Interdire l'usage des lanceurs de balles de défense

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe CRCE.

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi .  - L'examen de cette proposition de loi intervient à un moment critique de la vie démocratique de notre pays, théâtre d'un mouvement citoyen et social d'une longévité sans précédent et d'un caractère totalement inédit.

Le mouvement des gilets jaunes, soutenu par une majorité nette de nos concitoyens, n'a pas reçu de réponse nette. Dès le lancement du grand débat, le président de la République a fermé la porte au rétablissement de l'ISF et a éludé la question de la hausse des salaires. La réponse ne peut être que politique. La répression ne calmera pas la colère et l'exaspération ; elle les attisera.

Or, après une répression accrue lors des manifestations contre la loi El Khomri, nous assistons, depuis novembre, à une tentative d'utiliser la force brute, symbolisée par les lanceurs de balles LBD 40 pour canaliser, voire éteindre un mouvement populaire.

Je tiens à redire notre attachement à la police républicaine qui protège la sécurité de nos concitoyens. Les forces de l'ordre sont prises au piège de l'entêtement à maintenir une politique impopulaire. D'autres solutions existent : le préfet Grimaud, en 1968, a su préserver Paris des affrontements sanglants en refusant de jeter de l'huile sur le feu.

D'après plusieurs décomptes, on dénombre 206 blessures à la tête, dont plusieurs dizaines sont liées à des tirs de lanceurs de balles de défense ; 22 personnes ont été éborgnées, mutilées à vie.

Le LBD 40 (L'oratrice, de la tribune, en présente un à l'assistance.) est classé comme arme de première catégorie, arme à feu et arme de guerre. C'est une arme non létale si elle est utilisée dans les conditions préconisées par le constructeur, ce qui n'est pas toujours le cas. Une balle en caoutchouc à moins de dix mètres équivaut à recevoir un parpaing de 20 kilos ; à 40 mètres, c'est huit boules de pétanque ! Nous parlons bien d'une arme et d'une arme dangereuse qui occasionne des blessures graves constatées par des médecins - je déplore que la rapporteure n'en ait pas auditionné. Faut-il d'autres victimes pour qu'enfin, nous légiférions ?

Aucune arme ne peut réellement sécuriser les manifestants et ceux qui les encadrent. D'où ce texte pour interdire l'usage des LBD 40, améliorer la transparence sur l'usage des armes par les forces de l'ordre et lancer une réflexion sur notre doctrine de maintien de l'ordre et la formation de nos forces à la lumière des expériences européennes.

Dire stop au LBD 40 est une mesure d'urgence. Si la doctrine d'emploi de cette arme ainsi que son encadrement juridique sont précis, les conditions de son utilisation demeurent sujettes à caution. Sur les 13 460 tirs de balles de défense effectués, 85 % sont le fait d'unités civiles, non des CRS. Unités disparates, épuisées, insuffisamment formées, manque de coordination, tout cela pèse sur les forces de l'ordre et crée des drames.

Dès 2009, une pétition en ligne contre les LBD a circulé. La même année, une proposition de loi visait l'interdiction des armes de quatrième catégorie contre les attroupements. Au Sénat, nous avons proposé un moratoire en 2015. Depuis, il y a eu les rapports de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, les recommandations du Défenseur des droits, les déclarations du préfet de police de Paris, la pétition du professeur de neurochirurgie, les préconisations du Conseil de l'Europe et, enfin, hier, Michelle Bachelet, haut-commissaire de l'ONU, a réclamé une enquête approfondie sur l'usage excessif de la force dans les manifestations en France. Il est grand temps de stopper la dérive actuelle.

