Fraudes en matière artistique

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Bernard Fialaire, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.) Faux Poussin, faux Cranach, faux Miró, faux Picasso, faux Chagall, fausses antiquités, faux meubles Boulle, faux sièges XVIIIe... Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses affaires : la hausse des prix, l'explosion de la demande et l'essor du marché en ligne l'expliquent. Aucune forme d'art n'est épargnée et les formes de la fraude se diversifient : faux certificats, attestant de fausses provenances, fleurissent.

Les organisations criminelles s'intéressent de plus en plus à cette forme de trafic, et il faut donc des outils de répression. Mais le seul texte en la matière, la loi Bardoux du 9 février 1895, est daté, limité et peu dissuasif. Son champ d'application ne correspond plus à la diversité des oeuvres d'art : il ne vise que les oeuvres en vogue à la Belle Époque - sculptures, dessins, tableaux -, laissant de côté la photographie, les manuscrits, les meubles ou objets de design, l'art numérique, etc.

La loi Bardoux ne vise que les faux d'oeuvres authentiques, qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, et ne concerne donc pas les oeuvres anciennes. Elle ne réprime que les faux avec signature apocryphe, et exclut donc tous les faux sans signature ou sans auteur identifié, ignorant ainsi d'immenses pans de l'art mondial - arts premiers, antiquités, art médiéval, art islamique, arts appliqués, etc.

Enfin, les peines qu'elle édicte sont insuffisamment sévères : deux ans de prison et 75 000 euros d'amende, sans alourdissement possible.

En complément, le décret Marcus de 1981 réprime les tromperies sur l'authenticité d'une oeuvre d'art ou un objet de collection, mais il ne s'applique qu'aux transactions et l'amende prévue est de 1 500 euros...

Les délits de contrefaçon, d'escroquerie, de tromperie ou de faux et usage de faux peuvent être invoqués, mais ils sont peu adaptés au marché de l'art.

Pour combler les insuffisances de ce cadre juridique, j'ai déposé en décembre dernier, avec mon groupe, cette proposition de loi portant réforme de la loi Bardoux. Nous nous sommes inspirés d'un colloque de la Cour de cassation de 2017 et des travaux menés par l'institut Art et Droit entre 2018 et 2022.

Nous créons une nouvelle infraction pénale dans le code du patrimoine. La matérialité de l'infraction ne portera plus sur le nom ou la personnalité de l'artiste, mais sur les atteintes portées à l'oeuvre d'art elle-même, que son auteur soit identifié ou non.

Nous sanctionnons la réalisation, la présentation, la diffusion ou la transmission à titre gratuit ou onéreux de toute oeuvre artistique ou objet de collection qui serait affecté d'une altération de la vérité sur l'identité de son créateur, sa provenance, sa datation ou son état, en pleine connaissance de cause.

L'échelle des peines a été durcie, sur le modèle de l'escroquerie, du recel et du blanchiment : cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende. Ces peines peuvent être alourdies à sept ans de prison et 750 000 euros d'amende quand les faits sont commis par plusieurs personnes ou de manière habituelle, voire dix ans et 1 million d'euros quand ils sont commis en bande organisée. Le texte autorise en outre la confiscation du bien ou sa remise aux plaignants.

Cette nouvelle infraction rend donc obsolète la loi Bardoux : l'article 2 l'abroge et opère diverses coordinations.

La commission de la culture a considéré que cette proposition de loi répondait à une attente des artistes, des professionnels du marché d'art, des professionnels du droit et des services enquêteurs. En effet, la fraude artistique érode la confiance dans le marché de l'art et dans les institutions culturelles, et, à terme, menace la création artistique. La réforme de la loi Bardoux était indispensable.

Les atteintes aux oeuvres d'art elles-mêmes seront réprimées, ce qui présente un double avantage : l'identification d'un artiste ou d'une transaction n'est plus nécessaire ; l'oeuvre d'art n'est plus une simple marchandise, mais un bien commun de tous.

Par rapport à la loi Bardoux, la proposition de loi élargit le périmètre des oeuvres d'art, étend les infractions à la falsification de la date ou de la provenance et devient beaucoup plus dissuasive.

