Garantir la confidentialité des consultations juridiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, présentée par M. Louis Vogel et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe Les Indépendants.

Discussion générale

M. Louis Vogel, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Cette proposition de loi vous sera familière : c'est le prolongement de l'amendement d'Hervé Marseille au projet de loi de programmation et d'orientation du ministère de la justice. Qu'il en soit remercié !

Le dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, le 16 novembre dernier, comme cavalier législatif. Je remercie donc le groupe INDEP de m'avoir offert cette occasion d'y revenir.

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Louis Vogel.  - La commission des lois a réalisé un travail fourni. J'en remercie son président, ainsi qu'Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises, Agnès Canayer pour son éclairage, et la rapporteure Vérien, dont les amendements ont enrichi le texte.

Les 20 000 juristes d'entreprise sont la deuxième profession juridique de notre pays après les avocats. Le rapport de Daniel Soulez-Larivière de 1988 est le premier à avoir abordé le sujet. Ont suivi les rapports Nallet, Guillaume, Darrois, Gauvain et Combrexelle. Tous plaident pour que l'on reconnaisse la confidentialité des avis des juristes d'entreprise. Or cette question déterminante était restée jusqu'ici sans réponse législative.

Le rôle du juriste d'entreprise est toujours plus reconnu ; il se voit déléguer des tâches de l'État, dont il devient l'auxiliaire et prévient les risques juridiques - c'est la conformité, ou compliance. Celle-ci prend de l'ampleur depuis la loi Sapin 2 de 2016.

L'application uniforme des règles à toutes les entreprises et de sanctions a posteriori est inadaptée à des enjeux tels que l'égalité femmes-hommes, l'environnement ou la responsabilité sociale et environnementale (RSE) - je renvoie à la loi sur le devoir de vigilance. Désormais, le contrôle va jusqu'à l'autoévaluation de la législation européenne antitrust.

Les juristes d'entreprise élaborent et appliquent la norme : codes de conduite, alerte, cartographie des risques. L'État n'intervient plus qu'en cas de non-respect de la conformité. Désormais, les directeurs juridiques sont d'ailleurs appelés directeurs juridiques et de la conformité.

Pour inciter les juristes d'entreprise à faire de la prévention et à dénoncer les comportements déviants, il faut éviter tout risque d'auto-incrimination, afin de les protéger en cas de contrôle.

Ce texte équilibré répond aux inquiétudes et adapte notre système juridique aux défis qui l'attendent. Il ne vient pas entraver le travail d'enquête des autorités de contrôle. Au contraire, elles en auront besoin !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah bon !

M. Louis Vogel.  - Au demeurant, l'avis du juriste d'entreprise n'est que rarement cité dans les enquêtes.

La confidentialité de l'écrit du juriste d'entreprise sera inapplicable lorsque ce dernier participe, encourage ou facilite l'infraction. En cas de soupçon, une procédure de levée de la confidentialité est prévue. Enfin, le droit pénal et le droit fiscal sont exclus du champ d'application de la loi.

Il ne s'agit pas de créer une nouvelle profession réglementée. La confidentialité diffère du secret professionnel des avocats et n'est pas liée à la qualité de juriste d'entreprise. C'est une protection in rem, liée à un document spécifique. Elle protège les avis, non les personnes.

Cette proposition de loi entend offrir un cadre juridique compétitif pour les entreprises françaises. Un tel régime de confidentialité existe déjà en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans dix-sept pays de l'OCDE. C'est une arme essentielle de l'attractivité économique.

La proposition de loi évitera l'installation de services juridiques offshore et sera bien plus efficace que les lois de blocage contre les injonctions extraterritoriales, notamment américaines - je l'ai vécu.

Le droit français sera ainsi à l'avant-garde, et pourra inspirer de futurs textes européens. Ce texte ouvrira de nouveaux marchés aux avocats français. (L'orateur martèle son pupitre.) Il va de l'avant : allons-y, sans crainte, pour nos juristes, nos entreprises et notre droit ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Hervé Marseille et Olivier Rietmann applaudissent également.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois .  - Nous avions déjà adopté un dispositif similaire lors de la loi de programmation et d'orientation de la justice, dont j'étais corapporteure avec Agnès Canayer, mais le Conseil constitutionnel l'avait censuré comme cavalier. Nous achevons aujourd'hui le travail.

Nous avons tenté de répondre aux inquiétudes des avocats, divisés, qui redoutent la création d'une nouvelle profession réglementée : le Barreau de Paris y est favorable, le Conseil national des barreaux (CNB) et la Conférence des bâtonniers s'y opposent. Certaines autorités administratives indépendantes (AAI) craignaient quant à elles que cette confidentialité n'obère leur pouvoir d'enquête et de contrôle.

La confidentialité, facteur d'attractivité de la place de Paris, ne portera pas atteinte à la profession d'avocat. La commission des lois a supprimé la référence à la déontologie et à la commission chargée du contenu de la formation de la profession. En outre, la confidentialité est attachée au document et non à la personne du juriste.

Les amendements seront l'occasion de débattre du pouvoir des AAI. La commission a apporté des garanties en renforçant la procédure de contestation et de levée de la confidentialité. Un commissaire de justice sera impliqué en cas de saisie. En outre, une procédure ad hoc définit la contestation et la levée de la confidentialité, qui permettra la saisie, la mise à l'abri du document et le tri par le juge, avec une procédure contradictoire. Les craintes n'ont pas lieu d'être, d'autant que cette confidentialité est garantie chez nombre de nos partenaires européens, sans que ce soit pour autant un Far West de la régulation économique.

Ce texte ne fait pas échec aux objectifs, à valeur constitutionnelle, de sauvegarde de l'ordre public économique et de recherche des auteurs d'infraction. Elle les concilie au contraire avec d'autres principes à valeur constitutionnelle.