Cette proposition de loi, encore une fois, n'est pas contre les policiers ; elle vise aussi à les protéger. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois .  - Le Sénat doit se prononcer sur un sujet dans le débat public qui divise depuis plusieurs semaines. Depuis seize semaines, lors de manifestations hebdomadaires, sont commis des actes de violence sans précédent et des dégradations matérielles d'une ampleur inédite. Un nombre important de blessés est à déplorer tant du côté des manifestants que des forces de l'ordre. Dans ces circonstances, il est légitime de s'interroger sur notre doctrine de maintien de l'ordre. En octobre dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi contre les violences dans les manifestations, qui doit revenir prochainement dans l'hémicycle en deuxième lecture.

Cette proposition de loi aborde le sujet sous le seul angle de la réduction de l'usage de la force par les forces de l'ordre. Sur le plan juridique, plusieurs de ses dispositions relèvent du domaine réglementaire. Ainsi en est-il de la liste des armes susceptibles d'être utilisées dans le cadre du maintien de l'ordre ainsi que des conditions d'accès au fichier relatif à l'usage des armes.

Sur le fond, le Conseil d'État l'a récemment rappelé, l'emploi du LBD est strictement encadré.

M. David Assouline.  - Avec 13 460 tirs ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Il peut en être fait usage dans deux cas. Premièrement, lorsque des voies de fait ou des violences sont commises à l'encontre des forces de l'ordre ou lorsque celles-ci ne sont pas en mesure de protéger le terrain qu'elles occupent. Le LBD est alors utilisé en groupe, par l'ensemble de l'unité, sur décision du commandement. Deuxièmement, en cas de légitime défense, d'état de nécessité ou encore de périple meurtrier. Quoi qu'il en soit, l'usage du LBD reste purement défensif. Une instruction prohibe les tirs à la tête et sur les personnes présentant des signes de vulnérabilité.

On ne peut nier que l'usage du LBD a beaucoup progressé ces dernières semaines avec 13 460 tirs décomptés entre le 17 novembre 2018 et le 5 février 2019. Depuis le début des manifestations des gilets jaunes, un millier de tirs a été recensé.

Cela étant, veillons à ne pas confondre l'usage légitime de cette arme avec le mésusage de la force. Il appartient à la justice de condamner les dérives individuelles et cela ne peut justifier l'interdiction de cette arme. Le nombre de blessures rapporté au nombre de tirs, demeure relativement réduit : 56 cas de graves blessures. (Murmures d'indignation sur les bancs du groupe CRCE)

L'interdiction pure et simple de cette arme, sans alternative, déstabiliserait le système de défense de nos forces de l'ordre.

Mme Éliane Assassi.  - Que proposez-vous ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Elle obligerait à recourir plus fréquemment à l'arme létale.

La Cour européenne des droits de l'homme exige, pour ces raisons, la mise en oeuvre d'une réponse graduée et d'un usage proportionné de la force.

Il est essentiel de s'assurer du bon usage du LBD et du respect du cadre juridique. Une meilleure formation à l'usage de cette arme y contribuera. Le recours aux caméras mobiles pour documenter leur utilisation est une avancée importante mais des améliorations techniques devront être effectuées. Monsieur le ministre, nous souhaiterions vous entendre sur ce sujet.

L'ouverture au public du traitement relatif à l'usage des armes pourrait fragiliser l'action des forces de l'ordre et n'offrirait qu'une vision partielle de la situation puisqu'il ne concerne que la police nationale.

Enfin, concernant le rapport pour explorer les pistes mises en oeuvre dans les autres pays européens, ayons conscience que les doctrines de désescalade ne sont pas forcément exemptes de violence. Selon un rapport des Inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale de 2014, la doctrine allemande, si souvent donnée en exemple, est fondée sur une entrée en contact directe et rapide avec les manifestants, qui s'accompagne d'un nombre important de blessés des deux côtés.

