Collectivité européenne d'Alsace (Conclusions de la CMP - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. René Danesi .  - La bonne politique, c'est l'art du possible. La récente histoire institutionnelle de l'Alsace l'illustre. Depuis son incorporation à la région Grand Est, elle cherchait à exister à nouveau dans les institutions de la République.

En mon nom et au nom des deux conseils départementaux rhénans, je remercie ceux qui ont participé à l'élaboration de cette loi, notamment Mme Gourault, M. Bas et Mme Canayer qui ont oeuvré pour la concrétisation du désir d'Alsace.

En tant que porteur de l'amendement qui a permis le rétablissement de la dénomination de Collectivité européenne d'Alsace, j'en remercie les cosignataires, Mme Keller, MM. Kern, Brisson, Laménie et Sido.

Cette loi redonne à l'Alsace son identité institutionnelle perdue et affirme son ancrage rhénan. Elle sera complétée par des mesures réglementaires : retour des statistiques à l'échelle de l'Alsace et plaques minéralogiques alsaciennes auront un impact politique évident.

L'État s'est engagé à maintenir les deux préfectures et l'élection des sénateurs dans chacun des deux départements.

La Collectivité européenne d'Alsace a été accueillie avec grande satisfaction par les deux conseils départementaux - à l'exception des socialistes, qui n'y voient qu'un leurre. Certains chez Les Républicains traitent la loi de coquille vide, tandis que les régionalistes-autonomisants réclament pour l'Alsace le statut particulier qu'ont Paris, Lyon ou la Corse. Cela supposait la fusion de deux assemblées de nature différente ; c'était le référendum raté de 2013...

Je suis d'un naturel optimiste et réaliste, ce qui m'a permis d'être élu depuis 48 ans au niveau local comme national. Je préfère voir le verre à moitié plein.

Cette loi va aussi loin que possible dans le cadre constitutionnel existant, sans détricoter la carte des régions. Le droit à la différenciation ouvrira de nouvelles perspectives. Si la Collectivité européenne d'Alsace fait la preuve de son efficacité, rien ne pourra s'opposer à ce qu'on aille plus loin à l'avenir. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. André Reichardt .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous voici au bout du parcours parlementaire de ce texte et l'heure est au bilan. Le texte issu de la CMP correspond-il à la lettre et l'esprit de la déclaration de Matignon du 29 octobre 2018 ? Répond-il aux attentes des Alsaciens ? À la première question, difficile de répondre « oui ». Ce projet de loi s'éloigne beaucoup de la déclaration de Matignon, tant sur le bilinguisme que sur les compétences transfrontalières. Sur le transfert des routes, la compensation financière, condition sine qua non, sera-t-elle adéquate ? Pas sûr, la référence au montant de dépenses de l'exercice 2018, votée par le Sénat à l'initiative de notre rapporteur, ayant été supprimée à l'Assemblée nationale.

Que penser du renvoi à l'ordonnance pour instaurer des contributions spécifiques à la charge des usagers ? Là aussi, le dispositif précis voté par le Sénat a été supprimé.

Enfin, si les fédérations culturelles et sportives pourront organiser leur gouvernance à l'échelle infrarégionale, ce ne sera que dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'État...

La Collectivité européenne d'Alsace répond-elle à l'attente des Alsaciens ? Non. Ils n'ont pas souhaité la disparition des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin au profit de ce qui n'est qu'un autre département. Attendons-nous à des divisions internes quand il s'agira de choisir le chef-lieu...

Dans quatre sondages, 80 % des Alsaciens ont dit vouloir le rétablissement d'une région Alsace dotée de toutes les compétences régionales. Or le rôle de chef de file dans la promotion du bilinguisme, la coordination de la politique touristique, la possibilité de se voir déléguer certaines aides aux entreprises, tout a été supprimé.

Certains se consolent en se disant que ce texte est un premier pas. Je ne suis pas de cet avis. Le Gouvernement aurait pu aller plus loin à droit constant, s'il l'avait souhaité, en instituant une collectivité à statut particulier. Il estime avoir répondu au désir d'Alsace. Je voterai contre ce texte. (M. Stéphane Piednoir applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - En application de l'article 42 alinéa 12 du Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis par un seul vote sur l'ensemble du texte.