La commission a souhaité en clarifier la rédaction afin de lever certaines ambiguïtés : la notion de « bien artistique » était trop risquée ; celle d'« altération de la vérité », inopérante en matière artistique, tant la vérité est une notion controversée en art - plagiat, parodie, détournement et copie doivent rester possibles, quand il n'y a pas d'intention de tromperie.

Nous envisageons donc quatre hypothèses : réalisation ou modification d'une oeuvre d'art ou d'un objet de collection dans l'intention de tromper autrui sur l'identité de son créateur, son origine, sa nature, sa datation, sa composition - les auteurs ou les commanditaires de faux certificats sont visés ; présentation, diffusion ou transmission d'un faux en toute connaissance de cause et sans rétablir la vérité - le receleur est visé ; présentation, diffusion ou transmission d'une oeuvre ou d'un objet authentique en mentant sur l'identité de son auteur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition dans l'intention de tromper autrui - l'escroquerie est alors visée ; présentation, diffusion ou transmission d'une oeuvre ou d'un objet en inventant une fausse provenance - l'escroquerie à la provenance est alors visée.

La commission a aussi clarifié la rédaction des dispositions qui permettent au juge de mettre les faux hors circuit. Force est de reconnaître que la question du faux - sauf faux grossier - est difficile à régler. Quid des oeuvres d'atelier signées de la main du maître ? Peut-on porter atteinte au droit de propriété en confisquant une oeuvre quand les propriétaires sont de bonne foi ? Voyez la décision de la Cour de cassation, en 2021, ordonnant d'apposer la mention « reproduction » sur la contrefaçon d'un Chagall, plutôt que de demander sa destruction.

La commission a souhaité mettre à disposition du juge un panel d'outils : confiscation, destruction ou remise à l'artiste victime de la fraude ou à ses ayants droit. En revanche, le marquage ne sera pas une option, car il n'offre aucune garantie de retrait définitif du marché. Le juge sera libre d'ordonner l'une ou l'autre solution. Tous les objets et oeuvres litigieux ne sont pas nécessairement des faux intégraux : ils peuvent revenir sur le marché dès que leurs véritables caractéristiques sont établies.

Un registre des faux artistiques, inspiré de la base de données sur les oeuvres d'art volées d'Interpol, sera mis en place. Compte tenu du caractère international du marché de l'art, il serait intéressant que la France convainque ses partenaires d'établir une base internationale.

Enfin, la commission a élargi le champ des infractions et a alourdi les peines applicables quand le préjudice est porté à une institution publique ou que le délit est commis par un professionnel du marché de l'art. Souvenez-vous de l'émotion à la suite des faux de Versailles ! Une peine complémentaire d'interdiction d'exercice est également prévue.

Notre souci a été d'améliorer la prévention de ces délits. Nous attendons beaucoup de la mission conduite par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), qui rendra ses conclusions en juillet prochain. Il réfléchit notamment à une voie civile complémentaire de l'action pénale, sur le modèle de la « saisie-contrefaçon », ainsi qu'à l'encadrement de l'activité des plateformes en ligne.

Les services de la police et de la justice mériteraient d'être mieux sensibilisés aux spécificités des infractions commises dans le domaine de l'art. Le renforcement de leurs moyens nous permettrait de gagner en efficacité. Nous espérons que le Gouvernement prendra les mesures adaptées, une fois la réforme adoptée. (Applaudissements)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je remercie le rapporteur et son groupe pour ce travail précis et solide, qui aborde un défi majeur du marché de l'art. Un faux est un objet falsifié, destiné à tromper un acheteur en le faisant passer pour authentique. Ce n'est pas un phénomène nouveau, mais les transactions illicites se multiplient, notamment sur les plateformes en ligne.

Je rends hommage au travail d'enquête de l'OFBC, ainsi qu'à la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) qui contribue à la réflexion.

Les faux artistiques sont un fléau qui porte atteinte aux professionnels du marché de l'art, aux acheteurs, aux auteurs des oeuvres et à leurs ayants droit.

La loi Bardoux présente des lacunes, et est inadaptée à la réalité du marché de l'art : les oeuvres d'art aujourd'hui sont beaucoup plus diverses qu'à l'époque ; seules les oeuvres non tombées dans le domaine public sont concernées par la loi ; enfin, les peines sont peu dissuasives. La loi Bardoux doit être révisée, et le CSPLA, placé sous la tutelle de mon ministère, s'est attelé à la tâche. Ses conclusions seront rendues en juillet.

