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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Réforme des retraites (I)

M. Patrick Kanner

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Coronavirus (I)

Mme Colette Mélot

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Réforme des retraites (II)

M. Bruno Retailleau

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Crise migratoire (I)

M. Olivier Cigolotti

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Crise migratoire (II)

M. Julien Bargeton

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Établissements scolaires ruraux

M. Éric Gold

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

Crise migratoire (III)

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Crise migratoire (IV)

M. François-Noël Buffet

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Coronavirus (II)

Mme Laurence Rossignol

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées

Crise migratoire (V)

M. Robert del Picchia

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Coronavirus (III)

M. Jacques Le Nay

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Coronavirus (IV)

M. Jérôme Bascher

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Protection de l'enfance

M. Bernard Buis

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé

Grève à l'université

Mme Brigitte Lherbier

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Crise migratoire (VI)

M. André Vallini

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Retraite des agriculteurs

Mme Christine Herzog

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Remplacement d'un sénateur

Missions d'information (Nominations)

Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Information sur les produits agricoles et alimentaires

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques

M. Bernard Buis

Mme Cécile Cukierman

M. Franck Menonville

Mme Sophie Primas

Mme Marie-Pierre Monier

M. Joël Labbé

M. Pierre Louault

Rapport de la Cour des comptes

Mme Sophie Moati, Première présidente de la Cour des comptes

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales

M. Julien Bargeton

M. Jean Louis Masson

M. Vincent Delahaye

M. Franck Menonville

M. Jean-François Husson

M. Jean-Marc Gabouty

M. Éric Bocquet

M. Patrice Joly

Mme Corinne Imbert

M. Thierry Carcenac

Mme Christine Lavarde

Mme Sophie Moati, Première présidente de la Cour des comptes

Mesures face au Coronavirus

Orateurs inscrits

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Mme Claudine Kauffmann

Mme Laurence Cohen

M. Claude Malhuret

Mme Élisabeth Doineau

Mme Laurence Rossignol

Mme Véronique Guillotin

M. François Patriat

Mme Catherine Deroche

Débat interactif

Mme Laurence Cohen

M. Joël Guerriau

M. Loïc Hervé

Mme Jacky Deromedi

M. Yves Daudigny

M. Joël Labbé

M. Martin Lévrier

Mme Sonia de la Provôté

M. Michel Magras

Mme Claudine Lepage

Mme Sophie Primas

Mme Michelle Meunier

M. Cyril Pellevat

M. Mathieu Darnaud

M. Hugues Saury

Annexes

Ordre du jour du jeudi 5 mars 2020

Missions d'information (Nominations)




SÉANCE

du mercredi 4 mars 2020

64e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Joël Guerriau, M. Dominique de Legge.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Chacun sera attentif au respect du temps et à celui des uns et des autres.

Réforme des retraites (I)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je vais vous parler de la réforme des retraites (« Ah ! » général) Avant même son parcours législatif, vous avez enchaîné les faux pas, les erreurs, les coups de menton. Peut-être est-ce cela l'amateurisme que vous revendiquez ?

Nous assistons à un naufrage sur le fond et sur la forme.

M. François Patriat.  - Il y a de la nuance !

M. Patrick Kanner.  - La forme nous empêche de traiter sereinement du fond. On ne peut aborder de cette façon une réforme systémique qui concerne tous les Français et représente 14 % du PIB. Quelle urgence y a-t-il à voter un texte dont personne ne connaît le financement ?

La seule urgence, c'est celle de sortir le Gouvernement du bourbier. Du bourbier naît l'enlisement et de l'enlisement la panique. La panique, c'est lorsque votre porte-parole affabule en disant que l'urgence vient des élections sénatoriales de septembre.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes prêts à siéger en juillet. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur celles du groupe Les Républicains ; on applaudit aussi sur plusieurs autres travées.) La panique s'installe quand vous rejetez la commission d'enquête sur la sincérité de l'étude d'impact demandée par les députés du groupe socialiste dans le cadre de son droit de tirage. Qu'avez-vous à cacher ?

Saisirez-vous la main tendue par le Sénat ? Nous permettrez-vous, en décalant le début de l'examen par le Sénat à la fin de la conférence de financement, de travailler sereinement dans l'intérêt des Français ? (Applaudissements nourris sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; MM. Jean-Pierre Corbisez et Jean-Pierre Decool applaudissent aussi.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Merci pour votre question qui porte en effet plus sur la forme que sur le fond. Sur la forme, vous évoquez le moment où le texte arrivera au Sénat. Les deux motions de censure déposées dimanche ayant été repoussées hier, par deux votes distincts, le texte est donc considéré comme adopté par l'Assemblée nationale.

Mme Éliane Assassi.  - Quel texte ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Je sais, étant attentif à ce que vous avez dit et fait, comme vous l'êtes à ce que je dis et ce que je fais, que vous n'avez pas de problème de principe avec l'usage du 49-3. (Sourires sur diverses travées ; plusieurs rires à droite ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jean-Raymond Hugonet applaudit aussi.) Vous l'avez utilisé comme nous.

L'adoption par l'Assemblée nationale en application de l'article 49 alinéa 3 de notre Constitution ne met nullement un terme à l'examen parlementaire de ce texte. Oui, enrichi, complété, modifié par rapport au texte initial déposé par le Gouvernement, prenant en compte des amendements, ce texte sera soumis au Sénat.

Mme Éliane Assassi.  - Lesquels ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Je ne puis en faire la liste dans le temps qui m'est imparti... (M. le président le confirme.) Il y en a plus de 400 : vous le verrez lors de l'examen du texte. Le calendrier que j'ai fixé très tôt, c'est celui d'une adoption avant l'été.

M. François Patriat.  - Très bien !

Mme Éliane Assassi et plusieurs voix sur les travées du groupe CRCE.  - Pourquoi ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Pourquoi ?

M. David Assouline et plusieurs voix sur les travées du groupe SOCR.  - Oui, pourquoi ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Pour que le 1er janvier 2022, le nouveau régime s'applique à ceux qui entreront sur le marché du travail et pour que les avantages nouveaux s'appliquent à tous les Français. (Marques d'incrédulité sur de nombreuses travées à droite et à gauche)

M. Roland Courteau.  - Lesquels ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Il faut prendre le temps d'appliquer les lois. Il nous faudra, entre l'adoption du texte et...

M. Rachid Temal.  - Et le point d'indice ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - J'ai reçu une lettre du président du Sénat. Et je lui ai répondu par téléphone. M'autorisez-vous, monsieur le Président, à en faire état ?

M. le président.  - Par téléphone et les yeux dans les yeux. (Rires et applaudissements sur la plupart des travées)

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - En ces temps difficiles, cette volonté de contact direct me touche... (Sourires) Nous aurons la discussion nécessaire, dans les heures et les jours qui viennent, monsieur le président, avec toute la qualité de nos relations, pour garantir l'objectif que j'ai fixé d'une adoption avant l'été et pour que l'examen parlementaire au Sénat se déroule dans d'excellentes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; protestations à droite ; M. Fabien Gay sourit.)

Coronavirus (I)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur plusieurs travées du groupe LaREM) La propagation du Coronavirus est devenue, en quelques semaines, la préoccupation majeure des Français, depuis qu'il n'est plus cantonné à la Chine et que plus de 200 cas se sont déclarés sur notre territoire.

Au-delà des aspects sanitaires, l'économie mondiale risque de se gripper ; vous avez annoncé qu'un ralentissement de la croissance était inévitable ; l'OCDE craint une récession en France et chez certains partenaires. En effet, de nombreuses usines chinoises sont sous cloche, d'où des problèmes d'approvisionnement pour notre industrie et un effet domino, notamment dans les services, l'hôtellerie, le tourisme ; notre industrie, pharmaceutique en particulier, prend conscience de sa dépendance à l'égard de la Chine.

Quelle stratégie pour limiter les conséquences pour les entreprises ? Quelle concertation européenne ? Quel impact sur nos finances publiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur plusieurs travées du groupe LaREM)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Oui, cette crise aura un impact sur notre économie, encore difficile à évaluer. L'impact lié à la Chine est de moins 0,1 point de PIB sur notre économie. Bruno Le Maire et moi-même allons prendre des mesures pour soutenir la trésorerie des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.

Le 21 février dernier, nous avons réuni les acteurs économiques pour faire le point : les entreprises liées à la Chine, celles qui perdent des clients et celles dont la chaîne de production est perturbée - par l'épidémie en Chine, mais aussi en Corée, en Italie, au Japon. Nous allons reporter les échéances fiscales et sociales, donner la possibilité de faire valoir la force majeure dans les contrats avec l'État, demander aux collectivités territoriales d'adopter la même attitude, recommander aux donneurs d'ordre de la bienveillance à l'égard des sous-traitants, financer du chômage partiel en en tirant profit pour faire de la formation professionnelle.

Nous allons coordonner les aides au niveau de l'OCDE et du G7. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Réforme des retraites (II)

M. Bruno Retailleau .  - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce devait être la mère de toutes les réformes. Le président Macron nous l'avait promis depuis l'Olympe. L'entrée dans l'atmosphère a été pour le moins dégrisante !

Deux années studieuses de M. Delevoye pour rien, avis du Conseil d'État cruel et pour finir un article 49-3 décidé au sein d'un conseil des ministres convoqué pour discuter de la crise sanitaire. Habileté ? Non ! Maladresse ! On ne peut pas débattre de cette réforme sans en connaître le financement, c'est se moquer des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Pourquoi refuser la main tendue par le président du Sénat ? Pourquoi chipoter sur quinze jours qui amélioreraient la qualité du travail du Sénat, alors que l'application de la réforme est repoussée jusqu'à 2047 ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur plusieurs travées du groupe CRCE ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Passer de 42 systèmes de retraite avec leurs règles, leur originalité, parfois leur déséquilibre, leurs contraintes, à un système universel par répartition et par points est évidemment une tâche difficile et complexe -  je ne l'ai jamais caché. (Murmures à droite)

Nous savons tous que travailler sur 42 systèmes existants pour les amener à un système solidaire unique est un exercice redoutable. Certains nous disaient dans la phase préalable que cela prenait trop de temps - pas vous, monsieur Retailleau, mais je l'ai entendu pas très loin de vous. (M. Bruno Retailleau lève les bras au ciel.)

Nous devions travailler pour construire une réforme globale, en prenant le temps d'examiner les différentes options. J'ai indiqué que je souhaitais l'adoption du texte présenté en décembre avant l'été 2020, pour une entrée en application le 1er janvier 2022, en conformité avec certaines dispositions, d'autres devant entrer en vigueur au 1er janvier 2025 puis en 2037 ou 2047 pour le reste, en raison des périodes de transition que nous avons voulu progressives, à juste titre.

La discussion en conseil des ministres puis à l'Assemblée nationale n'a pas été possible, non pas à cause d'une absence de disposition financière, mais à cause de la stratégie d'obstruction développée délibérément par une partie des oppositions, qui ont sciemment déposé des milliers d'amendements pour discuter à l'infini de questions aussi cruciales que, par exemple, le choix entre « analogue » ou « similaire », « eu égard » ou « considérant »...

Tout cela permettant à l'évidence de faire avancer le débat, j'ai eu recours à l'arme constitutionnelle du 49-3 qui a été utilisée 88 fois avant moi, depuis 1958. Un coup de force, vraiment ?

M. David Assouline.  - Jamais pour une loi comme celle-là !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Le 49-3 a bien été utilisé face à une obstruction parlementaire : M. Raffarin l'a fait, par exemple, en 2003 sur le mode de scrutin régional, comme l'on doit s'en souvenir ici...

Nous travaillerons avec le président du Sénat sur la bonne organisation du débat. Je tiens à ce que la réforme entre en vigueur le 1er janvier 2022. (Protestations et interruptions à droite)

Nous aurons l'occasion de discuter de l'ensemble des détails, de l'architecture et des principes de ce texte. J'ai hâte de pouvoir le faire, parce que c'est un sujet passionnant et que des questions restent ouvertes qui méritent un débat approfondi. Je suis certain que nous pourrons l'avoir ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty et Raymond Vall applaudissent également.)

M. Bruno Retailleau.  - Nous vous demandons quinze jours, monsieur le Premier ministre, alors que pour des millions de Français, cette réforme n'aura pas d'effets avant 2037 !

Vous ne réformez pas, vous déformez notre modèle social en créant de l'insécurité sociale pour des millions de Français qui seront perdants....

MM. François Patriat et Julien Bargeton.  - Honteux !

M. Bruno Retailleau.  - Oui, vous créez un modèle social à deux vitesses, entre la majorité des Français et ceux qui gagnent plus que le triple du plafond annuel de la sécurité sociale.

J'ai le souvenir de l'extrême solitude de l'exécutif face aux gilets jaunes. Ce souvenir vous hante. Je ne crois pas qu'une poignée d'hommes et de femmes puissent décider, seuls contre tous, d'un pacte social aussi important pour l'avenir des Français. (Acclamations et applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Valérie Létard. - Très bien !

Crise migratoire (I)

M. Olivier Cigolotti .  - Vendredi dernier, le président Erdogan a pris la décision d'ouvrir ses frontières aux exilés en route vers l'Union européenne, alléguant qu'avec quatre millions de migrants présents sur son sol, il ne pouvait faire face à un nouvel afflux, et violant ainsi l'accord de Genève conclu en 2016.

Or ces nouveaux flux sont provoqués par sa propre offensive à Idlib. Ankara accuse l'Union européenne d'avoir failli à ses obligations financières découlant des accords de 2016. C'est du chantage !

Pas moins de 24 000 tentatives d'entrées illégales ont été évitées ce week-end et 200 personnes ont été arrêtées.

L'Union européenne a réagi : Frontex a déployé des renforts à la frontière gréco-turque et Ursula Von der Leyen a promis à la Grèce « toute l'aide nécessaire », et 700 millions d'euros dans l'urgence.

L'Union européenne est-elle prête à faire face à une nouvelle vague de réfugiés ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Je répondrai en plusieurs fois à des questions successives, l'ensemble formant ma réponse complète.

La crise que connaît le Nord-Ouest de la Syrie va vers un véritable cataclysme. Elle a une cause : la rupture des accords de Sotchi, qui prévoyaient que les environs d'Idlib, peuplés de quelque trois millions d'habitants, soient une zone de désescalade, afin que les groupes terroristes, nombreux, puissent être démantelés et que la population puisse y vivre normalement.

Or c'est la Turquie qui en avait la responsabilité. C'est elle qui a rompu cet accord. Cela entraîne une catastrophe humanitaire et un comportement inacceptable de la Turquie, qui a décidé d'instrumentaliser les migrants qui se trouvaient depuis longtemps sur son propre territoire. Cette prise d'otages n'est pas acceptable et doit être combattue. Tel est le sens de nos initiatives.

Nos actions sont doubles : demander à la Russie de revenir aux accords de Sotchi et apporter notre totale solidarité à la Grèce. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe RDSE)

Crise migratoire (II)

M. Julien Bargeton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) L'Europe fait face à une réaction en chaîne d'Idlib à Lesbos, en passant à Ankara et Moscou. Près de 13 000 réfugiés quittent la Turquie par la Grèce.

L'inaction aussi a un prix ; le Levant est une épreuve de vérité pour l'Europe qui n'a pas résolu la crise de 2015 : la solidarité a été mise à mal et le mécanisme de répartition des réfugiés est resté lettre morte. La stratégie de gestion migratoire avec la Turquie est un échec.

Il est trop choquant qu'un État instrumentalise des êtres humains pour sa politique étrangère. On le sait depuis Kant : l'être humain est une fin, pas un moyen. Erdogan fait un chantage cynique auprès de l'Union européenne.

Le Président de la République a dit l'engagement de la France au sein de Frontex. Quel est l'état d'esprit européen ? « Je me révolte donc nous sommes », disait Albert Camus. Il est temps pour l'Europe de se révolter. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Bernard Lalande applaudit également, ainsi que M. Jean-Marie Vanlerenberghe)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La France est totalement solidaire de la Grèce, pour des raisons humanitaires et politiques car nous faisons tous partie de l'espace Schengen.

La pression migratoire aux portes de la Grèce est organisée par le régime du président Erdogan, dans un chantage auquel l'Union européenne ne cèdera pas. Un accord a été passé avec la Turquie en mars 2016. Sur 6 milliards d'euros qui ont été engagés, la moitié a été versée.

Cet après-midi se réunissaient les ministres de l'Intérieur de l'Union européenne pour évaluer les moyens d'aides à la Grèce et je me rendrai à Zagreb dès demain pour rencontrer mes homologues. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Bernard Lalande et Mme Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent également.)

Établissements scolaires ruraux

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Au lendemain de la diffusion du rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale, nous sommes sollicités par les conseils d'administration des collèges et lycées sur la baisse des dotations horaires globales dans les établissements du Puy-de-Dôme notamment ; plusieurs lycées et collèges ont vu baisser leur dotation, malgré des effectifs stables.

Ces heures d'autonomie servent aux dédoublements de classes, aux enseignements facultatifs, aux échanges entre filières générales des Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) et des Sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa), à l'accompagnement personnalisé, à l'orientation.

Il s'ensuit une dégradation des conditions d'enseignement et d'apprentissage, particulièrement marquée dans les régions éloignées des métropoles, où il y a moins d'options spécialisées et où l'offre culturelle est moindre.

L'école est un vecteur majeur d'ouverture sur le monde. Une offre éducative de qualité attire les familles. L'on peut donc craindre une perte d'attractivité de nos territoires. De plus, 42 % des élèves de zone rurale disent manquer d'informations pour s'orienter. Monsieur le ministre, vous avez affirmé que les défis du monde rural appelaient un volontarisme politique. Comment éviter une fracture éducative s'ajoutant aux fractures sociales et territoriales ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - L'école, les collèges, les lycées en milieu rural, dont nous débattons souvent ici, sont une grande priorité. Il faut en la matière une stratégie quantitative et qualitative. Sur le premier aspect, on pourrait croire à vous entendre que le ministère serait défavorable aux écoles rurales. Ce n'est pas le cas : il y a 7 000 élèves en moins en milieu rural et nous créons à la rentrée prochaine plus de 250 postes dans les 45 départements les plus ruraux.

Dans le Puy-de-Dôme, le taux d'encadrement au collège est de 30 % supérieur à la moyenne nationale.

La stratégie doit donc être qualitative et votre question y fait référence.

Nous développons un plan bibliothèque pour l'offre culturelle, ainsi qu'un plan numérique dans les écoles et collèges, afin de soutenir les collectivités pour l'acquisition de livres et d'équipement informatique dans les établissements.

Nous menons aussi une nouvelle politique d'orientation dans les collèges et lycées. Le sujet est national. Il se décline département par département. D'où les contrats départementaux de ruralité que nous avons lancés avec le sénateur Duran, pour garantir des postes et améliorer le taux d'encadrement. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Yvon Collin applaudit également.)

Crise migratoire (III)

Mme Esther Benbassa .  - Depuis décembre 2019, un drame se déroule à Idlib en Syrie. Le président Erdogan vient d'ouvrir ses frontières pour laisser passer, au mépris de leur sécurité et de leur dignité, les migrants présents sur son sol.

L'Union européenne est responsable de cette situation : au lieu de prendre nos responsabilités, nous avons préféré monnayer notre tranquillité : 3,6 millions de réfugiés en échange de 6 milliards d'euros et de notre silence sur la répression de nos alliés kurdes.

Aujourd'hui, la Grèce et la Bulgarie sont seules à faire face à cette crise, sans aide logistique. La France prendra-t-elle ses responsabilités en mettant sur pied un plan solidaire et ambitieux pour accueillir ces migrants ? (Murmures à droite) C'est le seul antidote à la montée de l'extrême droite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; protestations sur de nombreuses travées à droite)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Vous le savez, les frontières de la Grèce et de l'espace Schengen sont fermées - et nous veillerons à ce qu'elles le restent...

M. Roger Karoutchi.  - Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - À Idlib, il y a 3 millions d'habitants, qui viennent des zones de désescalade, dont 1,5 million de réfugiés qui ne passent pas en Turquie, mais qui remontent vers la frontière turque, chassés par l'offensive de Bachar el Assad, déplacés donc pour la deuxième fois, exposés au froid, aux épidémies, aux violences envers les femmes et les filles.

Une enquête a été demandée par l'ONU sur le ciblage systématique des civils par les frappes aériennes - ce qui constituerait, si cela est suffisamment documenté, et nous nous y attelons, un crime de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mmes Françoise Gatel et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa.  - L'Europe se prépare-t-elle à mettre en place un programme d'accueil pour répartir ces migrants ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR ; protestations à droite)

M. Jean Bizet.  - Non !

Crise migratoire (IV)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2015, l'Europe a laissé l'Italie et la Grèce seules face à la crise migratoire issue de la guerre au Levant. Afin de pallier son impréparation, elle a fini par signer un accord avec la Turquie : moyennant 6 milliards d'euros, celle-ci acceptait de contenir une partie des réfugiés sur son territoire.

