nouveau monde. Plutôt que présenter un énième plan d'économies, le Premier ministre promettait quelque chose de radicalement différent, plus intelligent et durable : transformer en profondeur l'action publique.

Au terme des travaux, mon enthousiasme s'est éteint et cet espoir n'est plus que mirage : ni simplification, ni rationalisation, ni mutualisation, seules quelques propositions d'économies ont été retenues...

Les travaux de ce Comité seront-ils portés à la connaissance des parlementaires, des élus et des citoyens ? On sait l'inefficacité d'une vision purement technocratique. Quel est le montant du plan d'économies ? Son calendrier ? Les efforts porteront-ils uniquement sur le budget de l'État ou aussi sur les collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - En 2017, pour la première fois depuis 2009, nous avons ramené le déficit sous la barre des 3 %, ce qui a permis à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif. Cela résulte d'une amélioration de la conjoncture mais aussi des efforts du Gouvernement...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Et François Hollande ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - ... qui a contenu la croissance des dépenses publiques à 1,8 % du PIB, en deçà des 2,2 % prévus. (Mouvements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous allons poursuivre.

Le groupe de travail Action publique 2022 est au coeur de la réflexion du Gouvernement pour transformer l'action publique en profondeur. Ses propositions sont en cours d'évaluation : mon ministère a ainsi engagé une revue des aides publiques aux entreprises.

Chaque ministère est en train de définir son plan d'action ; ils seront présentés au Premier ministre au cours des prochaines semaines. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Christine Lavarde.  - Membre du Comité, je n'ai pas eu connaissance de son rapport. Le Gouvernement agit, dites-vous ? Mais sur quelles bases ? Avec quels objectifs ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Europe et crise migratoire

M. André Gattolin .  - Depuis une semaine, les réunions européennes sur les migrations et le droit d'asile se succèdent, et le sujet sera à l'agenda du prochain Conseil européen. Il y a urgence mais, vu les divergences, peu de chances qu'un accord unanime soit trouvé. L'Europe doit pourtant impérativement réagir au refus des pays de Visegrad d'honorer leurs quotas d'asiles.

Faut-il conditionner l'attribution des fonds structurels européens à l'accueil effectif de réfugiés, comme l'a suggéré le président Macron ? L'inscription d'une telle conditionnalité dans le prochain cadre financier pluriannuel n'est pas acquise.

Il faut aussi des mesures plus incitatives. La Commission envisage de créer une agence européenne pour l'asile. Certains imaginent une contractualisation entre l'Union et les collectivités volontaires pour accueillir des migrants, qui recevraient des fonds pour l'accueil ainsi qu'un bonus. Que pense le Gouvernement de ces différentes pistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - L'Europe est à la croisée des chemins. Tout ce qui a été bâti depuis des décennies peut se déliter très rapidement, comme le montre déjà le Brexit. L'Union européenne est soumise à un test de solidité en matière de politique commerciale comme de politique migratoire. C'est en commun qu'il nous faut apporter des réponses, basées sur des principes simples de responsabilité et de solidarité.

Nous agissons pour améliorer la coopération avec les pays d'origine et de transit. La France s'est engagée à consacrer 0,55 % de son RNB à l'aide au développement, l'Alliance pour le Sahel prend forme...

L'Ofpra dépêche des missions en Libye, au Tchad ou au Niger pour que les personnes éligibles au droit d'asile n'aient pas à traverser la Méditerranée au péril de leur vie. Il faut aussi renforcer Frontex en portant le nombre de garde-frontières de 1 200 à 10 000.

L'idée d'une agence européenne pour l'asile est fortement soutenue par la France et l'Allemagne et fera l'objet de débats dans les prochains jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Dysfonctionnements de la justice

M. Hugues Saury .  - Il y a une semaine, douze individus, dont neuf détenus, soupçonnés de trafic de drogue devaient comparaître devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Huit prévenus incarcérés ont été remis en liberté faute de magistrats disponibles à la suite de l'arrêt maladie de la juge en charge du dossier.

Il est inacceptable de voir une audience annulée par manque de moyens humains. La remise en liberté des prévenus par un jeu d'actes manqués ridiculise et épuise notre système judiciaire, d'autant que cette affaire n'a rien d'exceptionnel. La crise que subit l'institution ne peut pas tout excuser.

Allons-nous vraiment attendre mars 2019 pour que ces trafiquants soient jugés ? Comment comptez-vous régler ces situations pour qu'elles ne puissent se reproduire ? Elles créent un sentiment d'impunité chez les délinquants et de désespérance chez les magistrats, les policiers et les victimes. Il y va de la crédibilité du système judiciaire et légal français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - La décision du tribunal de Pontoise m'a choquée.

M. Gérard Longuet.  - Vous n'êtes pas la seule !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Elle est grave car elle entraîne une remise en liberté des prévenus, même s'ils restent sous contrôle judiciaire. Je me permets ce jugement car il porte sur le fonctionnement de la justice.

Le TGI de Pontoise a un effectif de 70 magistrats dont 68 présents. Les deux postes vacants, un juge de l'application des peines et un juge d'instance, ne concernent pas le tribunal correctionnel. En septembre, le recrutement de nouveaux magistrats comblera l'une des deux vacances. Le budget de la justice pour 2018 et les années suivantes permettra de nombreux recrutements.

Sur cette affaire, j'ai saisi les chefs de cour de la cour d'appel de Versailles pour solliciter des précisions sur l'organisation générale du service correctionnel, notamment sur l'audiencement et le dispositif de remplacement des magistrats. J'ai demandé un rapport circonstancié sur le déroulement de l'audience et sur l'impossibilité d'examiner cette affaire avant plus d'un an. La présidente de la juridiction a-t-elle été informée en amont ? J'ai enfin demandé à être éclairée sur les difficultés particulières qui auraient justifié un tel report. En fonction de ces éléments, j'envisagerai ou non une saisine de l'Inspection générale de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, UC et sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. Hugues Saury.  - Merci, Madame la Ministre, pour la sincérité de vos propos. J'aurais aimé être pleinement rassuré... La répétition de ce type d'incident révèle des dysfonctionnements à traiter d'urgence. Ne confortons pas le sentiment d'impunité des délinquants. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Dons aux associations

M. Jean-Michel Houllegatte .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Les associations qui jouent un rôle déterminant pour la cohésion sociale, déjà fragilisées par la baisse des contrats aidés et des subventions, subissent les conséquences de la transformation de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les contribuables qui sont sortis du calcul de cet impôt ont de facto perdu la possibilité de bénéficier de la réduction de 75 % sur les dons : résultat, ceux-ci ont baissé de 50 à 60 %, soit une baisse de recettes de 130 millions d'euros sur les 273 millions d'euros collectés en 2017.

De même, la hausse de la CSG a entraîné une diminution des dons, modestes mais réguliers, des retraités dont le pouvoir d'achat a baissé.

Ajoutez à cela l'incertitude autour du prélèvement à la source...

M. Albéric de Montgolfier.  - Décision du gouvernement socialiste !

M. Jean-Michel Houllegatte.  - ... qui perturbe la campagne de collecte de dons en 2018. Bon nombre d'associations sont en danger. Quelles décisions comptez-vous prendre pour soutenir le monde associatif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Le Gouvernement entend aider les associations, dont nous savons le rôle déterminant. Il a maintenu la réduction d'impôt de 75 % dans le cadre de l'IFI, ainsi que le calendrier des dons. Certes, le nombre d'assujettis à l'IFI est moins important que pour l'ISF, mais l'allègement de la fiscalité sur le capital et la redirection de l'épargne sera un facteur positif. Les anciens donateurs qui ne sont plus imposables à l'ISF le sont généralement à l'impôt sur le revenu et bénéficieront donc de la réduction de 66 %.

Enfin, je nourris l'espoir que nos concitoyens continueront à s'intéresser aux associations qui fidéliseront des donateurs motivés par autre chose que la perspective d'une réduction fiscale.

La séance est suspendue à 17 h 40.

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

La séance reprend à 17 h 50.

Mises au point au sujet de votes

Mme Muriel Jourda.  - Au scrutin public n°155, M. Fournier souhaitait voter contre.

Au scrutin public n°160, M. Brisson souhaitait voter contre.

Au scrutin public n°163, je souhaitais voter contre.

M. le président.  - Acte vous est donné de ces mises au point qui seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.

Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Discussion générale

M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Nous allons examiner un texte défavorable pour l'agriculture de notre pays. Le nombre d'amendements déposés en commission témoigne de la qualité de votre travail.

Si la commission a supprimé dix-huit articles, elle en a créé onze nouveaux ; preuve de la sagesse mais aussi de la grande créativité du Sénat.

Je ne doute pas que nous en débattions, avec pour seul objectif de répondre aux urgences identifiées lors des États généraux de l'alimentation : garantir un revenu décent aux agriculteurs tout en répondant aux attentes des consommateurs grâce à une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous. Les pistes sont nombreuses : les plans de filières, la feuille de route sur les produits phytosanitaires, le plan d'action bio-économie, etc...

Nous avons besoin d'un cadre légal clair et facilitateur que les acteurs pourront s'approprier.

Depuis la semaine dernière, je reçois à nouveau les interprofessions pour faire le point sur la contractualisation et les indicateurs.

Certains veulent que rien ne bouge. D'autres veulent imposer leur vision, sans considérer les difficultés.

Je souhaite une démarche concertée.

L'agriculture est un enjeu stratégique pour la France, au coeur de l'économie, du commerce international mais aussi des exigences de nos concitoyens qui veulent manger sain, sûr et durable sans oublier la dimension conviviale des repas français.

Les agriculteurs sont les gardiens de nos paysages et de la biodiversité, et d'une alimentation saine. Le France ne peut réussir sans eux.

Comment faire réussir la France sans une agriculture française prospère, compétitive et durable ?

Avec ce texte, nous voulons défendre une agriculture riche de sa diversité.

À travers ce projet de loi nous voulons donc défendre avec vous une agriculture riche de la diversité de ses modèles agricoles. Il ne s'agit pas d'opposer ces modèles mais au contraire qu'ils soient complémentaires et créent les ressources suffisantes pour développer nos économies locales, et être présents sur les marchés nationaux et internationaux.

Par ce texte, je veux redonner du pouvoir aux producteurs dans la chaîne de valeur. Parce que nous souhaitons dans notre projet de transformation de la France que le travail paie, nous devons nous engager afin que les agriculteurs perçoivent le juste prix de leur labeur. Je veux redonner aux agriculteurs leur part de la valeur, une juste rémunération. Actuellement, ils sont victimes de la guerre des prix entre distributeurs. Mais je ne crois pas que l'on puisse avoir une agriculture de qualité si le prix n'est pas rémunérateur. Nous voulons une alimentation de qualité dans le respect des règles sociales et sanitaires renforcées.

Le titre premier redonne place à chaque maillon de la chaîne. Il prévoit une construction du prix à partir de l'amont, par celui qui vend ; une clause de renégociation plus opérationnelle en cas d'évolution des coûts ; la lutte contre les prix abusivement bas ; le rôle accru de la médiation et des interprofessions ; le statut de la coopération agricole ; l'encadrement des promotions ; la fixation du seuil de revente à perte à 10 %. À cet égard, la hausse des prix pour les consommateurs ne sera pas automatique : les distributeurs pourront compenser la baisse de leur marge sur ces produits en la répartissant sur d'autres produits.

Je ne suis pas favorable à la rédaction actuelle sur l'élaboration des indicateurs. Au-delà du risque juridique, elle fragilise le rôle des interprofessions et déresponsabilise les opérateurs, ce qui est contraire à notre objectif. Si nous ne pouvons faire fi de notre environnement juridique contraint, chacun doit prendre ses responsabilités si l'on veut que cette loi soit opérationnelle. Si chacun joue le jeu, cette loi permettra une meilleure répartition de la valeur, donnant aux acteurs la visibilité nécessaire pour continuer à produire à long terme.

Les titres suivants du texte sont aussi importants que le premier, puisqu'ils concernent l'alimentation de nos concitoyens. Le but final est l'amélioration de notre alimentation afin qu'elle contribue à notre santé, qu'elle soit saine, durable et accessible à tous - et qu'elle contribue à la qualité de notre environnement. Le maintien du capital santé de chacun et du capital environnement vont de pair. Le texte permettra de réduire la consommation des produits phytopharmaceutiques en interdisant les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits, mais aussi en sécurisant les certificats d'économies des produits phytopharmaceutiques par voie d'ordonnance.

Les peines encourues pour maltraitance animale sont renforcées. Les associations de protection des animaux pourront se porter partie civile en cas d'infraction constatée par un contrôle officiel : je me félicite que votre commission ait voté cette disposition dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale.

L'article 11 fait de la restauration collective publique un levier d'amélioration de la qualité de l'alimentation pour tous dès le plus jeune âge. Cette restauration assure la moitié des 7,3 milliards de repas pris chaque année hors du foyer. Ce texte dispose que la restauration collective publique s'approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, locaux ou sous signes de qualité à compter du premier janvier 2022. Sur ce point, je regrette que l'objectif d'atteindre 20 % de produits issus de l'agriculture biologique d'ici 2022 ne figure plus dans le texte.

Enfin, le projet de loi propose de lutter contre la précarité alimentaire et de limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 du projet de loi ont donc pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d'un diagnostic obligatoire et d'étendre à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire le don alimentaire.

Je serai attentif à vos propositions pour améliorer le texte. Il s'agit de nous inscrire résolument dans une trajectoire qui respectera tant les hommes - du producteur au consommateur - que l'environnement dans lequel ils évoluent.

Construire une trajectoire pour tirer notre agriculture vers le haut, par l'innovation, par l'investissement, par la montée en gamme, par la confiance, c'est lui donner toutes les chances de résister aux défis de la mondialisation.