Avec cette proposition de loi, vous proposez l'élargissement du périmètre des infractions pour protéger l'ensemble des supports, l'alourdissement des peines et l'extension des infractions aux datations et provenances. Les apports de la commission vont dans le bon sens.

C'est une première étape ; il faudra enrichir ce texte au cours de la navette. La mission du CSPLA y contribuera. Mes services vous accompagneront.

Une directive européenne sur la fiscalité des oeuvres d'art inquiète les acteurs du marché de l'art et les artistes. Le marché de l'art fonctionne avec deux taux dérogatoires de TVA : 5,5 % à l'achat et 20 % à la revente, sur la seule marge du marchand. Mais une directive d'avril 2022 interdit désormais le cumul de deux dérogations.

Trois options s'offrent à nous : si l'on souhaite maintenir une TVA limitée à la marge à la revente, il faut passer à 20 % pour l'achat également, ce qui va rogner les marges des galeristes ; si l'on souhaite conserver le taux réduit à l'achat, on ne peut plus pratiquer la TVA sur la marge à la revente, les 20 % s'appliqueront donc sur le montant total, ce qui renchérira le coût des oeuvres vendues ; enfin, troisième option, nous pourrions choisir d?assujettir les oeuvres d'art au taux réduit de TVA, le taux de 5,5 % s'appliquerait alors à l'achat et la revente -  sur le montant total  - , sans grandes différences de coût avec la situation actuelle, car 5 % du montant total correspond, peu ou prou, à 20 % de la marge.

Des simulations sont en cours et une concertation sera lancée, afin que nous décidions à l'été, que cette disposition soit intégrée au PLF pour 2024 et que la directive soit transposée fin 2023.

Avec 50 % des transactions, la France est le premier marché de l'art européen. Elle est au centre de ce marché, et elle peut y rester. (Applaudissements)

Mme Sylvie Robert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.) Connaissez-vous Mark Landis ? Il a consacré sa vie à réaliser des faux à partir des catalogues des musées américains. Il a donné ces faux à des musées, et n'a été démasqué que vingt ans plus tard... Cependant, ne s'étant pas enrichi, il dira n'avoir commis aucun crime, comme le relate le documentaire Le Faussaire.

L'absence d'enrichissement personnel est secondaire. Ce qui est central, c'est la vaste duperie, par laquelle des institutions ont présenté au public de fausses oeuvres d'art.

La loi Bardoux et le décret Marcus sont aujourd'hui obsolètes et doivent être actualisés.

Par-delà la modernisation de la loi, cette proposition de loi protège les oeuvres elles-mêmes. Ce renversement de paradigme est très moderne. C'est particulièrement vrai pour la musique, où le numérique a rendu à l'existence des oeuvres qui semblaient condamnées à l'oubli. Il n'y a plus de parcours linéaire d'une oeuvre, décorrélée de son auteur, ce qui rend sa protection encore plus impérieuse.

Cette proposition de loi est une déclinaison de l'exception culturelle française. Souvenons-nous de la création du droit d'asile des oeuvres en 2015, lorsque les pillages et destructions se multipliaient sous l'État islamique.

La question de la vérité a été au coeur de nos échanges. Le faux est une altération de la vérité, mais cette appréciation est délicate en matière artistique. Le faux n'est-il qu'un temps de la vérité d'une oeuvre ? C'est très difficile à déterminer, comme Mohamed Mbougar Sarr le montre dans La plus secrète mémoire des hommes.

Soyons humbles devant le développement des oeuvres créées par l'intelligence artificielle : conservateurs et spécialistes se trouvent démunis pour identifier un faux...

Enfin, la circulation de faux abîme la confiance dans le marché de l'art et les institutions culturelles, comme l'a montré le feuilleton Landis.

Cette proposition de loi est un premier pas majeur. Nous devons rester vigilants, à l'ère numérique, le faux artistique étant constamment réinterrogé : le législateur devra intervenir à nouveau.

Je remercie Bernard Fialaire et le groupe RDSE : les auditions furent passionnantes. (Applaudissements)

M. Pierre Ouzoulias .  - Il fallait de l'intrépidité pour partir à l'assaut du vénérable édifice de la loi Bardoux et les premiers coups de pioche donnés, vous vous êtes aperçus que les fondations étaient toujours solides, et l'ouvrage durable.