La rédaction ne pose pas de problème au regard du droit européen puisque les autorités de contrôle européennes ne se verront pas opposer la confidentialité. Le Gouvernement apportera une précision par amendement.

Le texte est proportionné à l'objectif qu'il poursuit. Les juristes d'entreprise ne pourront pas, ab initio, revêtir leur consultation du privilège de confidentialité ; ils doivent remplir des conditions de qualification, ouvertes par un master 2 en droit. Seules les pièces spécifiquement classées seront concernées.

Garantie importante, la confidentialité n'est pas opposable en matière pénale ou fiscale. Dans les autres matières, elle n'est pas absolue et peut être contestée ou levée dès lors que le juriste d'entreprise a facilité la commission de manquements.

Il serait donc paradoxal de ne pas adopter un texte plus robuste et précis que l'amendement que nous avions voté l'an dernier. J'en remercie l'auteur, Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - L'examen de cette proposition de loi nous permet de poursuivre un travail engagé de longue date. J'en remercie Louis Vogel.

Une avancée avait déjà été votée dans le projet de loi de programmation et d'orientation de la justice, à l'initiative du président Marseille, avec l'appui des rapporteures Mmes Vérien et Canayer. L'Assemblée nationale avait perfectionné le dispositif, avec le rapporteur Terlier et le président Marleix.

M. Laurent Burgoa.  - Quelles références !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Mais le Conseil constitutionnel l'a censuré, pour des raisons de forme. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)

Je redis ici ma volonté de renforcer la fonction juridique au sein de l'entreprise. Le constat est unanime : les entreprises françaises sont soumises à d'exigeantes obligations de conformité, avec des analyses juridiques toujours plus nombreuses - protection des données personnelles, corruption, blanchiment, RSE... Faute de protection, les juristes d'entreprise, mis en difficulté, se contentent d'alertes orales.

Paradoxalement, ils doivent mettre en oeuvre des obligations de conformité et alerter de risques juridiques sans auto-incriminer leur entreprise ! Voilà qui ne favorise pas nos entreprises et nuit à l'attractivité de la France. Les directions juridiques s'établissent dans d'autres pays : dès lors, le droit des contrats de l'entreprise sera étranger.

La confidentialité est ainsi un levier puissant d'attractivité de notre droit, donc de notre pays. Nos entreprises doivent disposer des mêmes outils juridiques que les entreprises étrangères, sachant que la confidentialité existe depuis longtemps dans les pays de common law et de l'Union européenne.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est faux !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'ai déjà soutenu ce legal privilege à la française lors du projet de loi de programmation et d'orientation. Cette proposition de loi reprend le dispositif déjà voté par le Parlement. (Mme Agnès Canayer et M. Olivier Rietmann le confirment.)

Le texte prévoit une protection in rem, attachée non à la personne, mais au document même. Cela change tout ! Il ne crée pas une nouvelle profession réglementée, comme les avocats ou les médecins.

C'est la consultation juridique elle-même qui est couverte, selon trois critères cumulatifs. D'abord, la qualification et la formation du rédacteur de la consultation. Ensuite, le destinataire : le représentant de l'entreprise, son organe de direction, d'administration ou de surveillance. Enfin, la mention expresse, sur le document concerné, de l'identité du rédacteur et un archivage numérique spécifique. Je le répète : aucun autre document de l'entreprise n'est protégé par la confidentialité.

Vous avez retenu un champ d'application assez large - procédures civiles, commerciales et administratives - pour une protection effective, excluant les procédures pénales et fiscales. Cet équilibre devra impérieusement être conservé.

Certains dénoncent une prétendue boîte noire : je ne partage pas ces craintes. Votre commission a affiné le dispositif et prévu des procédures de levée de la confidentialité. Dans tous les cas, le document est appréhendé, en présence des parties, par un commissaire de justice, qui le place sous scellés et le conserve. L'intervention de cet officier public ministériel, prévue par la commission des lois, préserve l'intégrité et la confidentialité du document jusqu'à ce que le juge tranche sur la consultation ; dans l'attente, ni le demandeur ni l'AAI ne peut y accéder.

C'est donc une proposition d'équilibre défendue par la rapporteure, dont je salue le travail de grande qualité. Vos propositions nous permettront d'avancer : soyez-en chaleureusement remerciés. (M. Laurent Burgoa ironise.)

Le juge pourra lever la confidentialité si les conditions légales ne sont pas réunies ou si celle-ci facilite certains manquements.

Le texte ne crée pas davantage une nouvelle profession du droit. Loin de concurrencer les avocats, il renforcera les partenariats existants entre les entreprises et leurs avocats. Les activités juridiques sont des vecteurs de croissance. La filière juridique dans son ensemble en sortira renforcée.

Ce nouveau dispositif ne reproduit pas la confidentialité de nos pays voisins : un legal privilege, oui, mais avec la french touch ! (Rires)

Nous voulons que les juristes d'entreprise puissent accomplir leur travail sans autocensure et conseiller utilement leur employeur. Cela créera un processus vertueux et renforcera l'attractivité économique et juridique de la France. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Hervé Marseille .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) Nous souhaitons clore un débat vieux de trente ans. Je salue le travail de notre rapporteure et de la commission des lois, qui a explicitement prévu que la confidentialité ne serait pas opposable dans une procédure pénale ou fiscale. Il n'est pas question de créer une nouvelle profession réglementée, et la notion de déontologie, qui inquiétait les avocats, a été supprimée.

Mon amendement à la loi de programmation et d'orientation ayant été censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier, je remercie Louis Vogel d'avoir déposé cette proposition de loi, et le groupe INDEP de l'avoir inscrite à son ordre du jour réservé.

Les juristes d'entreprise oeuvrent pour garantir la conformité des actes de leur employeur, alors que le droit occupe une place croissante dans la vie des affaires.