Avec le président de la République et le Premier Ministre, nous voulons refonder le pacte social entre les agriculteurs et la société pour leur redonner la fierté de leur travail et redonner à la France la fierté de son agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE) Plusieurs mois après la conclusion des États généraux de l'alimentation qui ont suscité beaucoup d'espérance, l'heure est venue d'examiner le projet de loi qui en résulte. Il prévoit de réévaluer les revenus des agriculteurs, ce qui est légitime. Pour assurer la survie de notre agriculture, il faut rendre le métier de paysan suffisamment attractif.

Monsieur le Ministre, soyez sûr de trouver notre soutien dès qu'il s'agira d'assurer une rémunération correcte des agriculteurs actifs ou retraités. (On approuve sur de nombreux bancs.)

Cependant, ce projet de loi prend le risque immense de ne rien changer pour nos agriculteurs. Après tant de promesses semées par le président de la République, je crains que la récolte soit décevante.

Il est à craindre que 40 % seulement des agriculteurs soient concernés par le texte puisque la contractualisation ne concerne pas la majorité des filières. Le projet de loi porte aussi seulement sur le prix, qui n'est qu'une composante. La hausse des revenus agricoles prévue dont il est question ne prend pas en compte les charges, ni le combat qui semble perdu par la France dans la négociation du budget de la PAC (M. lministre le conteste.)

Après l'examen de l'Assemblée nationale, nous avons davantage affaire à un projet de loi alimentaire et non agricole. Les agriculteurs ont l'impression d'être les oubliés de leur propre projet de loi !

On parle beaucoup d'alimentation saine et durable. Mais c'est depuis des milliers d'années que les agriculteurs améliorent leurs techniques, au point de produire une alimentation tellement abondante et peu chère qu'on a tendance à oublier leurs efforts pour la produire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

J'ai de la peine à comprendre les orientations privilégiées par le président de la République, qui dit un peu tout et son contraire. (On en convient à droite.)

Je suis favorable au seuil de revente à perte (SRP) à plus 10 %. Cependant, s'il ne ruisselle pas comme prévu, il ne fera que gonfler les marges des producteurs.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Michel Raison, rapporteur.  - Nous avons travaillé longtemps et n'avons que cinq minutes pour nous exprimer ! Dans les deux ans, nous réaliserons au Sénat un bilan de ce projet de loi.

La commission a instauré une saisine au fond du juge en cas d'échec de la médiation, mais elle a aussi imposé de motiver les écarts des distributeurs.

M. le président.  - Il est grand temps de conclure !

M. Michel Raison, rapporteur.  - Nous avons travaillé à produire un texte au plus proche des attentes de nos territoires en nous attachant à protéger le revenu des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques .  - Notre alimentation sera durable et de qualité si nous avons encore demain des paysans pour la produire. (Approbations à droite) Les liens de causalité entre la première et la deuxième partie de ce texte sont évidents. N'y a-t-il pas une sorte de schizophrénie, Monsieur le Ministre, à augmenter les revenus des agriculteurs dans la première partie, pour leur créer des charges nouvelles dans les suivantes ?

Nous avons veillé à corriger cela au risque de reporter certains débats comme celui sur le bien-être animal. Par cohérence avec les États généraux de l'alimentation, nous avons recentré ce texte sur les agriculteurs.

Je regrette que le Gouvernement ait si souvent rétabli le texte de l'Assemblée nationale. La CMP semble déjà bien compromise. Nous espérons que les enrichissements du Sénat amélioreront le texte.

Je proposerai une plus grande structuration des filières professionnelles agricoles. La commission a ajouté des mesures en ce sens pour mieux promouvoir les appellations françaises, notamment dans le vin et le miel.

En matière de maltraitance animale, le texte de l'Assemblée nationale lui a paru satisfaisant avec des avancées comme la vidéosurveillance.

Sur les produits phytosanitaires, la commission a estimé qu'elle manquait d'informations et d'évaluation. Elle a évité tout surcoût de charges injustifié. Elle a souhaité l'émergence d'un conseil individuel pour éclairer l'exploitant sur l'usage des produits phytosanitaires. Toutes les initiatives favorisant l'usage des produits alternatifs sont encouragées.

Les progrès technologiques et l'agriculture de précision sont des opportunités à développer.

En matière d'énergie la commission a consolidé le droit à l'injection de biogaz dans un périmètre éloigné d'un méthaniseur.

La commission a souhaité ne pas déséquilibrer une agriculture française encore en quête de compétitivité dans un contexte très concurrentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Au-delà des affrontements stériles entre les enjeux économiques, sanitaires et environnementaux, nous devons trouver des solutions pérennes en matière de qualité, de sécurité et de proximité. Nous devons aussi répondre aux attentes des agriculteurs.

La commission du développement durable s'est saisie des articles portant sur la restauration collective, le gaspillage alimentaire et les produits phytopharmaceutiques. Dans le texte de l'Assemblée nationale, nous avons distingué les propositions qui offriraient de réelles avancées, de celles qui ressortaient d'une posture politique.

Je déplore, Monsieur le Ministre, que le Gouvernement propose de revenir sur notre travail : c'est un signal inquiétant sur le peu d'attention que vous accordez au travail parlementaire et au bicamérisme. (Approbations à droite)

L'article 11 vise 50 % de produits de qualité dans la restauration collective publique dont 20 % issus de l'agriculture biologique. La commission des affaires économiques a supprimé ce dernier taux, c'est envoyer un mauvais signal alors que nos concitoyens attendent une telle mesure. Nous devons privilégier les produits bio d'origine française - les Chinois, eux, ne s'y sont pas trompés en investissant massivement dans ce domaine. Il faudra une volonté du Gouvernement pour atteindre un taux de 15 % de surfaces cultivées en bio.

Concernant les plastiques, notre commission a souhaité prévoir une évaluation scientifique des risques sanitaires liés à l'utilisation des contenants alimentaires dans les cantines et nous avons introduit une interdiction des pailles.

S'agissant de l'interdiction des bouteilles d'eau en plastique dans les cantines, de nombreux amendements de suppression ont été déposés. Nous aurons un débat sur ce point.

Nous avons adopté un amendement permettant au Parlement de saisir l'Anses pour bénéficier d'une expertise de qualité.

S'agissant du gaspillage alimentaire, nous avons validé l'utilisation des doggy bags pour ceux qui les demandent à l'établissement.

Nous avons poursuivi la logique de la loi sur la biodiversité en ce qui concerne les produits phytopharmaceutiques... Les préfets pourront encadrer l'usage de ces produits à proximité des zones habitées.

L'avenir de notre agriculture et de notre alimentation est l'affaire de tous.

J'espère que nos débats seront constructifs pour des réponses crédibles mais ambitieuses. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Jean-Pierre Decool .  - Nous n'héritons pas la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants, écrivait Antoine de Saint-Exupéry. Ces prochains jours, l'hémicycle sera le terreau de discussions passionnantes soulevées par l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine, durable, et accessible à tous.

Edgard Pisani voyait dans l'agriculture l'expression de l'état d'une société. Elle est la traduction du rapport entre l'homme et la terre. Elle est plus que la partie d'un ensemble. Elle concerne l'économie, le social, le sanitaire. C'est un sujet politique, un catalyseur de toutes les divergences.

Je suis certain que nous ferons preuve de bienveillance dans ce débat pour adapter l'agriculture aux évolutions de la société tout en maintenant sa qualité.

La guerre des prix que se livrent les distributeurs depuis 2013 fragilise l'ensemble de la filière.

D'où un certain nombre de dispositions pour mettre fin à ces luttes entre ces gens qui savent le prix de tout mais ne connaissent la valeur de rien, pour reprendre le mot d'Oscar Wilde.

J'avais déposé en 2015 à l'Assemblée nationale une proposition de loi contre le gaspillage alimentaire. Je vous proposerai un amendement dans le même sens.

Sans tomber dans une information anxiogène, les pouvoirs publics doivent donner à nos concitoyens les moyens de décider de ce qu'ils mangent.

D'où l'importance de développer la transparence.

Pour lutter contre cette boîte noire qu'est le bas de gamme, nous renforçons le lien entre le consommateur et le producteur.

Michel Serres a dit : j'enchante ce paysage qui me fait ; agriculture et paysage vont de pair. Nous proposons des mesures limitant l'artificialisation des sols et la déforestation.

En matière de bien-être animal, partons de ce principe : l'animal n'est pas une chose mais un être vivant, et les agriculteurs ne sont pas des assassins. Ne stigmatisons par le personnel des abattoirs. En 1970, un agriculteur nourrissait trois ou quatre personnes ; en 2010, l'agriculteur en nourrissait une centaine. Nous avons besoin de toute l'agriculture du monde. Il faudra aussi une stratégie de gestion de l'eau, élément indispensable.

L'agriculture est une science vieille de 10 000 ans, et elle n'a pas fini d'évoluer. Si nous devons libérer l'innovation, moteur de changement, il nous faut aussi prévoir les transitions pour que la révolution agricole à venir soit la plus acceptable possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et UC)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Notre agriculture est pourvoyeuse de milliers d'emplois et garante de notre indépendance alimentaire. Elle est soumise à de nombreux aléas. D'où la nécessité de la protéger.

Les États généraux de l'alimentation ont rassemblé tous les acteurs et ont fait naître ce projet de loi qui suscite beaucoup d'attentes notamment sur l'équilibre des relations commerciales. Les agriculteurs ne peuvent pas être les variables de la guerre des prix.

Nous devons faire qu'ils puissent vivre dignement de leur travail : construction du prix autour d'indicateurs, hausse du seuil de revente à perte (SRP) telles sont les mesures du titre I. Il faudra aussi prendre en compte la concentration des centrales d'achat et l'organisation insuffisante des producteurs.

Le projet de loi s'attache à répondre aux attentes des consommateurs. Nous souscrivons à une restauration collective de qualité garantissant la production locale.

Le groupe RDSE est favorable à une réduction des produits phytosanitaires pourvu qu'il existe des alternatives et que les agriculteurs aient du temps pour s'adapter. Le groupe RDSE est sensible au bien-être animal tant que l'on ne crée pas des normes impossibles pour nos agriculteurs. (Mme Françoise Gatel approuve.)

Ce texte n'est qu'une facette de la politique publique agricole. Le Sénat doit se mobiliser pour maintenir des conditions essentielles à la vitalité de nos exploitations. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

M. François Patriat .  - Depuis des décennies, les agriculteurs revendiquent de vivre de leur travail et non de subventions. Ce projet de loi porte une ambition forte pour une agriculture dynamique et innovante. Les objectifs sont difficiles à atteindre mais nous tentons de le faire.

Les revenus de l'agriculture ont baissé. Il faut inverser le rapport de force dans les négociations commerciales et placer les interprofessions devant leurs responsabilités.

Le titre II crée une véritable éthique de l'alimentation. Malheureusement, le projet de loi a été dénaturé par notre commission des affaires économiques. Celle-ci remet en cause l'esprit du texte qui est de responsabiliser les acteurs. Les interprofessions doivent jouer un rôle essentiel, notamment sur la formation des prix.

L'assouplissement sur le bio envoie un mauvais signal. Nous avons réussi à être ambitieux, en Bourgogne, avec la mesure « Bien dans mon assiette. » : il nous a fallu des années pour faire changer les habitudes, pourquoi ne pas tenter l'expérience à une échelle plus large ?

Que voulons-nous pour nos agriculteurs ? Une loi timorée qui ne remet pas en cause notre modèle ? Voulez-vous des débats enflammés qui toutefois ne fassent pas avancer les choses ? L'esprit de la loi ne fera pas tout. Le Gouvernement prévoit d'autres mesures, mais la réforme doit offrir des solutions de court, moyen et long terme pour que les agriculteurs reprennent en main leur destin.

Monsieur le Ministre, je vous félicite de votre combat pour défendre la PAC. Allons vers un régime assurantiel obligatoire pour les agriculteurs face aux calamités climatiques. Pour cela, il faut que l'Europe nous aide. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Longtemps évoquée comme un phénomène urbain, la précarité, la pauvreté et l'exclusion sociale sont fortes dans la ruralité : on dénombre 24,6 % de ménages pauvres chez les agriculteurs et salariés agricoles.

Au nom de la concurrence libre et non faussée, on a fait disparaître les mécanismes de régulation des prix et des productions. Les agriculteurs et les consommateurs sont devenus une variable d'ajustement dans une guerre des prix féroce entre grande distribution et les groupes industriels agroalimentaires, qui fragilise tout le monde.

Il y a dix ans, nous nous opposions à la libéralisation des relations commerciales. À l'époque, nous dénoncions une contractualisation qui ne pouvait être gagnante en raison du déséquilibre du rapport de force entre les parties. Nous proposions l'identification claire des marges de chacun et une meilleure information du consommateur. Mais aucune de nos propositions n?a été acceptée. Depuis, les distributeurs ont su s'adapter aux nouvelles contraintes imposées par le législateur et le rapport de forces n'a pas changé.

Le texte dont nous débattons aujourd'hui n'échappe pas à la règle. En outre, il est très en deçà des attentes des agriculteurs.

Les retraités agricoles attendent toujours la revalorisation de leurs pensions ; beaucoup vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Il est étonnant de voir tant de girouettes. Certes, il y a la reconnaissance de la nécessité d'indicateurs plus fiables, mais le refus que ces indicateurs soient publics. Certes, le rôle du médiateur des relations commerciales est renforcé, mais la médiation privée reste possible. Certes, l'Office d'évaluation des prix et des marges est créé, mais le travail est inachevé. Certes, nous notons le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires mais cette mesure va-t-elle ruisseler jusqu'au producteur ? Si l'espoir fait vivre, il ne modifie en rien les rapports de forces.

