Lutte contre les violences pornographiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe UC.

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements) Pornographie, l'enfer du décor, ou comment résumer en cinq mots l'horreur décrite par notre rapport. L'industrie pornographique prospère en irriguant la toile de contenus illicites.

Avec mes trois collègues, nous avons pour la première fois dans l'histoire parlementaire enquêté sur la réalité de l'industrie pornographique. Nous avons entendu notamment, à huis clos, les victimes de l'affaire dite French Bukkake, qui a brisé la vie de dizaines de femmes.

Nous avons analysé les principaux contenus, disponibles gratuitement et sans aucun contrôle.

Il faut sortir de toute vision datée, édulcorée du porno. Aujourd'hui, c'est dégradant, violent, humiliant. Les scènes où un ou plusieurs hommes font subir des violences sexuelles à une femme sont la norme. Le porno, ce n'est pas du cinéma. Dans ces violences, il n'y a pas d'effets spéciaux, tout est vrai.

Notre rapport a eu un écho important en France et à l'international, suscitant une onde de choc dans l'opinion.

Le nombre record de cosignataires, 255, montre à quel point le rapport contribue à une prise de conscience collective. Nos propositions sont sur la table, le Gouvernement doit s'en saisir. (Applaudissements)

Mme Laurence Rossignol, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'évoquerai la dimension industrielle du porno. Il s'agit en effet d'une industrie mondialisée, dont nous avons examiné toute la chaîne : recrutement, tournage, diffusion, puis influence sur la société.

La production est de plus en plus violente et volumineuse, notamment sur internet, plus du quart du trafic vidéo mondial. Une recherche sur huit sur un ordinateur, une sur cinq sur un mobile ! La France est l'un des pays les plus consommateurs.

Le porno est générateur de violence systémique envers les femmes. Nous parlons d'actes sexuels non simulés. Or 90 % des scènes contiennent des violences, bien réelles. Les passerelles sont nombreuses avec la prostitution, avec des méthodes de recrutement similaires. Ce sont souvent les mêmes femmes fragiles qu'on exploite.

Enfin, pour la première fois en France, des violences dans le cadre d'un tournage sont poursuivies pour viol, viol aggravé, actes de torture et de barbarie, traite d'êtres humains et proxénétisme.

La lutte contre ces violences doit devenir une priorité de politique publique. L'omerta doit cesser. Il est temps de mettre fin au déni et à la complaisance. Nous avons besoin de votre engagement, madame la ministre et attendons beaucoup du Gouvernement.

Le porno est toxique non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les hommes adultes qui ne sont plus en état d'avoir une sexualité normale. (Applaudissements)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Pornographie, l'enfer du décor : un jeu de mots pour arrêter de jouer avec les plus fragiles. Jusqu'où ira la surenchère malsaine ?

Deux tiers des moins de quinze ans et un tiers des moins de deux ans ont déjà eu accès à des images pornographiques : triste réalité, car cette situation est illégale.

Depuis la loi du 30 juillet 2020, grâce à Marie Mercier, les sites ont la responsabilité de s'assurer de l'âge de ceux qui les consultent, mais ils restent accessibles sans aucune vérification. Pire, les réseaux sociaux banalisent des pratiques violentes considérées comme la norme. Il y a un effort à fournir en matière de prévention envers les enfants et les parents. Le porno peut aussi avoir un impact sur les adultes et sur leur représentation des femmes et de la sexualité. Nous avons proposé un dispositif d'attestation de la majorité reposant sur le double anonymat.

Les témoignages sont glaçants, non seulement ceux des victimes, mais aussi d'enfants d'un collège à quelques encablures d'ici, qui croient que le corps peut être une monnaie d'échange.

Il est temps d'ouvrir les yeux : ne soyons pas complices de cette triste réalité. (Applaudissements)

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements) Le Sénat peut être fier de ce rapport, véritable pavé dans la mare qui met les pratiques de l'industrie pornographique à l'agenda du Gouvernement. L'opinion a été sensibilisée : notre rapport pionnier est une réussite.

Nous attendons des suites concrètes à nos 23 recommandations. Nous proposons de faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité des politiques publiques et pénales, de faciliter la suppression des contenus illicites et le droit à l'oubli, de bloquer l'accès des mineurs avec un système de vérification d'âge et de renforcer l'éducation des jeunes à la sexualité et la sensibilisation des parents, éducateurs et professionnels de santé. Il faut un plan interministériel avec des mesures fortes dans ces quatre domaines.