Avec humilité, vous reconnaissez que cette proposition de loi est encore imparfaite. Mais elle a le mérite de définir le cadre d'un chantier. M. Bardoux conservera toujours le mérite d'avoir participé à la révision du texte de Salammbô...

La loi Bardoux de 1895 était relative au droit des contrats et apportait des garanties aux acheteurs contre le vol, l'escroquerie ou la falsification. Son objet n'était pas de protéger les oeuvres. Elle s'appuyait sur deux notions difficiles à circonscrire : l'intentionnalité de la faute et l'authenticité de l'oeuvre.

Le décret Marcus de 1981 a tenté de corriger ces défauts en introduisant des gradations : « attribué à », « de l'école de »... Ces formules ont permis de ne pas engager la responsabilité du vendeur.

Mais de nombreuses questions restaient pendantes, notamment pour la révision de la valeur d'une oeuvre à la suite d'une nouvelle attribution. Dans le second arrêt Poussin, la Cour de cassation a considéré que cette révision n'était pas créatrice de qualités, mais révélatrice de qualités préexistantes, ce qui permettait au vendeur de dénoncer le contrat.

La loi Bardoux, tributaire d'une conception très académique de l'art, a été dépassée par les pratiques artistiques : en 1913, Marcel Duchamp exposait sa Roue de bicyclette, puis sa Fontaine en posant la question : « Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas d'art ? » La notion d'authenticité n'a alors plus aucun sens.

La relation entre propriété intellectuelle et législation du patrimoine est complexe. L'auteur conserve des droits, même après la vente. Quelle authenticité pour des oeuvres reniées, ayant pu être détruites ? Lors de l'examen des lois de restitution, nous nous sommes interrogés sur la notion de propriété d'une oeuvre d'art : une oeuvre appartient à une culture avant d'appartenir à un individu.

La loi Bardoux devait être révisée : pour cette première pièce d'un édifice plus vaste, nous vous remercions chaleureusement. (Applaudissements)

M. Pierre-Antoine Levi .  - Je ne sais ce qu'est un faux, ni vraiment ce qu'est un bien culturel. J'ignore la différence entre un plagiat et un pastiche, mais je sais reconnaître une oeuvre d'art, et ce texte en est une ! Chapeau l'artiste ! (Sourires)

En proposant la loi de 1895, Agénor Bardoux voulait prévenir les escroqueries comme celle dont avait été victime Alexandre Dumas fils, acquéreur d'une oeuvre présentée comme un Corot, qui était en réalité de Paul-Désiré Trouillebert. Près de 130 ans plus tard, les faux font toujours la Une : faux sièges Marie-Antoinette acquis par le château de Versailles, fausse Vénus de Cranach achetée par le prince de Liechtenstein, etc.

La fraude artistique, en plein boom, est protéiforme. Elle concerne des objets de toute nature et de toute époque.

La création artistique, tout comme l'art des escrocs, a changé depuis 1895 : pas de vidéo ni de NFT à l'époque. La loi Bardoux, dépassée depuis longtemps, est une survivance poétique... Mais poésie ne rime pas toujours avec effectivité juridique.

Le texte élargit la répression de la fraude à la réalité du phénomène. L'arsenal juridique dont nous disposons à côté de la loi Bardoux ne permet-il pas de remédier à ses lacunes ? On entre alors dans le byzantinisme : le décret Marcus ne sanctionne que les vendeurs, et les trous dans la raquette sont nombreux.

Deux ans et 75 000 euros d'amende, c'est très insuffisant, compte tenu de l'ampleur des trafics. Nous saluons l'alignement sur les peines contre le recel et le blanchiment, avec des circonstances aggravantes lorsque les faits sont commis en bande organisée.

Seul regret : que le texte soit présenté avant que le CSPLA n'ait rendu ses conclusions, mais il y a toujours de bonnes raisons d'attendre et notre cadre juridique a déjà 130 ans...

Le devenir des faux est une question passionnante qui interroge notre rapport au réel. Nous ne sommes jamais sûrs qu'un faux est bien un faux ; par ailleurs, un faux peut être beau. Monsieur le rapporteur, vous proposez la mise en place d'un registre des faux, et de ne pas les détruire systématiquement : c'est sage. Mais le législateur ne pourrait-il pas énumérer restrictivement les conditions de destruction d'un faux ?