Ce texte ne changera rien ou presque car il s'inscrit dans un modèle économique qui favorise le plus fort. Nous défendrons notamment l'interdiction de la vente à perte, l'instauration d'un prix plancher et d'un revenu minimum paysan, un encadrement des marges des distributeurs en cas de crise.

Le volet alimentation portait diverses promesses mais pourquoi ne pas avoir prévu une loi uniquement dédiée à cette problématique ?

Les mesures que la commission économique a supprimées étaient nécessaires pour réorienter notre modèle de production et protéger la santé de nos concitoyens.

Nous sommes très loin des conclusions des États généraux de l'alimentation, pour une alimentation saine, durable et accessible à tous. C'est une trahison. Le groupe CRCE ne votera pas ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je salue l'organisation des États généraux de l'alimentation qui ont mis tous les acteurs du monde agricole autour d'une même table.

Monsieur le Ministre, vous avez développé trois axes lors de la présentation de ce projet de loi en conseil des ministres : souveraineté alimentaire, ce qui devrait permettre aux agriculteurs de pouvoir vivre demain de leur métier. Alimentation pour une meilleure santé, réduction des inégalités d'accès à une alimentation saine et durable : ainsi serait poursuivie l'action de Stéphane Le Foll avec la promotion de l'agro-écologie qui doit devenir un modèle agricole.

Le prix devra couvrir le coût de revient, sous le contrôle de l'Observatoire des prix et des marges car les coûts de production peuvent varier dans une même filière d'une région à l'autre. Les organisations professionnelles doivent être suffisamment représentatives pour pouvoir négocier avec les transformateurs et les distributeurs. Nous proposerons le développement des contrats tripartites. L'encadrement des promotions est une bonne chose, comme le relèvement du seuil de vente à perte fixé à 10 %.

La responsabilité de la grande distribution est grande. Elle a mis à genoux notre agriculture et elle n'hésitera pas à importer de la marchandise à moindre coût et à poursuivre ses pratiques. Nous voulons le juste prix pour tous, de l'agriculteur au consommateur. Je m'interroge sur la réelle volonté de la grande distribution d'aller dans votre sens. Nous sommes d'accord avec vous sur les dispositions relatives à la restauration collective. Nous nous félicitons aussi de la réintroduction de 20 % de bio. L'approvisionnement local est une volonté sociétale forte.

En matière de produits phytosanitaires, nous sommes favorables à la séparation des activités de conseil et de vente même si cela coûtera aux agriculteurs.

L'interdiction des remises et rabais n'aura aucun effet sur les épandages.

La réciprocité des normes de production et de qualité est un sujet polémique. Je vous renvoie à la proposition de résolution sur la PAC que nous avons récemment votée.

Nous devons favoriser une agriculture saine et durable. C'est ce que les agriculteurs veulent, mais ils veulent aussi disposer des mêmes armes que les autres. Monsieur le Ministre, battez-vous à l'échelon européen pour préserver le budget de la PAC mais aussi pour imposer les mêmes normes à nos voisins.

Dessinons ensemble l'agriculture durable que nous voulons, avec nos partenaires. Sans quoi nous importons des animaux et des produits dont nous ne savons rien. Il faut une traçabilité parfaite et un étiquetage précis.

Faisons confiance à nos agriculteurs. Ils veulent juste vivre dignement de leur métier. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue nos trois rapporteurs et Mme la présidente de la commission des affaires économiques qui ont mené un travail remarquable d'auditions.

Monsieur le Ministre, je suis marqué par votre usage à quatre reprises de l'expression « alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous ». C'est ce à quoi se sont employés les agriculteurs et vos services qui, depuis longtemps, sont convaincus de cette nécessité.

Il y a soixante et un ans, la France a signé le Traité de Rome, dans lequel on affirmait aux paysans européens : produisez, nous vous garantirons un prix conforme à la moyenne des six pays. Les agriculteurs ont tenu leurs engagements, mais les prix ont baissé.

Travailler sur le titre I n'était pas simple : le revenu d'un agriculteur est fait de recettes et de dépenses. Or, dans ce projet de loi, la colonne des dépenses a été alourdie, pas celle des revenus. Il y a un sacré décalage entre la volonté affichée et la réalité.

M. François Bonhomme.  - C'est juste !

M. Daniel Gremillet.  - On trahit les agriculteurs, mais aussi les consommateurs. Les produits importés n'ont rien à voir avec ceux de nos agriculteurs.

Le débat sur le bio est un faux débat. Des crises sanitaires, il y en a eu et il y en aura, quel que soit le système agricole, même avec le bio, parce que l'on travaille avec du vivant.

Aujourd'hui, les agriculteurs ne sont pas protégés des aléas climatiques et des variations des prix internationaux. C'est absent du texte.

On aurait souhaité un projet de loi qui donne envie aux jeunes de travailler dans l'agriculture. La contradiction entre les discours du président de la République de Rungis et de la Sorbonne est terrible.

Or la confiance ne se décrète pas mais se conquiert. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Férat .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les agriculteurs s'attendaient à un texte fondateur, novateur, consensuel. Cela aurait dû être le grand soir pour nos agriculteurs. Finalement, tout ça pour ça ? La désillusion est cruelle.

Il aurait fallu éviter toute surtransposition des normes communautaires, comme s'y était engagé le président de la République. Il aurait fallu aussi, avant toute interdiction de produits phytosanitaires, s'assurer de l'existence d'une solution de rechange. Nous attendions aussi la reconnaissance des améliorations déjà apportées spontanément par les agriculteurs.

Ces initiatives font évoluer leurs métiers afin de protéger l'environnement, les milieux naturels et la santé des consommateurs.

Évoquons les solutions volontaires avancées par la filière agricole : les agriculteurs répondent aux évolutions sociétales par un contrat de solutions associant une trentaine d'associations et intégrant toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Ce contrat sort des interdits et porte plus de 250 solutions d'avenir : numérique, innovations techniques pour les pulvérisations et la mécanisation. L'État doit s'engager sur ce contrat avec la profession qui doit être gagnant pour toutes les parties. Êtes-vous prêt à vous engager ?

Je regrette que les produits importés ne soient pas soumis aux mêmes contraintes que les produits français.

Les États généraux de l'alimentation ont donné beaucoup d'espoir. Ce projet de loi n'est pas un texte agricole mais il aura un impact sur la profession.

J'ai peur que la déception ne soit à la hauteur des espoirs suscités. Vous avez évoqué l'esprit de conquête, Monsieur le Ministre : chiche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Joël Labbé .  - (Exclamations à droite) Merci à mon groupe RDSE de permettre l'expression écologiste.

Comme beaucoup, je suis convaincu de la nécessité de changer de modèle, de préparer l'après-pesticide, produits qui sont nuisibles à la santé et nocifs pour la biodiversité, notamment pour les abeilles. Mes positions ne sont ni idéologiques, ni dogmatiques. Elles s'appuient sur le non-pesticide et la promotion des agricultures vertueuses, comme l'agro-écologie.

Le texte de la commission des affaires économiques est décevant. J'espère que nos débats en séance permettront d'en revenir au niveau d'exigence de l'Assemblée nationale. Je croyais des retours en arrière impossibles, et pourtant vous revenez sur la loi Labbé. J'espère qu'il n'en sera rien.

Ce texte ne suffira pas à fixer des perspectives pour l'agriculture et l'alimentation : une planification pluriannuelle s'impose.

Si j'étais ministre de l'agriculture... (Rires et exclamations à droite), je sortirais des pesticides, je soutiendrais la polyculture-élevage, je réintroduirais les ceintures maraîchères autour des centres urbains. Je soutiendrais la relocalisation de l'alimentation française avec des circuits courts. J'orienterais les recherches de l'INRA vers des alternatives vertueuses, j'agirais au niveau de l'Union européenne et de l'OMC pour une meilleure régulation des marchés agricoles. C'est un nouveau contrat de société dont nous avons besoin. Mais je ne suis pas ministre... (Sourires) Je demanderai des scrutins publics sur les points importants.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Joël Labbé.  - Un moment de poésie pour conclure : nous devons continuer à offrir des printemps joyeux et réenchantés aux nouvelles générations, pas des printemps de plus en plus silencieux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Notre agriculture a été durant des décennies une activité économique à part entière et elle a permis de nourrir notre population avec une alimentation qui est la plus saine et la plus sûre au monde.

M. Bruno Sido.  - C'est vrai !

M. Laurent Duplomb.  - Pourtant, à cause de quelques craintes relayées par des médias friands de nouvelles sensationnelles, un vent mauvais souffle sur notre agriculture qui est la cible de toutes les attaques, à commencer par celles des passéistes, qui souhaiteraient revenir à l'agriculture des années 50, sans rogner sur leur confort toutefois ni sur leur pouvoir d'achat. N'oublions pas que 12 % du pouvoir d'achat est aujourd'hui consacré à l'alimentation alors que dans les années 1950, c'était plus de 40 % !

L'agriculture subit aussi les attaques de tous les fanatiques de l'écologie punitive qui par leur dogmatisme la conduisent à sa perte et favorise des importations massives de produits dont on ne sait rien de leur production.

L'agriculture subit aussi des attaques de politiques qui, par peur, cèdent aux vindictes des vegans, des anti-viandes, et des altermondialistes... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Avec l'arrivée d'un président tout neuf, les agriculteurs, blessés dans leur chair, ont cru à la bonne parole de Rungis. Ils ont participé aux États généraux de l'alimentation, car il est dans leurs gènes de croire que demain sera mieux qu'aujourd'hui, de continuer à semer en dépit des aléas climatiques.

Aujourd'hui, que reste-t-il de cet espoir ? Rien. C'est un vrai gâchis. Vous n'avez pas su tenir vos troupes à l'Assemblée nationale : 2 700 amendements et 76 heures de défouloir où tout y est passé : caricatures, clichés, lieux communs, préjugés allant jusqu'à un obscurantisme digne du Moyen Âge. Le titre II en est un exemple criant : contraintes et charges supplémentaires pour les exploitants.

L'agriculture avait besoin d'une grande loi : le résultat est faible, insuffisant pour protéger les agriculteurs dans la compétition mondiale. Les agriculteurs n'avaient pas besoin d'une loi de punition et d'illusion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Pierre Louault .  - Comme agriculteur, sans doute pas aussi passionné que M. Duplomb, je voudrais faire un bilan de ce texte.

Je partage vos objectifs, Monsieur le Ministre : l'agriculture a besoin d'un électrochoc et d'être accompagnée. Toutefois, vous oubliez que la moitié des agriculteurs gagne la moitié du SMIC, que l'agriculture est un secteur ouvert à la mondialisation - les éleveurs bretons préfèrent acheter du blé ukrainien ou du soja d'Amérique du sud pour engraisser leurs porcs - que les consommateurs préféreront les prix les moins chers. Ainsi, nous avons perdu notre suprématie pour le poulet, avec 60 % d'importations.

Une alimentation saine et durable ? Notre agriculture doit continuer à progresser. Je ne ferai pas le procès du bio. Celui-ci mérite sa place, mais le bio mondial ne vaut pas toujours le conventionnel français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel, MM. Michel Canevet et Didier Guillaume applaudissent également.) Soyons prudents : mettons du bio français ou européen dans les cantines, mais pas de n'importe où !

Notre agriculture a perdu en compétitivité. Nos voisins arrivent à produire moins cher, en dépit des contraintes européennes. Ce texte ne prend pas en compte les productions para-agricoles ni la méthanisation. C'est une erreur.

En un siècle, les agriculteurs sont passés de 10 millions à 250 000. Pourtant, ils nourrissent 60 millions de Français. Et cependant, ils sont sans cesse humiliés, maltraités et souvent persécutés par les bien-pensants. Chaque année, 400 d'entre eux se mettent la corde au cou dans l'indifférence générale.

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - C'est vrai !

M. Pierre Louault.  - Le paysan est le grand oublié de cette loi. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur divers bancs du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Bonnefoy .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je concentrerai mon propos sur le fonds d'indemnisation pour les victimes de produits phytopharmaceutiques, à commencer par les agriculteurs. Le 1er février, le Sénat a voté une proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation financé par les firmes elles-mêmes. Une mission interministérielle du CGAAER, de l'IGAS et de l'IGF avait été créée. Ses conclusions, rendues en janvier, sont édifiantes : la branche AT-MP agricole, géré par la MSA, ne prend que très partiellement en charge les victimes des produits phytopharmaceutiques. Peu de victimes sont indemnisées - un millier - car le lien de causalité est difficile à établir. Or les victimes potentielles se monteraient à environ 10 000 personnes sur dix ans : deux-tiers pour la maladie de Parkinson et un tiers de leucémies et de lymphomes.

M. le ministre préfère adapter le régime AT-MP pour mieux prendre en charge les victimes plutôt que de créer un fonds d'indemnisation. Pourtant, après le rapport de la mission d'information sénatoriale de 2012, le rapport d'expertise de l'Inserm de 2013 et celui de janvier 2018 de l'IGAS, il serait temps de réparer la souffrance des victimes. Elles attendent la création de ce fonds dans cette loi. Ce sera l'objet d'un de mes amendements. J'espère que vous le voterez, car la santé n'a pas de prix ni de couleur politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)

M. Pierre Cuypers .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Déception et amertume, c'est ce que ressent le monde agricole. Certes, il n'était pas facile d'être à la hauteur des États généraux de l'alimentation, mais nous sommes loin des promesses du président de la République.

Un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois et le prix du lait stagne autour de 330 euros par tonne. L'agriculture souffre d'une crise structurelle dévastatrice. Ce texte entend tout régler par la contractualisation.

Soit, mais sans régulation des marchés au niveau européen, la situation ne changera pas, en dépit de la hausse du seuil de revente à perte. Mieux vaudrait baisser les charges sociales.