Mais, faute de confidentialité des avis, il y a un risque d'auto-incrimination. Aussi n'est-il pas rare de voir les entreprises françaises établir leur siège juridique à l'étranger ou y transférer des dossiers sensibles. Certaines ont recours à des cabinets anglo-saxons, ce qui réduit l'influence de la place de Paris.

En cas de litiges transnationaux, les entreprises françaises bénéficient de la confidentialité, mais ce n'est pas le cas en France.

Notre groupe votera cette proposition de loi, en espérant que l'Assemblée nationale l'examinera rapidement. Déjà votée dans nos deux Chambres, elle devrait pouvoir être facilement adoptée par le Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDSE ; Mme Agnès Canayer et M. Laurent Somon applaudissent également.)

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Bravo !

Mme Mélanie Vogel .  - « Cela revient à créer ce qu'on appelle un coffre-fort juridique » disait Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, de l'idée de soumettre les travaux des juristes d'entreprise à la confidentialité.

La proposition de loi poursuit le même objectif qu'en 2015 : chaque note ou rapport deviendrait potentiellement confidentiel. Les entreprises ne seraient plus tenues de remettre les documents à une autorité de contrôle ou même à l'autorité judiciaire.

Une telle confidentialité fragiliserait le bon fonctionnement de notre système judiciaire mais aussi notre économie : le secteur privé serait moins contrôlé. L'Agence française anti-corruption ou l'Autorité de la concurrence auraient du mal à accomplir leurs missions. Idem pour l'Autorité des marchés financiers (AMF), dont les compétences ont été renforcées pour éviter une nouvelle crise financière : les opérateurs financiers seraient moins contrôlables.

Alors que nous disposons de mécanismes plutôt solides contre le blanchiment d'argent, la confidentialité réduirait nos efforts à néant.

La droite sénatoriale, aveuglée par le mirage d'un renforcement de notre attractivité, refuse de voir le danger. Il n'y a pourtant aucun rapport entre confidentialité et attractivité ! (M. Éric Dupond-Moretti le réfute.) Si vous mettez quelque chose dans un coffre-fort, c'est que vous avez quelque chose à cacher. (MM. Laurent Burgoa et Éric Dupond-Moretti ironisent.)

La confidentialité risque plutôt de fragiliser notre économie. Le texte ne prévoit pas de garde-fous, malgré quelques avancées en commission. Les juristes d'entreprise sont liés par un lien de subordination, à la différence des avocats, qui prêtent serment. Il n'y a pas d'indépendance dès lors qu'il y a contrat de travail ! Le GEST votera contre ce texte.

M. Ian Brossat .  - Le monde des affaires essaie d'imposer un tel texte depuis dix ans.

En cas de litige ou de conflit, les entreprises, surtout les plus importantes, consultent leurs juristes. Les documents produits dans ce cadre pouvaient être remis aux autorités de contrôle. Ce ne sera plus possible : le juge des libertés et de la détention (JLD) devra être consulté. Pourtant, ces avis sont des mines d'informations sur les abus ! Ce texte protège outrancièrement les intérêts des entreprises, de l'aveu même d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie qui parlait d'un risque de « boîte noire ». Les juristes d'entreprise pourront ajouter artificiellement quelques éléments de droit pour obtenir la confidentialité d'un document.

Si les consultations des avocats sont couvertes par le secret, c'est en échange d'obligations éthiques et d'information. Or le juriste d'entreprise est, lui, subordonné à l'entreprise. Il peut devenir complice ou victime d'une hiérarchie mal intentionnée. La loi Sapin 2 protège les lanceurs d'alerte, mais cette proposition de loi les met en danger.

Avec cette proposition de loi, la juriste Houria Aouimeur-Milano n'aurait pas pu dénoncer des détournements de fonds à l'AGS en 2019.

Cette proposition de loi sera source de contentieux alors que les juridictions sont déjà surchargées. Pour protéger l'intérêt général, nous voterons contre. (MmeCécile Cukierman et Mélanie Vogel, ainsi que M. Francis Szpiner applaudissent.)

M. Michel Masset .  - Difficile pour les non-spécialistes d'évaluer la portée de cette proposition de loi. À la différence des avocats, notaires et architectes, les juristes d'entreprise ne sont pas une profession réglementée. Ce sont des salariés titulaires d'un diplôme de droit, chargés de veiller à la conformité de l'entreprise avec son environnement juridique. Leurs compétences sont variées : droit fiscal, propriété intellectuelle, entre autres...

Le développement de la RSE et l'importance croissante de la protection des données tendent à leur conférer un rôle croissant dans les procédures de mise en conformité. Leur activité est fortement concurrentielle : les pays de common law sont souvent en avance.

Cette proposition de loi modifie la loi du 31 décembre 1971 et introduit un principe de confidentialité sur les avis donnés par les juristes d'entreprise.

Louis Vogel a souligné que la confidentialité s'attachait non aux personnes, mais aux avis, contrairement aux avocats.

Ces consultations devront comporter la mention expresse « confidentiel-consultation juridique-juriste d'entreprise », et l'usage abusif sera puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. C'est nécessaire pour éviter les abus. La confidentialité ne pourra pas être invoquée en matière fiscale ou pénale.

Le RDSE présentera un amendement visant à préserver expressément les prérogatives des régulateurs.

La commission des lois a resserré les conditions d'accès à la confidentialité, notamment les conditions de diplôme, et précisé les conditions de levée de la confidentialité. Elle a évité la création d'une nouvelle profession réglementée.

Le RDSE votera favorablement, sous réserve de l'adoption des modifications proposées. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Nicole Duranton .  - Ce texte vise à clore un débat récurrent depuis trente ans.

Cinquante ans après la loi du 31 décembre 1971, la France est l'un des rares pays à ne pas protéger la confidentialité des avis des juristes d'entreprise, comme le soulignait le rapport du député Gauvain du 26 juin 2019.

L'amendement voté l'an dernier a été censuré par le Conseil constitutionnel. Ce texte le reprend, pour nous rapprocher du legal privilege des pays de common law.