Le groupe UC votera ce texte. Puisse-t-il avoir la longévité de la loi Bardoux ! (Sourires et applaudissements)

M. Jean-Claude Requier .  - La loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique, dite loi Bardoux, pourrait être condamnée par son âge. L'ancienneté de la réponse du droit s'oppose à la modernité des pratiques des faussaires : d'où cette proposition de loi, cosignée par les treize sénateurs du RDSE.

Le marché de l'art attend depuis longtemps de nouvelles dispositions juridiques pour lutter contre les fraudes artistiques. Mais veillons à ne pas trop réprimer afin de conserver à la liberté toute sa légitimité : le monde de l'art a ses propres règles. La liberté de création est à l'art ce que la liberté d'expression est à la pensée. Il faut trouver l'équilibre fragile entre protection des oeuvres contre la fraude et liberté de création. Ce texte se focalise sur les atteintes portées à l'oeuvre d'art elle-même.

Le faux artistique ne devrait-il pas être pensé comme une atteinte à la vérité, et donc à l'intérêt général, et non comme une atteinte à un intérêt particulier ? Les oeuvres d'art ne sont pas de simples marchandises, mais un bien commun à tous ; cela s'applique aussi aux nouvelles formes de création.

La fraude s'est étendue aux falsifications relatives à l'état ou à l'origine de l'oeuvre ; elle n'est plus limitée à la signature de l'artiste. Mais la vérité en matière artistique demeure difficile à établir...

La loi Bardoux était peu dissuasive. L'alourdissement des peines contribuera à la crédibilité du marché de l'art français, 4e marché mondial, tout en respectant la liberté de création.

Le RDSE se félicite des apports de la commission et votera cette proposition de loi. (Applaudissements)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au RDSE et à Bernard Fialaire pour cette proposition de loi.

Le phénomène n'est pas nouveau : en 1895, le sénateur Agénor Bardoux était saisi de la question de l'achat, par Alexandre Dumas fils, d'un paysage qui lui avait été présenté comme un Corot, alors qu'il était l'oeuvre d'un peintre bien moins renommé de l'école de Barbizon, Paul-Désiré Trouillebert.

La loi Bardoux n'a jamais été modifiée. Obsolète, trop restrictive, elle ne parvient plus à faire face à la multiplication des fraudes et des transactions illicites. Elle ne vise que les arts existants à l'époque, alors que des formes artistiques nouvelles ne cessent de se développer. Elle ne prend en considération que les faux en signature et les oeuvres protégées par le droit d'auteur, et non les oeuvres tombées dans le domaine public, pourtant largement concernées. L'échelle des peines qu'elle prévoit n'est plus adaptée.

Or on ne peut avoir recours à d'autres dispositifs, comme ceux prévus pour l'escroquerie ou la contrefaçon, car ils ne sont pas adaptés aux fraudes artistiques.

Vendeurs, acheteurs, professionnels du marché de l'art et institutions attendent donc une réforme.

Mais la réécriture de la loi Bardoux est complexe. La lutte contre les faux artistiques n'a pas été une priorité, contrairement aux contrefaçons d'autres secteurs économiques. Les travaux se sont multipliés, dont le colloque de 2017 de la Cour de cassation, le groupe de travail de l'institut Art et Droit, ou la mission du CSPLA.

Bernard Fialaire a le mérite de proposer un nouveau texte. La loi Bardoux combattait un vide juridique ; elle laissera sa place à une loi ancrée dans la modernité, qu'on appellera peut-être, dans quelques années, la loi Fialaire. (Marques d'assentiment sur plusieurs travées)

L'approche retenue place l'oeuvre au centre du dispositif. Elle assure un équilibre entre protection des oeuvres et liberté de création. La définition de la fraude artistique qu'elle retient n'entrave pas les usages non frauduleux de l'oeuvre d'art.

Les circonstances aggravantes lorsque la fraude est commise par un professionnel du marché de l'art ou lorsqu'une institution publique est victime sont bienvenues. Le texte de la commission s'en remet au juge pour décider de la confiscation de l'oeuvre, de sa restitution ou de sa destruction.