Un plan agro-écologique sera nécessaire, mais pas suffisant. Les usages non alimentaires des biocarburants peuvent être une source de revenus supplémentaires pour les agriculteurs.

Les biocarburants sont créateurs d'emplois, et contribuent à la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, le Gouvernement fait preuve d'un attentisme incompréhensible, autorisant même l'importation d'huile de palme... Voilà sept mois que les mesures anti-dumping n'ont pas été mises en place à l'usine de la Mède. Ce n'est pas digne ! Est-ce ainsi que le Gouvernement entend remercier les agriculteurs qui font des efforts ?

Enfin, je veux remercier notre commission des affaires économiques et sa présidente qui a accepté mon amendement sur la valorisation de certains résidus agricoles pour produire de l'éthanol, conformément aux recommandations de l'Union européenne.

Monsieur le Ministre, vous ne nous écoutez pas. Avez-vous conscience du hiatus entre le texte et les attentes du monde agricole ?

M. le président.  - Veuillez conclure, votre temps de parole est largement dépassé !

M. Pierre Cuypers.  - Ce projet de loi est un marché de dupes. Je ne conseille pas à nos enfants de devenir agriculteur ; c'est un métier désormais trop dur.

M. Didier Guillaume.  - C'est le cas de beaucoup de métiers.

M. Pierre Cuypers.  - La balle est dans le camp du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Je demande à tous les intervenants de respecter leur temps de parole.

M. Stéphane Travert, ministre .  - Monsieur Cuypers, j'ai écouté avec attention tout le monde, au cours de cette discussion générale, même si elle fut parfois un peu mouvementée ! Nous voulons tous soutenir notre agriculture : c'est l'ambition de ce texte qui vise à garantir le revenu des agriculteurs et à promouvoir une alimentation sûre, saine et durable. Cela ne signifie pas que rien n'a été fait avant mais nous devons monter en gamme pour gagner en compétitivité et pour assurer demain à nos agriculteurs des débouchés et des revenus nécessaires.

J'ai entendu dire que le texte ne parlait ni du foncier, ni de la PAC, ni de la fiscalité. Mais bien évidemment, nous travaillons sur l'ensemble des sujets de fond.

Avec Bruno Le Maire, nous avons mis en place un groupe de travail rassemblant entre autres onze députés et onze sénateurs sur la fiscalité agricole, qui sera débattue lors du prochain projet de loi de finances.

Quant à la PAC, nous nous battons pour un budget ambitieux au niveau européen. C'est une des exigences fortes que nous portons. Dès le 2 mai, lorsque la Commission a publié l'avis budgétaire, la France a dit que ce budget était inacceptable. Avec les six pays du groupe de Madrid, puis les quatorze autres membres qui nous ont rejoints au Luxembourg, nous avons présenté le mémorandum pour cette PAC ambitieuse. J'ai pu porter en votre nom la proposition de résolution européenne que le Sénat a votée il y a quelques temps, pour défendre nos objectifs.

On demande beaucoup d'efforts aux agriculteurs. Et la PAC leur enlèverait les moyens de réaliser ces efforts alors même que grâce au titre I du projet de loi nous tentons d'améliorer leurs revenus ? Ce n'est pas possible.

Les retraites agricoles ont fait l'objet d'un débat au Sénat. Nous travaillons à la réforme des retraites avec Mme Buzyn et M. Delevoye. Nous resterons vigilants au sujet des retraites agricoles.

Nous souhaitons avoir une politique agricole commune cohérente avec la politique de la concurrence et la politique commerciale européenne : il en va de la réussite de notre agriculture. La réponse doit être européenne - j'étais hier soir avec mon homologue allemande. Il y va de notre politique et de notre capacité à résoudre ensemble les problèmes de distorsion de concurrence.

Nous souhaitons poursuivre l'expérimentation remarquable lancée par M. Le Foll sur l'étiquetage et l'étendre à d'autres produits que le lait et la viande. Cela contribuera à éviter les distorsions de concurrence.

Je sais le travail que vous avez réalisé sur le fonds phyto. Il nous faut avancer sur l'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Je suis sûr que nous pouvons nous rejoindre pour relever le défi.

Joël Labbé parlait de printemps qui chante. Je souhaite que l'agriculture connaisse un printemps heureux. Ne sous-estimez pas la capacité de notre agriculture à se transformer, à répondre aux défis de la mondialisation et de la concurrence internationale, à investir et innover pour aller vers des modèles plus durables et compétitifs.

Des désaccords subsistent sur certains points mais je ne doute pas que nous aurons l'intelligence collective pour sortir de nos débats avec un texte équilibré au service de nos modèles agricoles qui donne à nos agriculteurs des outils à la hauteur de leurs attentes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE.)

M. Didier Guillaume.  - Très bien.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

M. le président.  - Amendement n°41, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I.  -  Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa du II de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l'atteinte des finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d'un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »

II.  -  En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :

Titre ...

Dispositions générales relatives à la politique agricole française

Mme Cécile Cukierman.  - En écho aux modifications apportées en commission à l'article 11 undecies, cet amendement instaure une exception pour le secteur agricole lors des négociations d'accords de libre-échange, sur le modèle de l'exception culturelle. Dans une tribune de 2016, plusieurs personnalités, dont l'actuel ministre de la transition écologique et solidaire, demandaient déjà la reconnaissance d'une telle exception dans les échanges internationaux.

La nourriture est un besoin humain et notre souveraineté alimentaire n'est pas une monnaie d'échange. Il nous faut relever les défis climatiques et alimentaires pour préserver notre planète. Or les nouveaux traités bilatéraux comme le CETA favorisent l'abaissement des normes sociales, sanitaires et environnementales.

Dans le Mercosur, le bétail est nourri aux OGM et l'utilisation du glyphosate n'est pas réglementée. Comment rivaliser, sauf au prix de la qualité et de l'éthique ?

En Nouvelle-Zélande et Australie, décontamination chimique des carcasses et hormones de croissances sont autorisées, et la traçabilité moindre rend les contrôles difficiles. Les possibilités très limitées d'export vers ces pays renforcent le déséquilibre.

Ce projet de loi est en totale contradiction avec ces traités. Nous devons nous prémunir de ces risques pour préserver une agriculture paysanne et une alimentation de qualité.

M. le président.  - Amendement n°96 rectifié sexies, présenté par MM. Decool, Bignon, Chasseing, Fouché, Guerriau, Lagourgue et A. Marc, Mme Mélot, MM. Wattebled, Capus, Vogel et Paul, Mme Goy-Chavent et MM. Adnot, Daubresse et Moga.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa du II de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l'atteinte des finalités de la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation mentionnées au I du présent article, et compte tenu de sa nature particulière, le secteur agricole bénéficie d'un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales. »

M. Jean-Pierre Decool.  - Au vu des engagements de la France à lutter contre le changement climatique et au nom de la défense de notre souveraineté alimentaire, cet amendement entend reconnaître une exception agriculturelle dans les échanges internationaux. Cela déverrouillerait les négociations des autres volets commerciaux des traités multilatéraux, aujourd'hui enrayées par des accords bilatéraux.

M. le président.  - Amendement identique n°465 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Arnell, Artano, Guillaume et Vall.

M. Didier Guillaume.  - La PAC a été la première et la seule politique intégrée en Europe. Elle a permis le développement de notre agriculture, le maintien des revenus et favorisé les convergences entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe. Après la guerre, c'est grâce à l'agriculture française productiviste que l'Europe a pu se nourrir et se reconstruire.

Les évolutions de la PAC ont été terribles. C'est que l'Union européenne est une fédération d'États-nation... Les quotas laitiers ont été instaurés, puis supprimés ; les accords du Luxembourg remis en cause. Lors des dernières négociations, François Hollande et Stéphane Le Foll ont arraché une PAC à 9,7 milliards d'euros : un coup de maître, et le discours de Cournon d'Auvergne a été salué à juste titre. La France a été la seule à obtenir autant. Cela sera difficile à reproduire.

La réaction de la France à la réunion de Madrid a été magistrale. Ne pas accepter une réduction de 20 % à 30 % du budget de la PAC, c'est défendre les agriculteurs. Tous les groupes de la Haute Assemblée devraient se retrouver pour voter une exception agricole à l'image de l'exception culturelle, pour l'avenir de nos agriculteurs !

M. le président.  - Amendement n°533 rectifié bis, présenté par M. Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa du I de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Compte tenu de la nature particulière de l'agriculture au regard des enjeux relatifs à la souveraineté alimentaire, à la sécurité des consommateurs, à la qualité de notre alimentation et à la préservation de l'environnement, la France promeut, dans les relations internationales, un traitement différencié par la reconnaissance d'une exception agri-culturelle dans les échanges commerciaux tant au sein de l'Union européenne que dans le cadre des négociations commerciales internationales. »

M. Henri Cabanel.  - La portée de cet amendement n'est pas que symbolique. L'agriculture n'est pas une marchandise lambda. Notre modèle agricole est unique, notre agriculture performante. Au siècle de la mondialisation et de la concurrence, il faut des garde-fous dans quelques secteurs stratégiques. L'agriculture est un marqueur culturel fort qu'il nous faut défendre, car elle nous renvoie à la question fondamentale de notre souveraineté alimentaire.

Dans les années 1980, la France obtenait la reconnaissance d'une exception culturelle. Il est temps d'en faire autant pour l'agriculture. On n'augmentera pas le revenu des agriculteurs sans traiter d'abord de la préservation de notre modèle face à la concurrence internationale. Ce projet de loi est l'occasion de poser quelques principes forts.

M. Michel Raison, rapporteur.  - L'exception culturelle correspond à un ensemble de dispositions qui singularisent la culture dans les traités commerciaux, non dans la loi.

Les objectifs de la politique agricole énumérés à l'article 11 undecies incluent déjà l'indépendance alimentaire, la préservation de notre modèle agricole et l'exigence de réciprocité dans les accords de libre-échange.

Même si l'exception agriculturelle était instituée, nous ne serions pas exempts de négociation.

Enfin, n'oublions pas que la France exporte beaucoup : attention aux conséquences négatives du protectionnisme. Avis défavorable aux quatre amendements.

M. Stéphane Travert, ministre.  - Le Gouvernement est mobilisé pour garantir l'équité entre les producteurs français et leurs concurrents européens.

Une exception agriculturelle française qui soustrairait la France au cadre multilatéral des traités nous exposerait à des sanctions de l'OMC, fermerait des débouchés importants à nos exploitants et nous priverait du cadre de régulation des échanges et de protection des standards internationaux. Avis défavorable.

M. Didier Guillaume.  - Le temps passe et les administrations, sénatoriale ou agricole, répondent toujours la même chose. Ces réponses sont erronées.

Bien sûr que l'exception agricole se fera par les traités. Cependant, l'exception culturelle a commencé au Parlement. Ces amendements sont d'appel. Les parlementaires français doivent pouvoir dire qu'ils ne se feront pas tondre la laine sur le dos dans les prochaines négociations commerciales. Vous vous privez d'un étai, Monsieur le Ministre ! Vous auriez pu donner un avis de sagesse ou demander le retrait. La France a besoin du soutien du Parlement pour protéger son agriculture. Vous vous rappellerez de cet avis défavorable lorsque vous aurez à négocier la PAC : cet amendement vous aurait aidé !

M. Jean-Michel Houllegatte.  - La façon dont un débat s'engage est souvent symptomatique de la suite. Nous avons ici l'occasion de l'entamer par le haut en reconnaissant que l'agriculture n'a pas qu'une dimension économique mais aussi sociale, environnementale, culturelle voire philosophique à en croire Brillat-Savarin : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ». (M. Didier Guillaume applaudit.)

M. Franck Montaugé.  - La démarche qui nous est proposée me semble intéressante tout en me laissant dubitatif.

Ce texte instaure une forme d'économie mixte en mélangeant principes de libre-marché et économie administrée. Je m'interroge sur son efficacité sachant qu'en aval des filières, les plus gros pourront toujours s'affranchir des contraintes de ce texte.

Les évolutions de la PAC pourraient annihiler les effets positifs de ce texte.

Nous n'avons pas beaucoup avancé en matière de gestion des risques, malgré l'adoption unanime d'une proposition de loi sénatoriale il y a deux ans. Les textes existent ; reste à les mettre en oeuvre, notamment en ce qui concerne le risque économique.

Il y a 15 000 ans, c'est l'instauration de l'agriculture qui a donné un nouveau cours à notre civilisation. Nous devons aujourd'hui nous poser la question de la centralité de l'agriculture dans nos sociétés. L'exception agriculturelle reconnaît le fait civilisationnel majeur que constitue l'agriculture au XXIe siècle. (M. Henri Cabanel approuve.)

M. Laurent Duplomb.  - Je suivrai l'avis du rapporteur. Notre modèle agricole français est fondé sur l'histoire et sur notre capacité à maintenir une agriculture de qualité partout sur le territoire français. Soutenons cette agriculture, défendons ses valeurs à Bruxelles.

Vous ne pouvez pas avoir un double discours : dire à Bruxelles que vous acceptez de baisser le budget de la PAC et le contraire ici !

M. Stéphane Travert, ministre.  - Non !

M. Laurent Duplomb.  - Le commissaire lui-même nous l'a dit, c'est dans les journaux !

M. Stéphane Travert, ministre.  - Dans Politico !

M. Laurent Duplomb.  - Ce double discours revient à nous livrer en pâture au commerce mondial. L'essentiel, c'est d'abord de défendre le modèle français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

L'amendement n°41 n'est pas adopté.

Les amendements identiques nos96 rectifié sexies et 465 rectifié bis ne sont pas adoptés.

L'amendement n°533 rectifié bis n'est pas adopté.

La séance est suspendue à 20 h 15.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

La séance reprend à 21 h 45.

Débat préalable à la réunion du Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 28 et 29 juin. Nous attendons Mme la ministre.