Les services juridiques français sont bien moins protégés que ceux des entreprises étrangères, et risquent d'être délocalisés. En instaurant la confidentialité, nous plaçons nos entreprises à égalité avec leurs concurrentes étrangères. Elles pourront ainsi s'épanouir dans le contexte international, à l'heure de la réindustrialisation et du renforcement de la souveraineté économique.

Point de pouvoir discrétionnaire : la confidentialité ne s'appliquera pas aux procédures pénales ou fiscales ; le juge pourra toujours ordonner la levée de la confidentialité.

En cas d'abus, la mention « confidentiel » pourra faire l'objet de poursuites pénales  - un garde-fou supplémentaire qui évitera tout détournement par des entreprises qui voudraient dissimuler des documents.

Les représentants des avocats sont divisés. Je tiens à les rassurer : le principe de confidentialité vaudra uniquement pour les titulaires d'un master en droit. Il ne s'agit pas de créer un statut d'avocat d'entreprise. Les avocats, eux, respectent des contraintes déontologiques exigeantes.

Cette proposition de loi répond à un besoin crucial de nos entreprises. Le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le statut des juristes d'entreprise reste flou, comme la rapporteure l'a noté à la page 5 de son rapport... Je n'ai d'ailleurs toujours pas compris la définition de juriste d'entreprise.

Le débat sur le legal privilege dure depuis des décennies : l'urgence à voter une telle disposition est donc toute relative...

Monsieur le garde des sceaux, il est inexact d'affirmer que la plupart des pays européens ont mis en place cette confidentialité.

Vous dites vouloir renforcer l'attractivité de la France, mais notre pays est déjà doté d'un cadre juridique solide et protecteur. Paris est devenu la première place financière en Europe en 2022. Faut-il rivaliser avec les pays de common law ? Cette mesure présente de nombreux risques, comme le risque d'entrave aux enquêtes des autorités de régulation. Ne nuisons pas à notre droit de la preuve, n'affaiblissons pas notre système de régulation !

Certes, la confidentialité ne serait pas opposable en cas de procédure pénale ou fiscale, mais elle le serait dans nombre de procédures civiles, ou pour celles menées par l'AMF, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ou l'Autorité de la concurrence, qui verraient leur pouvoir de contrôle limité. Des régimes probatoires différents seraient instaurés.

Je remercie Ian Brossat d'avoir rappelé qu'Emmanuel Macron refusait ce système de « boîte noire ». Nous défendrons un amendement visant à ne pas opposer la confidentialité aux demandes de ces trois AAI.

Plus globalement, nous courons le risque d'être à contre-courant des attentes de la société en matière de transparence et de responsabilité, qu'il s'agisse d'atteintes à l'environnement ou de droit du travail.

Nous soutiendrons ce qui renforce la souveraineté économique de la France mais restons vigilants sur la protection de certaines garanties essentielles. N'oublions pas la transparence, la responsabilité et le respect des droits fondamentaux.

L'instauration d'un nouveau principe ne saurait aller à l'encontre des prérogatives des autorités de contrôle. Notre position finale dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)

Mme Audrey Linkenheld.  - C'est très clair !

Mme Agnès Canayer .  - Les questions de privilèges et de confidentialité en matière de justice font souvent peur.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027, dont j'étais corapporteure avec Mme Vérien, nous avions fait adopter une telle mesure pour les juristes d'entreprise, censurée par le Conseil constitutionnel au nom d'une application stricte de l'article 45 de la Constitution.

Je me réjouis que la proposition de loi de Louis Vogel reprenne cette mesure, en prévoyant la confidentialité des consultations écrites des juristes d'entreprise sous certaines conditions, dans les matières civiles, commerciales et administratives.

Vieux d'une trentaine d'années, ce débat mérite désormais d'être clos. Les juristes d'entreprise sont prisonniers d'un paradoxe : alerter leurs dirigeants en évitant les risques d'auto-incrimination. Le dispositif proposé renforcera la mise en oeuvre de l'intérêt général au coeur de l'économie. La France ne peut pas rester à l'écart des autres pays de l'OCDE et de l'Union européenne - le risque est que, de plus en plus, même si les sociétés restent en France, elles recrutent des juristes anglo-saxons.

Nous nous réjouissons toutefois des tempéraments qu'apporte cette proposition de loi. Je pense en particulier à l'obligation d'être titulaire d'un master - ou d'une maîtrise - et de huit ans d'expérience.

Notre intention n'est pas de créer une nouvelle profession réglementée. La confidentialité ne doit pas non plus être confondue avec le secret professionnel des avocats. La sanction pénale d'une mention frauduleuse de la confidentialité est bienvenue ; elle est alignée sur celle prévue en cas de violation des conditions d'exercice de la profession de juristes d'entreprise.

Sur l'initiative de la rapporteure Vérien, la confidentialité ne sera pas opposable en matière fiscale et pénale. Un juste équilibre a ainsi été trouvé. Dans sa grande majorité, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. Alain Marc .  - Sous des dehors techniques, cette proposition de loi traite de sujets importants : l'efficacité et la modernisation de notre système juridique.

De plus en plus de dispositions font peser sur les entreprises elles-mêmes un premier contrôle de leurs obligations : il leur appartient de se surveiller et de se corriger. Je me félicite que ce texte facilite la mise en conformité des entreprises concernées par ces réglementations.

Toutefois, il ne conduira pas les services de l'État à se dessaisir. Afin de maintenir l'ordre public économique, ils doivent continuer d'opérer des contrôles et de sanctionner les manquements. La confidentialité ne fera pas obstacle aux poursuites des AAI et n'empêchera pas l'ouverture d'une enquête ou la constatation d'une infraction.