Je vous invite, au nom de la commission des lois, à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Depuis quelques semaines, le débat sur le maintien de l'ordre s'est concentré sur les LBD. Depuis quelques semaines, notre pays connaît des troubles majeurs : des groupes violents, des casseurs s'infiltrent dans les manifestations pour casser les vitrines des magasins, le mobilier urbain, les symboles de la République ; ils s'en prennent aux parlementaires, aux forces de police. Tout y passe. L'image de cet officier de police transformé en torche humaine a frappé les esprits comme la scène ahurissante sur la passerelle Senghor. Depuis le 17 novembre, il y a eu près de 1 500 blessés parmi les forces de l'ordre - policiers, gendarmes et même pompiers. Depuis le 17 novembre, on a compté près de 80 dégradations majeures sur des bâtiments publics. Ces violences inqualifiables transforment les manifestations en émeute. Les forces de l'ordre savent qu'elles y seront systématiquement confrontées. Ce texte les priverait des moyens de se défendre.

L'emploi des LBD est strictement encadré. Les principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité guident l'action de nos policiers. Jamais ce Gouvernement n'a dissuadé de manifester, au contraire ; il protège ceux qui manifestent pacifiquement pour faire connaître leurs revendications chaque samedi.

M. David Assouline.  - Avec la loi anticasseurs ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Les fonctionnaires dotés de ce matériel sont formés et habilités. En cas de manquement au protocole, une enquête est ouverte et une sanction envisagée si nécessaire.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Avec quel résultat ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Il y a eu 2 200 blessés lors des manifestations, 83 enquêtes ont été ouvertes.

Mme Éliane Assassi.  - Et ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le ministre de l'Intérieur a exigé que l'usage des LBD se fasse concomitamment à l'usage de caméras-piétons pour garantir un meilleur contrôle. La sécurité de tous est notre priorité.

Certains continuent de demander : pourquoi utiliser le LBD ? Contrairement à ce qu'on entend, ce n'est pas une exception française ; il est utilisé en Espagne, en Croatie, en Bulgarie et en Slovénie. Il évite aux forces de l'ordre le corps-à-corps, de dissiper les violences à distance, avec le gaz lacrymogène et les canons à eau et les dispositifs de désencerclement.

S'il n'y avait pas de violences et pas d'agresseurs, il n'y aurait pas de LBD.

Mme Éliane Assassi.  - Et pourquoi pas, pas de manifestation !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Je suis le premier à souhaiter qu'on cesse d'utiliser le LBD : cela signifierait que les casseurs ont perdu.

Cette proposition de loi pourrait avoir des conséquences dangereuses pour la sécurité des Français et, en premier lieu, pour celle des manifestants.

Nous disposons d'un traitement informatique qui enregistre les tirs des LBD. Il s'agit cependant d'un traitement interne à la police nationale, qui contient des données personnelles. Il ne peut pas être ouvert au public.

Quant à la doctrine de désescalade, que signifie-t-elle face à des casseurs ? La désescalade, c'est la déclaration de manifestation auprès de la préfecture. (Protestations sur les bancs des groupes CRCE et SOCR) Ce sont les contrôles préventifs et les interpellations que nous mettons en oeuvre en amont de chaque manifestation des gilets jaunes. Tout cela est dans notre droit !

Quant à notre doctrine de maintien de l'ordre, elle est établie. Elle a évolué depuis novembre en raison des violences, violences qui sont bien loin du droit de manifester, auquel je suis attaché. Bien évidemment, le Gouvernement émet un avis défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. François Grosdidier.  - Bravo monsieur le ministre !

Mme Maryse Carrère .  - Ce texte poursuit un objectif en partie légitime : faire la lumière sur l'utilisation des LBD. L'article 2 fait écho aux préoccupations relayées par des observateurs comme le Défenseur des droits.

Après un long mouvement de pacification des cortèges, qui a participé à leur légitimation, nous observons depuis peu le retour des groupuscules violents. Les ligues d'hier sont devenues les black blocs d'aujourd'hui. À ces individus bien entraînés, cagoulés, s'agrègent des casseurs au comportement plus opportuniste.