La séance, suspendue à 21 h 45, reprend à 21 h 55.

Orateurs inscrits

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Je suis heureuse de vous retrouver pour évoquer le Conseil européen des 28 et 29 juin.

Je reviens du Conseil des affaires générales de Luxembourg d'où notre débat si tardif.

Le Conseil européen sera attendu sur les questions migratoires - le refus italien d'accueillir l'Aquarius et le Lifeline a créé le débat. Les arrivées de migrants sont en baisse de 77 % par rapport à 2017. Mais le système européen dans son ensemble doit être amélioré. La solution doit passer par les institutions et les États membres et il ne peut y avoir de repli sur soi. L'Italie, la Grèce et l'Espagne ne peuvent être laissées seules.

La coopération doit être renforcée à chaque étape, au départ, mais aussi dans les pays de transit. La France a déployé des missions de l'Ofpra au Niger et au Tchad, afin d'identifier, avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), les personnes qui peuvent bénéficier d'une protection internationale.

Les migrants qui ne remplissent pas les conditions peuvent prendre conscience qu'il faut rester chez eux. La France sera en première ligne pour identifier avec le HCR et l'OIM les personnes qui peuvent être accueillies sur le territoire européen. Nous devons mobiliser l'ensemble de l'Union et les pays du Maghreb. Il faut aussi développer la coopération avec les garde-côtes et les garde-frontières libyens pour lutter contre les passeurs. On pourra augmenter à 10 000 les garde-frontières et garde-côtes de Frontex.

En Europe, il faut améliorer profondément le fonctionnement des hotspots et la relocalisation. Il faut réformer Dublin en réaffirmant le rôle des pays de premier accueil, et accompagner le dispositif de mécanismes de solidarité à la hauteur.

Tout cela suppose une approche plus européenne. On ne peut ni fermer ses frontières au risque de détruire Schengen, ni compter uniquement sur les pays tiers pour retenir des personnes qui ont le droit de déposer une demande d'asile.

La France et l'Allemagne se sont engagées en décembre dernier à adopter une démarche commune pour l'Union économique et budgétaire. Elles l'ont obtenu et cela n'allait pas de soi. Elles assureront ainsi une stabilité macroéconomique. Des pays s'y opposent, tels que les Pays-Bas.

Mais nous avons franchi une étape franco-allemande importante, qui crée une nouvelle dynamique, notamment en matière fiscale.

Le Conseil européen aborde désormais régulièrement le sujet de la défense européenne. Nous avons accompli de réels progrès mais rien n'est jamais acquis. Nous avançons vers la finalisation du fonds européen de défense doté de 13 milliards d'euros à partir de 2021. Nous avons trouvé un accord avec le Parlement européen, notamment grâce à l'aide de notre compatriote Françoise Grossetête. Le mécanisme Athena de financement commun des opérations européennes sera révisé.

Sur l'emploi, la croissance et la compétitivité, le Conseil européen endossera les recommandations « pays » de la Commission proposées dans le cadre du semestre européen et insistera sur la nécessité de défendre le multilatéralisme et de réformer l'OMC dans la lignée du G7. Nous marquerons ainsi l'unité européenne, remarquable, face aux mesures américaines sur l'acier et l'aluminium.

Nos idées sur l'innovation de rupture évoquées lors du sommet informel de Sofia devraient être reprises avec notamment la mise en place d'un conseil européen de l'innovation. Nous insistons sur la juste taxation des acteurs du numérique même si l'Irlande, Malte ou le Luxembourg la renvoient à un hypothétique accord dans le cadre de l'OCDE.

Le petit-déjeuner du 29 juin sera consacré au Brexit. Il est urgent d'avancer sur l'accord de retrait qui doit être conclu en octobre. Le problème fondamental reste la frontière irlandaise. Les contrôles douaniers posent problème. Comme l'a fait remarquer Michel Barnier, un accès au marché unique à la carte serait inacceptable. L'hypothèse d'absence d'accord est envisagée comme d'autres.

Le cadre financier pluriannuel doit être négocié le plus vite possible même s'il convient d'attendre que les électeurs européens se prononcent avant de décider d'un nouveau budget européen.

Les travaux en format Normandie menés sur les sanctions sectorielles envers la Russie seront présentés par le président de la République et la chancelière.

S'il me reste peu de voix, c'est que nous avons consacré huit heures à l'élargissement ! Il n'est pas possible d'ouvrir les négociations d'adhésion de l'Albanie et de l'ancienne République yougoslave de Macédoine. Nous avons obtenu de haute lutte un accord sur ce point au Conseil des affaires générales pour reporter la discussion au plus tôt à l'an prochain.

Le Conseil européen reviendra sur les relations avec la Russie et les États-Unis après leur retrait du plan d'action conjoint avec l'Iran, que nous regrettons. Le travail se poursuit à Bruxelles pour que l'Union européenne fasse preuve d'unité et de fermeté. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et SOCR ainsi que sur le banc des commissions)

M. Jean-Claude Requier .  - Lors des derniers débats précédant le Conseil européen, l'actualité est particulièrement dense. On constate malheureusement l'isolement du Gouvernement français.

Royaume-Uni et Brexit, Allemagne en proie à l'opposition entre CSU et CDU sur l'immigration, et Espagne fragilisée par la question catalane, Italie et son nouveau gouvernement europhobe.

Bonne nouvelle, la France est sortie de la procédure de déficit excessif. Même si l'on peut regretter que les efforts n'aient pas été mieux répartis entre l'État et les collectivités.

Le résultat est là : la France retrouve sa crédibilité.

La Grèce sort enfin du plan d'aide auquel elle était soumise depuis 2011. Ses efforts n'auront pas été vains. Et elle peut attendre des lendemains plus cléments. Une solution a enfin été trouvée sur la Macédoine, qui se dispute, avec la Grèce, l'héritage d'Alexandre le Grand.

Soulignons les progrès de la défense européenne avec la création du Groupe européen d'intervention à l'initiative de la France. Fort de la participation de huit pays, il est capable d'assurer rapidement des opérations militaires civiles, comme l'évacuation ou l'assistance à la suite de catastrophes naturelles. Citons l'opération menée avec les Britanniques et les Néerlandais dans les Antilles après Irma.

La Commission européenne envisage des coupes budgétaires inacceptables, notamment dans la PAC. Celle-ci ne saurait être une variable d'ajustement, mais reste une politique commune.

Sur la crise migratoire, en l'état actuel, il est urgent de mettre en oeuvre une politique de long terme. Je ne parlerai pas du président Trump qui reste un caillou dans la chaussure des dirigeants européens.

Il faut plus et mieux d'Europe. C'est l'ADN du RDSE.

Nous apportons au président de la République tout notre soutien sur son projet européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur le banc des commissions)

M. Pascal Allizard .  - (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit aussi.) Nous sommes contraints de rattraper dans l'urgence un retard certain.

Sur la question migratoire, l'Europe est arrivée à un moment clé de son Histoire, d'une fragilité telle que tous les basculements deviennent possibles. L'action lente et brouillonne de l'Union européenne a marqué les opinions publiques. On peut continuer à montrer d'un doigt moralisateur les démagogues populistes mais ils ne sont que la conséquence du problème. Le suffrage universel, méprisé par les messieurs de Bruxelles, parle régulièrement.

L'absence du groupe de Visegrad au sommet de dimanche dernier n'a pas permis d'avancer. L'Aquarius et le Lifeline ont cristallisé les tensions. Plus nous attendons, plus une solution partagée deviendra impossible.

L'Europe de Schengen soucieuse seulement de marché a rejeté la charge des frontières extérieures sur des États mal préparés. Nous devons donner à Frontex les moyens de faire respecter le droit. L'État de droit n'est pas à géométrie variable. Il faut être ferme. La politique généreuse vis-à-vis des mineurs coûte cher aux départements et ce laxisme pèse sur les opinions publiques.

Les Allemands regrettent d'avoir abandonné la Méditerranée au profit de l'Europe centrale. Le Maroc souhaite coopérer pleinement y compris sur les questions migratoires. Les mineurs viennent à 85 % d'Asie mineure, Afghanistan, Pakistan. Les trafiquants d'hommes et de femmes mènent une activité juteuse.

Rien ne permet d'envisager une atténuation des flux.

Les eurosceptiques pourraient achever de détruire l'Union européenne, ce qui affaiblirait les États-nations dont ils se disent les défenseurs.

La défense est un enjeu stratégique. L'Union européenne doit se montrer comme une puissance et non pas seulement un marché. Les industries reconnues font vivre nos territoires. La Russie et les pays émergents rendent la concurrence difficile. Les débats sur la loi de programmation militaire ont été l'occasion pour la France de relancer son effort en matière de défense. Depuis 2016, et la déclaration de Varsovie, les États membres ont relancé un plan commun de défense élargi qui a pris en compte l'an dernier des politiques nouvelles comme celle du terrorisme. Tout effort de coopération entre alliés est louable.

Les rapprochements entre industriels européens et la mutualisation sont bienvenus d'autant que la sophistication du matériel tire les coûts vers le haut.

La volonté politique d'agir existe : tant mieux. Il faut mieux se connaître et travailler ensemble. La coopération franco-allemande est prioritaire mais n'oublions pas nos partenaires britanniques dont le modèle d'armée est très proche du nôtre. L'Union européenne doit continuer à avancer sur ses deux jambes, civile et militaire. (Applaudissements depuis les bancs du groupe LaREM jusqu'à la droite)

M. André Gattolin .  - Jamais l'Europe n'aura été autant ébranlée dans ses fondations.

Une spirale entropique paraît la menacer. Les nationalismes sont en résurgence. De vieilles antiennes protectionnistes venues d'outre-Atlantique sont entendues quotidiennement.

Le président de la République l'a souligné à Meseberg : c'est un moment de vérité pour l'Europe. Ce qui est perçu aujourd'hui comme urgent ne date pourtant pas d'hier.

Notre monnaie commune a presque vingt ans. En 1999, nous craignions le bug informatique du passage à l'an 2000. Rien n'arriva. Mais 1999 a pu être le début d'un bug européen, dont nous mesurons maintenant les effets : à la mi-octobre, un Conseil européen se tint à Tampere, en Finlande, à quinze portant - je vous le donne en mille - sur l'asile et l'immigration, pour conclure ainsi : « Il faut, pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l'asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune ». Selon quelles priorités ?

Eh bien, des partenariats avec les pays d'origine pour lutter contre la pauvreté ; un régime d'asile européen commun ; une politique plus énergique en matière d'immigration pour lutter contre les discriminations ; une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil se déclarait « déterminé à combattre à sa source l'immigration clandestine, notamment en s'attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l'exploitation économique des migrants »...

Les priorités de l'époque sont presque exactement les mêmes que celles inscrites à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, sauf qu'il faut à présent agir dans l'urgence. Les populismes laissent l'impression d'être assailli de toute part alors que les chiffres sont tout autres. Il aurait été plus aisé d'agir en amont. Quand on ne fédéralise pas, nos politiques sont vouées à l'échec. Une Europe « à plusieurs freins » est bien plus dangereuse pour notre avenir commun que la fameuse « Europe à plusieurs vitesses »  qui existe déjà.

Ces géométries variables qui prévalent aujourd'hui ne devraient pas nous étonner. Nous avons laissé trop de coalitions s'installer, qui contraignent au statu quo. Le moteur franco-allemand reste essentiel. On l'a vu dernièrement au sommet de Meseberg.

Le budget de l'Union devra être significativement augmenté pour financer les politiques efficaces en matière de contrôle des frontières extérieures, de défense européenne, d'investissement dans les nouvelles technologies.

Les économies de l'Union européenne ne croissent que de 2 % alors que la population est vieillissante. Le calcul à haute performance est éminemment stratégique. Il est réjouissant d'apprendre que le Conseil européen s'engage pour combler notre retard en la matière. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias .  - Je souhaite en préambule rendre hommage à notre collègue Christine Prunaud qui a éprouvé, par une pénible privation de liberté, l'indignité vouée par le Gouvernement de la Turquie à l'une des membres de notre Haute Assemblée. (Marques d'approbation sur divers bancs)

M. Éric Gold.  et M. Jean-Claude Requier.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - La Commission européenne considère cet État comme un « pays sûr » ; il ne l'est manifestement pas pour les parlementaires français et encore moins pour les milliers d'intellectuels, d'universitaires, de journalistes, de défenseurs des droits de l'homme emprisonnés, privés de travail, de passeport et de droits sociaux.

Il ne faudrait pas que les accords passés avec le Gouvernement d'Ankara pour qu'il détourne les flux de réfugiés nous conduisent à fermer les yeux sur ces dérives indignes d'un État de droit. D'autant que plusieurs États membres ont récemment bafoué sans vergogne les valeurs humanistes que nous continuons à considérer comme le socle de l'Union européenne.

Preuve en est cette déclaration de l'homme fort hongrois sur George Soros, parce que sa famille est d'origine juive : « Notre adversaire est différent de nous. Non pas simple, direct, clair, honnête, mais dissimulé, rusé, faux, retors, sournois. Il n'est pas national mais international (...). Il n'a pas de patrie parce qu'il a le sentiment que le monde entier est à lui. » Et de continuer dans ce registre qui évoque la pire propagande des périodes les plus sombres de notre histoire commune.

Au Juif, à l'étranger, dans un enchaînement rhétorique typique de l'extrême droite, le vice-premier ministre, ministre de l'éducation de la Pologne, a ajouté les homosexuels, accusés de vouloir attaquer la famille et prendre le pouvoir, relayé, encore plus loin sur ce terrain nauséabond, par le premier ministre italien...