Les exceptions prévues en matière pénale et fiscale ne sont pas incohérentes, bien au contraire. Il peut exister une différence de procédure entre l'administratif et le pénal, la confidentialité ne s'appliquant que dans le premier cas. La matière fiscale, elle, est généralement traitée par des opérateurs extérieurs ou par la direction financière.

Je salue le travail de fond accompli par la commission des lois et la rapporteure Dominique Vérien. La commission a notamment renforcé la procédure de contestation et de levée de la confidentialité des documents susceptibles d'intéresser les autorités de contrôle. En particulier, une procédure ad hoc est créée dans le cas d'une simple demande de consultation, un moyen d'action courant des autorités administratives. Le placement sous scellés de la consultation et sa conservation par un commissaire de justice, tiers de confiance, sont également prévus.

La confidentialité des consultations des juristes d'entreprise ne remettra donc pas en cause les pouvoirs d'investigations des autorités de contrôle, qui garantissent l'ordre public économique.

Le groupe INDEP appelle les sénateurs de tous bords à voter ce texte, qui assure un équilibre entre un cadre juridique efficace et compétitif pour les acteurs économiques français et le maintien des pouvoirs de contrôle et d'enquête des autorités. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. François Patriat et Laurent Somon applaudissent également.)

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Président de la délégation sénatoriale aux entreprises, j'ai pour obsession et pour devoir de m'interroger sur ce qui handicape les entreprises françaises dans un environnement très concurrentiel. Le statut des juristes d'entreprise fait partie des faiblesses qu'il nous est possible de corriger.

Plusieurs rapports parlementaires ont souligné la menace de mesures extraterritoriales. En dix ans, sur vingt-six condamnations prononcées par des juridictions américaines au nom des lois anticorruption, vingt et une visaient des entreprises non américaines, dont cinq françaises. Difficile de ne pas y voir une utilisation du droit dans le cadre d'une guerre commerciale. Nous devons nous en protéger, ce qui passe par l'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents concernés en matière civile, commerciale ou administrative.

Ce texte renforcera l'attractivité de la France pour les entreprises qui seraient tentées de délocaliser, a minima, leur direction juridique. Ce n'est pas une menace à prendre à la légère : nous sommes régulièrement alertés par des entreprises qui ont dû se résoudre à délocaliser des services, en raison d'obstacles administratifs ubuesques ou de la pénurie de foncier.

Il est temps de mettre fin à notre désavantage compétitif juridique. Les normes applicables aux entreprises se sont multipliées ces dernières années. Comme je le rappelle dans mon rapport sur la sobriété normative, en vingt ans, le code l'environnement a crû de 653 %, le code de commerce de 364 %... La mise en oeuvre de la directive CSRD compliquera encore la tâche des entreprises et accroîtra le rôle central du juriste d'entreprise.

Je soutiens sans réserve l'initiative de Louis Vogel, d'autant que le cadre proposé par Dominique Vérien, équilibré, répond à l'attente des entreprises françaises. Cette mesure ne concernera pas seulement les grands groupes : dans nos territoires, nous rencontrons régulièrement des pépites qui seront les leaders mondiaux de demain si nous savons leur offrir un cadre juridique protecteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Discussion des articles

Article 1er

M. Claude Raynal .  - Pour la deuxième fois en quelques mois, nous débattons de la confidentialité pour les juristes d'entreprise.

Que voulons-nous faire ? Protéger les entreprises contre les ingérences étrangères et éviter leur auto-incrimination. Le juriste d'entreprise joue un rôle majeur dans la prévention des risques, mais il lui faut un régime juridique adéquat.

Que voulons-nous éviter ? Il ne s'agit pas de créer un régime probatoire différent, ni d'entraver les pouvoirs d'enquête des autorités indépendantes. Nous voulons éviter aussi toute non-conformité au droit européen. Enfin, veillons à ne pas envoyer de signaux contradictoires en matière de blanchiment des capitaux, alors que la France est candidate à l'accueil de l'autorité européenne anti-blanchiment.

Je défendrai un amendement tendant à prévoir l'inopposabilité de la confidentialité à trois autorités administratives : AMF, ACPR, Autorité de la concurrence.

Les intentions du texte sont louables, mais gardons-nous de mettre à mal un système de contrôle que de nombreux pays nous envient.

M. Francis Szpiner .  - Enfin, nos entreprises vont bénéficier de la croissance dont les prive l'absence de legal privilege pour leurs juristes... Quelle fable ! Je mets au défi les partisans de ce texte de me donner la liste des entreprises qui se sont délocalisées pour cette raison.

Qu'est-ce qu'un juriste d'entreprise ? La définition n'existe pas. Le texte prévoit qu'il doit être titulaire d'un master en droit, ou d'un master - de quoi ? - ou d'un diplôme étranger équivalent. Dans votre grande générosité, vous permettez même au titulaire d'une maîtrise, après huit ans, d'être considéré comme ayant un master.

Cette sous-profession réglementée que vous voulez créer, vous prévoyez de la former, mais on ne sait pas comment.

Je voterai l'amendement de M. Raynal, car le secret ne doit pas être le paravent de turpitudes. Nous devons être intraitables en matière de lutte anti-blanchiment.

Quel est votre but ? C'est l'avocat en entreprise : ayez le courage de le dire, au moins les choses seront claires ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Jean-Claude Tissot applaudissent également.)

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission.

I. - Alinéa 3

Supprimer les mots : 

au profit de son employeur

II. - Alinéa 8

Remplacer les mots :

et d'une traçabilité particulières

par les mots :

du rédacteur et d'un classement particulier

III. - Alinéa 31 

Après le mot : 

procédures

insérer le mot : 

judiciaires

L'amendement rédactionnel n°11, accepté par le Gouvernement, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle d'avocats

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cet amendement confie la formation des juristes d'entreprise, non pas à l'école vétérinaire, monsieur Szpiner,...

M. Francis Szpiner.  - Merci de cette précision !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - ... mais aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA). Voilà qui devrait vous plaire...