Aujourd'hui, le régime turc exerce un chantage sur l'Europe, pour d'autres raisons. Que compte faire la France pour protéger les frontières extérieures et en matière de politique migratoire européenne ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Depuis l'automne 2019, les îles grecques voient arriver des migrants en plus grand nombre. La France a renforcé Frontex et les capacités de traitement des demandeurs d'asile de la Grèce. J'ai d'ailleurs rencontré mon homologue à Athènes en janvier.

Un conseil des ministres de l'Intérieur se réunit aujourd'hui à 17 heures ; il examinera les moyens de renforcer Frontex aux frontières grecques. La politique de la France sera, évidemment, une politique de solidarité envers la Grèce.

À plus long terme, vous le savez depuis le débat que nous avions tenu en septembre, nous portons une réforme ambitieuse de l'asile, que nous défendons, avec Amélie de Montchalin, auprès de nos partenaires à la fois pour mieux accueillir ceux qui doivent l'être et reconduire ceux qui n'ont pas vocation à rester. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. François-Noël Buffet.  - La majorité sénatoriale plaide depuis longtemps pour une politique migratoire européenne et une protection claire de nos frontières. Il faut une politique de l'asile harmonisée, anticipée et efficace ; et enfin une stratégie de préparation du retour dans le pays d'origine. Qu'en est-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

Coronavirus (II)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Il y a une semaine, nous apprenions que deux cas de coronavirus avaient été détectés dans l'Oise. Dès le premier décès, le directeur général de l'ARS et le préfet ont pris toutes les mesures de protection et de prévention nécessaires. Je salue leur réactivité, leur sens des responsabilités et leur disponibilité auprès des élus locaux ; tous deux sont aujourd'hui confinés.

Il y a désormais 65 cas dans l'Oise, dont dix sur la seule base aérienne de Creil. La BA 110 est vue comme l'épicentre de l'épidémie dans l'Oise. Le ministère des Armées affirme qu'il n'y a aucun lien avec le rapatriement des Français de Wuhan. Cependant l'escadron Estérel était composé d'environ dix militaires, et chaque jour, 2 500 personnes passent par la base aérienne. Comment le commandant de la base aérienne peut-il affirmer de manière péremptoire que le patient zéro, qui n'a toujours pas été identifié, n'est pas sur la BA 110 ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe CRCE)

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées .  - Cette question revient en boucle depuis une semaine. Les militaires de l'escadron Estérel qui ont rapatrié les Français de Wuhan ont suivi toutes les mesures indiquées. Ils ne sont pas sortis de l'appareil en Chine ; à leur retour, ils ont été mis à l'isolement chez eux. Aucun n'a présenté de symptôme, non plus que les rapatriés ou que le personnel du service de santé des armées présent à bord du vol.

Nous pouvons donc affirmer que le patient zéro n'était pas sur ce vol. Il a pu être en contact avec quelqu'un de la base aérienne. Le commandant a, quoi qu'il en soit, pris des mesures fortes : limitation des sorties inutiles, réduction des activités de la base, mise en oeuvre des mesures sanitaires préconisées par le ministère de la Santé.

L'épidémiologie est une science complexe, surtout dans un contexte de déplacements et de brassage des populations Ne jetons pas l'anathème sur la base aérienne de Creil ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Laurence Rossignol.  - Rien ne dit que la BA 110 est à l'origine du foyer, mais rien ne dit qu'elle ne l'est pas ! Quatre communes du bassin creillois ont vu leurs écoles fermer, alors que tous les cas recensés sont sur la base aérienne. Les conséquences sur la population civile sont importantes. Je persiste à trouver les propos du commandant de la base pour le moins hasardeux et audacieux. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Crise migratoire (V)

M. Robert del Picchia .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Bockel applaudit également.) La pédagogie repose sur la répétition, M. Blanquer ne le contestera pas ! Chacun a entendu les explications du ministre sur la situation aux frontières de la Grèce, mais chacun se demande comment mettre fin à la situation. Ne faut-il pas lancer un appel solennel à la Turquie - mais aussi à la Russie, qui est aussi responsable de la crise à Idlib ? Vu la situation humanitaire, je ne vois pas d'autre solution.

Josep Borrell est à Ankara et vous rendra compte demain à Zagreb de ses consultations. Il faut sortir de cette situation, trouver une solution avec la Turquie et la Russie. Oui, c'est difficile, mais nous vous faisons confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Cela fait longtemps que j'ai avec M. Del Picchia une conversation sur la question turque. (Sourires)

Nous avons avec la Turquie plusieurs sujets de contentieux et d'irritation. Le non-respect de l'accord de 2017 est le dernier en date, mais il y a aussi l'offensive dans le Nord-Est de la Syrie, les opérations en Méditerranée orientale, la rupture de l'embargo en Libye, où la Turquie achemine des forces de Syrie, l'ambiguïté sur l'OTAN... Nous avons aussi des divergences sur la question des libertés.

Mais nous sommes dans la même alliance. Nous devrons avoir une grande explication, franche, publique, une discussion exigeante avec la Turquie. Cela n'exclut pas de parler aussi avec le président Poutine.

Nous avons en commun, malgré tout, la lutte contre le terrorisme, sachant que de nombreux groupes terroristes sont présents dans la zone d'Idlib. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mmes Françoise Gatel et Joëlle Garriaud-Maylam applaudissent également.)

M. Robert del Picchia.  - Et pourquoi ne pas envisager une solution politique imposée en Syrie, via l'ONU ?

Coronavirus (III)

M. Jacques Le Nay .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Bruno Le Maire a déclaré vendredi que l'État considérait le coronavirus comme un cas de force majeure dans les contrats qui lient l'État et ses partenaires. Quid des contrats des collectivités territoriales, et du secteur privé ?

Les conséquences négatives du coronavirus sur notre économie paraissent inéluctables. L'étalement du paiement des cotisations sociales et impôts suffira-t-il ?

Le cas de force majeure est reconnu comme un évènement imprévisible et irrésistible, ce qui n'est pas le cas du coronavirus. Nos entreprises sont face à un risque imminent d'une inexécution de leurs contrats, sans garantie d'être assurées. Les secteurs des transports, du tourisme, de la culture sont déjà affectés. En cas de fort ralentissement de l'économie nationale, nombre d'entreprises seront fragilisées.

Quelles mesures d'accompagnement prévoyez-vous ? Ne devrait-on pas élargir le cas de force majeure à tous les contrats ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - L'État peut reconnaître le cas de force majeure dans ses contrats, ce qu'il a fait, rassurant ainsi ses fournisseurs. Il ne peut pas le faire à la place des collectivités territoriales. Je ne doute pas qu'elles le feront d'elles-mêmes, comme nous l'avons demandé à leurs associations.

Il n'appartient pas non plus à l'État de s'immiscer dans les relations contractuelles entre acteurs privés. Nous avons toutefois demandé aux filières de faire preuve de bienveillance dans les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants, activé la médiation en cas de conflits entre entreprises et demandé à être alertés en cas de tension.

Le report des échéances fiscales et sociales lors de la crise des gilets jaunes a permis de réinjecter quelque 400 millions d'euros dans l'économie : c'est une mesure puissante. Nous envisageons de rendre ce report plus automatique, comme en Italie, pour que les entreprises se concentrent sur leur chiffre d'affaires et ne perdent pas de temps avec l'administratif. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Coronavirus (IV)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) M. Véran serait-il confiné ? (Mouvements divers) J'adresse donc ma question à tous les ministres concernés par la lutte contre le coronavirus ; j'y associe mes collègues de l'Oise, du Morbihan et de Haute-Savoie. (Mouvements divers)

Dans l'Oise, les rues se vident ; la désorganisation est là. Les masques sont disponibles pour les professionnels médicaux depuis hier seulement. Ne vous en déplaise, l'impréparation est manifeste. L'improvisation règne. Dans votre pseudo-préparation, vous avez oublié les premiers de cordée : médecins libéraux et hospitaliers, infirmiers, pompiers, personnels des Ehpad.

Demain, il y aura les élections municipales. Que ferez-vous pour protéger ceux qui tiennent les bureaux de vote ? Allez-vous reporter les élections ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et mouvements divers)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Je ne peux vous laisser parler d'impréparation. Dès la sortie du conseil de défense, j'ai appelé les élus de l'Oise pour leur expliquer les mesures prises. Jamais crise n'a été gérée de manière aussi transparente. Ne rompons pas le consensus sur un tel sujet. Or vous portez la responsabilité de le rompre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. François Patriat.  - Très bien !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Pour reporter les élections municipales, il faudrait une loi et cela ne pourrait se faire que dans les limites du mois de mars.

M. Ladislas Poniatowski.  - Ou un décret sanitaire !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - À ce stade, il n'y a aucun risque sanitaire identifié à se rendre dans un bureau de vote, de sorte que la décision d'un report n'est absolument pas à l'ordre du jour.

M. Ladislas Poniatowski.  - Cela reste possible.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Nous discuterons avec les services concernés et les associations d'élus des mesures prophylactiques nécessaires. Le Gouvernement souhaite un déroulement normal des élections.

Au vu de l'engagement de l'appareil sanitaire français, de l'administration et du Gouvernement, vos propos, monsieur le sénateur, sont indignes ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe UC ; protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Bascher.  - Nous sommes sur le terrain comme vous. Le préfet est contaminé, preuve qu'on n'a pas fait assez pour les premiers de cordée.

Le Parlement exercera son contrôle sur la gestion de la crise, il y aura une commission d'enquête. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Protection de l'enfance

M. Bernard Buis .  - En octobre dernier, vous présentiez la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance, en y allouant des moyens importants : une enveloppe supplémentaire de 80 millions d'euros dès cette année, et des crédits complémentaires en 2021 et 2022, qui financeront bilans de santé obligatoires, prévention des risques de maltraitance et autres actions.

Un récent reportage sur la prise en charge des enfants en danger ou maltraités a secoué de nombreux élus.

Les départements ont en charge la compétence de la protection de l'enfance. Je salue le travail des professionnels qui interviennent parfois dans des conditions dégradées pour aider ces enfants de la République. Combien de département sont-ils volontaires pour contractualiser avec l'État dans ce domaine ? Envisagez-vous un nouvel appel à candidature ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - La protection de l'enfance est une compétence des départements, qu'ils partagent toutefois avec l'État - ce que ce dernier a oublié ces trente dernières années. (M. Jean-Louis Tourenne s'exclame.) D'où cette série de mesures nationales ; l'État doit être au rendez-vous de ses obligations, en matière de santé et d'éducation notamment.

J'ai demandé à la Haute Autorité de santé d'établir un référentiel sur l'évaluation des situations de danger, car il faut une harmonisation nationale, et au Conseil national de la protection de l'enfance de fixer des taux d'encadrement nationaux pour les établissements.

J'ai proposé aux départements de contractualiser avec l'État, au terme d'une concertation de trois mois, avec deux obligations : réinvestir dans la PMI et la prise en charge des enfants en situation de handicap. Sur 62 départements qui ont répondu favorablement, 30 ont été sélectionnés ; d'ici le 1er juillet, 30 contrats seront signés ; 30 autres départements seront sélectionnés pour une mise en oeuvre en 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Grève à l'université

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plus de trois mois, des universitaires sont en grève ; à Lille, certains n'assurent plus leurs cours depuis le 5 décembre. Ils ne sont pas astreints à déclarer leur grève, ce qui désorganise tout.

La liste de leurs revendications est sans fin, même si la baisse des crédits de recherche apparaît être le détonateur de la contestation.

Les étudiants sont inquiets et en colère. Je salue ceux d'entre eux présents en tribune.

La situation de l'enseignement supérieur est de plus en plus préoccupante. Nous reculons dans les classements internationaux. Si rien n'est fait, les inégalités vont s'accroître entre ceux qui iront dans les grandes écoles ou à l'étranger et les autres. Tous nos étudiants ont droit à un enseignement de qualité. Même si leurs examens finaux sont adaptés, ils ne pourront plus accéder aux concours nationaux. Madame la ministre, qu'avez-vous à dire aux étudiants privés de cours ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - Ces situations sont heureusement très minoritaires. Il appartient aux responsables des formations et aux présidents d'universités de les éviter.

Les étudiants font entendre leur voix : au centre Cassin de l'Université Panthéon-Sorbonne, ils ont voté en assemblée générale la reprise des cours.

Il y a une forme de prise en otage des étudiants. (Protestations à gauche)

Mme Éliane Assassi.  - Un peu de respect pour les otages !

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Ces enseignants, très minoritaires, ont le droit de refuser de faire cours, mais il est important d'assurer la continuité de l'enseignement. Nous déplorons les blocages à l'université Paul-Valéry et dans quelques facultés de l'université de Lille. Je suis en lien avec les présidents d'université.

C'est l'honneur de la très grande majorité des enseignants-chercheurs que d'assurer les cours pour éviter que les étudiants ne soient pénalisés. La future loi de programmation pour la recherche valorisera leurs activités. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe LaREM)

Crise migratoire (VI)

M. André Vallini .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je m'immisce dans la conversation entre le ministre et M. Del Picchia pour poser à nouveau la question de la place de la Turquie comme membre de l'OTAN.

Or depuis quelques mois, la Turquie a acheté des missiles russes, a mené des attaques contre nos alliés kurdes sans prévenir ses alliés occidentaux, elle intervient en Libye hors de tout accord international, et désormais elle fait du chantage à ses alliés d'Europe occidentale.

Le Président de la République disait il y a quelques mois que l'OTAN était en état de mort cérébrale. Le moment n'est-il pas venu de provoquer un électrochoc en posant la question de l'appartenance de la Turquie ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Bienvenue dans la conversation. (Sourires) Vous avez raison de souligner les ambiguïtés de la Turquie. En octobre, elle a mené une intervention unilatérale contre les Kurdes, qui sont nos alliés dans la coalition contre Daech - coalition dont l'OTAN, et partant la Turquie, est membre.

La Turquie a délimité unilatéralement des zones maritimes de juridiction propre, en contradiction avec le droit de la mer ; elle mène des manoeuvres militaires contre la Grèce, également membre de l'OTAN.

Elle demande à l'OTAN un soutien militaire et des mesures de réassurance dans le domaine de la défense aérienne mais achète à la Russie des missiles S400 à l'interopérabilité incertaine.

Attaquée à Idlib, elle demande l'application de l'article 4 et dans le même temps, elle instrumentalise avec cynisme les migrants. Oui, une grande explication s'impose, avec la Turquie et au sein de l'Alliance. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Ladislas Poniatowski.  - Très bien !

M. André Vallini.  - Ces ambiguïtés sont insupportables. Le président Erdogan fait preuve d'une duplicité qui dépasse la mesure et bafoue les engagements de la Turquie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur plusieurs travées des groupes CRCE, LaREM, UC et Les Républicains)

Retraite des agriculteurs

Mme Christine Herzog .  - Les agriculteurs, les collaborateurs et les aides familiaux ont besoin de réponses sur l'avenir de leur retraite, en moyenne de 740 euros par mois pour un agriculteur et de 550 euros pour le conjoint collaborateur.

La promesse d'une retraite minimale de 1 000 euros - mesure très attendue, que le Sénat défendait déjà en mai 2018 - devait être concrétisée dans la réforme des retraites.

On apprend aujourd'hui que ce minimum ne concernera que les chefs d'exploitation ayant eu une carrière complète au Smic, ce qui exclut les trois quarts des agriculteurs, notamment les femmes. Et la mesure ne s'appliquerait qu'en 2022 ! Enfin, les 1 000 euros et les 85 % du Smic ne sont pas inscrits dans la loi mais renvoyés à un décret.

Le ministre de la Santé a annoncé une mission parlementaire à l'automne prochain. Ce n'est pas la réponse que nous attendons. L'urgence est connue depuis longtemps. Comment votre réforme améliorera-t-elle le sort des agriculteurs ? (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Les agriculteurs font partie de ceux qui gagneront à 100 % à cette réforme ! (Vives exclamations à gauche)

Mme Éliane Assassi.  - Comment pouvez-vous dire cela ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Il y aura bien une pension minimale de 1 000 euros pour tous les agriculteurs ayant eu une carrière complète. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE)

Nous ne pouvons traiter à la fois le cas des futurs et des actuels retraités ; la réforme du système de retraite prépare les quarante ans qui viennent, elle ne peut aussi réparer les errements des quarante dernières années. (Vives exclamations)

M. Jean-Louis Tourenne.  - Inadmissible !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Pour la première fois, le Premier ministre s'est engagé à mettre en place un groupe de travail. (Exclamations ironiques) Les deux précédents gouvernements ne se sont pas occupés des retraités agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; vives protestations sur les travées du groupe SOCR)

Mme Christine Herzog.  - Nous avons besoin de réponses précises, sans attendre de futurs décrets ou ordonnances.

La séance est suspendue à 16 h 25

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 30.

Remplacement d'un sénateur

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que M. le ministre de l'Intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que Mme Guylène Pantel remplace, à compter de ce jour à 0 heure, notre regretté collègue Alain Bertrand.

Missions d'information (Nominations)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la désignation des 21 membres de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives.

En application de l'article 21, alinéa 3 de notre Règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.

Elle sera ratifiée si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Conventions internationales (Procédure simplifiée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.

Pour ces quatre projets de loi, la Conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié. Je vais donc les mettre successivement aux voix.

Le projet de loi, autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition, du troisième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition et du quatrième protocole additionnel à la convention européenne d'extradition, est adopté.

Le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Conseil Fédéral suisse relative à la reconnaissance réciproque des poinçons officiels apposés sur les ouvrages en métaux précieux et les ouvrages multimétaux, est adopté.

Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif aux modalités de financement des infrastructures et de l'acquisition des outils de formation dans le cadre de la coopération franco-allemande dans le domaine du transport tactique aérien, est adopté.

Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Turkménistan sur l'octroi de l'autorisation d'exercer une activité professionnelle aux membres de la famille des agents des représentations diplomatiques ou des postes consulaires et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique sur l'emploi des personnes à charge des agents officiels, est adopté.

Information sur les produits agricoles et alimentaires

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je salue le choix du Sénat de la procédure de législation en commission, facteur d'accélération du travail législatif, même si la discussion a quand même duré une année.

Ce texte porte sur un sujet consensuel : le patriotisme alimentaire et l'information transparente du consommateur afin d'éclairer son choix d'achat.

L'étiquetage doit être avant-gardiste tout en préservant nos productions et en prenant en compte la compétitivité de nos filières. Transition agro-écologique et équilibre économique de nos filières doivent aller de pair.

C'est un texte non de compromis mais de consensus entre le Sénat et l'Assemblée nationale, qui ont su faire un pas l'un vers l'autre.

Je salue les présidents Roland Lescure et Sophie Primas qui ont su travailler ensemble, et les rapporteurs Barbara Bessot-Ballot, Henri Cabanel et Anne-Catherine Loisier.

Le Gouvernement est évidemment favorable à ce texte qui devrait être définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 8 avril.

On peut avoir des regrets sur la bière, les plantes et parfums aromatiques, le miel... Mais un consensus est un consensus. Mme Primas a beaucoup insisté sur cette notion : il fallait que cette proposition de loi prospère.

Les discussions ne sont pas closes ; la Commission européenne a donné son accord de principe à l'étiquetage de la volaille, de la viande de ruminants et du porc pour la restauration hors domicile. Cette disposition devrait pouvoir entrer en vigueur d'ici l'été.

Merci pour votre diligence. (Applaudissements sur le banc de la commission, ainsi que sur toutes les travées)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques .  - Cette proposition de loi aborde des sujets bien connus au Sénat ; elle fait suite à la loi EGalim et aux deux propositions de loi de Mme Monier et de M. Bouchet, adoptées en avril dernier.

Un travail considérable a été réalisé en amont avec l'Assemblée nationale. Neuf articles sur douze satisfont la quasi-totalité des rédactions du Sénat.

Beaucoup de dispositions sont très attendues par les consommateurs et les producteurs agricoles.

Ainsi est-il de l'affichage par ordre décroissant de tous les pays d'origine des miels présents dans un mélange, solution dégagée par le Sénat dès 2018, la plus ambitieuse dans le respect du droit européen.

Le ministre s'est engagé à encadrer les pratiques de l'affinage des fromages à l'extérieur des fermes pour continuer à bénéficier de l'appellation « fermier », en reprenant deux garanties proposées par le Sénat : une précision par décret des conditions à remplir en matière d'usages traditionnels et une concertation à mener pour éventuellement préciser sur l'emballage le nom de l'affineur mais également celui du producteur des fromages fermiers.