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Pierre Ouzoulias.  - Dans l'infâme catalogue des boucs émissaires classiques de l'extrême droite, il ne manquait plus que les francs-maçons : le Gouvernement italien vient de leur interdire toute fonction ministérielle, nouvelle étape dans la course aux abîmes bafouant la liberté de conscience, près d'un siècle après les crimes de Mussolini.

J'ai espéré qu'une conscience humaniste s'opposât à ces déclarations. Las ! On n'a parlé au dernier sommet européen que de budget.

L'agence des droits fondamentaux de l'Union européenne vient de fêter son dixième anniversaire avec un bilan inquiétant sur le recul des droits fondamentaux depuis les dix dernières années. L'agence a reconnu à plusieurs reprises la violation délibérée des traités européens par certaines législations. Aucune réponse au niveau européen, de sorte qu'en toute impunité, la charte pourtant constitutive du droit de l'Union européenne est devenue subsidiaire dans les faits. Les traités européens sur les droits fondamentaux constituent pourtant l'âme et la base de la construction européenne. Chaque citoyen de l'Union européenne doit pouvoir être certain que ses droits fondamentaux seront respectés quel que soit l'État où il réside. Autrement, l'Union européenne, réduite à un simple marché commun, mourra de ce rabougrissement qui l'a réduit à une société mercantile. Le risque est grand de voir, dans moins d'un an, au Parlement européen issu des élections de mai 2019, une majorité favorable à cette réduction majeure de ses prérogatives et de ses ambitions.

Peut-être est-il déjà trop tard pour faire ressurgir une Europe sociale et humaniste ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE, SOCR, UC)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Depuis le début de la séance, je suis frappé par la communauté des propos quelles que soient les orientations politiques. Aucune question, mais l'expression d'inquiétudes face à la situation en Europe, jusqu'aux doutes de M. Ouzoulias sur la possibilité de rétablir l'équilibre.

Notre approche a changé ces derniers temps. Madame la Ministre, nous connaissons votre position et, ce soir, nous souhaitons vous exprimer notre soutien plutôt que de vous interroger.

Nous mesurons les responsabilités qui sont les vôtres, qu'il s'agisse de la défense européenne ou de l'état de droit. Le groupe UC souhaite vous assurer de son soutien. Nous connaissons l'engagement européen du Gouvernement. La semaine dernière, nous avons débattu au Sénat de la réforme franco-française du droit d'asile et de l'immigration. Ce débat a été douloureux et nous a laissé un sentiment de fort malaise.

Au fond, nous avions bien conscience que la solution ne peut-être qu'européenne et pas franco-française.

Espérons que le Conseil européen dégagera une solution, qu'elle soit globale ou de coopération renforcée, ou encore à la majorité qualifiée si les pays de l'Est ne veulent pas nous suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Pierre Ouzoulias et Mme Victoire Jasmin applaudissent également ; applaudissements sur le banc des commissions)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien.

M. Claude Raynal .  - La cohérence doit être à la base de toute politique. Elle est plus que jamais nécessaire car l'Europe est à l'heure des choix. Au-delà du sauvetage des migrants, le Lifeline pourrait nous permettre de sauver l'honneur de l'Europe, à savoir la solidarité.

Le vrai danger n'est pas la prétendue vague migratoire mais bien les populismes qui fleurissent en Hongrie, en Pologne et en Autriche. En Allemagne, la CSU déstabilise la chancelière. Et que dire du nouveau gouvernement italien ?

La crise migratoire ne se renforce pas, c'est son instrumentalisation qui se renforce. Les effets de la crise migratoire devraient pourtant être moindres avec un ralentissement des flux dû au renforcement de Frontex, à la mise en place de hotspots et de dispositif de relocalisation.

Il ne faut pas accepter de céder aux sirènes du populisme en le laissant décider de l'agenda. Nous devons reprendre la main. La situation sur le terrain reste dramatique. Faisons aboutir une réforme de l'asile européenne.

Tous les pays ne respectent pas les mesures décidées lors du Conseil européen du 23 septembre 2015. L'essentiel du fardeau retombe sur les pays de premier contact tandis que les autres esquivent. La solidarité européenne, c'est Bacchus dans les traités et Harpagon dans les faits.

Il est prévu de porter à 10 000 le nombre de garde-côtes et garde-frontières.

Derrière des effets d'annonce les solutions patinent. Il faut renforcer les négociations avec les pays de transit. Peut-on imaginer d'installer des centres dans ces pays dont beaucoup ne peuvent pas être qualifiés de pays tiers ? Violera-t-on la Convention européenne des droits de l'homme pour faire survivre l'Europe dans une victoire à la Pyrrhus ? Reprendra-t-on la stratégie de « l'axe » pour reprendre une expression maladroite du chancelier autrichien ?

La solidarité européenne doit aussi s'exercer dans le cadre économique et financier. Le groupe socialiste est satisfait que le Gouvernement français ait changé son fusil d'épaule sur la PAC. L'engagement financier sur Frontex risque d'être insuffisant.

Le programme budgétaire reste trop flou et le président de la République fait preuve de clairvoyance en estimant qu'il doit encore recevoir l'accord des dix-sept autres pays membres.

Des bonnes nouvelles existent, preuve que quand l'Europe veut, elle peut : la sortie de la Grèce du programme d'austérité qu'elle subissait depuis 2011 en est un exemple.

Les Européens savent parler d'une voix unique et forte pour protéger leurs intérêts économiques, comme lorsqu'en 2016, ils ont établi la liste des produits américains soumis à des taxes douanières. Ce doit être pareil sur la crise migratoire. (Applaudissements)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains) Comme toujours l'agenda de ce Conseil européen est chargé : migrations, défense, réforme de la zone euro. Des avancées ont été réalisées dans tous ces domaines. L'Europe avance et ce Conseil doit être l'occasion d'afficher la volonté commune d'accélérer.

Des divisions, des blocages, des tentations de repli existent. La question des migrations risque réellement de fragmenter l'Europe : Rome et Vienne ont dernièrement annoncé la création d'un axe anti-migration, après d'autres. Il nous faut apporter des réponses pragmatiques. L'Italie et la Grèce ont été trop longtemps abandonnées à leur sort. Un équilibre reste à trouver entre responsabilité et solidarité.

Il faudra identifier les demandes d'aide infondées, mieux répartir l'accueil des migrants entre les États membres et développer un soutien financier, lutter contre les passeurs.

L'Europe doit dégager des moyens pour garantir la protection de ses frontières. Le projet de cadre financier pluriannuel de mai dernier triple les dépenses relatives à la protection des frontières extérieures.

Il ne faudrait pas que ces nouvelles dépenses se fassent au détriment de la PAC, qui est une politique d'avenir au même titre que les autres, pour préserver notre souveraineté alimentaire et proposer à nos concitoyens une alimentation de qualité.

Nous ne pouvons stabiliser ou augmenter ces politiques communes que grâce à un système de financement propre, robuste et pérenne.

Le couple franco-allemand a proposé de mettre en commun des crédits dans les fonds d'investissement commun. C'est une avancée historique. Cependant comment sera orienté ce budget ? Comment sera-t-il alimenté ? Qui en décidera ? Une telle avancée ne pourra se faire sans les peuples.

L'approfondissement de la zone euro est aussi un défi démocratique. Nous appelons à la nomination d'un ministre de la zone euro responsable devant une formation « zone euro » du Parlement européen, à Strasbourg bien entendu.

Les avancées de l'Europe de la défense sont réelles, tout comme l'Europe spatiale, celle de la culture ou de la jeunesse. Nos débats sur l'asile ou l'agriculture nous ont montré que l'échelle européenne est indispensable. Cette conscience profonde que les grands défis de notre temps ne peuvent être traités efficacement qu'au niveau européen, nous devons la communiquer à nos concitoyens : l'Europe n'est pas lointaine, mais partout autour de nous, elle n'est pas une menace, mais une chance, pas une faiblesse, mais une force pour la France. À la veille des élections européennes, nous devons contribuer à un débat public informé pour retrouver l'esprit des pères fondateurs. (Applaudissements)

M. Claude Kern .  - Les sujets des Conseils européens sont très variés, ils sont pour nous l'occasion de suivre l'évolution de l'Union européenne. L'actualité montre à quel point elle est un sujet majeur.

Le Royaume-Uni vient de donner la date du Brexit, le 29 mars 2019. Michel Barnier a annoncé que le plan britannique n'était pas acceptable. Manifestement, le Gouvernement britannique cherche à faire porter la responsabilité de son choix à l'Union européenne. Madame la Ministre, pouvez-vous détailler l'avancée des négociations et nous confirmer la fermeté de la France ? L'incidence du Brexit sera forte sur la zone euro. La présidente du FMI, Christine Lagarde, affirme que les sociétés financières britanniques seront nombreuses à traverser la Manche. Elle estime qu'il est crucial que tout soit prêt en matière de régulation et de supervision pour cette arrivée massive. Le monde économique intègre le Brexit plus vite que le monde politique.

Le pire scénario serait un retour en arrière au milieu du Brexit. On sent un revirement dans les déclarations de Theresa May sur un accord de libre-échange incluant les services financiers essentiels à l'économie du pays. Près de 10 000 emplois pourraient être relocalisés à Francfort, Paris, Dublin ou Amsterdam. Ils se font encore attendre. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte ! Je ne peux passer sous silence la déclaration de Mme Merkel contre Strasbourg. Quelle est la réponse du Gouvernement ? (Applaudissements)

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - N'hésitons pas à le dire : l'Europe est en danger tant les défis sont immenses.

Le président de la République et la chancelière ont réaffirmé à Meseberg leur volonté de relancer l'Europe. Le président de la République en a fait l'une de ses priorités depuis le discours de la Sorbonne, le 26 septembre - mais les résultats, hélas, se font attendre. Le processus politique allemand a fragilisé la chancelière. Les populistes ont gagné en Autriche et en Italie.

Les élections européennes de l'an prochain seront cruciales.

Des instruments sophistiqués ont été mis en place. La Coopération structurée permanente (CSP) est inclusive, avec 25 pays participants - tous les 27 sauf Malte et le Danemark.

On est cependant loin de l'idée d'une avant-garde : quelle est l'identité propre de la CSP et sa contribution à une culture stratégique commune en Europe ?

Comment parvenir à cette culture stratégique commune que la France et l'Allemagne appellent de leurs voeux, malgré leurs différences d'approches ? Le président de la République a suggéré l'ajout d'une couche institutionnelle supplémentaire. N'est-ce pas l'aveu d'un manque d'ambition ? À quoi ressemblerait le Conseil de sécurité de l'Union européenne dont la déclaration de Meseberg prévoit la création ? Quelles prérogatives aura-t-il ? Les avancées sont nombreuses en matière d'Europe de la défense mais l'essentiel reste à faire. Le défi ne sera relevé que par l'aboutissement de projets concrets, comme le système de combat aérien futur (SCAF) et le système majeur de combat terrestre (MGCS). Madame la Ministre, pouvez-vous apporter des précisions ? Venons-en à l'Europe de la sécurité et du contrôle des frontières extérieures. Quelque 80 % des citoyens européens demandent à l'Union européenne d'en faire plus sur la défense des frontières. Des efforts ont été réalisés. Le budget de Frontex croîtra après 2020. C'est une bonne nouvelle.

Mais la réforme du régime d'asile européen commun demeure un point de discorde majeur. La question des migrants menace la pérennité de l'unité de l'Union européenne aussi ses valeurs humanistes. Le président Macron a tancé l'Italie en recommandant l'application du droit international de la mer. Que valent 61 ans de construction européenne face à cette crise majeure que nous traversons - si nous ne pouvons y répondre qu'en invoquant le droit international ?

Le récent sommet franco-allemand a évoqué le modèle de la Déclaration UE-Turquie. Où en est sa mise en oeuvre ?

Nous appelons, enfin, à la plus grande prudence sur l'élargissement européen. Le processus est au point mort pour la Turquie. La présidence bulgare a mis l'accent sur l'élargissement dans les Balkans avec des négociations sur la Serbie et le Monténégro pour une entrée en 2025 : je ne nie pas la dimension historique mais est-ce le bon moment, quand l'Europe doit se recentrer sur ses fondamentaux et quand son budget est en berne, affaibli par le Brexit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Il s'agit du Conseil le plus ambitieux depuis l'élection du président de la République. Les déclarations de Meseberg restent en deçà des ambitions de la France. Ni le montant ni les ressources d'un budget de la zone euro n'ont été détaillés. En outre, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark ont exprimé un refus de ce budget de stabilisation.

Quant à l'achèvement de l'union bancaire, nous pouvons nous réjouir de l'accord concernant la création d'un filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique (FRU), dont la fonction reviendra au Mécanisme européen de stabilité (MES). En particulier, le fait que le secteur bancaire soit dans l'obligation de rembourser les fonds prêtés dans un délai de cinq ans constitue un gage de crédibilité : le principe du « bail-in » est respecté, les deniers publics ne seront pas utilisés pour pallier les pertes d'une banque défaillante. Néanmoins, concernant la mise en oeuvre de la garantie européenne des dépôts bancaires, la feuille de route franco-allemande renvoie discrètement l'examen de ses modalités à une date ultérieure. Étant donné que les débats relatifs au troisième pilier de l'union bancaire ont débuté il y a plus de trois ans, et que le nombre de prêts non performants au sein de la zone euro s'est réduit, l'absence d'un engagement plus ferme traduit un abandon progressif de cette mesure.

Le semestre européen a été marqué par la sortie de la France de la procédure du déficit excessif. Cela ne marque pas la fin des efforts français - surtout que cette situation résulte davantage de bonnes recettes fiscales que d'une baisse des dépenses. Dans un contexte perturbé par le Brexit, plusieurs politiques communes feront l'objet de coupes budgétaires. Il est regrettable que la Commission européenne ait tardé à fournir des données chiffrées après une préparation opaque.