M. Francis Szpiner.  - Non !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'avocat en entreprise, ce sont les avocats qui n'en veulent pas.

Je suis un homme de concertation : j'ai essayé de mettre tout le monde autour de la table, mais il n'y a pas d'accord. J'entends vos propos - vous n'êtes pas n'importe quel avocat, mais vous êtes un avocat parmi d'autres. Je rappelle que ce dispositif a déjà été voté par les deux assemblées.

Pour nourrir le débat - je n'imagine pas que ce puisse être pour une autre raison... -, il est devenu courant d'aller chercher de vieilles déclarations pour nous les opposer. Je tiens à votre disposition une interview de 2017 dans laquelle le Président de la République rappelait avoir été corapporteur de la commission Darrois, qui recommandait, dès 2009, de protéger la confidentialité de la correspondance des juristes d'entreprise.

Il est donc faux de dire que le Président de la République a changé de pied. Par ailleurs, en dix ans, la situation peut changer... (Sourires)

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis favorable. L'amendement prévoit les conditions de formation par le CRFPA. Cela lève une des inquiétudes de Me Szpiner.

M. Francis Szpiner.  - Je ne m'exprime pas ici en tant qu'avocat, mais en tant que parlementaire !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Le CRFPA est une bonne formation, vous n'en disconviendrez pas...

M. Francis Szpiner.  - Je m'exprime ici comme sénateur et sans esprit corporatiste. Si les juristes d'entreprise sont si bons, pourquoi vouloir les faire former par les cabinets d'avocats ? Je ne comprends pas, ou je crains de trop bien comprendre... (Mme Elsa Schalck acquiesce.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cet amendement confirme qu'il y avait bien un problème de formation -  M. Szpiner avait raison sur ce point.

L'exposé des motifs de l'amendement témoigne d'une grande confusion. Il est question d'indépendance, d'éthique et de déontologie. Mais le sujet, c'est la confidentialité.

Qu'est-ce qu'un juriste d'entreprise ? C'est une personne qui met un tampon « juriste d'entreprise » sur ses documents...

Je ne comprends pas bien l'objet de la formation prévue. On parle de la grande compétence des avocats en matière d'indépendance, mais, pas de chance, ce n'est pas du tout le cas des juristes d'entreprise... On est dans le flou. Et, quand il y a un flou,... (Plusieurs sénateurs du groupe SER terminent la phrase : « il y a un loup ! »)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - On critique l'absence de formation. Dans un esprit de coconstruction, je propose donc une formation par le CRFPA. Mais vous êtes difficile à rassurer, madame la sénatrice... La pratique de la consultation juridique fait partie intégrante de la formation dispensée dans ces centres. Au reste, je n'ai entendu personne mettre en doute la qualité de la formation qu'ils assurent.

M. Francis Szpiner.  - Il y aura un examen ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il y aura déjà une formation, ce qui n'était pas prévu dans le texte déjà voté lorsque vous n'étiez pas sénateur. Mais je me félicite de l'éclairage que vous nous apportez : vous êtes un peu le phare de la pensée juridique de ce texte. Vous demandiez une formation ? Je vous en propose une, et je pense qu'elle est sérieuse.

M. Louis Vogel.  - Bravo !

L'amendement n°9 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 10, première phrase

Après les mots :

Sous réserve

insérer les mots :

de leur pouvoir de contrôle par les autorités de l'Union européenne et

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cet amendement vise à rappeler le pouvoir de contrôle de l'Union européenne.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis favorable. La hiérarchie des normes s'applique naturellement, mais cela va mieux en le disant.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Si Philippe Bas était là, il nous aurait fait une déclaration sur la loi bavarde ! Comment la commission peut-elle s'accommoder d'un tel amendement ? Nous le voterons, mais tout cela est très étrange...

L'amendement n°10 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

I.  -  Alinéa 10, première phrase

Supprimer les mots :

y compris à une autorité administrative, française ou étrangère

II.  -  Alinéa 14, deuxième phrase

Supprimer les mots :

ou l'autorité administrative ayant engagé la procédure

et les mots :

ou de l'autorité administrative

III.  -  Alinéas 16 à 18

Supprimer ces alinéas.

IV.  -  Alinéa 21, première phrase

Supprimer les mots :

ou l'autorité administrative

V.  -  Alinéas 25 à 29

Supprimer ces alinéas.

M. Ian Brossat.  - Nous nous inquiétons des implications de cette proposition de loi à l'égard des autorités indépendantes, dont les travaux sont une mine d'informations sur les abus des entreprises. Les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence ou de l'Agence française anticorruption, par exemple, se verront interdire l'accès aux documents. Une forme d'opacité est mise en place au profit des multinationales. Cet amendement vise à rendre la confidentialité inopposable aux autorités administratives.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Avis défavorable. Cette exemption doit se borner aux matières pénale et fiscale. En outre, votre amendement supprime la procédure de levée de la confidentialité... Il réduirait donc les possibilités d'action des autorités administratives par rapport au système que nous proposons.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Alinéa 11

Remplacer les mots :

pénale ou fiscale

par les mots :

en matière civile, commerciale, fiscale, ou pénale ou en cas d'une demande par une autorité publique indépendante ou d'une autorité administrative indépendante

Mme Mélanie Vogel.  - Cette proposition de loi empêchera les autorités indépendantes d'avoir accès à des documents importants pour vérifier l'activité des entreprises. Cet amendement corrige ce problème en prévoyant que la confidentialité ne leur sera pas opposable dans le cadre de leurs pouvoirs d'enquête et de sanction. Le dispositif actuel conduirait à réduire abusivement leur capacité à exercer leurs missions.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Raynal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 11

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

La confidentialité n'est pas opposable aux autorités visées aux articles L. 612-1 et L. 621-1 du code monétaire et financier et à l'article L. 461-1 du code de commerce dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs d'enquête, de contrôle et de sanction.