De même il est prévu le rétablissement du caractère obligatoire de la déclaration de récolte, amendement que nous avions ajouté dans la loi EGalim et que nous avions proposé de nouveau dans une proposition de loi en mars dernier.

Enfin, l'affichage obligatoire de l'origine des viandes porcines, ovines, des viandes de volailles et de la viande hachée en restauration hors foyer. C'était le cas pour la seule viande bovine : désormais, cet affichage s'imposera pour toutes les viandes. Il faut se réjouir d'un tel article car les trois-quarts de la viande consommée dans les restaurants sont importés, sans que le consommateur en soit informé. (M. Jean-Paul Emorine approuve.)

Au total, seul un article n'a pas été adopté conforme et retournera devant l'Assemblée nationale le 8 avril, comme vient de le dire M. le ministre. Notre objectif est une mise en oeuvre rapide de ces dispositions discutées depuis deux ans, au service de l'intérêt général. (Applaudissements sur toutes les travées)

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Mme Sophie Primas applaudit.) À l'heure où le mot « blocage » est associé au Parlement, nous allons voter sur un texte de consensus entre députés et sénateurs pour éviter la concurrence entre différentes propositions de loi.

Le texte de Marie-Pierre Monier adopté en avril dernier a été intégralement repris, ce qui démontre que la pédagogie est payante. L'adoption de cette proposition de loi, certes non exhaustive, est très attendue par les consommateurs.

La France doit faire bouger les lignes européennes sur l'étiquetage alimentaire. Les consommateurs constatent des tromperies manifestes tous les jours : c'est notamment le cas lorsqu'un bag in box de vin fait apparaître un nom provincial et un paysage typiquement français alors qu'il est écrit, en tout petit, sur une face non visible, que le vin est d'origine espagnole. C'est encore le cas récemment de produits étiquetés sous appellation d'origine protégée (AOP) et indication géographique protégée (IGP) européennes alors qu'ils ne respectaient pas le cahier des charges. Ces fraudes ont été détectées par les services de la DGCCRF, c'est bien mais insuffisant.

Les deux chambres ont souhaité, aller plus loin. C'est le cas sur l'affichage de l'origine des vins vendus dans la restauration hors foyer, quel que soit le contenant, ou sur la Clairette de Die.

Certaines solutions proposées peuvent aller trop loin, mais le ministre s'est engagé à notifier ces rédactions à la Commission européenne pour en évaluer la conventionalité.

L'article 5 bis lutte contre les affichages trompeurs sur les bouteilles de bière ; c'est le seul qui restera en discussion à l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail parlementaire au-delà des clivages politiques. Je remercie les présidents Primas et Lescure, les rapporteurs Bessot Ballot et Loisier. (Applaudissements)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Cette proposition de loi réintroduit des dispositions de la loi EGalim censurées par le Conseil constitutionnel. Merci aux présidents et aux rapporteurs des deux assemblées pour leur implication et pour avoir participé à cette réussite commune.

Le consommateur mérite une information claire et juste sur les produits alimentaires.

Ainsi de l'origine des produits alimentaires vendus sur les plateformes en ligne, de l'étiquetage des viandes, des vins et du miel ; de l'étiquetage transparent de certains produits comme les « steaks » et les « saucisses » de produits ne contenant pas ou peu de viande.

Je veux rendre hommage au ministre de l'agriculture, Didier Guillaume, qui nous a donné des garanties sur le contenu des futurs décrets d'application.

Je me réjouis également que cette proposition de loi simplifie des règles qui sont obsolètes ou qui constituent des freins pour certaines filières agricoles. Ainsi, l'abrogation de la loi de 1957 pour l'appellation « Clairette de Die » est bienvenue...

M. Didier Guillaume, ministre.  - C'est vrai !

M. Bernard Buis.  - ...comme l'encadrement du label « Fromage fermier » affiné en dehors de l'exploitation.

Ce texte concourt à la réconciliation entre les consommateurs et les producteurs.

Souhaitons que la navette s'achève au plus vite pour une mise en application rapide. Tout a été voté conforme par la commission, sauf l'alinéa 3 de l'article 5 bis qui conduisait à des absurdités.

Le groupe LaREM votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur le banc de la commission)

Mme Cécile Cukierman .  - Au cours des deux dernières années, à l'occasion de l'examen de la loi EGalim, de la proposition de loi en modifiant certaines dispositions, et lors des nombreux débats sur l'agriculture, le groupe CRCE n'a eu de cesse de vouloir accorder un juste revenu aux agriculteurs et de donner au consommateur la meilleure information pour une alimentation saine, durable et de qualité. Nous avons aussi attiré l'attention sur les conditions de vie des agriculteurs.

A ce propos, je me félicite qu'un groupe d'étude sur les agriculteurs en détresse ait été créé fin 2019 et j'espère que les auditions menées permettront de proposer des solutions viables pour ces professionnels en souffrance.

Cette proposition de loi reprend un texte analogue voté il y a moins d'un an, notamment sur l'étiquetage de la provenance du miel et du vin ; sur les fromages fermiers affinés hors de l'exploitation, le débat ici avait été nourri. Certains craignaient que n'en bénéficient des fromages sans signe de qualité.

Alors que prolifèrent les traités de libre-échange, il est impératif de renforcer ces labels. Face à l'industrie agroalimentaire et à la grande distribution, le Gouvernement est incapable de garantir un revenu décent aux agriculteurs : comment leur demander des produits sains alors que, dans le même temps, le Gouvernement ne cesse de signer des accords de libre-échange qui les incitent à exporter à bas prix ?

Ces améliorations au compte-gouttes surchargent le calendrier législatif ; pourquoi ne pas mieux légiférer en amont ? Laissons-nous le temps de légiférer pour bien légiférer. Ne perdons pas de vue la crise sociale que subissent les agriculteurs depuis tant d'années. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure, applaudit également.)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; Mme Agnès Constant applaudit également.) Cette proposition de loi reprend des articles de la loi EGalim censurés par le Conseil constitutionnel car jugés sans lien direct avec l'objet du texte initial.

Je salue le travail conjoint de l'Assemblée nationale et du Sénat, la convergence de vues des groupes politiques pour une entrée en vigueur plus rapide. M. le ministre s'est engagé à ce que les décrets d'applications soient pris dès le vote définitif.

Ce texte, renforçant les règles d'étiquetage, protège agriculteurs, viticulteurs et éleveurs, à l'heure où la France perd des parts de marchés dans le monde.

L'article 2 bis renforce l'information sur le pays d'origine des viandes servies dans la restauration, alors qu'aujourd'hui 75 % sont importés, sans que le consommateur en soit informé.

Les articles 4 et 5 renforcent les indications de provenance du vin. Nous ne pouvons omettre le pays d'origine, même pour les produits issus de l'agriculture biologique.

En plus de leur bilan carbone très lourd, les produits alimentaires bio étrangers n'apportent pas les mêmes garanties de cahier des charges que les produits français, d'où un amendement déposé par notre groupe que nous aimerions voir adopté le moment venu.

À l'issue d'un travail transpartisan, cette proposition de loi simplifie des règles obsolètes ou qui constituent des freins.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte, qui répond aux attentes des producteurs et des consommateurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et sur le banc de la commission)

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'étiquetage alimentaire est une attente sociétale majeure, même si le sujet est complexe. Il faudra définir des priorités sinon les étiquettes de Rocamadour seront plus grandes que le fromage.

Cette proposition de loi est une opportunité de démontrer l'excellence de l'industrie agro-alimentaire française. Les discours qui se nourrissent de la peur sont indécents. La France doit être fière de ses produits alimentaires car elle est exemplaire.

La Commission européenne refuse les spécificités au nom du marché unique. Si toutes les normes de production agricole étaient les mêmes au niveau européen, la Commission pourrait avoir raison. Mais ce n'est pas le cas : une pomme produite en Pologne n'a pas les mêmes standards de production qu'une pomme française.

La difficulté est accrue par la multiplication des traités de libre-échange avec des pays qui n'ont pas du tout les mêmes standards. Selon le droit européen, tous les produits européens sont équivalents. Or les normes sont différentes selon les pays. Les consommateurs n'en peuvent plus de ce micmac européen et veulent de la transparence. Cette situation ubuesque doit cesser et la future PAC devra tenir compte de ces attentes. Cette loi doit être entendue comme un signal fort.

Je salue le travail de M. Lescure et de Mme Bessot Ballot à l'Assemblée nationale, ainsi que de Mme Loisier et M. Cabanel au Sénat.

Cette loi fait évoluer de nombreux sujets, mais dans la limite de sa conformité au droit européen. Nous avons d'ailleurs des doutes sur certaines rédactions retenues dans le texte final, issues de compromis nécessaires. Je pense à l'indication des pays d'origine du cacao, que la directive sectorielle ne prévoit pas. Je pense également à la sortie du catalogue officiel de semences vendues aux jardiniers amateurs. Il importe que la Commission européenne se prononce sur la conventionalité de ces sujets afin que nous ayons les idées claires.

Il faut surtout souligner les nombreuses avancées, notamment sur le miel, l'origine des vins, l'étiquetage des viandes et la Clairette de Die.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. À vous monsieur le ministre de poursuivre le travail à l'échelle européenne. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)

Mme Marie-Pierre Monier .  - J'associe à mes propos Mme Artigalas, M. Montaugé et plusieurs de nos collègues. Cette proposition de loi traite l'ensemble des sujets de ma proposition de loi même si elle est différente.

Le texte initial a prospéré et bien grandi. Je salue Mme Loisier, M. Cabanel et Mme Bessot Ballot qui m'ont associé à leurs travaux, ainsi que mes collègues drômois.

Les consommateurs et les producteurs sont impatients - notamment les fabricants de Clairette de Die.

La mention d'informations valorisantes est le fruit d'une exigence croissante de qualité et de traçabilité.

Sur les 12 articles du texte de l'Assemblée nationale, 5 sont identiques ou très proches de la proposition de loi votée par le Sénat en avril dernier. D'autres articles rejoignent certaines de nos propositions, comme le maintien du caractère obligatoire de la déclaration de récolte ou la commercialisation des semences relevant du domaine public.

Les débats ont déjà eu lieu. La procédure de législation en commission est particulièrement légitime. Elle accélère la mise en oeuvre des mesures attendues. C'est pourquoi le groupe socialiste et républicain a décidé de ne pas déposer d'amendement à une exception près à l'article 5 bis, sur l'étiquetage des bières.

Pourtant certaines mesures ne nous conviennent pas pleinement, par exemple sur l'étiquetage du miel ou du fromage fermier.

M. le ministre a dit que des décrets seraient rapidement publiés, notamment à l'article premier. Nous les attendons.

L'examen de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale le 8 avril prochain est une bonne nouvelle.

Le groupe socialiste et républicain soutient ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cette proposition de loi comporte des mesures intéressantes et utiles prévues dans EGalim mais censurées par le Conseil constitutionnel.

L'étiquetage des pays d'origine du miel est une réelle avancée pour les apiculteurs et les consommateurs. La France doit aller plus loin pour que les pourcentages de chaque origine du miel soient affichés : ce serait une réelle avancée. D'autres pays comme l'Espagne, le Portugal et la Grèce souhaitent également aller en ce sens.

Les dispositions sur l'origine du vin, de la bière, de la gelée royale et du cacao vont aussi dans le bon sens. Certains produits sont mieux traités que d'autres : pourquoi cette politique à géométrie variable ?

Je n'ai pas redéposé mes amendements en séance dans le souci d'un vote conforme.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Merci !

M. Joël Labbé.  - Néanmoins, je souhaite attirer votre attention sur l'affichage de l'origine des huiles essentielles. Les plantes médicinales sont un patrimoine que nous devons faire valoir, car nous importons 80 % des plantes que nous consommons. Il faudra aller plus loin.

M. Didier Guillaume, ministre.  - C'est vrai !

M. Joël Labbé.  - Le plan du Gouvernement sur le bien-être animal prévoit l'étiquetage du mode d'élevage au niveau européen. J'espère que cet engagement sera tenu. Même chose pour l'étiquetage des OGM.

Je souhaite que nous ayons d'autres occasions de faire progresser la transparence. Les attentes des consommateurs sont très fortes. C'est aussi dans l'intérêt des producteurs.

Je ne partage pas le point de vue de la présidente Primas sur les semences paysannes, résistantes par définition. Il faut les défendre, car les virus comme celui qui touche la tomate risquent de se multiplier.

Je regrette que la mesure de la loi EGalim sur l'étiquetage des huitres n'ait pas été reprise. Le Comité national de la conchyliculture (CNC) travaille à un rapport sur le sujet. Les ostréiculteurs traditionnels ne sont pas assez écoutés.

Je regrette aussi l'affaiblissement du label fromage fermier. Les industriels cherchent à le récupérer.

Malgré mes réserves, le groupe RDSE, Ronan Dantec et moi-même, voteront favorablement le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et LaREM)

M. Pierre Louault .  - Je salue le travail intelligent entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Je salue le président Lescure, la présidente Primas, ainsi que Anne-Catherine Loisier et Henri Cabanel.

Avec un vote conforme, on reste toujours un peu sur sa faim. Après l'échec d'EGalim, il fallait se rattraper. Cette proposition de loi conforte la qualité de l'agriculture française.

C'est l'occasion aussi de rappeler aux consommateurs d'où viennent les produits.

Monsieur le ministre, je vous demande d'encourager les acteurs à aller plus loin dans les décrets d'application.

Cette proposition de loi comporte des avancées fortes sur les produits préemballés mais aussi sur les pays d'origine du miel même si l'on aurait pu aller plus loin. Nous faisons aussi un effort sur les lieux de provenance de la viande. C'est le pays d'origine et non le lieu de transformation qui doit être mis en avant.

En ce qui concerne les fromages fermiers, on a fait plaisir aux affineurs mais n'oublions pas l'éleveur-producteur. Ce sont deux savoirs complémentaires. Encourageons les affineurs à inscrire le nom du producteur : ce serait une avancée.

Les mesures sur le vin étaient attendues depuis longtemps.

Produire des semences est un métier, monsieur Labbé ! Mon voisin a acheté des plants de chou bio : sur douze semences, il n'a récolté que quatre choux-pommes et huit choux à vache, donc dégénérés.

Comme tous les autres groupes, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Indépendants)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur toutes les travées)

La séance est suspendue à 17 h 20.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 18 heures.

Rapport de la Cour des comptes

M. Gérard Larcher, président du Sénat.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer madame la doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes. Comme elle fait fonction de Première présidente, nous la désignerons ainsi pendant ce débat.

(Mme Sophie Moati, Première présidente, prend place au banc du Gouvernement, ainsi que Mme Michèle Pappalardo, rapporteurenérale près la Cour des comptes.)

M. le président.- Je suis très heureux d'accueillir dans notre hémicycle madame Sophie Moati, doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes, faisant fonction de Première présidente, à l'occasion du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

La Conférence des présidents a souhaité donner à cette séance traditionnelle une forme nouvelle.

Compte tenu de l'intérêt des observations et recommandations formulées dans le rapport annuel, certains de nos collègues avaient souhaité qu'un temps d'intervention puisse être attribué aux groupes politiques durant cette séance.

Au demeurant, la possibilité en était ouverte par la loi organique relative aux lois de finances dont l'article 58 prévoit que « le rapport annuel de la Cour des comptes peut faire l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale et au Sénat ». Nous ne l'avions cependant pas encore mise en oeuvre.

M. Didier Migaud, Premier président, avant de quitter ses fonctions, avait donné son accord de principe à une telle organisation de notre séance. Je remercie Mme Sophie Moati, qui assure actuellement les fonctions de Première présidente en sa qualité de doyenne des présidents de chambre, d'avoir permis qu'elle se déroule aujourd'hui, huit jours après la publication du rapport le 25 février dernier.

Outre l'expression des commissions des finances et des affaires sociales, nous pourrons ainsi entendre celle des différents groupes de notre assemblée, sur un document comme à l'accoutumée extrêmement riche et dont la forme a elle aussi quelque peu évolué.

Il comporte en effet pour la première fois cette année une partie consacrée à un thème transversal : le numérique au service de la transformation de l'action publique.

Il marque également une attention accrue au suivi des recommandations et aux dimensions autres que strictement financières de l'action publique, comme la qualité et la performance des services publics. C'est une préoccupation forte des élus et de nos concitoyens.

Avant d'ouvrir ce débat, je souhaite souligner toute l'importance que nous attachons à la mission d'assistance de la Cour au Parlement. Elle se manifeste tout au long de l'année, dans le cadre de la préparation des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, comme du suivi de leur exécution.

Au-delà des auditions régulières devant la commission des finances ou celle des affaires sociales, auxquelles ont été remises plusieurs enquêtes demandées au titre de leurs prérogatives en matière de contrôle budgétaire, les travaux de la Cour constituent un apport précieux pour les commissions, délégations, missions d'information ou commissions d'enquête, dans l'exercice de leur fonction de contrôle.

Nous en avions aujourd'hui même l'illustration, avec deux auditions de commission touchant à des domaines très différents : l'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires civiles et la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique terminale.

Madame la présidente, le Sénat sera très attentif et, comme c'est de tradition, accueillant et respectueux. Je vous invite à rejoindre la tribune.

Mme Sophie Moati, Première présidente de la Cour des comptes .  - Je vous remercie de l'accueil que vous réservez cette année encore à notre institution. Cela traduit la qualité des liens qui unissent les juridictions financières et le Parlement ; sachez combien nous y sommes attachés. Tout au long de l'année, notre juridiction est mobilisée pour assurer la mission que lui a confiée la Constitution : assister le Parlement dans le contrôle du Gouvernement.

En 2019, plus de 400 travaux vous ont été transmis, dont quinze rapports réalisés à la demande du Parlement. L'année 2020 augure d'échanges tout aussi nombreux, et nous nous en réjouissons.

C'est en ma qualité de doyenne des présidents de chambre de la Cour des comptes que me revient l'honneur de m'exprimer devant vous. Didier Migaud a supervisé, jusqu'à son départ pour la présidence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, il y a un mois, la rédaction de ce rapport. Nous ne savons pas encore qui lui succèdera. Je tiens à lui rendre hommage pour la qualité et l'intensité de son engagement de son engagement dans une mission exigeante, celle de Premier président de la Cour des comptes et, à ce titre, de président du Haut Conseil des finances publiques et de président du Conseil des prélèvements obligatoires, au service de notre pays et de nos concitoyens.

La publication de ce rapport public annuel est un événement important pour notre institution, l'occasion d'un contact privilégié avec les citoyens et les décideurs publics, au travers d'un exercice d'information, de décryptage, d'explication de l'action publique dans sa très grande diversité.

C'est aussi un produit en constante évolution, particulièrement cette année. Nous tirons en effet des enseignements des échanges quotidiens et des courriers directement adressés aux juridictions financières par nos concitoyens, dont les attentes se sont cristallisées au moment du grand débat national : le besoin de plus de transparence et de pédagogie dans la mise en oeuvre et les résultats des politiques publiques déployées sur notre territoire ; l'importance accordée au coût et à la qualité des services publics financés par leurs contributions ; une plus grande responsabilisation des décideurs publics. Ces attentes ont inspiré des modifications importantes de notre rapport annuel.

Nous avons souhaité traiter davantage de sujets intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens. C'est le cas des chapitres dédiés à la restauration collective et à La Poste. Nous nous sommes aussi attachés à ce que les différents chapitres rendent mieux compte de la qualité des services rendus aux usagers.

Dans le cas des éco-organismes, par exemple, notre rapport met en évidence des progrès indéniables de gestion, même si la performance de ces organismes peut être améliorée et leur régulation par l'État renforcée. À l'inverse, nous déplorons parfois l'absence de mise en oeuvre de nos préconisations ; c'est le cas dans l'enquête réalisée sur les abattoirs publics.

La restitution complète de notre exercice de suivi des recommandations, qui figure à la fin du tome 2, montre que, trois ans après avoir été émises, près des trois quarts des recommandations que nous avons formulées sont partiellement ou totalement mises en oeuvre par les entités contrôlées.

Quant à la structure de ce rapport, l'édition 2020 comporte pour la première fois un thème transversal, celui du numérique au service de la transformation de l'action publique. Autre évolution, la réalisation d'un rapport d'activité, qui permet d'avoir une vue d'ensemble des travaux, des moyens et des faits marquants de l'activité des juridictions financières

Ce rapport fait trois constats principaux. D'abord, la situation de nos finances publiques s'améliore lentement, trop lentement. Le retard relatif de notre pays par rapport à ses partenaires européens va perdurer.

Face à cette situation, notre pays dispose pourtant de marges, à l'égard de l'efficacité et de la performance des politiques et de la gestion publiques.