En cours de navette, le texte pourra être amélioré par les propositions du CSPLA. Une loi ne résoudra pas tous les problèmes, mais ce texte constitue néanmoins la première pierre de ce chantier, et adresse un signal fort aux fraudeurs.

Le groupe Les Républicains le votera. La loi Bardoux a vécu 128 ans, longue vie à la future loi Fialaire ! (Applaudissements)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La loi Bardoux de 1895 demeure le texte de référence sur la fraude artistique, mais la multiplication et la diversification des pratiques frauduleuses l'ont rendue lacunaire. Le droit existant n'apporte pas de réponse satisfaisante face à la prolifération des faux.

La loi Bardoux ne concerne que certaines formes d'art : peintures, sculptures, dessins, etc. Cette conception énumérative de l'art est éloignée de la diversité des pratiques artistiques. De plus, l'oeuvre doit présenter une signature apocryphe et ne pas être tombée dans le domaine public pour être protégée : tout un pan de l'histoire de l'art n'est pas pris en compte. Enfin, les peines sont bien faibles : l'arsenal de réponse à la fraude mérite d'être musclé.

En tant que second marché de l'art au niveau mondial, nous devons veiller à la sécurité du marché et à la confiance en nos institutions. Rappelons la triste affaire des faux meubles achetés par le château de Versailles entre 2008 et 2012, pour 2,7 millions d'euros.

Une réforme de la loi Bardoux est nécessaire pour protéger le marché de l'art et les institutions, tout en rassurant acquéreurs et artistes.

Une série d'amendements a enrichi le texte, nourri par des auditions qui ont mis en lumière la dimension éminemment complexe de la question. La protection des oeuvres numériques a fait l'objet d'une proposition de loi déposée par Colette Mélot en janvier dernier.

Ce texte va dans le bon sens. Le Sénat donne le coup d'envoi d'une vaste réflexion sur le monde de l'art, qui se nourrira en juillet des conclusions du CSPLA, pour mieux définir le faux en art et simplifier sa détection.

Cette proposition de loi arrive à point nommé : le groupe INDEP l'accueille favorablement. (Applaudissements)

Mme Monique de Marco .  - En 1885, lorsque la loi Bardoux est discutée au Parlement, le peintre Camille Corot est mort depuis dix ans, mais Paul-Désiré Trouillebert est bien vivant. Peut-être lit-il dans les journaux les conclusions du débat parlementaire sur la loi Bardoux, dont l'une de ses toiles, attribuée à Corot, est à l'origine... ? A-t-il éprouvé du plaisir à ce que l'une de ses toiles ait illusionné Alexandre Dumas fils ? De l'amertume à n'être pour l'Histoire qu'un copiste de Corot ? Du cynisme devant les pratiques du marché de l'art, qui placent au second plan l'émotion esthétique ? Ce qui est sûr, ce que Trouillebert est tout autant victime que Corot. La loi Bardoux ne prévoit pas de réhabilitation pour l'auteur véritable de l'oeuvre.

Vieille de plus de 100 ans, elle nécessitait une actualisation. Le GEST accueille favorablement l'initiative de Bernard Fialaire. La création d'un registre des faux facilitera le travail des enquêteurs. La proposition de loi alourdit les peines et prévoit des circonstances aggravantes si le faux est commis en bande organisée ou au détriment d'une personne publique. Elle élargit aussi la qualification du faux.

Mais il faut un meilleur équilibre entre protection des droits patrimoniaux des marchands d'art et protection des artistes. Le droit d'auteur ne doit pas entraver la création. Nous défendrons un amendement pour empêcher la destruction des oeuvres identifiées comme des faux, car ce sont aussi des créations.

La protection des artistes doit être au centre de nos préoccupations, alors que le marché de l'art est en pleine expansion. Il faut prendre en compte les attentes des artistes, et songer à Banksy - l'une de ses oeuvres s'est autodétruite en pleine vente aux enchères -, à Marcel Duchamp et son urinoir, à René Magritte et son tableau Ceci n'est pas une pipe. Quelles retombées les artistes pourraient-ils attendre de ce texte ? Très peu. À nous de veiller à ce que leur liberté d'expression demeure entière.