M. Claude Raynal.  - La confidentialité des consultations ne saurait être opposable à l'AMF, à l'ACPR et à l'Autorité de la concurrence. Cela ne remet pas en cause la lutte contre les ingérences étrangères, non plus que l'applicabilité du dispositif aux procédures civiles et commerciales.

Le texte sur les juristes d'entreprises a déjà été voté, mais le Parlement, heureusement, a déjà changé d'avis. Errare humanum est, perseverare diabolicum.

M. le président.  - Amendement identique n°4 rectifié bis, présenté par Mme Duranton, MM. Bitz, Buis et Buval, Mme Cazebonne, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger et M. Théophile.

Mme Nicole Duranton.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°8 rectifié, présenté par Mme N.  Delattre, M. Masset, Mme M. Carrère, MM. Bilhac, Daubet et Fialaire, Mme Girardin, M. Guérini, Mme Pantel et MM. Roux et Gold.

M. Michel Masset.  - Les autorités publiques doivent pouvoir accéder aux documents pour préserver leurs capacités d'enquête. En droit de la concurrence, la confidentialité est contraire à la jurisprudence européenne.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Je serai un peu longue, mais nous sommes au coeur du dispositif. Toutefois, peu de suspense : la commission est défavorable à tous ces amendements.

Ces amendements étendent l'inopposabilité de la confidentialité aux procédures des autorités administratives mentionnées. Le périmètre que nous avons retenu est le bon. Aller au-delà conduirait à dévitaliser le dispositif.

Nous avons amélioré la rédaction du texte initial, avec une procédure de saisie par un tiers de confiance, le commissaire de justice. Madame Vogel, le coffre-fort pourra donc être saisi et son contenu examiné.

La procédure de levée de la confidentialité répond à l'éventuel comportement non-coopératif d'une entreprise ou au contournement de son devoir de communication au nom de la confidentialité. Les craintes des autorités administratives sont donc apaisées.

La protection de l'ordre public économique et la recherche des auteurs d'infraction sont deux objectifs à valeur constitutionnelle. Toutefois, le législateur peut les concilier avec d'autres principes de même valeur. À défaut, il faudrait abolir toute forme de secret, y compris pour les avocats...

Les conditions de bénéfice de la confidentialité et les procédures de levée et de contestation évitent ainsi toute entrave excessive à l'exercice des pouvoirs de contrôle et d'enquête.

S'agissant du droit européen, la direction générale du Trésor et la direction des affaires civiles et du sceau nous ont rassurés quant au respect de la jurisprudence Akzo de la Cour de justice de l'Union européenne. Nous demeurons ouverts à une consolidation dans le cadre de la navette. La Belgique n'a pas fait l'objet d'un recours en manquement, alors que ses autorités indépendantes se voient opposer la confidentialité.

Une place attractive est une place correctement régulée. Ce dispositif n'est pas une dérégulation massive : les moyens d'action des autorités demeurent. On est bien loin du Far West !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - On peut l'amender, alors !

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Certaines entreprises risquent en permanence de s'auto-incriminer. Il faut un dialogue de conformité nourri entre régulateur et régulé.

L'amendement n°2 prévoit une inopposabilité en toute matière qui retirerait tout intérêt au dispositif. En outre, il écarte une autorité administrative non indépendante, comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Les autres amendements visent une inopposabilité plus limitée, mais on pourrait se demander pourquoi ils ne mentionnent que trois agences, et non, par exemple, l'agence française anticorruption...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ces amendements videraient de son intérêt le mécanisme de la proposition de loi. Certes, monsieur Raynal, on peut changer d'avis, mais le vote a eu lieu il y a quatre mois.

L'amendement n°2 écarte de facto le principe de confidentialité dans tous les cas envisageables : il ne resterait rien du dispositif. Quant aux autres, ils le videraient grandement de sa portée.

Le mécanisme de confidentialité répond au souci conjugué d'attractivité du droit et de vitalité de l'économie. Derrière le droit, il y a des emplois. Le juriste d'entreprise doit pouvoir faire son travail sans autocensure et devenir un relais interne des autorités de contrôle, dans un processus vertueux.

Je comprends votre souci de préserver l'efficacité des enquêtes et du contrôle, et le partage - c'est le sens des travaux que j'ai menés. D'où l'inopposabilité de la confidentialité en matière fiscale et pénale et la limitation de cette protection à certains documents. L'ensemble des documents fondant la consultation juridique pourront être saisis : nul doute que l'Autorité de la concurrence saura en tirer toutes les conclusions qui s'imposent.

Enfin, les conditions formelles, comme l'archivage et la qualification, sécurisent le dispositif, qui prévoit le recours à un juge et à une procédure contradictoire de levée de la confidentialité, dont toute utilisation frauduleuse est pénalement répréhensible. Autant de précautions contre le dévoiement du mécanisme.

En réduire encore le champ empêcherait la réforme d'atteindre l'objectif d'attractivité de la France et de faire de nos juristes les acteurs de la conformité de l'entreprise.

M. Claude Raynal.  - Je ne suis pas du tout convaincu. Je rappelle que la confidentialité serait toujours opposable dans les litiges commerciaux, civils et administratifs : les amendements identiques ne vident nullement le texte de son sens.

En outre, je ne suis pas sûr qu'une entreprise, si elle veut éviter une lourde amende et l'interdiction d'accéder au marché américain, puisse s'opposer aux demandes des autorités américaines...

Lors de la création de l'agence française anti-corruption, Philippe Bas, alors président de la commission des lois, disait que l'objectif était de ne pas pénaliser les entreprises françaises à l'étranger. De même pour la concurrence.

Il est faux d'affirmer que la France serait l'un des seuls pays européens à ne pas prévoir de confidentialité. C'est une idée reçue ! Dans les trois pays de l'OCDE qui la prévoient, les juristes d'entreprise sont une profession réglementée...