L'équation est simple pour qui n'a pas à choisir entre la protection de son intégrité physique et l'usage d'une arme. Nous réaffirmons notre confiance à nos forces du maintien de l'ordre. Il serait dangereux de laisser croire que « la République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! », comme le disait Louis-Philippe. Désarmer la République, ce serait la faire vaciller. Nous ne sommes pas favorables à l'article premier du texte qui interdit les LBD.

Pour autant, le débat doit se poursuivre. La fragilisation des syndicats n'est pas étrangère à la montée des violences dans les cortèges. Chez nos voisins européens, d'autres moyens sont utilisés comme le recours à des panneaux incitant les manifestants à se disperser.

Les règles d'utilisation des LBD ont été considérablement renforcées. Aux instructions des 27 juillet et 2 août 2017 s'ajoute l'obligation de filmer en cas d'usage du LBD depuis le 23 janvier 2019. La création d'une commission d'enquête aurait été plus pertinente. Le groupe RDSE en avait demandé une sur les Tasers en 2008.

Le groupe RDSE votera contre cette proposition de loi dans sa majorité ; certains s'abstiendront et nos deux collègues écologistes voteront pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je salue, sans ironie, cette initiative du groupe CRCE, qui aborde la question des dérives violentes des manifestations dans notre pays. Le premier volet de cette proposition de loi porte sur les solutions alternatives à l'usage des armes par les forces de l'ordre ; le second porte sur l'interdiction des LBD.

Dans le sillage de l'occupation de Notre-Dame-des-Landes, de la contestation de la loi Travail puis des gilets jaunes, l'État est confronté à l'augmentation des actes agressifs vis-à-vis des biens et de personnes, voire de symboles de notre République. Ces violences parfois très agressives sont le fait d'individus qui instrumentalisent le droit de manifester, jusqu'à le dévoyer. On doit s'interroger sur le maintien de l'ordre et le droit de manifester dans ce contexte de guérilla urbaine et de ce que j'appellerai une professionnalisation de l'affrontement violent.

La formation à l'usage des LBD semble insuffisante mais l'évaluation prend du temps. Je ne doute pas que le Gouvernement s'y est déjà engagé.

Le deuxième volet porte sur l'interdiction des LBD. Leur usage n'a lieu, rappelons-le, qu'en cas de situation très dégradée pour disperser un attroupement après sommation prononcée par des autorités habilitées, ou à titre dérogatoire en cas de danger immédiat. Il n'est pas besoin de les décrire, nous avons vu les images.

Retirer un échelon dans la palette des armes autorisées, sans alternative, cela déstabiliserait l'organisation du maintien de l'ordre : cet échelon ferait défaut dans la nécessaire graduation que l'on demande aux forces de l'ordre. On encourrait un risque de recours plus fréquent à une arme létale ou au contact direct entre forces de l'ordre et manifestants. En outre, une partie de la proposition de loi est réglementaire.

En résumé, cette proposition de loi ne répond pas au souhait de pacification affiché.

Je suis profondément attachée au respect du droit à manifester, mais je veux aussi dire mon soutien aux forces de l'ordre, que nous devons protéger en les dotant des moyens nécessaires. Elles sont trop souvent agressées - par des groupes préparés, voyez les stages de guérilla urbaine organisés par les zadistes à Notre-Dame-des-Landes.

Les centristes sont attachés au respect des libertés individuelles, tout en apportant un soutien sans faille à nos forces de l'ordre, qui doivent être protégées et disposer des moyens nécessaires à leur tâche.

Le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Dany Wattebled .  - La situation sociale de notre pays et la multiplication des violences ont entraîné un usage accru des LBD. On ne peut que regretter les blessures occasionnées.

Cette proposition de loi interdit immédiatement les LBD. Elle vise aussi une plus grande transparence dans l'usage des armes par les forces de l'ordre, avec la mise à disposition du public du traitement relatif au suivi de l'usage des armes.