Troisième constat, l'apport de l'outil numérique à la transformation publique est évident, au bénéfice des usagers comme des administrations, pour peu que soient prises en compte un certain nombre d'exigences.

Venons-en à la situation de nos comptes publics. L'amélioration structurelle des comptes publics devrait être très faible en 2019 et aucune amélioration n'est prévue en 2020.

Selon les prévisions du Gouvernement, le déficit effectif s'établirait à 3,1 points de PIB en 2019, en progression de 0,6 point par rapport à 2018. Certes, cette situation était attendue, compte tenu du cumul, en 2019, du crédit d'impôt compétitivité et emploi, le CICE, et des allègements des cotisations patronales qui le remplacent. Au total, ce cumul explique à lui seul 0,8 point de PIB. Ce déficit effectif est aussi supérieur à la prévision établie en loi de finances initiale de 2,8 points de PIB, en raison des mesures décidées à la suite des mouvements sociaux de l'automne 2018. Elles ont conduit à renoncer à des hausses d'impôts et de taxes, à des baisses supplémentaires de prélèvements obligatoires et à des dépenses nouvelles. Leur coût net est estimé à 9 milliards d'euros en 2019, soit 0,4 point de PIB.

Si l'on neutralise tous les effets des mesures exceptionnelles ou temporaires et ceux de la conjoncture, le socle structurel s'établirait à 2,2 points de PIB en 2019, soit une résorption très modeste de 0,1 point de PIB par rapport à 2018 et 0,2 point par rapport à 2017. Conséquence immédiate, la dette publique devrait avoir continué de croître en 2019 pour atteindre 98,8 points de PIB, alors qu'elle devait reculer selon les prévisions de la loi de finances.

La France a donc peu tiré profit de l'environnement économique et financier favorable qui prévaut au sein de la zone euro depuis 2015, se démarquant nettement de ses partenaires européens qui ont fait des efforts conséquents. L'année 2019 avait marqué une poursuite, même lente, de l'amélioration structurelle des comptes publics. L'année 2020 marquerait un arrêt singulier dans la réduction du déficit structurel qui resterait à 2,2 points de PIB, en décalage avec nos engagements européens. Les pouvoirs publics ont en effet fait le choix d'une accentuation de la baisse des prélèvements obligatoires, ce qui pèse sur le redressement de nos comptes. La loi de finances pour 2020 prévoit près de 10 milliards d'euros de baisse des prélèvements, principalement portés par la baisse de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages. Ces mesures annoncées au printemps 2019 coûtent plus de 17 milliards d'euros, soit 0,7 point de PIB, non compensées par un effort de maîtrise accrue de la dépense publique. En conséquence, la dette publique ne refluerait pas.

Ce ralentissement puis cet arrêt prévu de la réduction du déficit structurel de la France apparaissent singuliers alors que la croissance économique de notre pays est plus favorable que les années précédentes. Ils nous écartent de nos engagements européens, mais aussi de la trajectoire fixée il y a tout juste deux ans par la loi de programmation des finances publiques. Le Gouvernement doit justement présenter au printemps prochain une trajectoire actualisée des finances publiques. Il serait important qu'elle prévoie une réduction du déficit structurel ambitieuse, cohérente avec les règles européennes et ne repoussant pas en fin de période de programmation l'essentiel des efforts à accomplir. Cette perspective appelle aussi un renforcement de l'effectivité du cadre pluriannuel, pouvant passer par une révision des règles organiques.

Cette trajectoire ambitieuse de réduction de notre déficit n'est pas hors de portée. Pour redonner du souffle à nos comptes publics, les juridictions financières identifient, enquête après enquête, contrôle après contrôle, des marges de manoeuvre nombreuses dans le fonctionnement quotidien des administrations publiques et le déploiement de politiques nationales et territoriales. Les différents chapitres de ce rapport en constituent autant d'exemples dont nous espérons qu'ils seront utiles aux pouvoirs publics.

La Cour met d'abord en lumière des situations de gestion qui conduisent à une mauvaise utilisation des moyens publics. C'est le cas des aides personnelles au logement, les APL. Elles bénéficient à 6,6 millions de ménages, mais leur gestion particulièrement complexe conduit au versement de nombreuses prestations indues, que nous estimons à plus d'un milliard d'euros pour 2018.

Les usagers du service public sont les premiers pénalisés - ainsi des patients traités pour insuffisance rénale chronique terminale, maladie en expansion qui touche près de 88 000 personnes et coûte plus de quatre milliards d'euros à l'assurance maladie. La prise en charge des malades privilégie pour moitié des modes de dialyse lourds, contraignants pour les patients et coûteux pour la collectivité. La greffe, à l'inverse, qui leur offre un meilleur confort de vie tout en étant moins onéreuse, ne nous semble aujourd'hui pas assez développée.

Des marges financières existent aussi dans les territoires. Ainsi, entre 2012 et 2017, 45 millions d'euros ont été consacrés par les collectivités territoriales à la desserte aéroportuaire de la Bretagne. Or, sur les huit plateformes bénéficiaires, 80 % du trafic se concentre sur l'aéroport de Brest, alors que l'activité des autres infrastructures se réduit régulièrement face à la concurrence de l'offre ferroviaire et faute d'une stratégique régionale globale de mobilité. La solution tient donc à la capacité des pouvoirs publics à repenser et reconfigurer les conditions et les modalités de leurs interventions.

Autre exemple, la gestion des abattoirs publics dont la viabilité est remise en cause. Concernant la restauration collective, l'enquête réalisée par les chambres régionales des comptes auprès de 80 communes a identifié des pratiques économes de gestion, par le biais de mutualisations et la mise en place de centrales d'achat qui allègent significativement cette lourde charge pour la collectivité publique, tout en garantissant un service de qualité aux familles.

Autre exemple de bonnes pratiques, la transformation engagée par le groupe La Poste face aux mutations majeures de l'activité postale. Le volume de lettre à distribuer accuse en effet, année après année, une baisse spectaculaire : de 18 milliards de plis distribués sur notre territoire en 2008, ce nombre est tombé à 9 milliards en 2018 et sera probablement proche de 5 milliards en 2025. Cette baisse ampute le chiffre d'affaires de La Poste de plus de 500 millions d'euros par an et fragilise son modèle économique. En 2016, la Cour avait donc recommandé des adaptations profondes du fonctionnement et du réseau de distribution postale pour assurer sa pérennité ; elle constate aujourd'hui que ces transformations ont pour partie été engagées. Face à l'ampleur des défis à relever, elles devront être amplifiées.

Cette capacité d'adaptation du service public aux mutations de la société et aux besoins des citoyens a également illustré la nouvelle partie thématique de ce rapport, consacrée au numérique dans l'action publique. Notre rapport rappelle d'abord le fort potentiel d'amélioration des services rendus aux citoyens et aux usagers grâce à l'outil numérique. L'informatisation des procédures leur évite notamment de se déplacer en leur offrant par exemple de suivre à distance l'avancement de leurs démarches administratives. Ainsi, des simplifications des demandes d'autorisation de plantation des viticulteurs, ou du dispositif Vigicrues.

Le dossier pharmaceutique individuel est un autre progrès qui permet, la diffusion aux pharmaciens d'alertes sanitaires, le rappel de lots de médicaments, ou l'information sur les ruptures d'approvisionnement.

Autre intérêt, les économies réalisées. Ainsi, le coût d'instruction d'une demande de logement social en ligne est trois fois inférieur à celui d'une demande effectuée à un guichet physique. L'essor du numérique permet aussi des redéploiements de ressources publiques bénéfiques aux usagers. Le projet de dématérialisation des demandes d'autorisation d'urbanisme conduit par le ministère de la Transition écologique et solidaire permettrait une économie estimée à 6,9 millions d'euros par an à partir de 2022. Cette partie thématique permet de distinguer les conditions de réussite exigeantes de la transformation numérique. À défaut, nous nous exposons à des échecs coûteux.

J'en mentionnerai quatre. D'abord, la qualité de l'accompagnement et de la formation des agents chargés du déploiement de l'outil numérique, traitée dans le chapitre sur les ressources humaines des ministères économiques et financiers.

La qualité du pilotage des projets informatiques constitue un autre facteur de réussite déterminant. Le système d'information des ressources humaines de l'Éducation nationale, Sirhen, offre un contre-exemple lourd d'enseignements : après avoir investi près de 400 millions d'euros et mobilisé largement son personnel pour déployer ce programme, le ministère a cessé son développement en 2018, après de trop nombreuses difficultés de pilotage et de gestion. Troisième condition, alors que l'illettrisme numérique touche, d'après l'Insee, près de 7 % de nos concitoyens, l'accompagnement des usagers doit assumer que l'outil numérique ne crée pas de situation de non-recours aux droits. Ce risque, dit de fracture numérique, se pose tout particulièrement pour les populations fragiles. Ce point de vigilance est détaillé dans le chapitre consacré à Pôle Emploi.

Enfin, pour offrir tous ses bénéfices, le développement de l'outil numérique doit aller de pair avec une remise à plat et bien souvent, une simplification des procédures administratives. C'est le constat que fait la Cour à l'égard de la gestion des cartes grises, dans le chapitre qu'elle consacre à la dématérialisation de la délivrance de titres en préfecture. La numérisation intégrale des procédures aurait mérité des simplifications préalables.

C'est sur un message d'optimisme raisonné que je voudrais achever cette intervention. La situation financière de notre pays est fragile mais elle n'a rien d'inéluctable. Au fil de nos travaux, nous identifions des marges nombreuses d'économies, de réallocations, de transformations des services publics, partout sur notre territoire. L'utilisation de ces marges peut tout à fait aller de pair avec le maintien voire l'amélioration de la qualité du service rendu aux usagers : un niveau élevé de dépenses en faveur d'un service public n'est pas un gage de qualité de service pour nos concitoyens.

Beaucoup reste à faire pour accroître la performance de nos dépenses, mais les administrations publiques disposent d'une réelle capacité de transformation, d'évolution, d'adaptation aux besoins de leurs usagers. Nous en sommes les témoins privilégiés.

Notre rapport n'a pas vocation à « épingler » ou « étriller », ou « clouer au pilori » qui que ce soit, comme nous le lisons ou l'entendons trop souvent. Il est d'abord un outil d'information des citoyens et d'aide à la décision des pouvoirs publics, dont nous mesurons la complexité des interventions.

Ce faisant, les juridictions financières entendent accompagner la transformation des administrations publiques, les conseiller, mettre en valeur les leçons des succès autant que celles des échecs rencontrés.

« Ouvrez et voyez » : c'était l'ancienne injonction faite aux juridictions financières ; c'est le voeu que je vous adresse en retour au nom de ces juridictions.

Monsieur le président, en application de l'article L. 143-6 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes pour 2020. (Mme la Première présidente donne un exemplaire du rapport public annuel à M. le président du Sénat ; applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - Ce moment symbolique important illustre l'assistance que la Cour des comptes porte au Parlement. Source d'inspiration pour les parlementaires, ce rapport est complété par d'autres travaux de la Cour tout au long de l'année.

En application de l'article 58-2 de la LOLF, la commission des finances commande régulièrement des enquêtes à la Cour des comptes, dont la dernière sur « l'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires », celle de Fessenheim notamment...

M. André Reichardt.  - Un scandale !

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - La commission des finances a adopté en début d'année son programme de contrôle pour 2020, dont une enquête sur les risques naturels majeurs rapportés par Jean-François Husson.

Le travail de la Cour des comptes et celui du Sénat se complètent et s'enrichissent réciproquement.

Le rapport public annuel commence par confirmer ce que nous avions malheureusement anticipé : l'année 2020 ne devrait marquer aucun progrès dans le redressement des comptes publics, la baisse de la dette résultant uniquement du CICE et de l'abattement des charges sociales. L'effort structurel est réduit à néant !

La dette publique frôle les 100 % du PIB, alors que celle de l'Allemagne passe sous les 60 %. La France enregistre le déficit structurel le plus élevé de la zone euro hormis l'Espagne. (M. le rapporteur général le confirme.)

Cela résulte du choix du Gouvernement : baisse des prélèvements obligatoires auprès des citoyens les plus aisés, puis, après le mouvement des « gilets jaunes », retour sur les hausses de fiscalité énergétique qui touchaient les classes moyennes.

Dans le même temps, aucune marge budgétaire n'a été dégagée en raison de l'impréparation des réformes. Le Gouvernement a donc baissé les impôts à crédit.

La trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques n'est pas respectée. L'écart par rapport aux orientations aurait pu conduire au mécanisme de correction prévue par la LOLF ; mais le Gouvernement reporte de mois en mois la révision de la programmation, prétextant en septembre dernier les incertitudes liées au contexte macro-économique et à la réforme des retraites. Chacun voit à quel point elles pourraient être désormais levées !

Le Gouvernement ne fait qu'annoncer des lois de programmation sectorielles.

Le rapport public annuel de la Cour des comptes comprend plusieurs insertions qui font écho aux observations du Sénat dans ses nombreux rapports budgétaires. Par exemple, Philippe Dallier, rapporteur spécial, a souligné l'aspect inéquitable des mesures de gel et de sous-indexation des aides personnelles au logement (APL) prises par le Gouvernement depuis 2017.

Le deuxième tome est consacré au numérique au service de la transformation de l'action publique. Une enquête sur les grands projets informatiques pilotés par l'État, suivie par le rapporteur général Albéric de Montgolfier, nous sera remise par la Cour des comptes en juillet prochain.

La Cour s'est intéressée à la stratégie numérique de Pôle Emploi pour dégager des gains d'efficience indispensables pour faire face à l'afflux de demandeurs d'emploi.

Dans son rapport spécial, Sophie Taillé-Polian avait critiqué les procédures dématérialisées, dissuasives pour la part non négligeable des chômeurs n'utilisant pas internet pour leur recherche d'emploi. La Cour critique l'insuffisance de la détection en amont des personnes en difficulté numérique.

MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac, rapporteurs spéciaux sur la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », ont insisté sur les difficultés que rencontraient la DGFip et les douanes pour recruter et fidéliser les informaticiens. Ces constats sont partagés par la Cour qui recommande de renforcer l'attractivité des ministères économiques et financiers.

La gouvernance déficiente de l'Europe et une estimation irréaliste des coûts justifient l'échec du dispositif Sirhen. Le rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », Gérard Longuet, a régulièrement alerté sur le caractère irréaliste des hypothèses qui sous-tendaient son développement, laissant craindre un dérapage budgétaire et opérationnel avant l'abandon du projet en juillet 2018.

La commission des finances restera attentive aux suites que le Gouvernement apportera au rapport de la Cour des comptes. (M. Antoine Lefèvre le confirme ; applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales .  - Comme chaque année, j'ai pris connaissance, avec grand intérêt, du rapport public de la Cour des comptes.

« Le redressement des finances publiques, déjà très graduel, est désormais quasiment à l'arrêt » : tel est le constat. Cela se vérifie pour les comptes de la sécurité sociale, ce qui est dû en partie à l'absence de compensation des mesures accordées à la suite de la crise des gilets jaunes. La nouvelle échéance pour l'équilibre des comptes de la sécurité sociale serait désormais 2023 ou 2024, compte tenu de l'ampleur des déficits cumulés portés par l'Acoss.

Le début d'année 2020 ne devrait guère être plus favorable aux comptes sociaux. La Cour a-t-elle estimé l'impact de la crise sanitaire sur les comptes publics ? Quel effet auront les mesures annoncées par le Gouvernement, telle que la prise en charge des indemnités journalières des personnes invitées à rester chez elles ?

L'insuffisance rénale chronique terminale affecte un nombre croissant de patients. Améliorer la prise en charge est nécessaire. Seuls 30 % des patients sont mis sous dialyse en urgence. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a ouvert la voie à des rémunérations forfaitaires pour certaines maladies chroniques, dont l'insuffisance rénale, mais cela ne concerne que la partie hospitalière.

En matière de greffes, des associations de patients relèvent des disparités territoriales qui appellent des correctifs. Le manque de greffons reste cependant la principale difficulté.

La commission plaide pour l'intensification du déploiement du soutien pharmaceutique. Le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de l'action publique (ASAP) offre des dispositions intéressantes. Avez-vous examiné la compatibilité de cette solution avec l'article 9 du règlement général de protection des données (RGPD) qui conditionne tout traitement de données à caractère personnel au recueil du consentement explicite de la personne concernée ?

La commission souligne qu'un des ralentissements au déploiement du dossier pharmaceutique se situe au niveau des pharmacies, à usage interne des établissements de santé ou médico-sociaux, la substitution d'un médicament princeps par un autre biosimilaire étant soumise à condition. Ne pourrait-on pas faciliter une substitution moins coûteuse pour la sécurité sociale et de qualité égale pour les soins du patient ?

S'agissant de l'Agirc-Arrco, la fusion réalisée au 1er janvier 2019 répondait à une préconisation du rapport de la Cour des comptes de 2014. Nous examinerons bientôt le projet de loi de réforme des retraites. Il faudra alors conserver à l'esprit que la gestion des réserves devra être renforcée au niveau fédéral.

L'Agirc-Arrco est un système à points avec des valeurs de service et d'achat. L'indexation des valeurs de référence est un enjeu essentiel du débat dans le cadre d'une gestion du futur système appuyée sur un impératif d'équilibre de long terme.

Telles sont les réflexions que nous inspirent vos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Julien Bargeton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Chaque année, la publication du rapport public annuel de la Cour constitue un rendez-vous attendu des observateurs de la vie publique et un rendez-vous avec les Français.

Traditionnellement, seuls les présidents des commissions des finances et des affaires sociales s'exprimaient. Je salue l'évolution de la méthode qui ouvre la voie à une pluralité d'expression des groupes politiques, mais aussi l'évolution de forme puisqu'une problématique transversale, celle du numérique dans l'action publique y occupe une place importante.

Le rapport annuel apporte une pierre à l'édifice d'études de la situation des finances publiques qui se tient tout au long de l'année. Le déficit serait à 2,2 points du PIB. Il n'y a pas si longtemps, il était à quatre points du PIB. C'est en 2017 qu'il est passé sur le seuil fatidique des 3 %.

Je rappelle aussi l'effort de sincérisation des lois de finances avec une baisse des mises en réserve et la fin des décrets d'avance dont certains prenaient le caractère de véritables lois de finances rectificatives en forme réglementaire.

Sur le poids de la dette sur le PIB, l'inquiétude est légitime. Mais il y a aussi d'autres critères...

M. Philippe Dallier.  - Le déficit structurel, c'est important !

M. Julien Bargeton.  - Je pense au pouvoir d'achat qui augmente, ou encore à la diminution des prélèvements obligatoires à 30 milliards d'euros.

M. Philippe Dallier.  - À crédit !

M. Julien Bargeton.  - Le taux de chômage diminue à 8,1 % alors qu'on croyait que le chômage était une fatalité en France.

M. Philippe Dallier.  - Tout va bien !

M. Julien Bargeton.  - La dotation aux armées augmente également.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Déficit !

M. Julien Bargeton.  - En 2020, les dépenses publiques seront limitées à 53,4 % du PIB. Il faut aller plus loin. Mais il est très facile d'être contre la dépense en général et pour la dépense en particulier.

M. Jean Louis Masson.  - Vous parlez en connaisseur !

M. Julien Bargeton.  - La promesse de la suppression des 50 000 fonctionnaires d'État ne sera pas tenue.

M. Philippe Dallier.  - On avait compris ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Julien Bargeton.  - Les Français ne sont pas favorables à des suppressions de fonctionnaires massives. Ils en veulent derrière les guichets.

Les transformations digitales valaient les modèles existants, notamment dans le secteur bancaire. Nous avons du retard dans le secteur public.

Enfin, une question se pose sur la prise en compte des investissements en matière environnementale.

Au sein du triangle formé par le Gouvernement, le Parlement et les citoyens, la Cour des comptes se tient à équidistance du centre de gravité. Veillons à ce qu'elle garde cette place centrale, gage de son indépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. Jean Louis Masson .  - Le rapport consacre un chapitre à l'école polytechnique. Étant l'un des rares anciens élèves de cette école dans cet hémicycle, je voudrais corriger quelques éléments.

Il n'y aurait que 17 % de femmes à l'école polytechnique. C'est un choix des femmes ! Le ratio de femmes à l'école est le même qu'en classe préparatoire.

Ségrégation sociale ? L'internat en classe préparatoire ne coûte presque rien. À 19 ans, j'étais logé, nourri, blanchi et je touchais une solde à Polytechnique et je ne coûtais rien à mes parents. Allez à HEC ! Vous verrez ce que ça coûte !

Il faut travailler pour entrer à Polytechnique et ce n'est pas donné à tout le monde.