ARTICLE 3

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par Mme Canayer, au nom de la commission.

Alinéa 9

Remplacer le mot :

deuxième

par le mot :

premier

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Coordination rédactionnelle.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

M. François Grosdidier .  - J'avais voté pour le texte issu du Sénat. Nous sommes favorables à plus de décentralisation, nous voulons satisfaire le désir d'Alsace, nous voulons une République moins jacobine, moins rigide, faisant confiance au terrain.

Par nos amendements, nous avions ouvert aux autres départements les mêmes droits qu'aux Alsaciens. L'Assemblée nationale, à la demande du Gouvernement, a défait le travail du Sénat en allant jusqu'à supprimer l'extension de l'écotaxe poids-lourd à la Lorraine, ce qui revient à déporter le trafic de l'A35 vers l'A31 et donc le déport des poids-lourds d'Allemagne et de Suisse - où l'écotaxe est pratiquée - vers la Lorraine. Ce sera catastrophique. Je voterai contre, ainsi que tous les collègues lorrains.

M. Guy-Dominique Kennel .  - Étant donné l'estime personnelle que je porte à la ministre, j'aurais aimé voter en faveur de ce texte. C'était sans compter les modifications de la navette.

Le Sénat, ayant compris que l'Alsace souhaitait être terre d'expérimentation, avait fait un important travail de consolidation du texte. Malheureusement, le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ont préféré produire de la mousse tout en faisant croire aux Alsaciens qu'ils leur servaient une vraie bière. (Sourires)

Un seul département, c'est une seule préfecture. La liste des insatisfactions est longue. Chef-de-filat transfrontalier uniquement organisationnel, charges routières non compensées, taxe transit liée à l'hypothétique ordonnance, bilinguisme réduit à un enseignement complémentaire : le texte risque d'engendrer des frustrations qui nourriront les extrémismes. Je m'abstiendrai.

M. Jean-Marie Mizzon .  - J'avais dans un premier temps voté pour le texte tel qu'amendé par le Sénat. Il nous revient sous une forme qui va créer un système dual et déséquilibré. Pourquoi refuser à des départements qui sont dans des situations comparables ce que l'on octroie à d'autres ?

Je voterai contre ce projet de loi. Le risque est grand qu'il renforce le trafic parasite qui transite par l'Alsace, mais aussi celui en provenance du Luxembourg qui transite par la Lorraine.

M. André Reichardt .  - Mon vote sera négatif. Ce texte ne décline pas la déclaration de Matignon sur le renforcement du bilinguisme ; loin de la sanctuarisation promise, le texte ne prévoit que la possibilité de proposer un enseignement facultatif complémentaire. L'esprit de la déclaration de Matignon n'est pas respecté dans le texte. Je vois mal les présidents des conseils départementaux accepter un tel recul par rapport à ce qu'ils avaient demandé.

De même, alors que la déclaration de Matignon prônait une nouvelle gouvernance pour l'enseignement des langues, on crée un comité stratégique de l'enseignement de la langue allemande qui réunit le rectorat et les collectivités concernées : autant dire, la même chose que la convention quadripartite qui existe déjà, à laquelle je participais en tant que président du conseil régional.

M. Jean-Marc Todeschini .  - Comme mes collègues mosellans, je m'étonne que la majorité de l'Assemblée nationale ait rejeté ce qui avait été voté à l'unanimité au Sénat. Il est regrettable que les députés mosellans aient été opportunément absents au moment du vote.

L'A31 est déjà saturée, avec 14 500 poids lourds par jour ; l'instauration d'une écotaxe en Alsace, conjugué au péage en Allemagne, risque d'entraîner le déport de plus de 16 000 poids lourds par jour. Les départements lorrains devront supporter le coût, économique, sanitaire et environnemental, de ce trafic supplémentaire. Je voterai contre le texte.

À la demande de la commission des lois, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°171 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 267
Pour l'adoption 212
Contre    55

Le Sénat a adopté.