Cette proposition de loi demande enfin au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur les solutions alternatives en Europe.

La plupart des dispositions de la proposition de loi ne relèvent pas de la loi, mais du règlement.

L'ouverture au public du traitement informatique de l'usage des armes pose des problèmes de respect des données privées.

Le délai de deux mois pour un rapport sur la révision de notre doctrine de maintien de l'ordre, en nous inspirant de certains pays européens, est insuffisant. En outre, nos forces de l'ordre n'ont rien à envier aux forces de l'ordre des autres pays de l'Union européenne.

La doctrine française du maintien de l'ordre repose sur un maintien à distance des individus commettant des exactions. L'usage des armes, en particulier des LBD, est très encadré ; sa hausse est due aux violences exceptionnelles secouant notre pays. Pourquoi, dans ces conditions, priver nos forces de l'ordre d'une arme circonscrite à des finalités défensives et supprimer un échelon dans l'arsenal des moyens permettant une réponse graduée ?

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Alain Richard .  - Cette proposition de loi nous amène, au fond, à considérer la mutation des manifestations dans notre pays, qui ne date pas des gilets jaunes, mais remonte au moins à Notre-Dame-des-Landes.

Certaines manifestations, inscrites dans un mouvement long de contestation sociale, ont changé de méthode, se militarisant, avec des groupes de combattants qui, littéralement, dévoient le principe même de manifestation. Cette mutation est venue perturber la régulation des manifestations, auparavant très encadrées. La préfecture de Paris a ainsi acquis un très grand professionnalisme dans la gestion des cortèges en concertation avec les organisations encadrant les manifestations.

Or, la fréquence des manifestations débouchant sur une attaque des forces de l'ordre s'est accrue. Ajoutons-y un évitement de la déclaration de manifestation et une absence quasi volontaire d'encadrement, spécifiques aux gilets jaunes. Le résultat, ce sont des affrontements graves mettant en cause la sécurité des forces de l'ordre.

Lorsque nous avons, avec la rapporteure, dialogué avec les syndicats de forces de l'ordre, nous n'avons pas entendu une demande de supprimer les LBD. Le risque d'une telle suppression, ce serait la multiplication des corps-à-corps et des mêlées violentes.

La légitimité du motif de manifestation n'a pas de rapport avec la forme de la manifestation. Ce n'est pas parce qu'on manifeste violemment qu'on est plus légitime à manifester.

Le ministre a rappelé l'encadrement de l'usage des LBD qui a été mis en oeuvre. L'usage de ces armes doit être proportionné, c'est la seule réponse, et il faut s'en assurer avec des contrôles et des enquêtes en cas d'accident - avec le nombre d'enquêtes en cours, on peut tabler sur plusieurs mois d'investigation.

Enfin, soulignons la sur-sollicitation des forces de l'ordre, reconnue par Mme Assassi elle-même. Notre pays ne s'est pas doté des effectifs nécessaires pour répondre à une situation insurrectionnelle.

Comment nous organisons-nous pour sortir de ces confrontations de rue ? La réponse de cette proposition de loi n'est vraiment pas adaptée. Le groupe LaREM rejettera la proposition de loi.

Mme Esther Benbassa .  - Guy, 60 ans, mâchoire fracturée par un tir de LBD le 1er décembre ; Doriana, 16 ans, menton fracturé par un tir de LBD le 3 décembre ; Oumar, 16 ans, front fracturé par un LBD le 5 décembre ; Jérôme, 40 ans, éborgné le 26 janvier...

Mille sept cents blessés chez les manifestants dont 94 graves, et 69 par LBD.

Mme Françoise Gatel.  - N'oubliez pas les policiers !

Mme Esther Benbassa.  - Derrière les chiffres impersonnels, il y a des destins brisés, des vies perturbées.

Les LBD ont une force d'impact de 200 joules, autant qu'un parpaing de 20 kilos lâché d'une hauteur d'un mètre.