Le rapport propose de supprimer la solde des élèves de Polytechnique. Soyons cohérents ! C'est ainsi que l'on accroîtra la ségrégation sociale. Pourquoi ne pas plutôt revaloriser la pantoufle ? Il y a sans doute des partisans de la mixité sociale parmi les rédacteurs du rapport, mais un certain nombre de personnes à la Cour des comptes sont tombées sur la tête ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)

M. Vincent Delahaye .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie la Cour des comptes de son apport qui nous aide considérablement dans notre mission de contrôle. Année après année, les observations se suivent et se ressemblent...

Après une amélioration marginale en 2019, le déficit structurel ne bouge plus d'un iota : le redressement des finances publiques est à l'arrêt. Ce serait pourtant le moment de profiter de la politique monétaire accommodante.

Notre déficit structurel est supérieur de 1,8 point à la moyenne de l'Union monétaire. Seule l'Espagne fait plus.

Certes, le rythme de la progression de la dépense publique a ralenti, à 0,4 % en moyenne, mais avec 22 milliards d'euros en plus, les dépenses publiques ont franchi la barre de 1 300 milliards d'euros, à 54 % du PIB. Une paille. Pourtant, la charge de la dette a baissé de 4,4 milliards d'euros.

Saluons une meilleure sincérité des comptes publics, la sortie de la procédure pour déficit excessif, et une sincérisation de la dette avec la reprise des 35 milliards d'euros de dette de la SNCF. Cela nous change de l'ère Hollande-Sapin-Eckert, dont les tours de passe-passe avaient laissé un trou de 8 milliards ! (« Oh » sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Reste qu'en 2019, la dette publique a grimpé jusqu'à 98,8 % du PIB. On table sur 98,7 % en 2020. L'endettement galopant transfère vers ceux qui ne sont pas encore nés les coûts qui devraient être payés par ceux qui vivent aujourd'hui. Une dette publique qui tutoie les 100 % du PIB n'est pas durable. Méfions-nous de la fausse popularité d'un Gouvernement qui baisse les impôts et finance cette baisse à crédit.

Bercy réfléchit à des efforts de réduction de la dépense sur un certain nombre de politiques publiques. Le problème n'est pas tant celui des moyens publics, pléthoriques en France, que de leur usage. Le nombre d'agents publics a augmenté de 46 % entre 1980 et 2015, alors que la population n'a augmenté que de 23 %. Étions-nous moins bien administrés en 1980 ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances.  - Non ! D'ailleurs les gens sont mécontents.

M. Vincent Delahaye.  - La fonction publique hospitalière est passée de 1 035 000 agents en 2009 à 1 163 000 en 2017 et draine 82 milliards d'euros en 2019, contre 50,9 en 2009. La situation de l'hôpital est-elle meilleure pour autant ? Non.

Le rapport de la Cour des comptes apporte chaque année son lot de gaspillages. La palme revient cette fois-ci à l'Éducation nationale avec 400 millions d'euros dépenses pour rien, avec l'abandon de son logiciel de gestion des ressources humaines, Sirhen. L'exemple du logiciel de paye Louvoie pour les militaires n'aura pas servi de leçon.

Où en est l'État dans l'adaptation de son administration à l'ère numérique ? Qu'en est-il du projet de modernisation porté par Action publique 2022 ? Le progrès technologique et le développement de l'intelligence artificielle permettent de réduire les coûts, d'augmenter la productivité et la qualité des services publics et, in fine, de réduire les impôts. Ne traînons pas des pieds.

Les enjeux de la lutte contre la fraude fiscale nous tiennent à coeur. (Mme Nathalie Goulet renchérit.) Nous aurions aimé vous entendre sur ce thème, et savons pouvoir compter sur la Cour pour nous aider à lutter contre ce fléau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Outre les analyses thématiques riches d'enseignement, ce rapport est une piqûre de rappel sur la situation financière de notre pays.

Certes, les efforts du Gouvernement - même s'ils sont insuffisants - ont porté leurs fruits, avec une croissance parmi les meilleurs de la zone euro. Le déficit est maintenu sous la barre des 3 %, mais alors que le ratio d'endettement a reculé de neuf points dans la zone euro ces cinq dernières années, nous n'avons pas su réduire notre dette publique ; faute de pouvoir baisser les dépenses, nous avons choisi de baisser les recettes pour stimuler la consommation et l'investissement. Cela ne sera pas suffisant à long terme, car cela ampute nos capacités d'avenir.

Le déficit est essentiellement le fait de l'État. Les collectivités territoriales ont fait beaucoup d'efforts ; certes, elles peuvent faire mieux - je pense à la restauration collective et aux abattoirs publics cités par la Cour. Mais les collectivités territoriales sont trop souvent dépourvues face aux évolutions normatives qui leur imposent à la fois d'investir et de diminuer leurs dépenses.

Nos efforts doivent se concentrer sur l'État. Le levier de la transformation numérique, bien utilisé, peut permettre à la fois de réduire les dépenses et améliorer l'efficacité de l'action publique.

La Poste, dans un secteur en pleine transformation, a réussi un virage impressionnant. Des réformes courageuses seront nécessaires pour pérenniser notre service public de proximité. Nos territoires ne doivent pas faire les frais de notre incapacité à baisser les dépenses publiques - le véritable terreau de la colère sociale est là.

Le groupe Les Indépendants continuera à soutenir les efforts de baisse de la dépense publique, en espérant que cette fin de quinquennat sera marquée par la maîtrise budgétaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comme chaque année, nous constatons l'écart entre les engagements et les résultats.

Les chiffres ne sont pas bons : le déficit structurel n'a baissé que de 0,1 point de PIB entre 2018 et 2019, et aucune amélioration n'est attendue en 2020 ; à 2,2 %, on est loin de la cible de 1,9 % fixée par la loi de programmation des finances publiques. En un an, notre dépense publique a augmenté de 22 milliards d'euros : nous dépensons largement plus que nos grands voisins européens pour des politiques publiques comparables.

Il n'est pas question de remettre en cause les dépenses votées en décembre 2018 dans une situation de tension sociale inédite, mais nous regrettons des crédits de circonstance, financés par des taux providentiellement bas : de tels expédients sont un cautère sur une jambe de bois, et ces dépenses pèseront sur les générations futures.

Que ferait l'État face à une nouvelle crise monétaire et bancaire ? Quelle marge aurions-nous si la crise sanitaire actuelle compromettait durablement la croissance ? Une politique responsable supposerait de rechercher ces marges. Or la Cour le dit, les baisses d'impôts ont été consenties sans avoir au préalable renforcé les marges de manoeuvre.

Le Gouvernement reproduit les mauvais comportements qui ont fait perdre beaucoup de temps et d'argent par le passé.

Nous sommes comme englués dans le mirage d'une croissance, certes positive mais faible. L'endormissement semble indolore grâce à des stabilisateurs automatiques puissants ; pourtant, le Kairos, le moment opportun serait là, pour enfin baisser notre dépense publique et sortir de la spirale infernale de la dette.

La Cour tire encore une fois la sonnette d'alarme, comme nous l'avons fait lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020. Nous n'arrivons pas à endiguer ce mauvais virus de la dépense publique ; il menace pourtant la santé de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Marc Gabouty .  - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC) Le rapport annuel de la Cour des comptes comporte un constat de la situation fin 2019, une appréciation de l'évolution prévisible, des recommandations et le bilan de la mise en oeuvre des recommandations passées.

Les chiffres sont incontestables, l'éclairage objectif. Les recommandations, en revanche, ne sont pas nécessairement toutes pertinentes car pouvant relever d'orientations politiques contestables - ainsi de la restauration scolaire.

Le constat est celui du verre à moitié plein - ou à moitié vide.

Le déficit est de 3,1 % de PIB ou de 2,2 % de PIB si l'on neutralise la double charge du CICE. L'endettement demeure élevé à 98,8 % de PIB. Aucune amélioration n'est envisagée en 2020, en dépit de taux bas qui allègent la charge de la dette, et alors que nos principaux partenaires européens ont largement amorcé une courbe de décrue.

On peut voir le verre à moitié plein : cette stabilisation a permis de supporter les dépenses exceptionnelles consécutives au mouvement des gilets jaunes tout en réduisant légèrement les prélèvements obligatoires.

Le taux d'épargne des ménages atteint 15,2 %, certes moins qu'en Suède ou en Allemagne, mais supérieur de 50 % à la moyenne de l'Union européenne. C'est une réserve de richesses à mobiliser en direction de l'investissement et de la consommation. Citons aussi la reprise de l'emploi industriel, la baisse du chômage, le potentiel intact d'économies à réaliser dans les dépenses publiques.

L'apport du numérique dans la transformation de l'action publique est indéniable, mais l'accompagnement à la dématérialisation est insuffisant. On peut se demander si une dématérialisation totale est souhaitable, dans la mesure où elle laisse de côté de nombreux citoyens. Voulons-nous d'une société déshumanisée où le seul risque de contamination serait par un virus informatique ?

Si je partage l'analyse de la Cour concernant les abattoirs publics, qui relèvent à mon sens du secteur privé, je suis plus réservé sur la restauration scolaire. La Cour regrette que celle-ci s'exerce au niveau communal et préconise une mutualisation au niveau intercommunal voire une externalisation via la délégation de service public, ainsi qu'un suivi par l'État. Je préfère laisser les collectivités locales libres de s'adapter aux caractéristiques de leur territoire ; on peut obtenir d'excellents résultats en termes de rapport qualité-prix en restant en régie communale.

La Cour des comptes elle-même estime que les sujets de politique publique ne peuvent être analysés uniquement sous le prisme financier ; sur ce point, son approche est trop technocratique.

Notre pays est un diesel, il lui faut du temps pour démarrer mais nous disposons de tous les atouts pour améliorer notre situation économique, sociale et budgétaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM)

M. Éric Bocquet .  - Je salue à mon tour la nouvelle organisation de cette présentation du rapport annuel de la Cour ; le débat parlementaire ne nuit pas à la démocratie !

L'obsession de la Cour des comptes pour la baisse de la dépense publique nous fait grincer des dents. La France serait le mauvais élève de l'Union européenne, le non-respect des règles budgétaires de Bruxelles impliquerait forcément un « retard ». Sortons de cette vision étriquée : la dette publique n'est pas problème en soi. Réduire la dépense publique dans l'unique but de réduire la dette est contreproductif : cela conduit à priver la population et à freiner la croissance. Même Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, encourage à s'endetter pour investir.

Pour la Cour, le Gouvernement s'est amputé de deniers publics pour répondre aux gilets jaunes ; pour nous, le manque à gagner vient plutôt de ses cadeaux fiscaux aux plus riches : transformation de l'ISF en IFI, allègements des cotisations patronales, baisse de l'impôt sur les sociétés, flat tax, et j'en passe. Sur les 10 milliards d'euros de baisse des prélèvements obligatoires en 2020, l'allègement d'impôt sur le revenu, qui ne concerne qu'un ménage sur deux, représente la moitié.

Les plus défavorisés, eux, sont visés par la baisse des prestations sociales ou le durcissement de l'assurance chômage. La Cour cible les aides au logement, déjà réduites de 3 milliards d'euros depuis 2017 - soit le coût de la suppression de l'ISF - malgré les avertissements de la fondation Abbé Pierre.

Les récentes réformes ont surtout profité aux 5 % les plus riches, qui aspirent à eux seuls plus du quart des 17 milliards d'euros distribués aux ménages depuis 2017, avec un gain de 2 905 euros par an, alors que le mythe du ruissellement n'est pas mesurable. Les 5 % les plus pauvres perdent 240 euros par an.

La baisse cumulée des dépenses publiques est de 78 milliards d'euros, alors que les services publics bénéficient avant tout aux moins favorisés. Les inégalités se creusent, le taux de pauvreté augmente. Nous défendons au contraire la qualité et la proximité des services publics.

Le virage social du Gouvernement est un mirage. Le rapport de la Cour est révélateur des dangers de la réforme des retraites par point : il note que les comptes du régime Agirc-Arrco ont été redressés par la sous-indexation de la valeur du point et l'incitation à des départs à la retraite plus tardifs. Le pouvoir s'obstine dans sa réforme, mais les Français ne sont pas dupes.

Robert Sabatier écrivait : « Lorsque la mémoire était la seule écriture, l'homme chantait ; lorsque l'écriture naquit, l'homme baissa la voix ; lorsque tout fut mis en chiffres, il se tut ». Ce soir, le Sénat ne s'est pas tu. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Merci pour cet éclairage sur les politiques publiques dont nous avons la charge.

Le déficit public devait repasser au-dessus des 3 %, à la suite de la baisse des prélèvements - transformation du CICE en allègement de cotisation, suppression de l'ISF et autres cadeaux aux plus aisés.

Ne cautionnons pas l'idée que la France devrait réduire son déficit pour complaire aux marchés financiers : cette soumission met en cause notre souveraineté nationale.

La dette publique est devenue le premier argument des néolibéraux pour réduire l'intervention publique. Cette approche est contraire à l'intérêt général, nous disent pourtant des Prix Nobel. Les plus pauvres n'ont d'autres protections et d'autres services que ceux qui sont assurés par le service public.

L'accroissement de la dette privée suscite de fortes craintes. Entreprises et ménages se paupérisent. Curieusement, on en parle moins que de la dette publique... La retraite complémentaire Agirc-Arrco est en voie de redressement : le rendement du régime a baissé, alors que le point cotisé a augmenté. De quoi confirmer nos craintes vis-à-vis du régime universel par points que propose le Gouvernement...

La réduction du montant des APL a concerné tous les allocataires, quelle que soit leur situation financière. Le patrimoine des bénéficiaires n'est pris en compte que pour les seuls nouveaux entrants, ce qui apparaît contraire à la loi, dit la Cour.

Sur le numérique, le rapport pointe les effets pervers de la vague de déshumanisation des services publics au détriment des plus vulnérables, sachant que 30 % des Français ne sont pas familiers du numérique, selon le Défenseur des droits. Vous relevez un risque pour les demandeurs d'emploi, qui s'exposent à sanction en cas de manquement aux obligations de recherche d'emploi ; or le portail internet de Pôle Emploi, qui agrège pléthore de sites d'offres d'emplois, est source de complexité et peu utilisé.

Pour lutter contre la fracture numérique, il faut un accompagnement humain. Les difficultés de la dématérialisation de la délivrance de la carte grise sont emblématiques. Si l'on veut préserver l'égal accès aux services publics, il faut sécuriser l'intermédiation numérique.

Vous proposez des recommandations : désormais vient le temps de l'action.

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La remise du rapport public de la Cour des comptes est toujours un moment attendu. J'ai une pensée pour Philippe Seguin, décédé il y a dix ans.

Le dossier pharmaceutique a été créé par la loi du 30 janvier 2007 pour favoriser la qualité des soins et sécuriser la dispensation des médicaments. L'ensemble des outils médicaux et pharmaceutiques sont accessibles aux différents acteurs de la chaîne du médicament. La finalité est de lutter contre les effets indésirables en améliorant la détection des interactions médicamenteuses, surdosages et mésusages.

Le déploiement du dossier pharmaceutique est un succès, avec 45 millions de dossiers individuels et 99 % des officines raccordées. Pour lever les derniers freins, la Cour des comptes propose de rendre automatique la création du dossier pharmaceutique. Nous l'avions voté dans la loi Santé. Se passer de la carte vitale pour l'accès au dossier pharmaceutique et étendre la durée d'accès à l'historique au-delà de quatre mois serait une bonne chose, comme de rendre obligatoire l'utilisation du dossier pharmaceutique dans les établissements de santé.

À l'inverse, l'utilisation du dossier médical partagé se fait attendre. Le dossier pharmaceutique devrait l'alimenter systématiquement. J'appelle de mes voeux la mise en oeuvre des recommandations de la Cour des comptes dans les mois à venir. Le projet de loi ASAP est une opportunité pour améliorer cet outil. Ne laissons pas passer cette occasion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thierry Carcenac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La Cour des comptes innove cette année en retenant un thème transversal, celui du numérique.

Son développement bouleverse les organisations et les relations avec nos concitoyens avec pour objectif de faciliter leur vie quotidienne et de proposer de nouveaux services.

Depuis le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (Pagsi) en 1998, les différents gouvernements ont décliné l'administration électronique. Le rapport Action Publique 2022 fixe l'objectif de 100 % des démarches accessibles en ligne dès 2022.

Mais les problèmes demeurent, malgré les changements d'acronymes.

« Il faut que tout change pour que rien ne change », écrivait Lampedusa dans Le Guépard. Dans mon rapport de 2001 sur l'administration électronique citoyenne, dans celui de Gérard Braun en 2004 ou de Pierre de la Coste en 2003, tout avait déjà été écrit.

La Cour réactualise le sujet. Elle note des carences en personnel qualifié. Quid du plan gouvernemental pour la prise en compte de la fonction informatique de l'État ?

L'abandon, à 400 millions d'euros, du logiciel Sirhen n'est pas un cas isolé. Pensez au logiciel Louvois du ministère des Armées. Normalement, les projets de plus de 9 millions d'euros devraient être évalués ; nous en sommes loin.

Quel rôle joue le Comité d'orientation stratégique interministériel du numérique ? Les directions concernées ne sont pas coordonnées entre elles et travaillent en silo. Certains ministres remercient la Cour pour son important travail de consolidation des comptes. En effet, les outils sont inadaptés pour évaluer les coûts du numérique.

Quelque 7 % de nos concitoyens restent éloignés du numérique. Où en est le plan d'inclusion numérique ?

La Cour note qu'il aurait fallu simplifier la règlementation avant de lancer la numérisation des cartes grises. Il faut revoir les processus et traitements de données au sein de l'administration car la seule automatisation ne permet pas de gains importants en efficacité.

J'engage l'État à améliorer son action pour le plus grand profit de nos concitoyens.

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Juger, contrôler, évaluer, certifier : telles sont les missions de la Cour. Il faudrait peut-être les élargir.

Le rapport évoque la restauration collective. Il met en avant trois objectifs qui génèrent des coûts pour les collectivités : développement de l'agriculture bio et de la qualité sanitaire - soit un renchérissement de 20 % du coût des denrées selon l'étude d'impact de la loi EGalim, à absorber par des économies de gestion ; suppression du plastique dans les cantines d'ici 2025, pour un coût non évalué ; repas à 1 euro pour les plus défavorisés, conformément au plan Pauvreté de 2018, avec un abondement par l'État à hauteur de 2 euros. Parallèlement, l'État demande aux collectivités territoriales de réduire leurs dépenses publiques dans le cadre des contrats de Cahors.

Le coût des normes est trop souvent estimé a posteriori et non a priori. Or on impose aux collectivités de mettre en oeuvre des politiques publiques qui, mises côte à côte, sont inconciliables.

Deuxième exemple, les liaisons aéroportuaires en Bretagne, dont les huit aéroports sont un héritage de l'histoire, la région ayant été longtemps enclavée. Mais la LGV créée en 2017 a changé la donne. Pourtant, une mission de service public a été accordée à la liaison aérienne entre Orly et Quimper, pour un coût de 12 millions d'euros sur trois ans pour les collectivités....

La Cour devrait s'interroger sur la pertinence des politiques publiques à l'aune des grands engagements environnementaux de la France.

Complétons le code des juridictions financières pour élargir ses missions, afin que la Cour ait une vision transversale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants ; M. Julien Bargeton applaudit également.)

Mme Sophie Moati, Première présidente de la Cour des comptes .  - Je vous remercie pour la place que vous faites à la présentation de notre rapport dans un agenda parlementaire chargé. L'intervention des groupes enrichit le débat.

Nous sommes très attentifs à ce que le Parlement s'approprie les travaux de la Cour. La qualité des échanges entre la Cour et le Sénat a été saluée. Effectivement, le Sénat nous auditionne régulièrement : nous étions ce matin devant votre commission des affaires sociales pour évoquer l'insuffisance rénale, cet après-midi devant votre commission des finances, sur le démantèlement des installations nucléaires.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la situation d'ensemble des finances publiques.

Le rapporteur général de la commission des affaires sociales a souhaité connaître l'analyse de la Cour sur l'impact du Covid-19. Le rapport se base sur les informations disponibles fin janvier 2020, avant l'accélération de la propagation du virus. Il est plausible que celui-ci aura un impact important sur la croissance mondiale et donc sur les finances publiques mais nous ne pouvons pas nous hasarder à le quantifier, vu les incertitudes sur l'ampleur et la durée de l'épidémie.

Le Haut Conseil des finances publiques donnera mi-avril un avis sur les nouvelles prévisions de croissance du Gouvernement pour 2020 et le programme de stabilité devra être adressé à la Commission européenne fin avril.

Vous avez salué la nouveauté que constitue l'étude transversale sur le rôle du numérique au service de la transformation de l'action publique.