Ensuite, les autorités françaises ne défendraient pas une hausse du budget européen à Bruxelles ni la PAC, contrairement à ce qu'affirme le ministère de l'agriculture - nous le tenons du commissaire Günther Oettinger, que nous avons auditionné.

Nous regrettons que le dossier de la fiscalité n'ait pas évolué depuis le dernier Conseil européen. À Berlin, j'ai pris conscience qu'il serait très difficile de mettre en place une taxe transitoire à 3 % sur les entreprises du secteur numérique. Je ne peux qu'encourager la France à s'investir.

Alors que le dernier Conseil européen avait permis de trouver un accord sur les services financiers dans le Brexit, les négociations sont au point mort. (Applaudissements.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Le contexte est périlleux. On ne peut qu'être frappé par le contraste entre le discours ambitieux du président de la République en Sorbonne le 26 septembre 2017 et des résultats modestes. Peut-être aurait-il fallu une démarche plus pragmatique et concentrée sur les sujets qui font consensus ? Le temps presse. Les élections hongroises et italiennes ont été des piqûres de rappel. Nous ne pouvons rester inertes face à la montée des populismes. Les opinions publiques européennes sont de plus en plus défiantes face à une Europe divisée qui n'est plus protectrice.

La réforme du système européen d'asile est enlisée. On sent un décalage entre la lenteur du processus européen et l'urgence de la situation. Madame la Ministre, qu'espérer du prochain Conseil ? L'Europe ne peut être plus longtemps l'otage des passeurs et des réseaux criminels. Le secours en mer est une exigence internationale mais nous devons réfléchir à la reconduite des bateaux vers leurs ports d'origine. Le Sénat sera à vos côtés pour marquer sa fermeté sur la liste des pays sûrs.

Exigeons la coopération active de tous en matière de réadmission. La déclaration commune de Meseberg intègre des éléments sur le budget de la zone euro mais le dispositif reste à bâtir. Le pilotage exécutif n'est pas évoqué, non plus que le rôle des parlements nationaux.

Quant aux modes de décision, évitons la paralysie de l'Union européenne. La PAC ne peut pas servir de variable d'ajustement du budget européen. La présidence bulgare a mis en avant la stabilité dans les Balkans mais la priorité doit être donnée aux progrès sur l'organisation institutionnelle, l'État de droit mais aussi la situation économique. N'oublions pas la grande réticence de nos opinions publiques face à toute perspective d'élargissement.

Nous soutenons M. Barnier dans sa tâche difficile sur le Brexit. Notre groupe de suivi se rendra à Dublin, Belfast et Londres début juillet. Nombre de nos compatriotes sont victimes de discriminations. C'est poignant. Les agences évaluent le coût du Brexit entre 70 milliards d'euros s'il n'y a pas d'accord et 35 milliards d'euros par an. C'est un suicide économique collectif. La récente annonce d'Airbus de retirer ses investissements au Royaume-Uni dans le cas de l'absence d'accord ou d'un « Brexit dur » en est une nouvelle illustration. L'Union doit défendre ses intérêts et veiller pour l'avenir à garantir l'intégrité du Marché unique qui n'est pas un libre-service. (Applaudissements)

Mme Nathalie Loiseau, ministre .  - Vous avez été nombreux à évoquer la question des migrations. Vous êtes revenus sur le cas de l'Aquarius et du Lifeline. La France prend sa part de l'effort. Nous sommes la deuxième destination en Europe pour les personnes relocalisées. Nous participons à l'opération navale Sophia au large de la Libye, à l'opération Thémis.

Les États membres doivent davantage prendre leurs responsabilités. Nous devons choisir la coopération plutôt que le repli. C'est le sens de la réunion qui a eu lieu le 24 juin à Bruxelles qui a rappelé la nécessité d'un débarquement dans le port sûr le plus proche et de passer par les hotspots.

Pour le Lifeline, un débarquement en Italie et à Malte sera accompagné par une prise en charge soutenue.

Quant au règlement de Dublin, renvoyer sa révision à plus tard ne ferait qu'aggraver la situation. La France défend la création d'une agence européenne de l'asile.

L'accord avec la Turquie fonctionne de manière satisfaisante malgré des incidents en mer Égée. Nous devons faciliter le financement de la deuxième tranche de l'accord - financement qui, je le rappelle, va aux ONG et non à l'État turc.

Monsieur Ouzoulias, je partage votre sentiment sur l'évolution de la Turquie. Le Conseil européen ne considère pas la possibilité pour l'instant de faire évoluer le processus d'admission de la Turquie.

Je partage aussi vos vues sur la situation de l'État de droit en Pologne.

Nous devons renforcer nos efforts avec les pays d'origine et de transit et améliorer le partenariat avec la Libye pour lutter contre les trafics.

L'accord de Meseberg est une avancée significative qui contribuera à la stabilité de l'Union européenne. Le budget portera ses efforts sur l'innovation, le capital humain et la stabilité de la zone euro. Il sera alimenté par les États membres et le budget de l'Union européenne. La chancelière a fait preuve d'un vrai courage politique dans un contexte sensible.

Après l'accord sur le paquet bancaire, nous avons avancé sur la mise en place d'un filet de sécurité sur le fonds de résolution unique. Un accord franco-allemand a également été trouvé sur l'assiette commune sur l'impôt sur les sociétés et sur la taxation des acteurs du numérique. Elles devraient déboucher sur des perspectives plus larges. Le bilan sur la garantie européenne des dépôts est plus mitigé.

Madame Mélot, nous devons d'abord nous mettre d'accord sur le budget de la zone euro. Cependant, la France est favorable à la création d'un ministre et d'un Parlement de la zone euro.

En ce qui concerne le Brexit, le temps presse, le flou des Britanniques est inquiétant et nous nous préparons à la possibilité d'une absence d'accord.

Le Royaume-Uni a publié une dizaine de papiers de position, qui proposent tous de continuer à bénéficier du marché unique sans prendre ses responsabilités. Il ne peut y avoir de marché unique à la carte. M. Barnier a estimé que c'était inacceptable et inopérant. Il n'est pas possible que la situation d'un pays tiers soit plus avantageuse que celle d'un État membre.

Le Gouvernement défend la PAC de façon déterminée. Je l'ai dit dès le mois de novembre et je m'étonne que le commissaire Oettinger ait pu vous dire autre chose. Il sait parfaitement que nous n'accepterons pas que la PAC soit remise en cause - et il évoquait probablement le fait que les États demandent à mettre en réserve une partie des fonds.

M. Gattolin a rappelé que la taxation du numérique était un défi majeur. Nous souhaitons la faire aboutir pour construire une Europe de l'équité.

Je me félicite que le président de la République partage ces intentions. Je salue le rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle.

Monsieur Allizard, la France mettra l'accent sur la coopération en matière de défense pour proposer de nouveaux projets.

On ne peut pas imposer une culture stratégique commune à des États qui ont une histoire spécifique. Nous travaillons cependant à la création d'un Conseil européen de sécurité. La Chancelière a proposé la création d'une instance spécifique. Nous avancerons dans un premier temps de manière informelle.

Monsieur Kern, je vous rassure. Nous avons été surpris par la déclaration de Mme Merkel sur le Parlement européen. Nous lui redirons notre attachement à Strasbourg et nous défendrons l'importance de ce lieu. La présence du président de la République dans l'hémicycle du Parlement en a encore récemment témoigné. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Les démocrates et les progressistes sont mis au défi de ne pas laisser le destin de l'Europe aux mains de ceux qui parlent fort sans rien construire. (Applaudissements sur tous les bancs)

Débat interactif et spontané

Mme Nathalie Goulet .  - La France a adopté le 30 octobre 2017 des mesures législatives pour l'application de la directive PNR dans le droit national. Où en est-on de sa mise en place, et de la possibilité de croiser ces dossiers avec ceux d'Europol et d'Interpol ? Il en va de la sécurité de l'Europe.

M. André Reichardt.  - Très bien.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Le fichier PNR est entré en vigueur le 25 mai dernier. En l'occurrence, seuls douze États membres étaient prêts à le mettre en oeuvre. Nous avons renforcé notre coopération avec les États membres qui ne sont pas encore au niveau. Les systèmes d'information, qu'il s'agisse de Schengen ou du fichier Europol, doivent être croisés pour mieux participer à l'action coordonnée de l'Union européenne en matière de défense contre le terrorisme.

M. André Reichardt .  - L'une des solutions les plus efficaces pour réduire l'immigration irrégulière réside dans l'action des pays d'origine pour limiter les départs et leur volontarisme dans la délivrance des laissez-passer consulaires pour les déboutés du droit d'asile. Certains pays laissent volontairement se développer l'immigration illégale ; le Maroc qui n'a délivré que 27,5 % des laissez-passer consulaires dans les délais impartis, le Mali 12 %, l'Égypte 17 %, la Tunisie 31 %. La moindre délivrance de visas de court-séjour par 45 pays européens vis-à-vis des pays les moins coopératifs pourrait être une solution. Quelles sont les modifications envisagées par la Commission ? Quelle est la position de la France ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - C'est vrai, le retour des déboutés du droit d'asile est conditionné par les laissez-passer consulaires et donc par le bon vouloir des pays d'origine. Les pays membres de l'Union européenne sont d'accord pour renforcer le dialogue avec les pays d'origine afin de les inciter à un meilleur taux de réadmission. Le dialogue doit être franc mais pas nécessairement public ; je souhaite que le Service européen pour l'action extérieure appuie le travail des États membres dans ce sens. Il est important de disposer des laissez-passer consulaires dans le temps imparti - d'où l'allongement de la durée de rétention administrative dans le projet de loi Asile et immigration.

Ce dialogue passe par une discussion sur le soutien que nous apportons aux pays d'origine, sur les visas mais surtout sur les passeports de service, facilité que nous accordons en nombre à des personnes susceptibles de faire évoluer l'attitude des pays d'origine.

M. Jean-Pierre Decool .  - Le projet du cadre financier pluriannuel prévoit une hausse de 5 % des fonds dédiés à l'agriculture. La France s'y oppose. Le président de la République et le Gouvernement ont pris des positions fortes en la matière, bien que tardives. Le 18 juin, la France a fédéré une coalition de vingt États opposés à la réduction de la PAC. Reste à infléchir la position de la Commission.

Comment adapter la PAC aux enjeux de l'agriculture durable ? Comment prendre en compte la diversité des modèles agricoles, assurer la compétitivité de notre agriculture face à nos concurrents sud-américains et australiens ? Comment passer d'une logique défensive à une logique offensive de renouveau et de conquête de marchés ?

La vieille politique agricole commune est une politique d'avenir et non pas un combat d'arrière-garde. Quelle est la vision du Gouvernement sur le rôle de la PAC au XXIe siècle ?

M. Claude Raynal.  - En deux minutes ! (Sourires)

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - J'ai redit ce midi au commissaire Oettinger l'importance de préserver les crédits de la PAC. Il s'agit de la première politique commune que nous avons réussie. Elle est essentielle pour préserver notre souveraineté alimentaire et notre capacité de conquête des marchés. On l'a vu avec les avancées que vient d'obtenir le Premier ministre sur les exportations de viande vers la Chine.

Les propositions de la Commission comportent quelques points positifs : un mécanisme de réserve en cas de crise, un accompagnement vers un modèle plus respectueux de l'environnement.

Mais, je l'ai redit aujourd'hui, on ne peut espérer moderniser notre agriculture si l'on diminue les crédits de la PAC.

Mme Pascale Gruny .  - La crise migratoire pose deux questions : comment réduire les arrivées irrégulières et comment assurer le retour de ceux qui ne relèvent pas de la protection internationale ? L'Europe doit faire preuve d'humanité mais aussi de fermeté.

Cela passe par l'inscription du concept de conditionnalité. Chaque pays qui refusera de coopérer subira une baisse de l'aide publique au développement ou du nombre de visas accordés. Ce n'est pas un chantage mais l'affirmation d'une responsabilité partagée entre pays d'origine, de transit et d'arrivée.

Nous devons proposer une stratégie gagnant-gagnant, sur le modèle espagnol, conclure des accords de nouvelle génération couplant réadmission et aide financière. Le sommet de La Valette de 2015 a posé un premier jalon. Quelle position défendra la France : le statu quo ou l'audace ?

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Il est essentiel de renforcer notre coopération avec les pays d'origine des migrations économiques. Le fonds fiduciaire d'urgence a été abondé de 3 milliards d'euros, nous voulons aller au-delà. Nous souhaitons augmenter notre aide au développement bilatérale. Nous devons aider les pays d'origine à créer des opportunités pour ces gens jeunes et courageux, souvent formés.

Nous voulons aussi associer les pays d'origine à la lutte contre les réseaux de passeurs qui pratiquent le trafic d'êtres humains mais aussi de stupéfiants et d'armes et affaiblissent les États souverains.

Nous renforcerons nos efforts pour intéresser les pays d'origine à une augmentation de l'aide qui permette de fixer leur population sur place. Il n'est pas normal que beaucoup de pays d'Afrique connaissent la croissance sans connaître le développement.

Mme Christine Prunaud .  - Madame la Ministre, la situation en Libye est toujours catastrophique pour les migrants. Les auteurs des agissements sont identifiés mais l'État libyen est disloqué. Ces milices armées pratiquent la détention, le travail forcé, le racket et font subir aux migrants de mauvais traitements allant jusqu'à la mort. Leur impunité est quasi totale.

L'opération Sophia ne produit que de faibles résultats. Notre pays est trop silencieux. Le silence de l'Union européenne est encore plus ahurissant. Bruxelles a seulement demandé l'amélioration des conditions de détention des migrants.