Le plus souvent, dans ces situations, le policier n'a pas utilisé son équipement de façon adéquate. Le Défenseur des droits, le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'ONU se sont alarmés successivement, ils demandent des explications face à l'usage excessif de la force sur notre territoire.

Le LBD a été conçu comme une arme à utiliser dans la guérilla urbaine. Il l'est désormais dans les manifestations. Cette proposition de loi prohibe son usage pour le maintien de l'ordre.

Nous sommes les seuls en Europe, avec les Grecs et les Polonais à les utiliser. Et les autres, comment font-ils ?

M. Jean-Pierre Grand.  - Ils tirent à balles réelles ! Aux États-Unis, les blessés seraient morts.

Mme Esther Benbassa.  - Comment fait l'Allemagne ? (Marques d'ironie de Mme Françoise Gatel) Ils ont des néonazis dans leurs manifestations, mais ils se limitent à des dispositifs tenant les foules à distance et se préoccupent avant tout de désescalade.

En France, nous préférons des dispositifs comme le nassage, (Mme Françoise Gatel se gausse.) qui engendre au contraire une escalade vers la brutalité. (À Mme Françoise Gatel) : si vous êtes en désaccord avec mes propos, vous pouvez vous exprimer.

Mme Françoise Gatel.  - Je grimace.

Mme Esther Benbassa.  - Inspirons-nous des peace units des Pays-Bas. Ce n'est pas parce qu'on est désarmé qu'on a un pays moins sûr, au contraire.

Une meilleure formation des gardiens de la paix et un meilleur encadrement de leurs pratiques seraient un début. N'oublions pas Malik Oussekine ni Rémi Fraisse.

Cette proposition de loi n'est pas une offense faite aux forces de l'ordre et à leur travail. C'est un texte d'apaisement et nous espérons qu'il sera perçu comme tel. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)

M. Jérôme Durain .  - Le groupe socialiste exprime son soutien sans réserve aux forces de l'ordre qui oeuvrent sans relâche sur tous les fronts depuis plusieurs années. Les blessures causées par les LBD sont inacceptables. Nous adhérons à l'idée d'interdire ces armes contre les manifestants, et de rechercher des alternatives au plus vite.

Mme la rapporteure relève les possibilités d'amélioration de la formation des forces de l'ordre. Elle souligne l'imprécision juridique de la proposition de loi. Législative ou réglementaire ? À mon sens, elle relève surtout du politique.

La confiance de la population envers la police, s'est améliorée, à 74 %. C'est le fruit d'initiatives prises lors du précédent quinquennat, comme le nouveau code de déontologie de la police et de la gendarmerie qui rend obligatoire le port du matricule et encadre les palpations de sécurité.

Signalons au demeurant que le premier code de déontologie de la police a été instauré par ce toujours respecté Pierre Joxe.

Le président Hollande a donné des garanties aux forces de l'ordre après la fonte des effectifs sous Nicolas Sarkozy.

Le président de la République a promis 10 000 recrutements et la création de la police du quotidien. Mais comme souvent en Macronie, la mise en oeuvre a failli. Les conditions d'exercice des forces de l'ordre continuent à se dégrader, notamment en matière de formation et d'équipement.

Que nous disent les policiers ? Des stands de tir parfois hors d'âge, des conditions d'entraînement dégradées, des heures de formation insuffisantes et pourtant difficiles à consommer. Un gradé nous a dit avoir dû acheter chez Décathlon des casques et des genouillères pour ses hommes, sur ses fonds propres !

Les forces de l'ordre sont pointées du doigt quand il y a des bavures supposées et trop peu soutenues quand elles sont agressées. Le premier à perdre un oeil dans le mouvement des gilets jaunes a été un policier.