Difficile, monsieur Delahaye, d'évaluer les économies et gains de productivité à court et moyen terme permis par le processus de dématérialisation, d'autant que des évolutions majeures comme le développement de l'intelligence artificielle viennent régulièrement rebattre les cartes. On peut en revanche se poser la question au cas par cas, par exemple pour la délivrance de titres ou concernant Pôle Emploi.

M. Joly a évoqué l'accès au numérique en milieu rural. Le rapport souligne l'enjeu de la fracture numérique. En mars 2019, la Cour des comptes a abordé cet enjeu dans un rapport fait pour le comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale sur L'Accès aux services publics dans les territoires ruraux.

Plusieurs d'entre vous sont intervenus sur le dossier pharmaceutique, notamment le rapporteur général de la commission des affaires sociales. La recommandation n°3 du chapitre sur le dossier pharmaceutique est-elle compatible avec le RGPD ? Nous souhaitons autoriser les créations automatiques de dossiers personnels sauf opposition des patients, ce qui n'entre pas en contradiction avec le RGPD qui prévoit la possibilité de déroger au principe de consentement explicite dans ce domaine. Le dossier médical partagé sera créé automatiquement à partir du 1er janvier 2021 sauf opposition du patient.

La substitution de médicaments par le pharmacien n'est pas un point que nous avons suffisamment examiné.

Madame Imbert, je me félicite de la convergence de vos analyses avec celles de la Cour sur le dossier pharmaceutique.

J'allais oublier M. Masson...

M. Jérôme Bascher.  - Nous aussi ! (Sourires)

Mme Sophie Moati, Première présidente de la Cour des comptes.  - ... qui est intervenu sur le dossier de l'école Polytechnique, qui a relevé le peu de jeunes filles à l'école, ce qui ne reflèterait que leur faible taux en classes préparatoires. Il y aurait 17 % de filles en classes prépas ? Il me semble que ce pourcentage provient d'une analyse qui se restreint aux quatre ou cinq prépas qui fournissent presque exclusivement l'école. Les chiffres ne concordent pas avec la réalité nationale. Polytechnique a un des taux de mixité sociale le moins élevé parmi les grandes écoles. Le président de l'établissement fait des propositions pour améliorer la mixité sociale et pour atteindre le taux moyen des écoles comparables.

Nous ne souhaitons pas supprimer la solde des élèves ingénieurs mais faire évoluer leur statut afin de repositionner l'école Polytechnique.

En ce qui concerne la restauration collective, monsieur Gabouty, nous n'avons préconisé aucun modèle particulier. Nous avons simplement mis en évidence les bonnes pratiques constatées au cours de notre enquête.

Madame Lavarde, je vous remercie de la confiance que vous témoignez à la Cour. Nous nous attachons le plus souvent possible dans nos évaluations des politiques publiques à pointer la contradiction ou la multiplicité des objectifs. Je comprends votre invite comme une incitation à renforcer encore nos évaluations des politiques publiques. (Applaudissements)

M. le président.  - Nous donnons acte de ces échanges à la Cour des comptes.

Je demande aux huissiers de reconduire Mme Moati.

(Mme la Première présidente et Mme la rapporteure générale près la Cour des comptes quittent l'hémicycle.)

La séance est suspendue à 20 h 10.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 21 h 40.

Mesures face au Coronavirus

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les mesures de santé publique prises face aux risques d'une épidémie de Coronavirus Covid-19 en France.

Sur proposition du Président Bruno Retailleau, j'ai demandé au Gouvernement d'inscrire ce débat à l'ordre du jour.

Il nous a en effet paru nécessaire et urgent que notre assemblée puisse débattre de manière ouverte et transparente avec le Gouvernement car face aux inquiétudes de nos concitoyens, l'information la plus large sur les risques et les mesures prises pour y répondre est indispensable pour éviter de contribuer à la psychose.

Cette séance s'organisera en deux temps et je remercie le président Gabouty d'avoir bien voulu prendre la suite.

Orateurs inscrits

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Je veux vous dire ma fierté d'être devant vous pour débattre des mesures prises face à une menace inédite. Cela demande beaucoup de rigueur et beaucoup de transparence. Mon ministère et, au-delà, l'ensemble du Gouvernement se mobilise face à cette situation exceptionnelle. Je laisserai chacun juge de la rigueur des décisions et des actions qui sont entreprises et me voilà devant vous pour la transparence.

J'aimerais saluer la mobilisation exceptionnelle des professionnels de santé qui prennent en charge nos concitoyens de A à Z, quel que soit le point du territoire concerné.

Saluer le dévouement et le professionnalisme des soignants, c'est déjà rassurer les Français et je le dis à nos concitoyens : nous avons la chance de pouvoir compter, en France, sur les meilleurs médecins et les meilleurs soignants du monde.

Et si c'est par gros temps que l'on reconnaît les bons marins, je vous assure que tous les professionnels de santé que j'ai rencontrés ces derniers jours m'ont impressionné par leur réactivité, leur sang-froid et leur sens du devoir. À travers vous, je salue tous les élus qui rassurent nos concitoyens inquiets.

La crise sanitaire est mondiale et touche notre territoire depuis quelques semaines. Notre responsabilité collective est de protéger nos concitoyens. Notre système de santé est prêt et notre vigilance à son plus haut niveau.

Depuis le 7 janvier, jour où le virus a été séquencé, Santé publique France est à la manoeuvre. Le 22 janvier, le centre opérationnel de régulation et de réception a été placé en vigilance renforcée et le 27 janvier, nous avons constitué un centre de crise sanitaire.

Le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corus) suit, minute par minute, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l'évolution de la situation en France et dans le monde. Je salue l'engagement du Corus dont les équipes réalisent un travail minutieux. Le président de la République s'est rendu hier au ministère de la Santé et des solidarités pour rencontrer et saluer les équipes du Corus.

Le caractère global du Covid-19 requiert une coordination globale et un dialogue étroit entre les États. Nous travaillons donc en interaction avec les experts de l'Union européenne, le siège de l'OMS et le G7 Santé.

Pour l'instant, et c'est heureux, nous avons réussi à nous prémunir de la machine à créer de la confusion et de la panique. J'en appelle à chacun à la responsabilité car la floraison de rumeurs serait dangereuse en pareille circonstance.

C'est pourquoi nous développons une information large à destination des professionnels de santé qui devront faire oeuvre pédagogique. Le site DGS-urgent compte plus de 800 000 abonnés. Toutes les agences sanitaires sont mobilisées : Santé publique France, l'Agence nationale de sécurité du médicament, l'Agence de la biomédecine, l'Établissement français du sang. Plus de 140 établissements référents sont répartis sur tout le territoire. Les tests de diagnostic biologique appelés APCR ont été rendus disponibles rapidement par l'Institut Pasteur.

Nous assurons une information quotidienne à 19 h 15. À l'heure où je vous parle, sur 90 663 cas infectés, 45 000 ont guéri. Sur plus de 65 pays touchés, 90 % des patients sont en Chine ; malgré tout, la dynamique est ailleurs : le nombre de cas croît neuf fois plus vite hors de Chine.

Nous sommes au stade 2 et notre objectif principal est de freiner la propagation du virus sur le territoire national.

Il existe trois stades. Le stade 1 visait à empêcher l'entrée du virus sur le territoire. Lorsqu'il y entrait, comme à Contamines-Montjoie, nous y avons envoyé une équipe pluridisciplinaire. Le stade 2, c'est après l'entrée du virus. Il y a des regroupements de cas et nous recherchons la chaîne de contamination afin de freiner l'épidémie.

Lors du stade 3, quand l'épidémie est répandue, la recherche de la chaîne de contamination n'a plus de pertinence.

Il y a actuellement quatre zones de circulation active du virus : l'Oise, la Haute-Savoie, le Morbihan et le Haut-Rhin.

Pour plus de 75 % des cas, il existe une explication de la chaîne de transmission du virus. L'objectif principal consiste donc à ralentir la propagation du virus, en protégeant les zones qui ne sont pas ou qui sont peu touchées. Ainsi, certaines régions comme la Corse ou les Outre-mer sont encore en stade 1.

Désormais, la priorité doit aller aux mesures mises en place autour du malade pour le protéger et protéger ses proches.

Tout le monde doit montrer l'exemple. Il n'est pas inutile de rappeler les gestes qui constituent une barrière efficace : se laver les mains ; tousser dans son coude ; utiliser des mouchoirs à usage unique ; renoncer pour un temps, hélas, pour un temps, à se serrer la main ; appeler le 15 en cas de symptômes et ne pas se rendre chez le médecin ; ne porter un masque qu'en cas de maladie.

Tout le monde doit être concerné. Les gestes simples, oui, les discours simplistes, non.

Les frontières géographiques n'ont pas de sens quand il est question d'épidémie et qu'en la matière, seule compte la zone de diffusion du virus. L'Organisation mondiale de la santé a d'ailleurs utilement rappelé que la fermeture des frontières ne constituait en rien une mesure de santé efficace. J'étais à Rome la semaine dernière avec six autres ministres de la santé européens : aucun n'avait l'intention de fermer ses frontières. C'est une fausse mauvaise idée, même pas une fausse bonne idée !

Soyons transparents dans l'information et déterminés dans l'action. Nous vivons un moment historique qui interroge notre capacité collective à faire face. Nous ferons face. Les solidarités se mesurent d'abord dans l'adversité.

Toutes les activités essentielles à la vie des Français doivent pouvoir se poursuivre. La mobilisation de chacun est requise pour limiter les effets de cette épidémie sur le fonctionnement de notre système de santé et sur la vie de nos concitoyens.

Il y a une inquiétude en France : cette inquiétude est légitime, je l'entends, je la comprends et j'y apporte quotidiennement des réponses.

Nous sommes prêts et mobilisés et avons plus que jamais l'esprit de responsabilité qui permet de vaincre toutes les menaces. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et quelques applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie la présidence du Sénat d'avoir accepté ce débat.

« Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme. On se dit donc que le fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer » écrivait Albert Camus dans La Peste.

L'information fait partie de nos armes. Il faut informer les soignants, les patients, nos concitoyens, prévenir les rumeurs et démentir les fausses nouvelles. Nous connaissons encore peu de choses du Coronavirus, même si le séquençage de son génome a été réalisé rapidement.

La faiblesse de nos connaissances peut susciter beaucoup d'interrogations et de craintes, lesquelles sont légitimes et nécessaires dans la réponse à l'épidémie.

On meurt chaque année par milliers de la grippe saisonnière ou de la rougeole, alors que les vaccins existent et que les gestes barrière sont connus. Il ne s'agit pas que de se protéger soi-même, mais aussi protéger ceux qui ne peuvent être vaccinés parce que trop jeunes ou trop fragiles.

Alors ces craintes que nous partageons, il faut les transformer en réaction, en précaution, en protection, contre le virus. Nous savons qu'un réservoir de virus émergents existe, qu'il est même très important. Nous devons vivre avec ce risque. L'accélération des contacts et des échanges, la fréquence des déplacements, le rythme des mobilités profitent aussi à la propagation des virus.

Quel est l'état des connaissances sur le Coronavirus en 2020 ? Que savons-nous de ses caractéristiques, de la façon dont il se transmet ? Y a-t-il un danger de transmission mère-enfant ? Que savons-nous de ses possibles mutations ? Il ne semble pas que nous ayons observé de mutation jusqu'à présent mais ce facteur serait un élément décisif dans la réponse à apporter.

Les traitements sont transposés d'autres pathologies telles que le VIH. La chloroquine, essayée en Chine, est-elle une piste ? Un vaccin est-il à notre portée ? Dans quel délai ? Quelle stratégie d'information ? De dépistage ? À quoi ressemblera la phase 3 ?

Nous avons vu la doctrine sur la prise en charge hospitalière évoluer. Je partage la décision de réserver l'hôpital aux formes les plus sévères. L'hôpital est en effet trop fragile actuellement. Il faut aussi impliquer la médecine de ville, première réponse, alors qu'ils s'estiment insuffisamment armés face au virus.

Mes dernières interrogations portent sur les publics les plus fragiles. Le coronavirus est plus létal pour les plus âgés. Ne devons-nous pas en tirer des conséquences sur les masques et l'accueil en Ehpad ?

Je souhaite que soit organisé un point régulier devant la commission des affaires sociales qui pourrait se faire un relais d'information au Sénat et dans les territoires.

Les pouvoirs publics sont toujours critiqués, qu'ils en fassent trop ou pas assez. Informer au jour le jour, admettre qu'on ignore certaines choses, développer la culture du risque favorise la résilience de la population et prépare notre pays à des crises qui se répéteront forcément.

Le Monde a fait état de l'augmentation des ventes de La Peste. Que ce texte aide à garder à l'esprit que se protéger soi-même, c'est protéger le plus faible, qu'il nous soit proche ou distant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, RDSE et LaREM et sur quelques travées du groupe SOCR ; Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

Mme Claudine Kauffmann .  - Cette épidémie aura au moins eu l'intérêt d'imposer ce débat. Il aurait fallu que le Gouvernement réagisse il y a plusieurs semaines, plutôt que de dissimuler ses responsabilités derrière un débat dont nos concitoyens n'ont que faire. Les Français veulent des actes et non des paroles.

Les mesures ont été prises à des fins de communication. On interdit les enfants dans les écoles s'ils sont de retour d'Italie mais on accueille des milliers de supporters italiens dans les rues de Lyon !

Il y a eu aussi des mesures prises, toujours à des fins de communication. La dernière en date étant d'interdire les rassemblements de plus de 5 000 personnes. C'est une belle réussite ! Nous avons appris que parmi les 2 000 personnes ayant récemment participé à un congrès évangélique à Mulhouse, les services sanitaires déploraient déjà 10 nouveaux contaminés.

Démontrant son impéritie, le Gouvernement n'impose toujours pas un contrôle thermique des personnes revenant des zones à risque. Des voyageurs circulent librement dans les aéroports sans que quiconque ne s'intéresse à leur état de santé. Si l'on voulait faire se propager le virus, on ne s'y prendrait pas autrement.

Pourquoi l'exécutif n'a-t-il pas mis en place une procédure pour suivre les personnes issues de pays touchés par le coronavirus ? Sans cette disposition, il est impossible de suivre les individus potentiellement dangereux. C'est là une marque de l'irresponsabilité gouvernementale.

On préfère laisser les frontières ouvertes pour obéir au dogme de la libre circulation plutôt que protéger notre population.

Ce libéralisme incontrôlé a également induit la délocalisation des productions des principes actifs médicamenteux vers des pays frappés de plein fouet par cette épidémie. Aujourd'hui, nous encourons une pénurie de médicaments car 80 % de ceux-ci sont produits hors d'Europe.

Pour clore sur une note moins sombre, les perspectives de traitement à la chloroquine sont-elles bonnes ? Qu'en est-il d'un futur vaccin ?

Gouverner, c'est prévoir. Or le Gouvernement a sous-estimé l'ampleur de la crise en assurant une gestion au doigt mouillé. Les Français en paient le prix.

Mme Laurence Cohen .  - Je salue le dévouement des personnels hospitaliers qui effectuent un travail remarquable alors que la France est le deuxième foyer de la maladie en Europe. Malgré leurs difficultés, ils travaillent sans relâche.

Mais au-delà des compliments que vous leur avez faits, quelles mesures prenez-vous en leur faveur, d'autant que le passage au stade 3 semble n'être plus qu'une question de jours ?

Le 27 février, le Premier ministre a invité les responsables politiques afin de partager les informations et de faire le point pour une parfaite transparence. C'était une sage décision. Mais les idées et propositions qui ont été faites à cette occasion n'ont pas été suivies d'effet.

Comme l'a souligné Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et député du Nord, il n'est pas question d'instrumentaliser cette épidémie à des fins politiciennes. Cela devrait être valable pour tout le monde ! Je regrette que le Premier ministre ait dégainé le 49-3 à l'occasion d'un conseil des ministres uniquement consacré au coronavirus. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Retailleau.  - Bravo !

Mme Laurence Cohen.  - Vous avez ouvert un numéro vert, ce qui est une bonne mesure. Mais, monsieur le ministre, pour que le service rendu soit optimum, il ne faut pas que le standard soit saturé en journée ni que le numéro ne soit plus joignable après 19 heures, ce qui est malheureusement le cas, faute de personnel en nombre suffisant.

Vous avez interdit les rassemblements de plus de 5 000 personnes. Un climat anxiogène monte, porté par les réseaux sociaux. La meilleure riposte est la transparence, la diffusion régulière d'informations, comme dans le cadre des réunions organisées par les préfets ou encore les conférences de presse quotidiennes que vous donnez.

Ce qui fera la différence, ce sera la hausse des moyens humains et financiers pour les hôpitaux publics. Or, depuis un an, les personnels soignants sont en action pour dénoncer la crise que vit l'hôpital, suite aux politiques de restrictions budgétaires mises en place depuis des dizaines d'années et accentuées par Agnès Buzyn. Les grèves, les mouvements des aides-soignants jusqu'aux chefs de services, ont dénoncé la politique dévastatrice de votre gouvernement.

Je rappelle la suppression d'un milliard d'euros pour les hôpitaux publics en 2020 - avant qu'Agnès Buzyn ne concède 300 millions d'euros soit un manque à gagner de 700 millions d'euros !

Monsieur le ministre, vous semblez aimer le bonneteau autant que Mme Buzyn et annoncez que vous allez débloquer 250 millions mais pris sur les réserves budgétaires 2019 non dépensées, autrement dit sur le budget de l'hôpital lui-même.

Quelque 18 000 lits ont été supprimés ces six dernières années.

Le Directeur général de la santé a tenté de nous rassurer sur la disponibilité de 2 400 lits de soins intensifs, de réanimation dans les 108 établissements dédiés. Mais où vont aller les patients qui occupent aujourd'hui ces lits pour d'autres pathologies ? D'autant qu'avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), de nombreux hôpitaux de proximité ont été vidés de leurs missions. Titularisez les personnels soignants et portez leur salaire à la hauteur de leur engagement. Il faut au moins 100 000 embauches sur trois ans dans les Ehpad. Comment le personnel de ces établissements va-t-il suivre vos consignes ? La CGT de la santé l'a souligné : porter des masques oui, mais il faut des personnels pour les porter.

Alors préconisation, oui, information, oui, transparence, oui, mais où est l'argent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mmes Michelle Meunier, Laurence Rossignol et M. Patrick Kanner applaudissent également.)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et RDSE) Combien de temps l'épidémie va-t-elle durer ? Combien de morts fera-t-elle ? La vraie réponse est : « Dieu seul le sait ».

Ce n'est pas une bonne nouvelle pour nos dirigeants en ces temps où la défiance est devenue une religion nationale, aggravée par les réseaux antisociaux, amplifiée par le complotisme.

Il faut informer au jour le jour alors que la situation change sans cesse, annoncer les aggravations sans créer la panique. C'est la lutte de la raison contre l'émotion, laquelle part malheureusement gagnante.

Pour renverser la donne, nous pouvons compter sur les professionnels de santé, qui sont les rares à bénéficier encore, à juste titre, de la confiance de nos concitoyens.

Nous pouvons compter aussi sur l'attitude responsable des partis politiques, à une exception près, dont nous avons eu la preuve ici. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC, RDSE et LaREM) Ils sautent sur l'occasion pour défendre la fermeture des frontières. Trente ans après le ridicule de l'arrêt du nuage de Tchernobyl au-dessus du Rhin (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe LaREM), rappelons aux partisans de la ligne Maginot virologique que les virus circulent sans visa. Au XIVe siècle, à un moment où la lenteur des transports freinait mille fois plus les déplacements que la plus stricte fermeture des frontières aujourd'hui, la peste venue d'Asie a tué le tiers de la population européenne.

Des mesures précises, adaptées, conformes à l'avis des spécialistes, doivent être prises, même lorsque certaines sont pénibles. La responsabilité du Gouvernement est que la précaution l'emporte sur la psychose, le contrôle maîtrisé sur le blocage du pays et la réponse sanitaire sur les emportements idéologiques.

Deuxième réflexion : depuis la chute des bourses et la baisse du taux directeur de la Fed, tout le monde a compris que la crise économique viendra accompagner l'épidémie.

Mais celle-ci a rappelé que nous dépendons entièrement, notamment pour les médicaments, de la Chine. L'an passé, mon groupe avait créé au Sénat une mission d'information sur la pénurie de médicaments : il est suicidaire de ne dépendre que d'un seul fournisseur. L'aspect positif de cette crise est de révéler qu'il est temps d'agir. Les changements seront difficiles, il faut les préparer.