Quels sont les partenaires de la coopération en cours entre l'Union européenne et la Libye ? Quels sont les engagements de notre pays en faveur des réfugiés ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Nous avons tous des images terribles en tête. Il faut d'abord stabiliser la Libye si l'on veut y faire respecter les droits de l'homme. Le président de la République a plusieurs fois invité les parties à Paris pour rechercher un règlement politique. Nous travaillons avec le HCR qui intervient en Libye pour gérer le rassemblement des migrants et leur permettre de ressortir via le Niger. Nous avons aussi réinstallé des demandeurs d'asile directement en France.

Nous luttons contre les réseaux de trafiquants au Sahel. À l'initiative de la France, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution désignant nommément des passeurs pour des sanctions individuelles.

M. Jean-Yves Leconte .  - Le Brexit montre par l'absurde que quitter l'Union européenne est un jeu perdant-perdant, alors que l'Union européenne est plus fragile que jamais. Qu'avons-nous raté depuis l'espoir de réunification du continent en 1989 ? Seuls les vieux pays européens avaient une pratique du Traité de Rome. Les nouveaux entrants avaient d'autres attentes. Nous ne nous sommes pas compris... Pendant quelques années, on a fait comme si. Aujourd'hui, l'Union européenne est fragilisée mais la rupture n'est pas inévitable, car les États membres restent attachés aux valeurs européennes. Mais nous ne progresserons que dans le dialogue.

La magie nous a quittés avant les élargissements de 2004 et 2006.

Je tire la sonnette d'alarme quant aux autres pays qui sont dans le processus de négociation comme la Macédoine du Nord. Il n'est pas possible d'arrêter ce processus ou de faire de la négociation un état dont on ne sortirait jamais.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Yves Leconte.  - Nous savons combien les Balkans sont essentiels à la stabilité européenne.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Ne reproduisons pas les erreurs des élargissements passés. À l'époque, nous avions commencé par les chapitres les plus faciles et n'avions pas regardé d'assez près la situation de l'État de droit, confiants que nous étions en de grands leaders désormais disparus. Les interlocuteurs ont changé, mais la législation date souvent encore d'avant l'adhésion...

Nous accompagnons les pays candidats des Balkans avec une vraie exigence en matière d'État de droit, de la lutte contre la corruption et la criminalité organisée. La perspective d'adhésion les a fait progresser - j'en veux pour preuve l'accord entre la Macédoine et la Grèce.

Mais n'allons pas trop vite en besogne, nous ne rendrions pas service aux démocrates de ces pays. Ayons conscience que nos destins sont liés mais ne fermons pas les yeux sur ce qui fait encore défaut. La candidature à l'Union européenne est une exigence qu'il ne faut pas brader.

M. Jean Bizet, président de la commission.  - Très juste.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - L'Union européenne a infligé une amende historique de plus de 2 milliards d'euros à Google il y a un an pour abus de position dominante. Depuis, il ne s'est rien passé. On ne peut laisser nos entreprises désarmées, sachant qu'il a fallu sept ans pour aboutir à la décision du 27 juin 2017.

Les géants du Net se jouent des divergences d'interprétation des États membres et profitent de leur complaisance. Or les distorsions de concurrence sont des menaces pour nos propres entreprises. Le Sénat a adopté une proposition de résolution européenne sur ce sujet.

À la veille du dernier Conseil européen, j'ai alerté le président de la République et la chancelière sur la nécessité d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour. Réactif, le gouvernement allemand a créé une commission d'experts sur le droit de la concurrence 4.0 auquel j'ai été conviée. Mais je m'étonne de l'absence de réponse côté français. Les travaux parlementaires sont pourtant une aide à l'action gouvernementale !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'Union européenne doit être davantage présente pour réguler le numérique, comme elle l'a fait avec le RGPD ou en sanctionnant Google et Amazon. Plus largement, elle doit mieux réguler les rapports entre plateformes et entreprises et mettre en place un arsenal juridique car les grandes plateformes exploitent nos défaillances.

M. Mounir Mahjoubi prépare les États généraux du numérique. Je vous invite à m'envoyer votre courrier. Je m'engage à y répondre et à vous associer à la réflexion.

M. René Danesi .  - Le Conseil européen cherchera à sauver le soldat Merkel. En 2015, elle ouvrait les portes à l'immigration de masse sans demander l'avis de ses voisins, sous les applaudissements de la Commission.

Les pays d'Europe centrale et orientale poursuivent un combat multiséculaire pour affirmer leur identité. Ni la Pologne, ni la Tchéquie, ni la Slovaquie, ni la Hongrie n'ont colonisé l'Afrique ou l'Asie ; elles n'ont aucune raison de partager la mauvaise conscience des pays de l'Europe de l'Ouest à l'égard des migrants.

Or la Commission prétend les sanctionner en diminuant leurs subventions au motif qu'ils ne respecteraient pas l'État de droit, ce qui ne permettrait pas une saine gestion des fonds publics européens. Curieux, quand l'Europe a fermé les yeux sur la corruption, le népotisme et l'évasion fiscale qui ont ruiné la Grèce !

Pendant ce temps, la Chine tisse ses nouvelles routes de la soie. Le Premier ministre chinois a annoncé à Budapest des crédits vers les pays d'Europe orientale. Il n'y a pas encore de quoi charpenter un cheval de Troie, mais on s'en approchera si l'Union européenne refuse d'accepter la diversité historique des peuples qui la composent... Cette intransigeance déroule les routes de la soie dans l'Europe orientale !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'Union européenne est une union de valeur, pas uniquement un marché unique ou un carnet de chèques. Y adhérer, c'est croire à la démocratie, à l'État de droit, à la séparation des pouvoirs. Certains nouveaux entrants sont aujourd'hui trahis par leurs dirigeants, qui vont jusqu'à détourner les fonds européens. Ces fonds, c'est notre argent, celui des contribuables français - la France est le deuxième contributeur net de l'Union. Nous leur devons de contrôler leur saine gestion.

Il n'y a pas de raison d'accepter la corruption ou le manque d'indépendance de la justice dans certains pays au prétexte qu'ils ont un passé tourmenté. Soyons exigeants sur ces fonds versés par dizaines de milliards d'euros dans cette partie de l'Europe au risque, sinon, de nourrir l'euroscepticisme.

M. Claude Raynal .  - Lorsque j'entends un diplomate parler de cadre financier pluriannuel, j'ai du mal à comprendre.

D'un côté, les ressources diminuent avec le Brexit, de l'autre, les demandes de crédit augmentent pour financer des priorités aussi diverses que la sécurité, la recherche, le numérique. Je vois aussi des demandes de stabilité sur la PAC, que je partage.

Quelle est la position française, exactement ? Sommes-nous prêts à lâcher sur la politique de cohésion ? À remettre au pot ? « Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup »...

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Je vous enverrai la note adressée par les autorités françaises aux institutions européennes. Le commissaire Oettinger n'avait pas l'air de trouver mon discours flou. Nous sommes prêts à une expansion du budget, compte tenu des priorités, mais estimons que la proposition de la Commission manque d'ambition.

Commençons par supprimer tous les rabais : nous sommes le premier contributeur aux rabais des autres ! Explorons avec plus d'ambition de nouvelles ressources propres : la taxe sur le plastique, par exemple, l'instauration d'une taxe sur le numérique qui rapporterait 5 milliards d'euros par an, soit la moitié de la perte due au Brexit, ou une taxe financière européenne.

M. Marc Laménie .  - Ce débat est l'occasion d'apprendre beaucoup. Notre pays participe annuellement à hauteur de 20 milliards d'euros au budget européen - la solidarité européenne est importante.

Les services de l'État, les grandes régions peuvent aider les demandeurs d'aide européenne à remplir des dossiers particulièrement complexes pour les agriculteurs, les entreprises ou encore les collectivités territoriales. Y a-t-il des mesures d'assouplissement pour que les collectivités rurales trouvent des interlocuteurs et voient leurs contraintes allégées ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - On me pose souvent la question de l'accès aux fonds européens lors des consultations citoyennes sur l'Europe. Ceux-ci sont sous la responsabilité des régions que nous encourageons à être accompagnatrices de projet. Pour cela, il faut des équipes qui connaissent les financements européens et soient capables d'apporter un conseil.

Nous effectuons un travail d'harmonisation des conditions de versement et demandons à la Commission de simplifier les procédures au maximum - sans pour autant négliger le contrôle. L'objectif de lutte contre la fraude a trop souvent conduit à décourager les porteurs de projets de solliciter une aide. C'est moins le cas avec le plan Juncker, une vraie réussite qui a bénéficié à 100 000 de nos PME. Il s'agissait d'un instrument simple à utiliser. Preuve qu'il n'y a pas de fatalité.

M. Patrice Joly .  - Pour équilibrer le budget européen, entre Brexit et charges nouvelles, les arbitrages semblent porter sur les crédits dédiés aux territoires les plus ruraux : moins 5 % sur la PAC, moins 12 % en euros constants. L'élargissement des territoires éligibles à la politique de cohésion va pénaliser les plus fragiles, qui ont un besoin particulier d'ingénierie et de financements. Est-il encore possible de revoir les arbitrages au profit des territoires ruraux ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Nous avons dit à la Commission que sa proposition sur la PAC était inacceptable. Nous sommes au début d'une négociation que la Commission voudrait voir achevée avant les élections européennes. Mon homologue polonais a déclaré qu'il était paradoxal de prétendre aller vite avec un projet de budget aussi mauvais. Nous pensons la même chose, même si nous le disons moins brutalement ! Pour le moment, le compromis n'est pas possible ; vingt États disent non.

Il est essentiel de maintenir les aides du premier et du deuxième pilier. Nous sommes également attentifs au sort fait aux régions ultrapériphériques.

Sur le reste du budget, des retours intéressants sont possibles. Signalons que nous avons proposé de cibler les fonds européens sur les collectivités territoriales qui accueillent des migrants, idée reprise par la Commission.

Mme Victoire Jasmin .  - La baisse de la PAC aura des conséquences désastreuses pour l'outre-mer. Le Posei (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) accompagne les producteurs des filières agricoles des régions ultrapériphériques. Une réduction de ses crédits entraînerait automatiquement une baisse de la production locale. La menace d'une baisse de 5 % inquiète tout particulièrement, à rebours des assurances de M. Juncker en Guyane en octobre 2017.

Il appartient au Gouvernement français de soutenir l'agriculture ultramarine. La balle est dans votre camp. Quelque 180 représentants socioprofessionnels se sont rendus à Bruxelles, le commissaire les a assurés que le Posei serait préservé s'il était soutenu par le Parlement européen et les trois pays concernés, Espagne, Portugal et France.

Pouvez-vous nous assurer de votre volonté de sanctuariser le budget consacré à l'agriculture outre-mer jusqu'en 2025 ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'agriculture outre-mer représente 35 000 emplois et 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires. Nous sommes très attentifs au maintien du Posei. M. Travert et Mme Girardin ont déjà défendu la nécessité de stabiliser ses crédits pour la viabilité de l'agriculture ultramarine. Nous serons aussi attentifs au versement du Feader dans les RUP.

Nous sommes pleinement mobilisés. Le président de la République réunira les acteurs autour du Livre bleu de l'outre-mer jeudi prochain. Je le redis, nous n'accepterons pas le projet de la Commission sur la PAC.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Merci, Madame la Ministre, de vous être prêtée à cet exercice à votre retour du Conseil des affaires générales.

L'accord de Meseberg a permis des avancées notoires : majorité qualifiée notamment dans le domaine de la défense, accord sur l'impôt sur les sociétés, création d'un centre d'études franco-allemand sur l'intelligence artificielle - autant de sujets occultés par le dossier migratoire.

Le règlement Procédures qui définit les pays tiers sûrs implique de plus en plus les pays du Maghreb. Je suis surpris de l'avis négatif de la CEDH qui met en cause la constitutionnalité de sa mise en oeuvre. La France devra être ferme car ce règlement nous offrait une solution sur les problématiques d'asile.

Je crains que nous n'en soyons qu'au début des crises migratoires ; la population de l'Afrique, qui était de 250 millions d'habitants il y a soixante ans est aujourd'hui de 1,250 milliard et doublera d'ici 2050. Revenons à l'esprit de La Valette. Dans le prochain plan de financement pluriannuel, 44 milliards d'euros seront consacrés à cette politique.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 27 juin 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit quarante.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mercredi 27 juin 2018

Séance publique

À 14 h 30 et le soir

Présidence : M. David Assouline, vice-président M. Philippe Dallier, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - M. Guy-Dominique Kennel

1. Nomination des vingt-et-un membres de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins.

2. Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (n° 525, 2017-2018)

Rapport de M. Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 570, 2017-2018)

Avis de M. Pierre Médevielle, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (n° 563, 2017-2018)

Texte de la commission (n° 571, 2017-2018)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°171 sur l'ensemble du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :345

Suffrages exprimés :336

Pour :197

Contre :139

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 140

Contre : 2 - MM. Antoine Lefèvre, Philippe Pemezec

Abstentions : 2 - Mmes Fabienne Keller, Marie Mercier

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe SOCR (77)

Contre : 77

Groupe UC (50)

Pour : 45

Contre : 3 - M. Bernard Delcros, Mmes Nassimah Dindar, Nathalie Goulet

Abstentions : 2 - M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Dominique Vérien

Groupe RDSE (22)

Contre : 22

Groupe LaREM (21)

Pour : 2 - MM. Abdallah Hassani, Thani Mohamed Soilihi

Contre : 18

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Alain Richard

Groupe CRCE (15)

Contre : 15

Groupe Les Indépendants (11)

Pour : 8

Abstentions : 3 - MM. Alain Fouché, Joël Guerriau, Claude Malhuret

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 2 - M. Philippe Adnot, Mme Évelyne Perrot

Contre : 2 - Mme Claudine Kauffmann, M. Stéphane Ravier

Abstentions : 2 - Mme Christine Herzog, M. Jean Louis Masson