Nous avons aussi une claire idée des violences subies dans la population civile. Documentées pour beaucoup sur les réseaux sociaux pendant la mobilisation des gilets jaunes, elles sont restées absentes du champ médiatique pendant plusieurs semaines. Après avoir longtemps fait preuve de déni, le ministre de l'intérieur a finalement consenti à équiper les policiers armés de LBD de caméras piétons.

Le déni permanent des difficultés entretient dans la population un ressentiment vis-à-vis des forces de l'ordre. Cette question est malheureusement absente du grand débat alors que la situation ne peut être que publique.

Notre pays mérite un débat serein sur la confiance qu'il porte à la police.

Le groupe socialiste a hésité sur la question à prendre tant le sujet est complexe.

Des blessures, il y en a dans tous les pays ; mais les blessures irréversibles sont plus rares. Le professeur Laurent Thines, neuro-chirurgien, a appelé à un moratoire sur les LBD. On ne peut écarter ses propositions, ni une résolution du Parlement européen - surtout quand on prône un engagement européen fort.

Nous voterons donc ce texte, malgré ses imperfections, comme un signal d'alarme.

Nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur la doctrine d'emploi des armes de nos forces de l'ordre. Les journalistes et les manifestants pacifiques blessés ne le comprendraient pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

M. François Grosdidier .  - J'entends souvent la gauche dénoncer les lois de circonstance. En voilà une !

Non, le problème de la France de 2019 n'est pas la violence policière même si MM. Poutine et Erdogan s'en inquiètent. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)

Dès qu'il y a blessure, il y a enquête, sans complaisance. Le problème, c'est la violence débridée contre les forces de l'ordre. On a agressé mes policiers municipaux avec des billes d'acier envoyées au lance-pierre !

La polémique est née de l'usage de ces armes lors d'opérations de maintien de l'ordre. On a reproché à nos CRS d'assister aux dégradations sans intervenir. Face aux casseurs, nous ne sommes plus dans le maintien, mais dans le rétablissement de l'ordre ! Il faut des LBD pour neutraliser les délinquants infiltrés.

Il y a eu 15 000 tirs, et 36 dommages corporels : c'est relativement peu, même si c'est toujours trop.

Mme Éliane Assassi.  - Oui !

M. François Grosdidier.  - Mais l'usage de LBD a parfois évité le tir à balles réelles pour éviter aux policiers de se faire lyncher.

Mme Éliane Assassi.  - Parce qu'il n'y a rien en dehors de cette alternative ?

M. François Grosdidier.  - On peut envisager d'équiper ces armes d'une caméra. Il faut aussi former et entraîner nos agents, les policiers ne font même pas le nombre minimal de tirs à balles réelles imposé par la loi.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Il y a donc des problèmes !

M. François Grosdidier.  - De plus, la trajectoire de la balle de défense est courbe, celle de la balle réelle est droite. Le LBD est une arme indispensable pour faire face aux délinquants. Nos forces de l'ordre sont au point de rupture ; sans les LBD, il y aura des morts. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - La France vit une période intense. Nos gendarmes et policiers sont mobilisés sur les zones à défendre (ZAD), sur les mouvements sociaux et enfin sur des mouvements comme les gilets jaunes. Des individus infiltrent les manifestations parce qu'ils veulent seulement en découdre, ils viennent seulement pour chercher l'affrontement.

Il y a eu 1 400 policiers et gendarmes blessés depuis le 17 novembre ; et combien de magasins pillés ?

Le défi est paradoxal : assurer le bon déroulement des manifestations, tout en les protégeant contre la violence déchaînée.

Pour cela, il faut maintenir la distance, et déployer des unités formées au maintien de l'ordre. Le LBD y est particulièrement adapté, contre des individus protégés par des casques, des masques à gaz, formés à l'affrontement et aux violences - et qui cherchent délibérément à s'approcher des forces de l'ordre pour les agresser.