Ma troisième réflexion est qu'à l'heure où certains sont séduits par les régimes autoritaires, le jeune médecin de Wuhan, devenu un héros, nous a rappelé avant sa mort qu'après le virus, le principal responsable de la pandémie est la dictature chinoise, avec un mois et demi perdu à craindre la réaction du régime devant l'apparition du virus. Je ne serais même pas surpris que les caméras thermiques s'ajoutent aux caméras vidéo dans les rues.

Médecin épidémiologique ayant commencé ma carrière en Inde dans la campagne d'éradication de la variole, laissez-moi vous rappeler que son virus a été rayé de la surface de la terre. C'est un nouveau combat qu'il faut gagner aujourd'hui. Le Sénat est à vos côtés dans cette épreuve, monsieur le ministre. Nous la surmonterons. (Applaudissements depuis les travées du groupe Les Républicains jusqu'à celles du groupe LaREM ; MM. Jean-Claude Tissot et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)

Mme Élisabeth Doineau .  - Face à l'épidémie, c'est la modération et l'apaisement mais aussi l'unité et la responsabilité qu'il faut pratiquer. Je me réjouis de la tenue de ce débat qui permettra de rétablir certaines vérités.

Tout le monde n'a pas eu la chance de regarder l'émission très intéressante hier soir de Michel Cymes.

Selon le centre chinois de contrôle des maladies, 80 % des cas d'infection sont considérés comme bénins. Le taux de létalité du Coronavirus est bas, entre 2,3 et 2,6 %, beaucoup plus bas que le SRAS, 10 %, et du MERS, 36 %. Son indice de contagiosité se situe entre 1,5 et 3,5 quand la varicelle se monte à 8,5 et la rougeole est à 9.

La grippe saisonnière a tué 8 100 personnes en France l'année dernière. Le Covid-19 en a tué 3 000 dans le monde, dont 4 en France. Les médias ont donc un très grand rôle à jouer dans la gestion de cette situation sanitaire. Moins de sensationnalisme et davantage de messages de prévention sont une partie du remède.

Le Gouvernement doit également faire preuve de clarté et d'une grande pédagogie dans l'explication de son plan de gestion du risque. Certaines incohérences - en tout cas perçues comme telles - dans la mise en oeuvre des actions d'endiguement sont pointées du doigt : pourquoi annuler le semi-marathon de Paris et non les matchs de football ?

Chacun de nos citoyens peut agir : chacun peut éviter d'alimenter un environnement anxiogène, qui provoque la saturation des hôpitaux.

Il y a quelques semaines, de nombreux chefs de service hospitaliers avaient démissionné de leur fonction d'encadrement pour dénoncer le manque de lits et d'effectifs. Je regrette que l'hôpital public n'obtienne des fonds supplémentaires que dans l'urgence.

De l'aveu de médecins, certains hôpitaux sont déjà débordés alors que le nombre de patients hospitalisés est encore faible. Un des enjeux sera de conserver un niveau de soins suffisant pour les autres pathologies. Il faut, enfin, éviter la contagion des personnels soignants.

Un autre secteur touché est l'aide à domicile. Se pose la question de l'approvisionnement de ces personnels comme de tous les personnels de santé.

L'OCDE a ramené sa prévision de croissance de 2,9 à 2,4 % et le risque de récession est désormais envisagé. La croissance française pourrait passer à moins de 1 % en 2020.

Cette épidémie révèle bien les failles de notre société. Espérons qu'elle la rendra plus résiliente. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et UC)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Si mes collègues m'ont choisi, c'est sans doute que je suis élue de l'Oise, qui compte 99 cas. Ce que nous vivons risque de ressembler à ce que vivront d'autres départements.

Des questions demeurent posées, et la transparence devrait aussi s'imposer dans l'Oise : les réponses obtenues ne sont pas encore de nature à nous satisfaire.

Des personnels sont moins visibles que les soignants des hôpitaux : les métiers du soin, les aides à domicile... Voici le SMS que m'adresse une aide-soignante du Morbihan dans un Ehpad public, il y a un quart d'heure : « six patients en isolement, dont une partie avec des ambulanciers venus les chercher en tenue de cosmonautes, mais nous, soignants, n'avons plus de masques ni de solution hydro-alcoolique » ; elle conclut : « grosse fatigue ce soir ».

Tous les soignants ne sont pas dotés, y compris dans les départements les plus touchés, monsieur le ministre. La directrice de l'Ehpad de Crépy a décidé d'interdire les visites dès jeudi ; les mesures sont différentes selon les Ehpad.

D'après une enquête de ce soir, les Français sont 65 % à être satisfaits de l'information que vous dispensez. C'est un bon taux, qu'il faudrait augmenter encore : l'homogénéité et la cohérence des consignes y contribueront.

Le conseil départemental de l'Oise recommande aux assistantes maternelles de ne pas accueillir les enfants dans les zones à risque. Mais rien n'est dit pour les indemnités journalières auxquelles elles auraient droit comme celles versées aux malades et aux parents d'enfants confinés.

Nous sommes partis pour une longue période : voyez ce qui se passe en Italie. Il faudra garantir à chacun que la fin de mois n'est pas un problème.

Monsieur le ministre, vous êtes présent, actif, vous êtes venu dans notre département la semaine dernière et je vous en remercie. Souvenez-vous de Casimir-Périer, en 1832, qui a succombé du choléra pour avoir visité l'Hôtel-Dieu. Avant d'entrer dans l'hôpital, il avait pourtant demandé : « Est-ce bien raisonnable ? » Prenez soin de vous et de nous tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. le président.  - Merci pour cette recommandation ! (Sourires)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Nous voici réunis pour débattre des mesures de santé publique prises et à prendre pour éviter la propagation du Coronavirus en France.

Innover sur le sujet de ce débat est difficile, tant il inonde les médias depuis plusieurs semaines. Cela ne doit toutefois pas nous exempter d'un débat sur le fond, loin des polémiques politiciennes qui se nourrissent de chaque crise pour prospérer... tel un virus sur sa cellule. Nous en avons eu un triste exemple tout à l'heure.

Médecin, je considère avant tout les faits : plus de 250 malades, 4 décès, un taux de contamination de 2 à 3 personnes par malade et une létalité de 2,3 % et qui tombe à 1,3 % pour les moins de 70 ans.

On est loin des 2 à 6 millions de malades de la grippe dont plusieurs milliers de morts. Je fais ce parallèle en espérant que la prise de conscience actuelle infusera la société pour les hivers à venir. Je n'aurai de cesse de le répéter : la prévention doit être au coeur de notre politique de santé publique. Alors que les scientifiques s'activent pour trouver un vaccin contre le Covid-19, nous restons trop loin des objectifs de vaccination contre la grippe ou contre la rougeole qui tue de trop nombreux enfants.

Se vacciner, c'est se protéger et protéger ses proches, notamment les plus fragiles. Je milite pour une généralisation de la vaccination, notamment chez les professionnels de santé qui ne sont que 25 % à le faire alors qu'ils sont en contact direct avec les populations les plus fragiles.

Je salue votre décision de réquisitionner la production française de masques et la réserver en priorité aux soignants et aux malades.

Deux remarques : la population a pu avoir le sentiment que le Gouvernement n'a réagi que tardivement : n'aurions-nous pas pu réquisitionner avant, et être plus mesurés dans la quantité de matériel attribué à la Chine en février ?

Pouvez-vous nous rassurer ? Si les masques de protection sont restreints aux généralistes, quid des orthophonistes, des kinés et des infirmiers libéraux qui nous interpellent car ils sont en contact direct et permanent avec les patients et demeurent inquiets ? Certains pharmaciens pensent qu'ils ne disposent pas de quantités suffisantes.

Ressurgit ici la question de la pénurie des médicaments. Le plus gros fournisseur de masques indique que 70 % de ceux-ci venaient de Chine et qu'il ne pouvait plus rien recevoir depuis deux mois. Il faut relocaliser la production de médicaments en France ou en Europe, comme le propose un rapport sénatorial auquel j'ai participé. Quelles mesures pensez-vous prendre pour viser l'indépendance de la chaîne des produits et matériels médicaux ?

Avec les gestes de bon sens et la limitation des rassemblements, on peut contenir les conséquences les plus graves de la maladie. Les actions doivent être guidées par la science.

Reste l'anticipation des places en soins intensifs et réanimation. Personne ne sait combien de temps durera cette épidémie, mais il est certain que les fantasmes ne résoudront rien.

Information, responsabilités collective et individuelle : voilà la solution. Nous sommes à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, LaREM, Les Indépendants et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Convoquer la semaine dernière une réunion des responsables des groupes politiques et chefs de parti était une première marque de confiance dans la Représentation nationale, et la confiance fut partagée, à une exception près.

Débattre au Sénat, c'est assurer à nos élus locaux, qui sont en première ligne avec les services déconcentrés de l'État, qu'ils sont partie de la solution.

Une prise en charge globale suppose, au-delà de la réponse sanitaire, des mesures sociales, économiques, numériques. Nous approuvons vos priorités : n'agir qu'en fonction de données médicales et scientifiques ; faire preuve de réactivité et d'adaptabilité à chaque instant ; en toute transparence, dire la vérité sur ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas.

Nous sommes prêts à faire face. Il y a une semaine, l'OMS alertait du risque de pandémie. Ce soir, 80 pays sont touchés.

Souvenons-nous du H5N1 ou H1N1, du SRAS, du Chikungunya, d'Ebola, du Zika, aux pathologies autrement inquiétantes... Il ne faut rien sous-estimer.

La propagation internationale du virus est très rapide. Dans 82 % des cas, la maladie est bénigne. Nous retarderons le plus possible le passage au stade 3. Mais dans ce cas, quelles restrictions pourraient être mises en oeuvre ?

Par décret du 31 janvier dernier, l'indemnisation pour arrêt de travail des personnes confinées a été décidée. Des mesures raisonnables mais néanmoins contraignantes ont été prises au moment opportun. Ainsi, certains événements ont été reportés. Pouvez-vous mettre en lumière la cohérence des choix d'interdictions et de fermetures qui ont été faits ? Chacun a en mémoire la fermeture du marché de Crépy-en-Valois, alors qu'un supermarché ouvrait juste à côté. La réponse sanitaire se doit d'être territorialisée.

Les préfets, les ARS, les professionnels de santé et les élus locaux travaillent ensemble en bonne intelligence. Face aux rumeurs qui se propagent sur internet, il faut diffuser une information transparente, régulière et de qualité.

Les Français ont confiance en notre système de santé. Je salue l'ensemble des professionnels qui se dépensent sans compter pour organiser la mobilisation contre l'épidémie. Chacun doit les aider en appliquant les gestes barrières. Ne soyons pas égoïstes ! Ce serait égoïste de jouer avec les gens en demandant des mesures inutiles et attentatoires aux libertés - comme la fermeture des frontières. Que répondre, sinon que le repli sur soi que certains préconisent n'est jamais la solution !

L'OMS l'a rappelé, les frontières terrestres n'ont pas de sens en termes épidémiologiques. Nous avons choisi à juste titre une coopération européenne et internationale accrue. C'est le partage d'informations et d'expériences entre États qui aidera à lutter efficacement contre la maladie.

L'ambition européenne industrielle et climatique du Président de la République prend ici tout son sens. En adéquation avec notre désir d'unité nationale, nous vous renouvelons notre confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Jean-Marc Gabouty et Pierre Louault applaudissent également.)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Beaucoup de points ont déjà été soulevés. L'épidémie évolue de jour en jour. Depuis les déclarations rassurantes de Mme Buzyn vers le 20 janvier, correspondant à la photo de l'époque, et jugeant peu probable la propagation du virus en France, ce qui avait justifié l'envoi par plusieurs pays européens de matériel en Chine, masques ou gel, le nombre de cas détectés a doublé en quelques jours, pour un virus que l'on sait très contagieux, même par des personnes asymptomatiques et avec un taux de mortalité supérieur à celui de la grippe saisonnière.

Il faut de la pédagogie et des préconisations appuyées sur les connaissances scientifiques du moment, conditions sine qua non pour que chacun prenne ses responsabilités sans céder aux rumeurs ou fake news. L'annonce quotidienne de morts est nécessaire mais anxiogène. Il faudra les rapporter au nombre total de morts par maladie en France.

Faut-il porter un masque ou non ? Les appels directs au 15 ne risquent-ils pas d'engorger le Samu ? Les consignes concernant les tests semblent différentes selon les agences régionales de santé.

Le lien ville-hôpital est majeur. Les médecins libéraux, partie prenante, veulent les moyens afférents. Nos services peuvent-ils faire face en moyens humains et matériels ? Il y a polémique sur les masques et les stocks de médicaments.

Si l'essentiel est d'enrayer la propagation du virus, il faut songer aux effets récessifs sur l'économie. Les commerces souffrent. Les voyages sont également affectés : Israël n'accepte plus les voyageurs français. Il faudra accompagner la reprise de l'économie, ce qui eût été plus facile si nous disposions de davantage de marges de manoeuvre, et faire front collectivement, sur des bases de transparence, d'information et de protection maximales de nos concitoyens, notamment les plus à risques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marc Gabouty et Mme Annick Billon applaudissent également.)

M. le président.- Nous passons aux questions.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Débat interactif

Mme Laurence Cohen .  - Si l'arrêt des usines chinoises n'entraîne pas encore de rupture de stocks, sa prolongation pendant six mois le pourrait, notamment concernant les appareils respiratoires. L'Agence nationale de sécurité du médicament n'a pas relevé de tension particulière mais ne doit-on pas l'anticiper via la pharmacie centrale des armées ou l'Agence générale des équipements et produits de santé de l'AP-HP ?

M. Olivier Véran, ministre.  - L'Agence nationale de sécurité du médicament travaille au jour le jour sur l'accès aux médicaments. Elle ne nous a pas fait d'alerte à ce stade. Je surveille néanmoins de très près le cas des antibiotiques injectables, médicaments précieux en cas de pénurie.

Nous devons avoir a minima une autonomie européenne des médicaments. Tout ne peut pas être en France : on parle de sites de production chimique de type Seveso. Cela prend deux ou trois ans d'ouvrir une chaîne de fabrication de médicaments. La question se poserait aussi pour les matières premières. La crise du Coronavirus nous incite à aller plus vite.

Mme Laurence Cohen.  - Auparavant, avec Mmes Touraine et Buzyn, nous avons reçu des fins de non-recevoir sur ce point. Je me réjouis de votre réponse. Il y va aussi de l'indépendance de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Joël Guerriau .  - Les liaisons aériennes et maritimes sont les premiers vecteurs de propagation de l'épidémie à l'échelle mondiale. Les lignes ferroviaires, les métros et RER sont également à haut risque.

De nombreux salariés feront valoir leur droit de retrait faute de pouvoir disposer de masques FFP2 et de gel hydro-alcoolique. Cela paralyserait notre pays.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons faire l'impasse de la prévention du risque d'infection dans les transports. Quelles mesures envisagez-vous pour une protection efficace des salariés du secteur ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Les mêmes que pour tous les Français : les gestes barrières que nous avons évoqués pour se protéger soi-même et protéger les autres pour éviter les contacts physiques, utiliser des mouchoirs à usage unique, éternuer dans son coude, etc.

Ces gestes sont utiles. Le port du masque n'est pas utile en France et en Europe ; il n'est pas utile pour l'OMS. Pour commencer à infléchir la courbe du risque de contamination, il faudrait que 60 % de la population en porte tout le temps : on en est loin !

Le masque FFP2, en particulier, est à haute spécialité, et concerne les soins invasifs tels que l'aspiration broncho-trachéale ou les soins aux patients atteints de maladies qui se transmettent par voie aérienne, comme les tuberculeux, en milieu hospitalier. Même les masques chirurgicaux ne sont pas indiqués pour les chauffeurs ou conducteurs de transports. Nous avons fait le choix, comme nos voisins, de ne pas paralyser la vie sociale et économique de notre pays et de favoriser des mesures individuelles et collectives adaptées.

Parmi celles-ci, le droit de retrait concerne une menace grave et imminente pour soi-même. Ce n'est pas une appréciation subjective par rapport à une menace potentielle d'infection qui serait ressentie. Il ne s'applique donc pas, à mon sens, dans ce cas.

M. Joël Guerriau.  - Il n'empêche que les hôtesses de l'air, par exemple, et le personnel des compagnies aériennes, sont directement exposés et ressentent le besoin de se protéger. Il faut répondre à leur inquiétude.

M. Loïc Hervé .  - Élu de Haute-Savoie, département frappé avant tous les autres, je veux redire combien je suis fier de notre personnel de santé sur le terrain.

Quelles mesures allez-vous prendre dans les jours à venir ? Avec 3 000 personnes infectées, l'Italie a fermé toutes les écoles et universités jusqu'au 19 mars. En Haute-Savoie, 10 nouveaux cas se sont déclarés aujourd'hui ; je pense qu'on ne parviendra pas à maintenir la maladie dans les clusters. Elle risque de se généraliser. Si tel était le cas, nous passerions au stade 3, qui prévoit des mesures nationales ou locales d'une tout autre ampleur.

Les 15 et 22 mars, l'ensemble de nos concitoyens désigneront leurs élus locaux. Je ne souhaite pas le report des élections municipales mais il faudrait préciser comment vous comptez assurer leur bonne organisation. Les 35 000 maires attendent d'être rassurés.

Par pitié monsieur le ministre, gardez la main sur la communication. Chacun se prend pour un médecin et on assiste à un véritable concours Lépine. Seule une communication régulière à votre niveau me paraît de nature à répondre à l'inquiétude de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Olivier Véran, ministre.  - L'expertise médicale, c'est très sérieux. Derrière toutes les décisions que je prends, il y a des blouses blanches. Toutes les décisions ne sont pas uniformes car la situation varie selon les territoires.

En Haute-Savoie, certaines zones sont de circulation active et d'autres, non. Le seuil de 5 000 personnes pour l'interdiction de regroupement s'explique parce que c'est le seuil de la déclaration d'un événement en préfecture. On peut toujours discuter des seuils, mais la rationalité scientifique et médicale doit passer avant tout.

Je salue les interventions qui montrent que l'union nationale est possible sur ces sujets - c'est important aussi pour les soignants.

La vie démocratique est importante. Aucun avis d'expert ne requiert le report des élections municipales. Même avec une très forte mobilisation, il n'y aurait pas 5 000 personnes par bureau de vote. Je propose qu'elles soient l'occasion d'une sensibilisation, avec un panneau électoral dans chaque commune, dédié à l'affichage des gestes barrières et du gel hydro-alcoolique à chaque entrée de bureaux de vote. Je vous confirme que les élections municipales, qui font l'objet d'une forte mobilisation, se tiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Pierre Louault applaudit aussi.)

M. Loïc Hervé.  - Les personnes malades ne pourront pas aller voter, ce qui pose une vraie question de libertés publiques. Les 15 et 22 mars, nous pourrions être dans une situation à l'italienne. Accompagnez et rassurez les élus locaux pour que les élections se passent dans de bonnes conditions !

Mme Jacky Deromedi .  - En dehors de la Chine, 79 pays ont signalé des cas. Les cinq continents sont concernés. Nos compatriotes établis en Chine, à Singapour, en Corée du Sud, en Iran, en Italie et dans bien d'autres pays, subissent les restrictions imposées dans ces pays. Ils ont choisi selon les cas de rester, par solidarité avec les habitants de leur pays d'accueil, ou de partir. Des lycées français ferment par précaution. L'activité économique est ralentie et certains de nos compatriotes sont licenciés ou priés de partir.

Dans ces périodes, l'on se rend compte de l'importance du rôle de nos conseillers des Français de l'étranger qui agissent conjointement avec les ambassadeurs et les consuls pour prendre en mains la sécurité sanitaire de nos compatriotes.

Le classement des pays à risques est surprenant. Singapour est stigmatisé parce qu'il est transparent alors que d'autres, qui ne publient pas leurs chiffres, ne font pas l'objet de restrictions.

À ce jour, il n'y a eu aucun décès à Singapour contrairement à ce que des messages alarmistes envoyés le 28 février à nos compatriotes inscrits sur le dispositif Ariane ont laissé entendre. Le démenti a suivi trop tard. Sur les 112 cas avérés, 79 sont rentrés chez eux, 33 sont hospitalisés et il n'y a eu aucun décès, bien loin de la panique créée par ce message ! Ce climat de psychose aura des conséquences diplomatiques et commerciales.

Il faut tenir à jour régulièrement la liste des pays à risques. Pourquoi Singapour reste-t-il classé orange ? Quelles mesures sont envisagées pour soutenir les Français établis hors de France ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Véran, ministre.  - Deux avions ont rapatrié nos compatriotes de zones à forte circulation du virus. Leur mise en quatorzaine en village de vacances s'est bien déroulée.