M. Julien Bargeton .  - Lorsque le peintre baroque Luca Giordano a été traîné devant les tribunaux par le prieur de la chartreuse de Naples pour avoir imité La guérison du paralytique de Dürer, il a été innocenté, le tribunal ayant considéré qu'il avait parfaitement imité le grand peintre allemand, ce qui valait bien un acquittement.

La loi Bardoux arrive à un moment où la vision de l'artiste romantique l'a définitivement emporté. Elle est utile, mais dépassée tant les peines sont insuffisantes. Les fraudes atteignent 6,5 milliards de dollars, soit l'équivalent du chiffre d'affaires de Sotheby's. Les mafias, les organisations criminelles ont investi ce champ.

La photographie n'était pas prise en compte par la loi Bardoux, pas plus, évidemment, que les NFT, nouvelle manière de rémunérer les artistes. Certes, les NFT ne représentent que 1,6 % du marché de l'art, mais c'est toujours plus que le 1 % de la photographie...

Cette proposition de loi est donc une refonte, qui tient compte de ces évolutions en alourdissant les peines. Les amendements améliorent le texte, notamment l'élargissement de la circonstance aggravante aux fraudes pratiquées par des professionnels.

Le RDPI votera ce texte, dans l'attente des conclusions du CSPLA qui devraient l'enrichir. C'est un jalon, une étape utile dans la lutte contre des fraudes qui prennent de l'ampleur avec la montée en puissance des plateformes numériques. (MMJean-Claude Requier et Pierre Ouzoulias applaudissent.)

Mme Véronique Del Fabro .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis la promulgation de la loi Bardoux, le monde de l'art a changé, transformé par la technologie, qui modifie les modes de production et de vente des oeuvres. La 3D, les NFT - qui permettent de numéroter et rendre chaque oeuvre unique - sont apparus. Mais le droit n'a pas suivi. Ainsi, les artistes sont toujours plus exposés à la contrefaçon, notamment ceux qui vendent leurs oeuvres en ligne.

La loi Bardoux n'offre aucune protection contre le vol d'oeuvres. Les artistes doivent recourir à des moyens coûteux pour se défendre, ce qui pousse certains d'entre eux à une surveillance constante dont ils n'ont pas les moyens.

Personne ne conteste la nécessité d'actualiser l'arsenal législatif, dans un objectif de protection des artistes et de transparence du marché. Ce texte apporte des réponses utiles contre les fraudes causant des préjudices aux artistes et aux acquéreurs. Elle élargit le périmètre de l'infraction et alourdit le régime des peines, en se recentrant sur les comportements frauduleux destinés à tromper autrui. Une distinction est opérée entre fraudes portant sur l'oeuvre d'art et fraudes autour de l'oeuvre d'art.

L'angle mort des oeuvres tombées dans le domaine public est désormais couvert.

La création d'un registre des fraudes artistiques est positive. Le rapport du CSPLA enrichira sans nul doute ce texte au cours de la navette.

Le travail du rapporteur a clarifié le texte. Comme l'a dit Max Brisson, le groupe Les Républicains votera la loi Fialaire. Excusez-moi du plagiat ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

ARTICLE 1er

Mme le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

de tromper autrui sur l'identité de son créateur,

par les mots :

de tromper autrui en attribuant l'oeuvre à un autre ou

Mme Monique de Marco.  - Nous proposons de réécrire l'article pour ne pas porter atteinte à la création sous nom d'emprunt. Duchamp, en signant sa fontaine R. Mutt, Romain Gary, en signant Émile Ajar, et Daft Punk, dont on ne connaît toujours pas l'identité, seraient ainsi protégés.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Vous souhaitez éviter que l'infraction créée ne porte atteinte à la liberté de création, mais votre article ainsi réécrit supprime toute référence à la notion de tromperie. La rédaction de la commission ne remet pas en cause la possibilité pour un artiste d'utiliser un pseudonyme. Ceux-ci sont partie intégrante de son identité d'artiste. Il ne faut sanctionner que les cas d'usurpation d'identité. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Les explications du rapporteur sont limpides et précises. Inutile de répéter son propos. J'ai le même avis.