À la demande du groupe UC, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°121 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 260
Pour l'adoption   34
Contre 226

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

À la demande du groupe UC, les amendements identiques nos1, 4 rectifié bis et 8 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°122 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 140
Contre 199

Les amendements identiques nos1, 4 rectifié bis et 8 rectifié ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

et par les lanceurs d'alerte mentionnées au I de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et par les personnes mentionnées à l'article 6-1 de la même loi 

Mme Mélanie Vogel.  - Cette proposition de loi ne doit pas porter une atteinte démesurée à la protection des lanceurs d'alerte, prévue par les lois Sapin 2 et Waserman. Par exemple, un lanceur d'alerte transmettant des documents à un journaliste sur un cas de maltraitance animale dans une entreprise agroalimentaire serait susceptible d'être identifié par celle-ci, qui pourrait porter plainte pour diffamation, procédure bâillon pourtant empêchée par les lois que je viens de citer. Avec ce texte, le lanceur d'alerte ne pourrait transmettre pour sa défense des documents confidentiels, même s'il en est l'auteur.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Brossat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 12

Compléter cet alinéa par les mots :

et par le lanceur d'alerte conformément au chapitre II de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

M. Ian Brossat.  - C'est le même esprit : la loi ne doit pas fragiliser les lanceurs d'alerte.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Ces dispositions semblent superfétatoires, la confidentialité des délibérations des juristes d'entreprise étant prévue par l'article 6 de la loi Sapin 2. Retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Même avis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous sommes tous soucieux de protéger les lanceurs d'alerte. Nous voterons donc ces amendements. Il y a quelques instants, la commission jugeait bien utile d'intégrer au texte une disposition satisfaite...

L'amendement n°3 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°6.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Article 2

M. Francis Szpiner .  - Marie-Pierre de La Gontrie se demandait ce qu'est un juriste d'entreprise. À l'issue de ces débats, le mystère reste entier...

Selon le texte, les titulaires d'une maîtrise en droit seront considérés, après huit ans de pratique, comme titulaires d'un master : je m'étonne qu'un ancien président d'université comme M. Vogel n'y trouve rien à redire. Par ailleurs, il est prévu que les juristes d'entreprise justifiant à la date d'entrée en vigueur de cette loi de l'achèvement de leur formation initiale - laquelle ? - seront considérés comme ayant suivi une formation initiale conforme aux exigences de la loi... Tout cela est totalement illisible !

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par Mme Vérien, au nom de la commission.

I. - Alinéa 1

1° Après le mot : 

entreprises

insérer les mots : 

ou administrations publiques

2° Remplacer les mots : 

aux termes 

par les mots : 

pour l'application

II. - Alinéa 2

Remplacer les mots : 

aux termes 

par les mots : 

pour l'application

L'amendement rédactionnel n°12, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Après l'article 2

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié ter, présenté par MM. Le Gleut et Belin, Mme Berthet, MM. J.B. Blanc, Brisson et Bruyen, Mme Dumont, M. Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mme Gosselin, M. Gremillet, Mme Joseph, MM. D Laurent et Lefèvre, Mme Lopez, M. Meignen, Mme M. Mercier, MM. Panunzi, Paul, Pernot, Rapin et Saury, Mme Belrhiti et M. Houpert.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les personnes inscrites sur la liste mentionnée à l'article L. 421-1 du code de la propriété intellectuelle qui exercent à titre de salarié d'une entreprise sont réputées satisfaire à la condition prévue au 1° du I de l'article 58-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans sa rédaction résultant de la présente loi.

M. Ronan Le Gleut.  - Les brevets d'invention touchent à la compétitivité de nos entreprises.

Dans une décision du 27 avril 1999, un juge américain a ordonné une procédure de discovery - saisie-contrefaçon en français - contre les intérêts de Rhône-Poulenc, car il n'existe pas de confidentialité des consultations juridiques en matière de brevets d'invention.

Dès lors, les conseils d'entreprise n'exercent plus leur profession qu'oralement afin d'éviter de laisser des traces écrites : c'est une hérésie, à laquelle cet amendement répond.

Ces salariés ne sont malheureusement pas couverts par la proposition de loi, n'étant pas titulaires d'un master en droit, mais d'un diplôme d'ingénieur et de qualifications en propriété industrielle.

Ainsi, nous protégerons nos entreprises françaises et nos intérêts nationaux.

Mme Dominique Vérien, rapporteure.  - Nous comprenons votre souhait, mais nous n'avons pas pu interroger les personnes auditionnées sur ce sujet. Mon avis est donc défavorable en l'état. J'espère que l'Assemblée nationale se saisira du problème lors de la navette, nous en discuterons ensuite.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'objet du texte est de garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, dont presque tout le monde sait qui ils sont. (Sourires)

La confidentialité est attachée au document, non à la personne.

Les conseillers en propriété industrielle ne sauraient se voir étendre le bénéfice de la confidentialité au seul motif de leur activité réglementée. Avis défavorable.

M. Ronan Le Gleut.  - Tenant compte des arguments de la rapporteure, je retire mon amendement.

L'amendement n°7 rectifié ter est retiré.

L'article 3 est adopté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Du sort de notre amendement relatif aux autorités de régulation dépendait notre position sur le texte. Le Sénat n'a pas adopté l'amendement : nous voterons contre.

M. Michel Canévet.  - En cohérence avec la position établie avec la Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux, nous serons quelques-uns au groupe UC à voter contre ce texte.

M. Louis Vogel.  - Merci à la rapporteure et aux membres de la commission des lois -  même s'il est difficile de convaincre monsieur Szpiner.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Vous changez d'avis ?

M. Louis Vogel.  - Mme de La Gontrie, c'était un raisonnement d'avocat : nous voterons bien sûr ce texte ! (Rires)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°123 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption 220
Contre 111

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Francis Szpiner applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.