Dans certains pays, il n'y a eu aucune demande de rapatriement, comme en Corée, alors que le virus y est très actif. Des messages de prévention sont adressés à nos compatriotes établis hors de France comme à tous les Français.

Nous demandons aux Français d'éviter de sortir de l'Union européenne dans cette période d'incertitude. Je songe aux malheureux touristes qui reviennent d'Égypte et sont contaminés, à hauteur de huit ou neuf cas sur vingt-deux participants au voyage, alors qu'un seul cas avait été signalé dans ce pays...

Parce qu'il faut être extrêmement prudent dans ses déplacements, les recommandations sont actualisées quotidiennement par le ministère des Affaires étrangères.

M. Yves Daudigny .  - Au 4 mars, douze personnes positives ont été recensées dans l'Aisne, dont une dans ma propre commune, un homme de 56 ans, transporté en insuffisance respiratoire par les pompiers au centre hospitalier de Laon.

Quid de la prise en charge des malades identifiés dans les départements ruraux comme le mien, éloignés d'un CHU ? Nous savons tous que notre système hospitalier est en difficulté. Pouvez-vous nous assurer que tous les moyens humains et matériels sont mis partout pour les accueillir et faire face, peut-être prochainement, au stade 3 de l'épidémie ?

La médecine de ville est très sollicitée, pour ne pas engorger les hôpitaux et prendre en charge les malades atteints de formes bégnines. Les médecins généralistes sont prêts à jouer leur rôle mais ils n'ont pas reçu de masques et se sentent abandonnés. Certains syndicats de médecins insistent sur les masques FFP2. Quelle est votre stratégie à cet égard, en particulier dans les territoires ruraux ?

M. Olivier Véran, ministre.  - L'hôpital est prêt, partout. Il y a plus de 150 hôpitaux référents capables de prendre en charge les patients de A à Z. C'est au moins un par département. On a besoin des médecins de ville et des infirmiers dès aujourd'hui et plus encore demain si la France passe en stade 3. Il est fondamental qu'ils soient préparés.

J'ai rencontré il y a peu le président du Conseil national de l'Ordre. J'ai demandé que des protocoles cliniques extrêmement précis permettent aux médecins libéraux de savoir quand envoyer des patients à l'hôpital, alors même qu'ils ne présentent pas forcément de symptômes graves.

Quant à l'équipement, les masques chirurgicaux continuent à parvenir progressivement aux officines. Je déplore que certaines personnes aient formé des stocks de masques « au cas où » alors qu'elles ne sont pas soignantes ni en état de fragilité physique avancée.

M. Joël Labbé .  - Je vous salue, même si ce n'est pas la meilleure occasion pour vous rencontrer, monsieur le ministre. J'espère vous revoir pour vous parler des plantes médicinales.

Dans le Morbihan, dont je suis sénateur, dix-sept personnes sont touchées, dont une décédée, mais je viens d'apprendre qu'il y aurait cinq malades de plus.

Des restrictions d'ouverture ont été décidées dans le département, jusqu'au 14 mars, en lien avec le Gouvernement. Tout rassemblement public est interdit. Cinémas, théâtres, établissements scolaires, piscines, mais aussi marchés - et non centres commerciaux bondés ! Nous sommes confrontés à des incompréhensions légitimes.

Pourquoi les boîtes de nuit sont-elles fermées et non les bars ? Pourquoi la piscine de Vannes est-elle fermée, et pas celle de Lorient ?

Nous assistons à des scènes de panique, ainsi 4 200 appels au 15 ont été comptabilisés hier au centre hospitalier de Vannes - trois fois plus que d'habitude.

Quelles mesures prendra le Gouvernement pour ralentir la propagation du virus, tout en rassurant la population ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Le Morbihan est en effet l'un des départements à circulation active.

Les mesures nationales sont adaptées localement pour certaines des zones qui pourraient faciliter la propagation. C'est vrai, certaines peuvent manquer de clarté. Ce sujet a été abordé ce matin au cours du conseil national de défense auquel j'ai participé, en présence du Président de la République et du Premier ministre : une instruction part demain en direction des autorités, des services de l'État dans l'ensemble du territoire, afin de rappeler les doctrines et d'harmoniser les pratiques. La confiance est la base de la prévention. Nous en restons aux mesures absolument nécessaires.

M. Martin Lévrier .  - Le Covid-19 a franchi hier la barre des 90 000 infectés et des 3 000 morts dans le monde. En France, quatre personnes sont décédées. 

Dès l'annonce par l'OMS de premiers cas suspects à Wuhan début janvier, le consortium multidisciplinaire Reacting, rassemblant des équipes et des laboratoires d'excellence, a été activé pour coordonner la recherche. Il a identifié des axes : étude de la propagation et modélisation de l'épidémie, caractérisation du virus, amélioration des pistes thérapeutiques. Un demi-million d'euros a été débloqué par les ministères de la Santé et de la Recherche ; ce sera complété par ce dernier à hauteur de 2,5 millions d'euros.

Des spécialistes de l'épidémiologie étudient dans le monde cette maladie. Y a-t-il une volonté de mettre en place une coopération européenne voire mondiale ? (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants)

M. Olivier Véran, ministre.  - Le séquençage du génome virus a été effectué en France par l'Institut Pasteur qui travaille avec d'autres acteurs de la recherche au développement d'un vaccin qui ne sera pas disponible avant une certaine période, un an au minimum. Au-delà, il faut aussi accélérer la recherche sur les traitements, les antiviraux notamment. Demain, le Président de la République présidera un conseil de recherche avec le consortium Reacting et je serai présent à ses côtés.

La coopération européenne fera l'objet de discussions qui dureront plusieurs heures à Bruxelles ce vendredi au sein du conseil européen des ministres de la santé.

Mme Sonia de la Provôté .  - Les médecins généralistes déplorent le manque de considération des autorités de santé alors que tout reposera sur la médecine de ville au stade 3.

Les consignes de prise en charge des malades sont peu claires. Or ils ne savent pas comment soigner, ni à combien de masques ils ont droit, alors qu'ils veulent être protégés avec certitude, que la distribution vient de commencer hier et qu'un changement de doctrine récent réserve les masques FFP2 aux seuls hôpitaux. On espère que ce n'est pas en raison d'une gestion de la pénurie, alors que ces masques avaient été distribués pendant l'épidémie de H1N1.

Une publication récente a été faite dans la revue Jama. Mais les études sur lesquelles on s'appuie ont porté sur la grippe saisonnière dont la létalité est très inférieure.

Pourquoi leur refuser aujourd'hui ce qu'on leur avait fourni lors de la crise du H1N1 ? Il est impossible de prendre le risque que les médecins libéraux ne soient pas intégralement protégés, sinon c'est toute la prise en charge de l'épidémie qui s'effondre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Olivier Véran, ministre.  - Le Jama n'est pas une petite revue, c'est l'une des plus grandes revues scientifiques du monde. Face à un virus qui n'a pas un passage aérien, comme la tuberculose, mais par gouttelettes, il explique bien qu'on n'a pas besoin de masque bavette.

La transmission se fait fréquemment par la main, car on se touche le visage 60 fois par heure, et les postillons sont les premiers vecteurs. Un masque chirurgical pour le patient et un masque identique pour le médecin suffisent à assurer une double barrière.

Si des masques FFP2 avaient été distribués pour H1N1, c'est qu'un stock en avait été constitué pour la grippe aviaire en 2011. Depuis, les acteurs de la santé publique ont estimé qu'il ne fallait pas constituer des stocks d'État de tels masques, mais de masques chirurgicaux.

M. Michel Magras .  - A ce jour, Saint-Barthélemy ne compte qu'un cas confirmé de Coronavirus. Mais l'inquiétude règne, d'autant qu'elle est exposée par vocation à un tourisme cosmopolite et à une médiatisation internationale.

Saint-Barthélemy connaît une situation de double insularité, dépendant de la Guadeloupe. Les moyens nécessaires sont-ils mis en oeuvre, afin de pouvoir gérer plusieurs évacuations sanitaires simultanées dans des délais brefs et d'obtenir les résultats d'analyses biologiques en 24 heures ?

La population de l'île, qui a fait preuve de son civisme, veut avoir l'assurance qu'une stratégie de maîtrise de diffusion du virus et de prise en charge des patients est bien prévue pour son territoire.

M. Olivier Véran, ministre.  - Nous prenons la situation à Saint-Barthélemy très au sérieux. L'île est au stade 1, auquel nous tentons de contenir le virus, comme nous l'avons fait avec succès aux Contamines-Montjoie. Telle est la stratégie qui y est suivie, comme ailleurs sur le territoire national.

Le directeur régional de l'ARS se rendra dès ce vendredi à Saint-Barthélemy. Le délai de 24 heures est raisonnable. Nous travaillons avec l'ensemble des hôpitaux proches pour tenir ce délai. Nous ferons tout pour que le virus ne se répande pas.

Mme Claudine Lepage .  - Les Français établis hors de France ont été les premiers touchés. L'évacuation de nos compatriotes présents à Wuhan a été exemplaire.

Mais quid de la scolarisation des enfants car de nombreux établissements sont fermés à la demande des autorités locales ? L'enseignement à distance rencontre ses limites, sans accès facilité aux ressources numériques en ligne du CNED, qui permettrait aux enseignants de gagner en efficacité.

Quelles mesures seront prises en cas d'accélération de la circulation du virus ?

Êtes-vous en mesure de répondre à ces inquiétudes ? Confirmez-vous que la prochaine session de l'Assemblée des Français de l'étranger aura bien lieu comme prévu du 16 au 20 mars ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Oui, elle aura lieu. L'AEFE travaille en lien avec mon ministère. Une cellule de veille permanente a été mise en place fin janvier, en format « cellule de crise », en lien étroit avec mon ministère et les ambassades.

Un enseignement à distance a été mis en place pour que les enfants puissent étudier au moins trois heures par jour. Un accueil en présentiel a été organisé lorsque c'était possible. Le fonctionnement du réseau est très perturbé en Asie.

En Chine, il n'y a pas de date de réouverture pour de très nombreux établissements, comme à Shanghai, Canton, ou Shenzhen. En revanche, ce sera le 16 mars à Pékin, le 23 mars à Hong Kong, le 20 avril à Séoul, le 24 mars à Téhéran, le 19 mars au Japon, le 25 février à Taïwan, ou encore au Vietnam le 9 mars. Toutes ces dates sont susceptibles d'évoluer.

Mme Sophie Primas .  - Ma question, iconoclaste, porte sur l'économie. L'annonce de la propagation du Coronavirus en France et les premières mesures de protection ont entraîné une baisse d'activité dans de nombreux secteurs, à commencer par le tourisme : hôtels-restaurants, entreprises d'événementiel, traiteurs en font les frais. Une psychose s'est installée et les annulations de séminaires, de petits salons et d'évènements d'entreprises dépassent les consignes gouvernementales.

L'Europe a déjà perdu 2 milliards d'euros depuis début janvier.

En France, le secteur du tourisme a été fragilisé par des chocs à répétition : attentats, gilets jaunes, grèves de décembre, sans parler de la hausse des charges liée à la taxation des contrats d'usage décidée en loi de finances.

Le Gouvernement a ressorti le kit de survie économie dit « gilets jaunes » pour soutenir les entreprises. Au-delà de ces mesures utiles, il faudra faire plus, et tout de suite : suivre les entreprises individuellement, car elles n'ont plus la résilience nécessaire pour absorber ce troisième choc en deux ans. Certaines anticipent un effondrement de leur chiffre d'affaires de 70 % sur les deux prochains mois !

Au-delà des annonces de Bruno Le Maire, quel accompagnement avez-vous prévu pour éviter une épidémie de dépôts de bilan ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Votre question n'est pas iconoclaste : la vie économique du pays, c'est fondamental. L'impact de la Chine sur le PIB est évalué à 0,1 %, estimation qu'il faudra affiner dans la durée.

Le Gouvernement a reconnu le cas de force majeure pour les entreprises en contrat avec l'État et a demandé aux collectivités locales de faire de même. La BPI sera garante des prêts demandés par les PME. Une cellule de continuité économique à Bercy surveille la situation en temps réel. Les échéances fiscales et sociales ont été reportées.

Nous avons recommandé aux donneurs d'ordre de faire preuve de bienveillance envers leurs sous-traitants, nous finançons du chômage partiel, coordonnons les aides à l'OCDE et au G7 et accordons des aides ponctuelles aux PME. Bref, tout un arsenal de réponses dont nous espérons qu'elles seront suffisantes. Attendons de voir comment évolue la situation sanitaire.

Mme Michelle Meunier .  - Le fonctionnement actuel des Ehpad est déjà dégradé : le manque de personnel est criant. Or l'hébergement en institution facilite la circulation des virus. Les personnes âgées sont vulnérables aux infections respiratoires aigües et présentent souvent un profil de comorbidité. La grippe reste la première cause de mortalité dans les établissements.

Les Ehpad situés dans les clusters, comme à Crépy-en-Valois, ont confiné les résidents dans leurs chambres et drastiquement réduit les visites. Les personnels revenant de zones à risques sont invités à rester chez eux.

Dans ce contexte, quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour faire face à une prise en charge massive de personnes âgées infectées et permettre la continuité de l'activité dans les Ehpad ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Les Ehpad savent gérer les épidémies. Chaque année, la grippe touche 2,5 millions de Français et fait 8 000 morts, surtout des personnes âgées fragiles, porteuses de comorbidité. Les Ehpad sont équipés pour y faire face, ils ont des masques chirurgicaux et pourront en demander d'autres à l'ARS si nécessaire. Il faut maintenant veiller à rapidement les équiper de gels hydro-alcooliques à l'entrée. Il faut décourager les visites de personnes malades et d'enfants, souvent porteurs asymptomatiques.

Soyez assurée que je porte une attention toute particulière à ce secteur.

M. Cyril Pellevat .  - Mon département de Haute-Savoie est l'un des plus concernés, avec 23 malades à la Balme-de-Sillingy. Je salue le travail de l'ARS, en lien avec les élus, le personnel hospitalier et les services de l'État. C'est tous ensemble que nous parviendrons à apaiser les esprits et freiner la propagation du virus.

Au-delà de la pénurie de masques, nous rencontrons un problème d'arrêts maladie pour les parents dont l'enfant ne peut aller à l'école. Comme l'ARS est injoignable, les parents se tournent vers le Samu et l'engorgent. Il faudrait que les médecins libéraux puissent les prescrire, au moins temporairement. Attention au risque de saturation du Samu, car les autres malades ont toujours besoin de soins d'urgence.

C'est le flou dans les entreprises où des habitants de communes impactées croisent des habitants de communes limitrophes. Quid des mesures pour les élections municipales dans les zones de circulation du virus ? Y aura-t-il des masques et du gel hydro-alcoolique dans les bureaux ? Allez-vous ensuite décontaminer les bureaux de vote ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Alors député, je m'étais rendu avec Agnès Buzyn en Haute-Savoie dans la première zone de circulation à Contamines-Monjoie - où tout le monde est désormais guéri. La commune de la Balme-de-Sillingy concentre aujourd'hui 30 cas confirmés sur les 51 que compte la région Auvergne-Rhône-Alpes ; la recherche de chaînes de contamination est en cours. Je salue les équipes du service de virologie de l'hôpital d'Annecy, dont la mobilisation est intense.

La délivrance d'arrêt-maladie a été simplifiée pour les parents devant garder leur enfant. La procédure est désormais dématérialisée : c'est l'entreprise qui déclare directement à l'assurance maladie l'arrêt de travail et l'indemnité est directement versée.

M. Mathieu Darnaud .  - Les élus et en particulier les maires sont en première ligne. Dans le cadre de leurs pouvoirs de police, ils sont amenés à faire respecter les interdictions préfectorales et les fermetures d'écoles, de marchés ou d'équipements sportifs.

Je pense aussi aux Ehpad, dont les résidents sont parmi les plus exposés. Nous devons anticiper le niveau 3 qui sera assorti de mesures plus drastiques, ayant des conséquences sur le quotidien de nos concitoyens. Si le bien-fondé des mesures n'est pas accepté, il y a aura frustration. La crédibilité de la parole publique est primordiale. Pour cela, il faut des acteurs de proximité. Heureusement, ils existent : les 35 000 maires. Quel rôle entendez-vous donner aux maires dans la stratégie nationale contre l'épidémie ?

Mme Sophie Primas.  - Très bien.

M. Olivier Véran, ministre.  - Un rôle important et permanent. C'est le sens de l'engagement des élus locaux. Certains, comme les maires de la Balme et de Crépy-en-Valois, paient le prix fort. C'est pourquoi j'ai tenu à rencontrer les élus municipaux lors de mon déplacement dans l'Oise vendredi. Ce sont eux que la population va interpeller. Il est normal de dialoguer avec eux. Je rencontre les associations d'élus, je suis en contact avec MM. Baroin et Bussereau, j'appelle les élus locaux en zone d'activité virale car il est important de les informer et d'avoir leurs remontées. Nous poursuivrons ce dialogue sur tous les territoires.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Mathieu Darnaud.  - La proximité est primordiale pour la gestion de l'épidémie. Il y a aussi un besoin impératif de réactivité, car les élus seront sollicités.

M. Hugues Saury .  - Cette épidémie pose la question de l'adaptation de nos organisations face aux crises. La clé est la réactivité.

Les Français suivent les recommandations de votre ministère ; résultat, les solutions hydro-alcooliques viennent à manquer. L'OMS a diffusé un guide pour aider les particuliers à élaborer leur propre gel désinfectant, mais la question se pose de leur conformité, de leur innocuité, de la revente.

Il serait préférable que les pharmaciens se chargent de préparer de telles solutions, ce qu'ils peuvent faire aisément et rapidement. Mais les solutions hydro-alcooliques ne sont pas des préparations officinales au sens de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique. Pourtant une dérogation peut être décidée en cas d'urgence.

Les pharmaciens ne peuvent bénéficier eux-mêmes des masques qu'ils sont chargés de distribuer aux professionnels de santé ; ils sont pourtant exposés au même titre que ces derniers. Qu'en serait-il de cette distribution s'ils étaient eux-mêmes malades ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Je salue le rôle essentiel des pharmaciens. Nous avons besoin que les officines assurent la distribution des masques pour les professionnels de santé et les personnes fragiles et ainsi que de gels hydro-alcooliques à des prix raisonnables. J'ai remercié Carine Wolf, présidente de l'Ordre des pharmaciens, pour son aide.

La France a sur son territoire le premier producteur mondial de solution hydro-alcoolique. Ce n'est pas parce que les Français se sont précipités pour acheter les stocks périphériques que nous en manquerons en production centrale. Nous faisons le point.

Sur les préparations magistrales, il n'y a aucune raison de dire « non » par principe. J'ai demandé à mes équipes d'étudier la faisabilité.

La fédération des syndicats pharmaceutiques nous dit pouvoir fabriquer 2 millions de doses par jour, ce qui est énorme. Si c'est une solution opérationnelle, on le fera. (M. François Patriat applaudit.)

M. Hugues Saury.  - Il y a des pharmacies dans toutes les villes et villages. C'est le dernier réseau de proximité, il faut l'utiliser. Si chacune peut fabriquer son gel, on évitera la pénurie.

Vous n'avez pas répondu à ma deuxième question sur les masques pour les pharmaciens.

Prochaine séance, jeudi 5 mars 2020, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 55.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 5 mars 2020

Séance publique

À 10 h 30 et 14 h 30

Présidence : Mme Catherine Troendlé, vice-présidente M. Philippe Dallier, vice-président

Secrétaires : M. Yves Daudigny - Mme Patricia Schillinger

- Suite du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (procédure accélérée) (texte de la commission, n°359, 2019-2020)

Missions d'information (Nominations)

Les 21 membres de la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives sont :

Mmes Annick Billon, Céline Brulin, Françoise Cartron, MM. Alain Cazabonne, Gilbert-Luc Devinaz, Alain Dufaut, Mme Nicole Duranton, M. Alain Fouché, Mme Laurence Harribey, M. Jean-Raymond Hugonet, Mme Mireille Jouve, M. Claude Kern, Mmes Christine Lavarde, Brigitte Lherbier, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Marie Mercier, MM. Stéphane Piednoir, Didier Rambaud, Michel Savin, Rachid Temal et Jean Pierre Vogel.

Les 23 membres de la mission d'information « Lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique » sont :

Mme Viviane Artigalas, M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, MM. François Bonhomme, Emmanuel Capus, Patrick Chaize, Mme Nassimah Dindar, MM. André Gattolin, Éric Gold, Mme Pascale Gruny, MM. Jean-François Husson, Xavier Iacovelli, Éric Kerrouche, Jacques-Bernard Magner, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, Mmes Angèle Préville, Marie-Pierre Richer, Denise Saint-Pé, Sophie Taillé?Polian et M. Raymond Vall.