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

Mme le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

Alinéa 5

Remplacer les mots :

, sa nature ou sa composition

par les mots :

ou sa nature

Mme Monique de Marco.  - Cet amendement, dans le même esprit que le précédent, a vocation à protéger le processus de création. Ce n'est pas la matière utilisée qui fait l'oeuvre, mais l'agencement. « Certains peintres transforment le soleil en un point jaune, d'autres transforment un point jaune en soleil », aurait dit Picasso. Laissons les artistes nous illusionner avec la matière qui leur plaira.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Je veux vous rassurer. Il ne s'agit pas de contraindre les artistes à dévoiler leurs secrets de fabrication. Les tromperies sur la composition sont les tromperies sur les matières utilisées, quand elles sont mentionnées, ou l'usage de matériaux faisant perdre à un objet d'art son caractère authentique - pensons à des restaurations excessives. Le terme de composition est repris au décret Marcus qui impose au vendeur un certificat d'authenticité portant sur la nature, la composition, l'origine et l'ancienneté de la chose vendue. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Même avis. Ce débat avait eu lieu dans les années 1980, avec le décret Marcus. Reconnaissons le travail chirurgical du rapporteur, qui a veillé à ne pas porter atteinte à la liberté de création.

L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.

Mme le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.

I.  -  Alinéa 17

Supprimer cet alinéa.

II.  -  Alinéa 21

Supprimer les mots :

, la destruction

Mme Monique de Marco.  - La proposition de loi permet au juge d'ordonner la destruction d'un bien culturel qui s'est révélé être un faux. Le Conseil constitutionnel a rigoureusement encadré cette faculté de destruction dans le cas des armes à feu ; pourquoi l'étendre aux biens frauduleux ? Il y a d'autres solutions, comme l'automaticité de la mise sous séquestre.

Le représentant de l'ADAGP a reconnu que l'on pouvait envisager des alternatives. De plus, songeons aux erreurs d'expertise : une destruction d'originaux est irréversible.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Cette question complexe a occupé beaucoup d'auditions. La destruction n'est pas un outil à manier à la légère. Elle ne se justifie pas pour une oeuvre qui serait seulement revêtue d'une signature apocryphe.

Le texte fournit un panel d'outils au juge pour retirer une oeuvre litigieuse du marché. Il conservera sa liberté d'appréciation.

De nombreux artistes contemporains réclament la possibilité de détruire les faux. Le code général de la propriété des personnes publiques autorise déjà la destruction des oeuvres considérées comme falsifiées en application de la loi Bardoux. La décision appartient entièrement à l'administration des Domaines. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté.

ARTICLE 2

Mme le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Fialaire, au nom de la commission.

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Au même second alinéa, les mots : « détruites, soit déposées » sont remplacés par les mots : « détruits, soit déposés » ;

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - C'est un amendement rédactionnel : un accord d'adjectif qui n'a pas échappé à la sagacité de la commission...

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture.  - Une faute d'orthographe donc, et non un faux ! (Sourires)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°4 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture .  - Si la loi Bardoux a tenu 128 ans, c'est peut-être parce que ses fondements étaient solides, et que la matière est complexe... Il fallait, de la part d'un parlementaire, de l'innocence ou de l'insouciance pour s'y attaquer. Einstein disait que rien n'est plus proche du vrai que le faux ; c'est tout à fait exact en matière d'art ! Comment définir l'intention malveillante, l'acte répréhensible ? Notre auteur, devenu rapporteur, a évolué sur le sujet.

Ce texte était nécessaire, au regard de l'importance du marché de l'art dans notre pays. Il renforcera la lutte contre la fraude. En mon nom et en celui de la commission, je félicite Bernard Fialaire pour la qualité de son travail.

Madame la ministre, vous avez évoqué la directive européenne sur la TVA. Nous ne pouvons que vous encourager à opter pour la troisième des options que vous avez évoquées... (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

M. Max Brisson .  - De l'utilité du Sénat... On peut s'étonner que les exécutifs successifs aient laissé un tel vide législatif se creuser. Il a fallu un parlementaire pour aborder le sujet ! C'est un honneur pour notre institution et pour notre commission. Je souhaite, madame la ministre, que vous fassiez tout pour la poursuite de la navette, quitte à attendre le rapport du CSPLA.

Mme Monique de Marco .  - Les amendements que j'ai proposés avaient pour but de porter certaines interrogations dans le débat ; je voterai ce texte avec enthousiasme !

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)