Des moyens adaptés et nouveaux sont nécessaires, notamment des enquêteurs et des magistrats. Il faut également explorer toutes les mesures fiscales permettant de taxer l'industrie pornographique dont les profits se comptent en milliards d'euros chaque année.

Nous revendiquons un pouvoir de nuisance à l'égard de cette industrie : les violences systémiques qu'elle induit doivent cesser ! Nous sommes tous et toutes concernés. (Applaudissements)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC) La pornographie est un business lucratif. Difficile d'avoir des statistiques précises, mais les volumes d'affaires se chiffrent en milliards d'euros. Quelques plateformes concentrent l'activité, avec des sièges sociaux souvent situés dans des paradis fiscaux.

La consommation de ces contenus est massive, représentant le quart de la bande passante d'internet. Ces sites sont parmi les plus consultés. Hélas, la France occupe la quatrième place mondiale pour la consommation.

La massification et la banalisation de la pornographie poussent à des pratiques de plus en plus extrêmes, sans consentement réel des personnes. Les productions doivent être encadrées par des règles, notamment avec des médiateurs du consentement.

M. Loïc Hervé.  - C'est ça le sujet !

Mme Véronique Guillotin.  - Les abus touchent particulièrement l'industrie amateur, sans aucune garantie pour les jeunes femmes. La pornographie professionnelle n'est pas non plus exempte de critiques. Les actrices demandent à être reconnues, avec agence et syndicat professionnel.

Compte tenu de ses effets, la pornographie n'est pas un produit de consommation comme les autres. L'accès à la pornographie est interdit pour les mineurs, mais le contrôle de l'âge est une difficulté réelle. Un dispositif de certification est en cours d'élaboration. La loi du 2 mars 2022 sur le contrôle parental a-t-elle produit des effets ?

Pour les adultes, les effets de la pornographie ne sont pas à négliger : ils déforment la vision de la sexualité.

Il faut agir contre les dérives de cette industrie. Le RDSE votera la proposition de résolution. (Applaudissements)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte, dont je salue les quatre auteures, est important, car la pornographie est trop accessible et trop peu régulée.

L'univers des vidéos pornographiques est sordide. Elles sont souvent tournées dans des conditions ignorantes de la dignité humaine. La femme est réduite à de la chair à canon pour des pornocrates sans scrupule.

Certains considèrent la pornographie comme la version modernisée de la sexualité, mais la pornographie n'est pas la sexualité, découverte partagée de l'intimité complice. Or ces vidéos influencent le comportement des jeunes et véhiculent une culture du viol. Les traumatismes psychologiques et physiques qui résultent sont graves. Les réseaux sociaux y contribuent en banalisant l'image des corps dénudés et le revenge porn.

Il faut éduquer et réguler, mais aussi mieux réprimer ce fléau. Le rôle des parents est décisif, tout comme celui de la communauté éducative et des associations. La prévention nécessite plus de détermination et de moyens humains.

Il faut aussi une politique coercitive plus forte contre les auteurs de contenus illicites. La loi du 30 juillet 2020 sur les violences conjugales a constitué une étape importante et je salue l'engagement de Marie Mercier pour la protection de l'enfance.

C'est à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qu'incombe la responsabilité de faire respecter l'interdiction de l'accès des mineurs aux sites pornographiques, le blocage et le déréférencement de certains sites. Mais les responsables de ces sites se sont lancés dans une bataille juridique acharnée, où l'indécence n'a pas de limite. Les pouvoirs de l'Arcom dans la constatation des infractions doivent être renforcés, avec des sanctions administratives dissuasives.

Le dispositif de vérification de l'âge de l'internaute annoncé par le Gouvernement répond aux recommandations de notre délégation.

L'éducation à la vie sexuelle et affective doit être renforcée, avec plus de professionnels formés dans les établissements scolaires.

C'est ainsi que nous pourrons faire échec aux violences pornographiques et permettrons à nos enfants de vivre sereinement leur passage à l'âge adulte.

Je voterai cette proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Pierre Médevielle .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.) Quel parent ne s'est jamais interrogé sur les contenus auxquels ses enfants sont exposés ? Les contenus pornographiques, bien trop accessibles, inquiètent particulièrement.

Les conditions de tournage de ces vidéos interrogent moins. Pourtant elles sont souvent extrêmement violentes, comme le montre le rapport bouleversant de nos collègues, qui ont mis en évidence un système d'abus de faiblesse et d'exploitation barbare des femmes.

La pornographie est un genre de cinéma très particulier : les actes sont non pas feints, mais accomplis, parfois sans consentement. Dans bien des cas, on ne peut plus parler de cinéma. Il faut condamner fermement toute forme de violence commise contre les acteurs.

Le secteur amateur se développe considérablement à la faveur des réseaux sociaux, des messageries privées et des plateformes gratuites dédiées. Les tournages se déroulent parfois dans des conditions inhumaines. Certains producteurs tentent de mettre en place des pratiques respectueuses, mais ils sont très minoritaires.

Nous devons renforcer la protection des mineurs face à ces contenus, pour lesquels une simple déclaration de majorité suffit. Aujourd'hui, 62 % des jeunes ont déjà vu des images pornographiques avant 15 ans, 31 % avant 12 ans, et un enfant de primaire sur deux y a déjà été exposé... Il faut un véritable contrôle de l'âge.

La piste envisagée s'appuie sur des tiers de confiance, dont la validité aura été vérifiée de manière indépendante. Mais aucun système n'est parfait. Choisissons la moins mauvaise solution, dans le cadre d'un débat démocratique.

Enfin, il faut renforcer les moyens de lutte contre la pédopornographie. Il est inconcevable que de tels contenus soient encore librement accessibles. L'arsenal pénal doit être renforcé.

Nous espérons que ce texte sera suivi de mesures concrètes. Le groupe INDEP le votera. (Applaudissements sur quelques travées des groupes CRCE et SER)

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER) À quoi bon éduquer au consentement si les contenus pornos ne le respectent pas ? Des plaintes pour viol, violences aggravées et actes de torture ont été déposées dès 2020 et sont en cours d'instruction.

Je salue l'initiative des quatre auteures de ce rapport.

De jeunes productions offrent des contenus moins marqués par des rapports de domination et destinés à un public plus large, notamment féminin, mais la protection n'est pas satisfaisante pour les personnes engagées. Il est urgent de faire appliquer le droit existant, compte tenu de l'influence de ces contenus sur les mineurs.

Même s'il n'est pas le seul à véhiculer des rapports de domination, le secteur doit prendre sa part de responsabilité. On assiste à un net retour des conceptions sexistes chez les jeunes : 23 % des jeunes de 25 à 35 ans considèrent qu'il faut parfois être violent pour se faire respecter en tant qu'homme, alors que seule la moitié d'entre eux estime que l'image des femmes véhiculée par la pornographie est problématique.

L'Arcom dispose de trop faibles moyens d'action. À ma proposition d'écran noir en cas d'absence de vérification de la majorité de l'utilisateur, le président de l'Arcom, entendu en commission, a répondu en rappelant les campagnes de communication menées, pourtant insuffisantes.

Notre réflexion législative doit se poursuivre. Il faut s'assurer que les contenus sont produits dans des conditions respectueuses de la dignité humaine : les manquements doivent être sanctionnés, les victimes accompagnées et les productions plus respectueuses soutenues. Il faut garantir que les contenus pour adultes sont réservés aux adultes, en adaptant les outils de contrôle dans le respect de la protection des données personnelles. J'espère que le dispositif envisagé par le Gouvernement sera efficace. Enfin, il faut renforcer l'éducation à la sexualité par l'Éducation nationale.

La consommation de porno n'est qu'un aspect de la liberté sexuelle. Il existe des sexualités heureuses sans porno. Dans Totem et Tabou, Freud écrivait que le besoin sexuel, loin d'unir les hommes, les divise. Dépassons ces divisions en respectant toutes les sexualités et toutes les dignités. (Applaudissements)

Mme Samantha Cazebonne .  - Selon le rapport annuel sur l'état des lieux du sexisme en France de 2023, seuls 48 % des hommes de 15 à 34 ans considèrent que l'image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique ; ce chiffre monte à 79 % chez les hommes de 65 ans et plus.

Ce constat est alarmant, d'autant que 90 % des scènes pornographiques sont violentes. Comment se fait-il que des images de violence choquent moins les jeunes ? Comment agir contre le sexisme ? Comment mieux protéger les femmes ?

La délégation aux droits des femmes a réalisé un travail inédit. Pour endiguer cette industrie qui représente 25 % du trafic web mondial, il faut en comprendre les enjeux. Ce travail parlementaire nous offre une vision plus claire des mesures à prendre pour protéger les femmes et les mineurs.

La régulation est difficile. La loi de 2022 sur le contrôle parental rend obligatoire la préinstallation d'un tel dispositif, activé gratuitement dès la première mise en service. Le Gouvernement a lancé une campagne de communication il y a quelques semaines. La plateforme de prévention et d'information jeprotègemonenfant.gouv.fr propose outils et conseils aux parents. Le rapport sur l'éducation à la sexualité de 2021 dresse un état des lieux de cette politique publique. Il préconise notamment d'introduire des notions liées à la sexualité dans l'enseignement de plusieurs disciplines.

Jean-Noël Barrot et Charlotte Caubel mènent un travail interministériel sur la vérification d'âge : une expérimentation fondée sur le double anonymat est en cours, à la suite d'un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Protéger avec justesse, c'est l'objet de cette proposition de résolution. Une prise de conscience collective s'impose. Mieux informer, protéger les victimes, former les différents intervenants est essentiel. Il faut aussi créer une catégorie « violences sexuelles » sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Il convient aussi de bloquer tout site ou réseau proposant des contenus pornographiques sans contrôle d'âge et de mettre en oeuvre les trois séances annuelles d'éducation à la vie sexuelle et affective prévues à l'école.

Ce texte vise à aller au-delà d'un mot connu de nous : la pornographie. Nous voterons ce texte important. (Applaudissements)

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Perversion partout, respect nulle part : l'industrie pornographique organise un monde parallèle où la violence et les sévices sont la norme, installant une vision sordide de la sexualité. C'est une machine à cash générant des milliards d'euros chaque année dans le monde, et exposant massivement les jeunes à ces contenus. Les chiffres donnent le vertige : un tiers des garçons et un quart des filles de moins de treize ans, mais aussi la quasi-totalité des garçons - 95 % - et une large majorité des filles - 86 % - de moins de 18 ans ont vu de tels contenus, alors que la loi interdit l'accès des mineurs aux contenus pornographiques.

Nous connaissons leurs effets dévastateurs tels que la multiplication des attouchements, des visionnages subis, souvent par les filles, dans l'ignorance quasi totale des parents.

Chez les adolescents, la rencontre avec la brutalité du porno précède la construction de l'imaginaire sexuel. Ce sont tous les possibles des rapports amoureux qui sont balayés par cette blessure aux conséquences délétères, comme un apprentissage au non-consentement.

Il ne semble pas y avoir de limites : apologie du viol, addictions à des contenus érigeant la domination masculine en modèle. Quelque 90 % des scènes peuvent être qualifiées d'acte de torture et de traite d'êtres humains : des femmes sont piégées, sans avoir aucune idée de la violence des actes qu'elles allaient subir.

La rapide évolution de l'industrie pornographique grâce à l'essor d'internet a créé des opportunités pour des acteurs sans scrupule voulant faire fortune, aidés par des pouvoirs publics aveugles et sourds. Des empires sont créés faute de cadre légal ou de surveillance. L'esclavage sexuel se développe dans ce monde parallèle qui prospère, sans que les victimes ne puissent obtenir justice. Pas moins de 19 millions de visiteurs par mois, dont 2 millions d'adolescents : ce marché colossal provoque l'arrivée de nouveaux acteurs, entraînant une passerelle avec une forme de proxénétisme particulier, celle du viol sur commande d'une femme pensant participer au tournage d'une vidéo pornographique.

Quelle société résultera demain de notre inaction ? Il faut agir sans tarder, avec volontarisme, élargir les prérogatives de l'Arcom, élargir la plateforme Pharos aux violences sexuelles. La lutte contre la marchandisation du corps des femmes doit être une priorité publique absolue. Inquiétons-nous du rôle joué par la consommation massive de pornographie et saluons le travail nécessaire et courageux de la délégation aux droits des femmes : le groupe SER votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Annick Billon, M. Jean-Michel Arnaud et Mme Alexandra Borchio-Fontimp applaudissent également.)

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Un principe de réalité s'impose : la pornographie est omniprésente et contribue à la culture du viol et à la normalisation de la violence sexuelle. Les images dégradantes qui sont diffusées ont un impact sur la manière dont hommes et femmes se perçoivent. Une industrie opaque et mondialisée exploite et objective les corps des femmes et des minorités de genre. Le porno se nourrit des discriminations de genre pour générer des milliards d'euros de profits. Les femmes et les minorités sont souvent reléguées à des rôles stéréotypés et dégradants, alors que le mythe de la performance masculine est surreprésenté.

Pointons du doigt cette industrie sans scrupule, dans laquelle des actrices sont victimes d'exploitation, de harcèlement et de violences, dont les répercussions sont néfastes tant pour les acteurs que pour les spectateurs : infections sexuellement transmissibles (IST), stress post-traumatique pour les actrices, troubles de la personnalité, problèmes de santé mentale pour les spectateurs, entre autres. Prenons la mesure de ces effets nocifs, fournissons des ressources pour éduquer sur les dangers de la pornographie et sur les moyens d'y résister. Promouvons une éducation sexuelle mettant en avant la diversité des identités de genre, la dignité et l'autonomie de chacun, et lutte contre les stéréotypes sexistes et homophobes.

Deux tiers des moins de 15 ans ont déjà visionné des images pornographiques, et 2,3 millions de jeunes de moins de 18 ans en visionneraient tous les mois.

Luttons contre l'exploitation des actrices, en créant des espaces sûrs et égalitaires : les violences systémiques doivent cesser.

En France, la justice commence à ouvrir les yeux : l'affaire French Bukkake a permis de poursuivre, pour la première fois, des acteurs pour viol. Les actrices pornographiques ne sont pas des citoyennes de seconde zone, et il faut mieux former les policiers au recueil de leurs plaintes. Le droit à l'oubli doit être respecté, alors que certaines ont dû débourser 5 000 euros pour le retrait de vidéos en ligne. Madame la ministre, que comptez-vous faire ? La violence est un problème de société qui demande des réponses collectives. Adoptons cette résolution pour que la lutte contre la pornographie soit érigée en priorité des politiques publiques. Nous devons tous partager cette responsabilité : le CRCE, dont l'ensemble des membres est signataire de cette proposition de résolution, la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Jean-Yves Roux et Mme Alexandra Borchio-Fontimp applaudissent également.)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comme tous mes collègues, je salue le travail exceptionnel de la délégation aux droits des femmes, en particulier celui des auteurs du rapport d'information Porno : l'enfer du décor, dont émane cette proposition de résolution. Ce travail était pionnier, aussi incroyable que cela paraisse.

La représentation nationale ouvre enfin les yeux contre les préjugés les plus répandus, et c'est à l'honneur de notre Haute Assemblée : il était temps ! Je soutiens chaque considérant de cette proposition de résolution dont je suis cosignataire.

Une loi suivra sans doute notre travail : des mesures pragmatiques et efficaces devront être prises. L'interdiction de la pornographie sera peut-être proposée par certains collègues, mais la prohibition provoquerait la bascule vers la contrebande et la mafia, avec des maux pires qu'actuellement.

Existe-t-il une pornographie éthique ou morale ? Est-ce notre rôle de répondre à cette question ? Je préconiserai un chemin de crête, de conviction : tout reste à faire pour encadrer la pornographie.

La seule pornographie qui peut exister doit respecter la loi comme les personnes humaines, et en particulier les femmes. Aucune tolérance contre les viols, les abus de faiblesse, la prostitution, le proxénétisme. Dans une décision du 18 mai 2022, la Cour de cassation a refusé d'étendre la notion jurisprudentielle de prostitution à l'activité de caming qui propose, contre rémunération, la diffusion de vidéos à contenu sexuel.

Pour séparer le bon grain de l'ivraie, un cadre doit être créé. Deux types de problèmes existent : ceux liés aux personnes qui font la pornographie, et ceux liés aux spectateurs. La protection sur les tournages et l'amélioration des conditions de travail sont la seule solution pour se prémunir des crimes qui sont à l'origine de la prise de conscience.

Le problème de l'accès de nos enfants à ces contenus soulève celui du contrôle de l'âge par les plateformes. La Cnil a formulé des propositions comme la régulation des messageries instantanées, qui sont également un champ important. Le groupe UC votera la proposition de résolution sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme Esther Benbassa .  - Le ministre en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, déclarait que 2023 marquerait la fin de l'accès aux sites pornographiques pour les enfants. À 12 ans, un tiers des enfants a été exposé à ce type de contenu. L'interdiction d'accès des sites aux mineurs manque sa cible, quand il suffit de cliquer que l'on est majeur. Conscient de cette faille, le Gouvernement prévoit une phase de test pour bloquer toute consultation de site pornographique par les mineurs.

La jeunesse est trop souvent confrontée à des contenus violents, qui font la promotion de l'acte sexuel forcé, alors que plus d'un tiers des femmes subissent des violences lors de leurs rapports sexuels. Comment agir ?

La corrélation entre violence sexuelle et pornographie s'observe déjà dans les conditions de travail des actrices. Nous avons échoué à dissiper les flous juridiques : comment protéger les actrices ? Il s'agit non d'interdire le porno, mais d'exiger le consentement, de garantir la dignité des actrices, et de sanctionner les producteurs encourageant la violence. Le problème n'est pas français, mais international, et l'Europe devrait s'en saisir. Encadrer et punir ne suffit pas. Comme le suggère Amia Srinivasan, professeure d'Oxford, le sexe peut « devenir quelque chose de plus joyeux, de plus égalitaire, de plus libre ». (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Valérie Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pendant six mois, la délégation aux droits des femmes a travaillé sur l'industrie de la pornographie. Je remercie sa présidente et les rapporteures pour ce travail de fond. Votre travail fait avancer les mentalités, mais aussi le droit : avec plus de 250 cosignataires, dont sept présidents de groupes, le Sénat a pleinement conscience de l'importance du sujet.

Cette industrie réalise un hold-up sur l'intimité et le développement des plus jeunes. Dès 2018, j'avais entendu à l'Assemblée nationale Robin d'Angelo, auteur de Judy, Lola, Sofia et moi qui, pendant un an, s'était infiltré dans le milieu du porno amateur, incarné par Jacquie & Michel, et qui a dénoncé l'absence récurrente de consentement, le non-respect du droit du travail, des pratiques contraires à la dignité humaine, et « une forme de normalisation de la violence » qui conduit à des abus. Ces actes éclatèrent au grand jour en 2020, avec l'ouverture d'une information judiciaire contre la plateforme French Bukkake : les viols répétés, l'intimidation, l'utilisation de drogues, les tests VIH falsifiés, le racket pour retirer les vidéos ont été documentés par le Parquet. Une deuxième information judiciaire a été ouverte contre Jacquie & Michel, pour complicité de viol et traite d'êtres humains en bande organisée.

La police et la justice portent désormais une plus grande attention aux victimes, alors que près de 220 000 vidéos sont vues chaque minute sur ces plateformes. Ayons le courage de dire que les méthodes de cette industrie prospère relèvent de la traite d'êtres humains, comme en témoignent la soumission par le viol, le chantage exercé et l'inversion de la culpabilité. Les actes d'agression voire de torture doivent être lourdement condamnés. Nous ne pouvons fermer les yeux et tolérer ce qui se passe dans cette industrie. Le Sénat propose notamment de faire des violences sexuelles dans un cadre pornographique un délit d'incitation à une infraction pénale ; de favoriser l'émergence des plaintes des victimes et d'améliorer leur accueil par les forces de l'ordre, notamment en instaurant le suivi de leur dossier par un contact unique ; d'augmenter les effectifs et les moyens matériels des enquêteurs et des magistrats ; et de s'attaquer aux plateformes de diffusion.

N'oublions pas que ces femmes doivent se reconstruire. Portons ce message aux victimes exploitées, pour plus de liberté et surtout de fraternité. Protégeons la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

Présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

M. Serge Mérillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dans l'enfer des films pornos, le non n'existe pas, le oui est la norme. La réalité semble dépasser la fiction : ce rapport au non-consentement s'immisce dans le cerveau des consommateurs, diffusant une sexualité filmée par des hommes pour des hommes, vision violente et brutale où les femmes sont des objets dont on peut disposer sans limites, où les coups remplacent les caresses. C'est à cette conception particulière de la sexualité que nos enfants sont exposés : c'est le triste constat tiré par les auteurs de cette proposition de résolution. Deux tiers des enfants de moins de quinze ans et un tiers des moins de douze ans ont eu accès à de tels contenus. Avec le numérique, chaque adolescent peut être exposé, car l'accès n'est conditionné qu'à un clic, rempart en carton facilement franchissable par quiconque sachant se servir d'une souris.

Mais cela n'est pas sans conséquences pour le développement de cerveaux en plein développement : avec la pornographie, la première approche de la sexualité est parfois celle d'un viol en réunion ou autre expérience hardcore. L'impact sur les enfants de la représentation de la sexualité est indéniable et destructeur : traumatismes, troubles du sommeil, vision déformée de la sexualité basée sur les rapports de domination entre les individus, véhiculant des préjugés racistes, homophobes et transphobes que nous devons combattre.

Lutter contre ces pratiques n'est pas simple, d'autant plus que les parents pensent être au courant, alors que les jeunes sont exposés de toutes parts, par Snapchat ou les réseaux sociaux.

L'exposition d'un mineur à un contenu pornographique est un délit : durcissons les conditions d'accès aux plateformes. Il faut améliorer la sensibilisation des enfants et l'information des parents. Le seul modèle ne doit pas être la pornographie, et l'État a un rôle à jouer. Le groupe SER votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, du GEST et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La lutte contre le porno pour les jeunes est une priorité publique, comme le montre le rapport de la délégation aux droits des femmes. Ces contenus à disposition sur tout ordinateur ou téléphone diffusent des images dégradantes, pour le plus grand bénéfice d'une industrie prospère.

Le groupe UC votera cette proposition de résolution afin de protéger notre jeunesse.

La plateforme Pharos est un outil unique en Europe. Elle dispose de moyens adaptés pour limiter l'accès à de tels contenus, sous le contrôle d'une personnalité qualifiée. Le travail de ses agents est exemplaire, mais les moyens de Pharos doivent être renforcés : le travail de la personnalité qualifiée est très éprouvant, il faudrait plutôt une structure collégiale.

Le règlement européen sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) a récemment été voté par l'Union européenne : les autorités peuvent demander aux fournisseurs d'agir contre les contenus illicites. Toutefois, je regrette que les progrès soient encore limités dans ce domaine. Comme nous l'a dit la lanceuse d'alerte Frances Haugen, Facebook privilégiera toujours le profit par rapport à la sécurité des enfants.

Le 15 février dernier, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants. Nous proposions, avec Ludovic Haye et André Reichardt, de renforcer les sanctions de la Commission européenne, dans une logique de name and shame.

Je remercie les auteurs de la proposition pour leurs suggestions notamment l'instauration d'un contrôle parental par défaut : elle complète notre travail.

La lutte contre la pédopornographie doit être renforcée : en 2021, Europol a démantelé le réseau Boystown qui comptait 400 000 utilisateurs sur le darkweb. L'Union européenne détient le triste record d'être le premier hébergeur de contenus pédopornographiques dans le monde. Sur 150 000 contenus litigieux visionnés par Maître Pécaut-Rivolier, personnalité qualifiée de Pharos, 70 % étaient à caractère pédopornographique.

Mme le président.  - Veuillez conclure...

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Il y a urgence à agir ! La France doit être le fer de lance de cette action. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes CRCE et SER)

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En quelques clics, les petits Marceau, Lou, Noé peuvent consulter des contenus pornographiques même s'ils contiennent des images violentes. Les conséquences sur leur développement affectif et sexuel sont innombrables. Ils ne peuvent pas consulter les sites payants, mais les sites gratuits !

En 2020, le Sénat était saisi d'une proposition de loi visant à lutter contre les violences conjugales. En tant que rapporteure, j'avais proposé au Sénat d'instituer une nouvelle procédure visant à obliger les éditeurs de sites pornographiques à contrôler l'âge de leurs clients. Mon amendement a été voté le 10 juin 2020 à l'unanimité et donne à l'Arcom de nouvelles prérogatives.

Quel bilan en tirer ? Le décret d'application n'a été publié que le 7 octobre 2021. Cinq sites pornos sont sommés de se plier à la loi, mais les mises en demeure sont restées sans effet malgré plus de 500 constats d'huissier. En septembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris est saisi d'une demande de blocage des sites et enjoint à l'Arcom de rencontrer un médiateur ! Le 5 janvier 2023, la Cour de cassation rejette les arguments des industriels qui ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité. L'Arcom, confrontée aux manoeuvres dilatoires des sites, a mis fin à cette médiation inutile.

Le ministre Barrot a annoncé l'expérimentation d'un système de vérification d'âge. Cela laisse perplexe : jusqu'à quand allons-nous tester ? En attendant, que fera la justice ? Pendant ce temps, les mineurs peuvent continuer à regarder la pornographie gratuite. Or mon amendement obligeait les éditeurs à vérifier l'âge.

Mme Annick Billon.  - Bravo !

Mme Marie Mercier.  - Après une intervention, les pompiers évaluent le sauvé. Depuis l'adoption de cette loi, quel est le sauvé ? La loi n'est pas appliquée ! Le sauvé, c'est zéro, madame la ministre ! Je vous laisse juge ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et SER)

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances .  - Je tiens à remercier les sénatrices Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol pour la qualité de leur travail. Vos travaux contribuent à faire évoluer les mentalités : le Parlement se saisit pour la première fois de ce sujet.

Vous avez fait preuve d'une grande force en écoutant l'effroyable récit des victimes. « Sexe brutal », « ado amateur », « ado vierge »... autant de termes les plus fréquemment recherchés sur internet. Ce sont non pas des fantasmes, mais bien des crimes punissables de la réclusion criminelle à perpétuité !

Des milliers de femmes sont abusées : elles sont condamnées à vivre un cauchemar chaque fois qu'un utilisateur appuie sur play. Nous devons agir pour ces victimes de la violence de l'industrie pornographique, qui répond à la demande de certains consommateurs.

Or la réponse pénale ne suffit pas : sensibilisons les plus jeunes aux dérives de la pornographie. Sur 19 millions de visiteurs de site pornographique chaque jour, il y a 1 million d'adolescents entre 15 et 18 ans et 1,2 million d'enfants de moins de 15 ans !

L'accès à ces sites est le premier aperçu de la sexualité pour ces jeunes, qui peinent à construire leur future sexualité. Croyez-en la magistrate que je suis : c'est un terreau favorable pour les violences faites aux femmes.

L'école de la République doit être le lieu de l'éducation à la sexualité : la loi prévoit trois séances annuelles. Avec Pap Ndiaye, nous avons fait de l'application de cette loi l'une de nos priorités et pris le problème à bras-le-corps. Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche de 2021 et un vade-mecum sur l'éducation à la sexualité ont été publiés ; depuis quelques semaines, un groupe de travail interministériel actualise le contenu des formations et les ressources pédagogiques.

Notre message éducatif doit être suffisamment puissant pour mettre un terme à l'idéologie patriarcale diffusée non seulement par les sites, mais aussi sur les plateformes Twitter, Meta, TikTok ou Snapchat.

Avec cette proposition de résolution, nous exprimons une position claire. Sur mon initiative, des discussions sont en cours pour définir des mesures fortes contre les diffuseurs, qui ne pourront plus se cacher derrière un prétendu vide juridique.

Un contrôle efficace de l'âge de l'internaute doit enfin être instauré, grâce à l'engagement de mes collègues du Gouvernement. Le décret prévoyant le contrôle parental sur tous les terminaux sera publié prochainement.

En outre, le site jeprotègemonenfant.gouv.fr fournit des informations utiles aux parents.

Renforçons également les prérogatives de l'Arcom, notamment en facilitant le retrait des images publiées à l'insu des personnes.

La collaboration internationale est essentielle : j'étais hier en Suède et nous allons approfondir notre coopération.

En votant cette proposition de résolution, vous soutiendrez l'action du Gouvernement et vous aiderez les victimes à ne plus se sentir seules face à cette industrie violente.

Faisons face ensemble à cette responsabilité qui est la nôtre ! (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes CRCE et SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements)

Mme Laurence Cohen.  - À l'unanimité !