Il y a eu 1 584 cas d'usage de LBD répertoriés, et aucun jugé abusif, pour le moment, par l'IGPN. Sans le LBD, les forces de sécurité ne pourraient dissuader des individus dangereux de les approcher. Au demeurant, chaque incident fait l'objet d'une enquête interne.

Je déplore que l'on déploie des forces non formées au maintien de l'ordre ; c'est que l'État est trop habitué à jouer la Sécurité sociale pour le monde entier, au point qu'il ne parvient plus à assurer ses missions régaliennes - et qu'il fait preuve d'une complaisance coupable pour l'extrême gauche.

Ne nous privons pas de cet outil de mise à distance et de maintien de l'ordre. (M. François Grosdidier applaudit.)

M. Édouard Courtial .  - Symboles de la République vandalisés, vitrines brisées : qui ne s'est pas indigné devant ces scènes de guérilla urbaine dans nos villes ? Je rends hommage à nos forces de l'ordre, tout en ayant une pensée pour tous les blessés, d'où qu'ils viennent.

Cette proposition de loi prétend interdire l'usage des LBD sans proposer d'alternative.

Or c'est une arme intermédiaire ; la supprimer augmente le risque d'usage disproportionné de la force publique, car on passerait du maintien à distance, au corps-à-corps. Et la Cour européenne des droits de l'homme impose aux pays d'équiper leurs forces d'un arsenal gradué. Le Défenseur des droits n'a été saisi, entre 2011 et 2018, que de 25 cas d'usage considérés comme abusifs.

La commission d'enquête a conforté l'usage de LBD, contre des casseurs qui n'ont plus de limites, considérant qu'il s'agissait d'une réponse proportionnée.

Je ne crois pas que nos policiers tirent pour le plaisir ; je n'ignore ni les blessures graves ni les erreurs, et je n'ai pas attendu pour cela les injonctions inadmissibles de l'ONU.

Sans cette arme, le contrat républicain est rompu, et la République est en danger. (M. François Grosdidier applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Grand.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Grand.  - Cet article interdit l'usage des LBD dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre.

Depuis des semaines, nos forces de l'ordre sont durement éprouvées, notamment par l'usage de projectiles de toutes sortes, jusqu'aux excréments.

Par quoi remplacer ces armes ?

La commission d'enquête les juge appropriées pour ce type de situation. Je vous propose de supprimer l'article.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Avis favorable, la commission s'étant prononcée contre ce texte.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis.

À la demande des groupes Les Républicains et CRCE, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°61 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 248
Contre    93

Le Sénat a adopté et l'article premier est supprimé.

L'amendement n°1 est retiré.

ARTICLE 2

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°62 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption   93
Contre 249

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 3

Mme Éliane Assassi .  - Nous regrettons l'issue de ce débat. Le sujet fait société, chez les manifestants mais aussi chez nos concitoyens et au sein de nos forces de police.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas eu un mot de compassion à l'égard des blessés mutilés à vie. Nos concitoyens s'en souviendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie .  - Notre groupe a pesé le pour et le contre, reconnaissant la difficulté du sujet. Alors que tous les intervenants ont identifié un problème, vous avez refusé, monsieur le ministre, d'ouvrir la voie à une quelconque réflexion sur des changements souhaitables. Vous restez sourd à la nécessité de faire évoluer la formation, les armements. Les enquêtes se déroulent dans la plus grande opacité. Les incidents risquent de continuer.

M. François Grosdidier .  - Ce débat n'aura pas été inutile. On ne peut pas désarmer nos policiers, qui ne sont pas responsables des circonstances qui les amènent à utiliser ces armes. Oui, il faut armer, entraîner les policiers.

Monsieur le ministre, entendez les propositions de notre commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure !

Mme Esther Benbassa.  - Et les blessés ?

L'article 3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Tous les articles ayant été successivement repoussés, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'ensemble de cette proposition de loi.

Prochaine séance, mardi 12 mars 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 20.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus