Service des études juridiques

La présente étude est un instrument de travail destiné à Mmes et MM. les Sénateurs. Elle a pour objet de résumer à leur attention la nouvelle jurisprudence du Conseil Constitutionnel relative à la qualité de la loi. Elle ne saurait donc engager le Sénat.

AVANT-PROPOS

Au cours des dernières années, des efforts importants ont été accomplis pour rendre plus facilement accessibles les normes de droit : la codification s'est accélérée, des banques de données juridiques ont été constituées et des textes consolidés ont été mis en ligne, en particulier sur le site Légifrance.

Dans le même temps, les pouvoirs publics se sont montrés plus soucieux de la qualité de la rédaction des textes normatifs.

Ainsi un Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires , élaboré conjointement par des membres du Conseil d'Etat et le Secrétariat général du gouvernement, a-t-il été rédigé. Il vise à présenter l'ensemble des règles, principes et méthodes devant être observés dans la préparation des textes normatifs, lois, ordonnances, décrets et arrêtés. Conçu comme « un ouvrage de référence », il poursuit l'objectif de « ne faire que des textes nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides ».

Cette préoccupation est du reste partagée au niveau communautaire. Ainsi le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont-ils conclu, le 16 décembre 2003, un accord interinstitutionnel, intitulé « Mieux légiférer », par lequel ils s'engagent à veiller « à la qualité de la législation, à savoir à sa clarté, à sa simplicité et à son efficacité ».

Le contexte, en effet, est marqué à la fois par la prolifération de normes juridiques de plus en plus complexes et par la dégradation de la qualité de ces normes, comportant le risque d'une insécurité juridique.

L'inflation législative 1 ( * ) est désormais un mal bien connu.

L'augmentation régulière des dispositions législatives se traduit par une perte de confiance dans la loi et l'impression d'une moindre application. Du reste, il ne s'agit pas tant de l'augmentation du nombre de lois, qui reste stable, soit 62 lois (hors conventions) par an en moyenne entre 1959 et 2006, mais de celle de leur volume. Selon M. Bertrand Mathieu, « le recueil des lois, publié par l'Assemblée nationale, était composé de 418 pages en 1960, de 862 pages en 1975, de 1 263 pages en 1985 et d'environ 1 800 pages en 2000 » 2 ( * ) . S'ensuit une demande croissante de lois, qui alimente à son tour l'inflation législative 3 ( * ) .

Si la dénonciation de ce phénomène est aujourd'hui unanime, trois acteurs ont joué un rôle important dans la prise de conscience d'une perte de qualité de la norme législative : le Conseil d'Etat, la doctrine et les assemblées parlementaires elles-mêmes.

Dès 1991, le Conseil d'Etat, consacrant son rapport public annuel au thème de la sécurité juridique, avait appelé l'attention des pouvoirs publics et de l'opinion sur la complexité des lois et la prolifération législative. Il avait alors dénoncé « la loi bavarde » ainsi qu' « un droit mou, un droit flou, un droit à l'état gazeux ».

Quinze ans plus tard, la haute juridiction administrative a choisi de revenir sur ce sujet et a consacré son rapport public annuel 2006 à la sécurité juridique et à la complexité du droit. Le Conseil d'Etat relevait ainsi que la complexité croissante des normes menaçait l'Etat de droit et que ses effets étaient néfastes tant pour le législateur, qui se trouve « contraint », « submergé » et « contourné », que pour la société, l'usager étant généralement « égaré », les opérateurs économiques confrontés à une réelle insécurité et les juges « perplexes » face à l'application de ce droit.

« La loi protège-t-elle encore le faible lorsqu'elle est

aussi complexe, foisonnante et instable ? »

« Il est manifeste que les trente dernières années se caractérisent par une accélération du rythme normatif. Les causes en sont connues, et étaient déjà identifiées pour l'essentiel dans le précédent rapport [du Conseil d'Etat en 1991]. Peuvent être distinguées deux grandes catégories.

« D'abord, celles sur lesquelles nous n'avons que peu de prise. Je pense ici au développement du droit international, qu'il s'agisse des conventions internationales, multilatérales ou bilatérales, par exemple sur le droit de l'environnement ou sur la bioéthique. Viennent s'y ajouter la construction européenne et le foisonnement du droit communautaire. Depuis 1991, nous avons dû transposer environ trois cents directives relatives au marché intérieur, une cinquantaine relatives à l'union économique et monétaire, sans évoquer la mise en place du 3 e pilier relatif aux affaires intérieures et de justice. Dans ce dernier domaine, ont été adoptées au cours des dernières années nombre de conventions ou de décisions-cadres telles que celle relative au mandat d'arrêt européen, qui ont conduit à des modifications de la Constitution ou du droit « régalien » (code pénal, code civil etc.).

« Concomitamment à cette multiplication des sources du droit à un niveau supra-national se sont multipliés les auteurs de normes, via la décentralisation et le développement d'un statut spécifique pour chaque collectivité d'outre-mer, avec le développement des « lois du pays ».

« Enfin, il convient également de mentionner la création de nouvelles autorités administratives indépendantes. Depuis la création de la CNIL en 1978, celles-ci se chiffrent aujourd'hui à une cinquantaine. Elles concernent bien souvent l'apparition de nouveaux domaines de législation comme le droit de la concurrence, le droit monétaire et financier, les biotechnologies, l'économie numérique, les nouvelles approches de la propriété intellectuelle, etc.

« Ces causes, pour importantes qu'elles soient, voient leurs effets démultipliés par des facteurs qui tiennent à nos moeurs politiques. Je pense ici notamment à l'attrait immodéré des Français pour la loi et à la force symbolique que cette dernière revêt dans notre pays. Les Français adorent la loi, la vénèrent ; ils sont persuadés quelle que soit d'ailleurs leur sensibilité politique, qu'elle est une panacée, le remède à tous les maux, une solution miracle pour toutes les difficultés. Ainsi un ministre de l'agriculture est-il toujours soumis à une forte pression pour faire adopter une nouvelle loi d'orientation agricole, et ce même si, aujourd'hui, l'essentiel de l'avenir de l'agriculture française se joue à Bruxelles ou dans le cadre des négociations de l'OMC. Cette vision idyllique de la loi relève d'une tradition historique et culturelle profonde, solidement ancrée. Montaigne, déjà, notait que « nous avons en France plus de lois que le reste du monde ensemble, et plus qu'il n'en faudrait à régler tous les mondes d'Épicure ».

« A cette tradition historique s'ajoute aujourd'hui l'impératif de communication médiatique. Comme l'a souligné Guy Carcassonne, dans un récent article de la revue Pouvoirs , intitulé « Penser la loi », « tout sujet d'un « vingt heures » est virtuellement une loi ». L'événement appelle la loi, et nos gouvernants se sentent tenus de répondre à la demande en multipliant les initiatives législatives. Ainsi convient-il d'annoncer des mesures en faveur de la famille à la veille de la Conférence de la famille à laquelle le Premier ministre a coutume de se rendre, tout comme un projet de loi sur la lutte contre les discriminations à l'égard des homosexuels, soudain prioritaire, avant la « Gay Pride ». Et ce sans même évoquer la personnalisation excessive de la loi, aujourd'hui baptisée loi Aubry, loi Perben, loi Fillon... Au final, alors qu'un ministre de la III e République affirmait son talent politique d'abord devant le Parlement, il l'exprime dorénavant à travers les médias. »

Source : Extraits d'un entretien accordé par Mme Josseline de Clausade, conseiller d'Etat, rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, à la revue JCP/La semaine juridique - Édition générale n° 12 (22 mars 2006).

La doctrine, en appelant à la rigueur juridique des « grands ancêtres » tel Portalis, a elle aussi regretté la détérioration de la législation. On ne compte plus les articles critiques sur la perte de qualité de la loi.

L'extrait d'article reproduit ci-dessous illustre les pathologies de la loi 4 ( * ) .

Les pathologies de la loi

« Le thème du déclin de la loi ne date pas d'hier. C'est d'ailleurs le propre des thèmes relatifs au déclin. Mais il a pris, sous la V e République, une ampleur égale à la volonté des constituants de circonscrire l'action du législateur à la détermination des grandes lignes pour laisser au pouvoir réglementaire le soin des détails. En 1958, la définition d'une matière législative permet, non sans paradoxe, à la fois d'en finir avec la souveraineté du Parlement, et de redonner à la loi tout l'éclat dont l'idéal révolutionnaire l'a revêtue. La déception est ainsi à la mesure de l'attente. Depuis plusieurs années, le Conseil d'Etat, la doctrine, jusqu'à la classe politique, dressent le diagnostic des pathologies de la loi. Cette dernière est banalisée du fait d'une production législative galopante faisant fi de tout souci de stabilité et de lisibilité. Les causes du mal sont connues. La complexité du monde contemporain contraint le législateur à investir l'ensemble des domaines de la vie économique et sociale, et l'obligation d'insérer dans l'ordre juridique interne des normes internationales amplifie de manière considérable cette suractivité législative. Cela n'explique pas tout. Les parlementaires comme les gouvernements cèdent trop souvent aux groupes de pression, plus encore aux sirènes de l'opinion publique qui, à la longue, ne perçoit plus l'action politique que par le prisme de la loi. La baisse de qualité des textes et l'obsession du législateur à vouloir tout prévoir, conduisent à revenir sans cesse sur l'ouvrage fait, là pour redresser une maladresse rédactionnelle, ici pour envisager un cas particulier auquel on n'avait pas songé. La voie réglementaire s'en trouve délaissée au profit de l'action législative plus rentable en termes d'affichage politique. Bref, le « droit bavarde ». La loi souffre encore d'un autre mal, celui de l'absence de normativité, qui produit un « droit mou » par lequel le parlement assure les citoyens de ses bonnes intentions, sans craindre que ceux-ci s'émeuvent par la suite de n'en retrouver de trace concrète dans leur quotidien. La loi perd alors de sa sacralité, et ne suscite plus qu'une attention distraite de ses destinataires. »

Source : M. Guillaume Glénard, La conception matérielle de la loi revivifiée, RFDA 2005.

Enfin, les présidents des assemblées parlementaires ont, à plusieurs reprises au cours des dernières années, déploré eux aussi l'inflation législative.

Ainsi, le président du Sénat, M. Christian Poncelet, dénonçait-il, dans son discours d'orientation du 12 octobre 2004, la « frénésie » et la « boulimie » législatives. Il soulignait également la responsabilité de la session unique, « cette fausse bonne idée » : « Loin d'avoir lissé l'activité législative, la session unique a exacerbé le zèle législatif des ministères, multiplié les séances de nuit et banalisé le recours aux sessions extraordinaires ».

M. Jean-Louis Debré, alors président de l'Assemblée nationale, dans son allocution d'ouverture d'un colloque tenu au Palais Bourbon au printemps 2005, déclarait ainsi : « Oui, nous légiférons trop, beaucoup trop. Et cette frénésie législative s'effectue au détriment de la qualité même de la loi » 5 ( * ) . Quelques mois auparavant, le 3 janvier 2005, dans ses voeux au président de la République, il rappelait qu'il avait attiré l'attention du gouvernement « sur la nécessité de légiférer mieux, quitte à légiférer moins ». Il a renouvelé ce message l'année suivante, à la même occasion.

Il avait d'ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer l'autorité de la loi, qui visait à compléter l'article 34 de la Constitution par une phrase indiquant que la loi « est par nature de portée normative », mais aussi à instituer une procédure d' « irrecevabilité réglementaire », confiée à la commission des lois, comme il existe une telle procédure en matière financière 6 ( * ) .

Mais il convient aussi d'évoquer le rôle du Conseil constitutionnel qui, au cours des dernières années, est intervenu pour lutter contre la dégradation de la qualité de la norme législative. A cet égard, le discours prononcé par M. Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, lors de ses voeux au président de la République, le 3 janvier 2005, a appelé fortement l'attention sur les dérives tenant aux conditions actuelles d'élaboration de la loi et aux défauts de celle-ci 7 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a élaboré une jurisprudence qui, en cherchant à mettre un terme à ces dérives, non seulement encadre l'activité du législateur, en lui fixant de plus grandes contraintes sur la procédure législative, mais également lui impose désormais des exigences que la rédaction de la loi elle-même doit respecter pour ne pas encourir le risque de censure.

Il serait possible de résumer les principes posés par la jurisprudence constitutionnelle en la matière de la façon suivante : non seulement le législateur a l'obligation de légiférer, mais il doit « bien » légiférer.

Il convient toutefois de ne pas perdre de vue que c'est le plus souvent le gouvernement qui, en réalité, est sanctionné par le Conseil constitutionnel.

A l'occasion du colloque susmentionné organisé à l'Assemblée nationale, M. Didier Maus soulignait ainsi cet état de fait : « Je crois, très franchement, après avoir observé le Parlement, participé indirectement à certaines de ses activités, qu'il y a un vrai responsable de ce qu'on appelle le « mauvais travail parlementaire » - mais l'expression est en elle-même mal choisie - c'est le gouvernement, quelle que soit son orientation politique, que l'on soit ou non en période de cohabitation ».

L'objet de la présente étude est d'exposer les développements de la jurisprudence constitutionnelle récente relatifs à la qualité de la loi :

- la loi doit satisfaire à certaines exigences d'ordre constitutionnel pour être jugée de « bonne qualité » ;

- la procédure législative est un instrument de la qualité de la législation.

I. LES QUALITÉS REQUISES DE LA NORME LÉGISLATIVE

La jurisprudence constitutionnelle s'est particulièrement attachée, au cours des dernières années, à promouvoir la qualité de la loi. Elle s'est ainsi considérablement enrichie en la matière et il est désormais possible de dessiner les contours de ce que doit être une loi répondant aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.

A. L'OBLIGATION DE LÉGIFÉRER DU LÉGISLATEUR : LA SANCTION DE L'INCOMPÉTENCE NÉGATIVE

Le Conseil constitutionnel a progressivement défini l'obligation pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence, c'est-à-dire de légiférer.

La jurisprudence constitutionnelle sur les incompétences négatives n'est pas nouvelle. Le moyen est apparu pour la première fois dans la décision n° 67-31 DC du 26 janvier 1967 portant sur la loi organique modifiant l'ordonnance du 22 décembre 1958 (indépendance et inamovibilité des magistrats).

Dans le cadre de la présente étude, il ne s'agit pas d'examiner cette notion de façon exhaustive, mais seulement lorsqu'il ressort des décisions du juge constitutionnel qu'il appartient au Parlement d'exercer pleinement sa compétence en légiférant avec précision et clarté.

Si leurs effets peuvent être similaires, la notion d'incompétence négative et l'exigence de clarté et d'intelligibilité de la loi se distinguent cependant. Le législateur peut épuiser sa compétence tout en votant des dispositions peu claires ou insuffisamment intelligibles, mais il ne peut déléguer sa compétence.

1. La censure de la loi donnant lieu à une pluralité d'interprétation et de la loi « silencieuse »

Le Conseil constitutionnel censure des dispositions imprécises du fait de la pluralité d'interprétation à laquelle elles peuvent donner lieu.

Ainsi, dans sa décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985 relative à la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, il a déclaré contraire à l'article 34 de la Constitution un article de cette loi qui laissait le choix entre deux interprétations contradictoires : « Considérant que le texte critiqué soumet à un régime d'imposition annuel les produits de titres qui ne seront payés par l'émetteur qu'au terme de l'opération ; que ce texte est susceptible d'au moins deux interprétations, l'une privilégiant la simplicité des règles d'assiette par la fixation d'annuités égales, l'autre privilégiant l'adaptation de l'assiette à la réalité économique par la fixation d'annuités progressives prenant en compte les intérêts composés ; que le choix entre ces deux interprétations est d'autant plus incertain que des arguments en faveur de l'une et de l'autre peuvent être trouvés dans les travaux préparatoires ».

Le Conseil constitutionnel sanctionne également le silence du législateur.

Ainsi, dans sa décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, afférente à la loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, le Conseil a considéré que l'article 3-II de la loi déférée « permet à l'établissement public de diffusion de procéder à des travaux et installations d'importance non précisée sur des propriétés bâties publiques ou privées et prévoit que les agents de l'établissement public peuvent être autorisés à pénétrer à l'intérieur de ces propriétés, y compris dans les locaux d'habitation, notamment pour l'exploitation des équipements installés ; que ces installations et le droit de visite qu'elles impliquent pourraient faute de précisions suffisantes entraîner une atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis qu'il appartient à la loi de sauvegarder ».

Le juge constitutionnel a également considéré que, « si la mise en oeuvre d'une telle sauvegarde relève d'un décret d'application, il revenait au législateur de déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires ; qu'en tout état de cause il devait poser la règle que la servitude doit être établie non par l'établissement public mais par une autorité de l'Etat et prévoir le principe d'une procédure destinée à permettre aux intéressés, d'une part, d'être informés des motifs rendant nécessaire l'établissement de la servitude, d'autre part, de faire connaître leurs observations ; que, faute d'avoir institué une procédure d'information et de réclamation assortie de délais raisonnables ou tout autre moyen destiné à écarter le risque d'arbitraire dans la détermination des immeubles désignés pour supporter la servitude, les dispositions de l'article 3-II relatives à son institution doivent être déclarées non conformes à la Constitution ».

2. La censure de la loi ambiguë

Le IV de l'article 1 er de la loi relative à la réduction négociée du temps de travail prévoyait que l'employeur, dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, devait avoir conclu, préalablement à l'établissement et à la communication aux représentants du personnel du plan social destiné notamment à éviter les licenciements ou en limiter le nombre, un accord de réduction du temps de travail portant la durée collective du travail des salariés de l'entreprise à un niveau égal ou inférieur à trente-cinq heures hebdomadaires ou à 1 600 heures sur l'année, ou, à défaut, avoir engagé sérieusement et loyalement des négociations tendant à la conclusion d'un tel accord.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 99-423 DC du 13 janvier 2000 sur cette loi, a considéré qu' « en instituant une obligation préalable à l'établissement du plan social, sans préciser les effets de son inobservation et, en particulier, en laissant aux autorités administratives et juridictionnelles le soin de déterminer si cette obligation est une condition de validité du plan social, et si son inobservation rend nulles et de nul effet les procédures de licenciement subséquentes, le législateur n'a pas pleinement exercé sa compétence », et a censuré le IV de l'article 1 er de la loi déférée.

Le Conseil constitutionnel a également censuré pour incompétence négative le 3° de l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

Dans sa décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 sur cette loi, il a ainsi noté que, « en raison de l'ampleur que pourraient revêtir les traitements de données personnelles ainsi mis en oeuvre et de la nature des informations traitées, le 3° du nouvel article 9 de la loi du 6 janvier 1978 pourrait affecter, par ses conséquences, le droit au respect de la vie privée et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; que la disposition critiquée doit dès lors comporter les garanties appropriées et spécifiques répondant aux exigences de l'article 34 8 ( * ) de la Constitution ».

Il a déclaré non conforme à la Constitution cette disposition sur le fondement des arguments suivants : « S'agissant de l'objet et des conditions du mandat en cause, la disposition critiquée n'apporte pas ces précisions ; [...] elle est ambiguë quant aux infractions auxquelles s'applique le terme de « fraude » ; [...] elle laisse indéterminée la question de savoir dans quelle mesure les données traitées pourraient être partagées ou cédées, ou encore si pourraient y figurer des personnes sur lesquelles pèse la simple crainte qu'elles soient capables de commettre une infraction ; [...] elle ne dit rien sur les limites susceptibles d'être assignées à la conservation des mentions relatives aux condamnations ; [...] au regard de l'article 34 de la Constitution, toutes ces précisions ne sauraient être apportées par les seules autorisations délivrées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés ».

3. La censure, dans certains cas, du renvoi à une loi ultérieure

Dans cette même décision n° 2004-499 DC , le Conseil constitutionnel a considéré que, « en l'espèce et eu égard à la matière concernée, le législateur ne pouvait pas non plus se contenter, ainsi que le prévoit la disposition critiquée éclairée par les débats parlementaires, de poser une règle de principe et d'en renvoyer intégralement les modalités d'application à des lois futures ».

Certains ont fait observer que le renvoi à la loi ultérieure « ne peut être utilisé de façon dilatoire, surtout dans des matières touchant aux libertés publiques. Le législateur ne peut faire mine de régler un problème tout en le différant et en restant, dans l'immédiat, au niveau des généralités, dans l'espoir de clore le débat », ce procédé étant source d'insécurité juridique 9 ( * ) .

De même, le renvoi par une loi organique à une loi ordinaire n'est pas conforme à la Constitution.

Ainsi, dans sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005 portant sur la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a considéré que « le législateur organique ne pouvait se borner [...] à poser une règle de principe et à en renvoyer les modalités d'application à des lois ordinaires futures ». Commentant cette décision, les Cahiers du Conseil constitutionnel font observer que « le législateur organique doit épuiser sa compétence. En renvoyant une question de son ressort à une loi ordinaire à venir, il subdélègue sa compétence en violation des règles constitutionnelles. La loi ordinaire n'est pas à la loi organique ce que le décret d'application est à la loi en général » 10 ( * ) .

En revanche, la jurisprudence du Conseil est relativement souple s'agissant des relations entre la loi et les accords collectifs de travail, en particulier en ce qui concerne l'articulation entre la loi et la négociation collective. Il est vrai qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail.

Dans sa décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004 portant sur la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, le juge constitutionnel a considéré qu'en matière de droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, les partenaires sociaux bénéficiaient d'une marge de manoeuvre appréciable pour mettre en oeuvre la loi : « Il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d'application des normes qu'il édicte ; [...] le législateur peut en particulier laisser les partenaires sociaux déterminer, dans le cadre qu'il a défini, l'articulation entre les différentes conventions ou accords collectifs qu'ils concluent au niveau interprofessionnel, des branches professionnelles et des entreprises ». Il a ainsi jugé que les dispositions déférées n'étaient pas entachées d'incompétence négative.

Le législateur a donc l'obligation de légiférer et de « bien » légiférer. La loi, pour être conforme à la Constitution, doit ainsi satisfaire à certaines exigences : elle doit être rédigée de façon claire, être accessible et intelligible et avoir une portée normative.

B. LA CLARTÉ DE LA LOI : UN PRINCIPE AMBIGU AUJOURD'HUI ABANDONNÉ

Le principe de clarté de la loi renvoie à l'exercice par le législateur de sa compétence, qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a consacré ce principe, avant de l'abandonner très récemment, compte tenu de ses ambiguïtés, fréquemment relevées par la doctrine.

1. L'émergence du principe

L'absence de clarté et de précision d'une disposition législative l'expose à une déclaration de non-conformité à la Constitution.

L'exigence de clarté de la loi est apparue explicitement, pour la première fois dans une matière autre que pénale 11 ( * ) , dans la décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998 portant sur la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.

Alors que les requérants liaient cette exigence et l'incompétence négative du législateur, le Conseil constitutionnel a estimé que fixer au 1 er janvier 2000 ou au 1 er janvier 2002, selon l'effectif des entreprises en cause, l'entrée en vigueur de la réduction de la durée légale du travail effectif des salariés de 39 heures à 35 heures par semaine, n'était pas contraire à la Constitution, et que le législateur pouvait, « sans méconnaître aucun principe, ni aucune règle constitutionnelle, [...] donner à cette mesure, qui, en l'état, est définie de façon suffisamment claire et précise pour satisfaire aux exigences découlant de l'article 34 de la Constitution, un effet différé ».

De même, alors que les requérants mettaient en cause l'absence d'intelligibilité et de clarté de certaines dispositions de la loi d'orientation pour l'outre-mer, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000 portant sur cette loi, a censuré une autre disposition, au motif que « les limitations ainsi apportées [...] à la liberté d'entreprendre ne sont pas énoncées de façon claire et précise ».

2. La portée du principe : « des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques »

Les requérants estimaient que dix articles de la loi de modernisation sociale manquaient aux exigences de clarté et d'intelligibilité de la loi, sans toutefois distinguer ces deux notions.

Lors du contrôle qu'il a exercé sur cette loi, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, a posé un considérant de principe qui , selon les Cahiers du Conseil constitutionnel 12 ( * ) , « fait pour la première fois la synthèse des exigences constitutionnelles en cause » : « Considérant qu'il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution ; qu'il doit, dans l'exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d'appliquer la loi ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d' adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il revient au Conseil constitutionnel de procéder à l'interprétation des dispositions d'une loi qui lui est déférée dans la mesure où cette interprétation est nécessaire à l'appréciation de sa constitutionnalité ; qu'il appartient aux autorités administratives et juridictionnelles compétentes d'appliquer la loi, le cas échéant sous les réserves que le Conseil constitutionnel a pu être conduit à formuler pour en admettre la conformité à la Constitution ».

En l'espèce, le Conseil a rejeté le grief tiré du défaut de clarté et d'intelligibilité des dix articles critiqués à ce titre. Il a, par exemple, jugé que les termes « restructuration », « établissement », « entité économique autonome » ou encore « projet de développement stratégique », employés dans différents articles, étaient suffisamment précis, certaines de ces notions ayant été explicitées par la Cour de cassation ou définies par le droit communautaire.

On notera que, pour apprécier la précision et le caractère non équivoque des dispositions législatives, le Conseil constitutionnel a souligné l'importance des travaux préparatoires, qui contribuent à les rendre plus compréhensibles. S'agissant de l'article 108 de la loi, il a ainsi jugé qu' « il résulte des travaux préparatoires de l'article 108 » que celui-ci, sous les réserves émises, n'est pas contraire à l'exigence de clarté découlant de l'article 34 de la Constitution.

Principe de clarté de la loi et objectif de valeur constitutionnelle

d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi : quelle différence ?

Dans cette décision n° 2001-455 DC, le Conseil constitutionnel, tout en distinguant le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, semble leur donner une portée et un contenu très proches.

La doctrine a pu toutefois relever que « l'objectif d'intelligibilité englobe et dépasse l'exigence de clarté. Celle-ci tient à l'absence de contradiction ou de confusion de la norme. En ce sens, elle constitue bien une condition minimale d'intelligibilité de la loi. [...] Le Conseil constitutionnel semble donc bien viser, par l'exigence de clarté de la loi, la nécessité que les règles posées ne soient ni confuses ni équivoques alors que l'objectif reconnu en 1999 ferait plus généralement obstacle à un degré inutilement élevé d'hermétisme de la loi » 13 ( * ) .

Le principe de clarté et l'objectif d'intelligibilité de la loi « représentent deux aspects d'une même exigence, mais répondant à des considérations différentes et affectées d'un rôle distinct en ce qui concerne les modalités d'exercice du contrôle de constitutionnalité » 14 ( * ) .

Il n'en demeure pas moins que la distinction entre le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi apparaît relative : l'analyse de la jurisprudence constitutionnelle, selon une partie de la doctrine, « démontre [...] la confusion opérée par le Conseil entre le principe de clarté et l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité. Cet enchevêtrement des concepts jette un doute sur l'utilité pratique de l'application de deux normes de référence et doit inciter le juge constitutionnel dans un effort de simplification à déterminer une norme de contrôle unique » 15 ( * ) . Le même auteur conclut : « La volonté du Conseil de distinguer principe de clarté de la loi et objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi n'aurait été légitime qu'au prix d'une politique jurisprudentielle rigoureuse justifiant l'utilité respective de chacun des concepts, mais il faut convenir que tel n'est pas le cas ».

Ainsi, par exemple, la décision n° 2001-447 DC emploie la formule « d'objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi », qui, par ses ambiguïtés, rend délicate la tentative de distinction entre la clarté de la loi, d'une part, et l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi, d'autre part.

Le Conseil constitutionnel, se prononçant sur la clarté et la précision des infractions retenues, a également jugé, dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, que l'expression « bande organisée » n'était ni obscure ni ambiguë. Le Conseil, pour étayer sa décision, note que la notion de bande organisée figurait dans le code pénal de 1810, dans l'ancien code pénal dans sa rédaction issue, sur ce point, de la loi du 2 février 1981, dans le nouveau code pénal de 1994, dans la jurisprudence des juridictions pénales, dans la loi du 15 juin 2000 et dans la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004 portant sur la loi relative aux libertés et responsabilités locales, a également jugé que « le législateur a [...] décrit en termes suffisamment clairs, précis et intelligibles les transferts de compétences prévus par [plusieurs dispositions de la loi déférée] ; qu'il n'a ni méconnu la compétence qui est la sienne en vertu de l'article 34 de la Constitution, ni porté atteinte aux exigences d'intelligibilité et de clarté de la loi ».

Il a adopté une position identique dans sa décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 portant sur la loi relative à l'assurance maladie.

Le Conseil constitutionnel a ensuite été amené à compléter son considérant de principe sur la clarté et l'intelligibilité de la loi pour rappeler que l'application de la loi comporte un pouvoir d'appréciation et d'interprétation, même si la loi est claire .

L'article 77 de la loi de programmation pour la cohésion sociale modifiait l'article L. 122-14-4 du code du travail afin de restreindre le pouvoir du juge d'ordonner la réintégration de salariés après avoir déclaré nulle et de nul effet une procédure de licenciement. La nouvelle rédaction de cet article du code du travail prévoit que le juge peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié.

Les requérants estimaient qu'en illustrant l'impossibilité de réintégration par une liste non limitative de cas qui ne traduiraient pas nécessairement une réelle impossibilité, le législateur avait conféré à cette notion un sens obscur et contradictoire et avait ainsi méconnu sa compétence et le principe de clarté de la loi.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005 portant sur la loi de programmation pour la cohésion sociale, n'a pas censuré la disposition contestée et a ajouté à la fin de son considérant de principe la précision suivante : « Pour autant, ces autorités [administratives ou juridictionnelles] conservent le pouvoir d'appréciation et, en cas de besoin, d'interprétation inhérent à l'application d'une règle de portée générale à des situations particulières ».

Le pouvoir d'appréciation des faits et d'interprétation est, en effet, l' « office fondamental » du juge, selon le commentaire de la décision publié aux Cahiers du Conseil constitutionnel 16 ( * ) . En outre, le législateur peut, après avoir posé un principe, recourir à des illustrations.

Parmi les griefs invoqués contre l'article 8 de la loi pour l'égalité des chances, qui instituait un « contrat première embauche », figurait le manque de clarté et d'intelligibilité, ainsi que l'incompétence négative.

Les requérants reprochaient notamment au législateur d'avoir défini de façon imprécise le régime juridique applicable à la période de deux ans suivant la conclusion du contrat.

Le Conseil constitutionnel ne leur a pas donné raison. Il a considéré, dans sa décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 portant sur la loi pour l'égalité des chances, qu' « en énumérant de façon limitative les articles du code du travail qui ne sont pas applicables et en prévoyant expressément des règles spécifiques relatives à la rupture du contrat de travail au cours de cette période, le législateur a défini de manière suffisamment précise le régime juridique des deux premières années du " contrat première embauche " et n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ».

3. L'abandon du principe de clarté de la loi comme norme de référence

Dans un article précité, la doctrine a pu considérer que « le choix de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi comme norme de référence unique du contrôle de la qualité de la loi permettrait au Conseil de clarifier sa jurisprudence mais également d'approfondir son contrôle » 17 ( * ) , d'autant plus que le principe de clarté et la sanction de l'incompétence négative ont le même fondement textuel, celui de l'article 34 de la Constitution. L'auteur concluait : « La malléabilité de l'objectif de valeur constitutionnelle paraît donc particulièrement adaptée à la recherche d'une plus grande qualité du droit car celle-ci ne se décrète pas, elle ne peut être qu'un objectif vers lequel il faut tendre. Au contraire, le principe de clarté, parce qu'il semble vouloir recouvrir une dimension objective, induit une rigidité qui cadre mal avec la relativité de la notion de « qualité du droit », notion-ambition, standard du droit qui, à l'image de la notion de « bonne administration de la justice », souffre d'une part d'indétermination et ne peut s'apprécier qu'au regard des circonstances de l'espèce ».

De fait, le Conseil constitutionnel a modifié son considérant de principe relatif aux normes applicables à la qualité de la loi et a consacré l'objectif d'intelligibilité comme la norme de référence unique en la matière , dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 portant sur la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information : « Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».

Comme le relèvent les Cahiers du Conseil constitutionnel , « il n'est plus question, dans la décision, du principe de clarté » 18 ( * ) .

C. L'OBJECTIF DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE D'ACCESSIBILITÉ ET D'INTELLIGIBILITÉ DE LA LOI

Dans un article consacré à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi 19 ( * ) , M. Pierre de Montalivet 20 ( * ) indique que l' « on assiste à une transposition d'exigences issues de la légistique dans le domaine juridique ».

Il note que l'accessibilité et l'intelligibilité « peuvent être considérées en effet comme des préceptes issus de la légistique formelle, cette branche de la légistique qui est constituée des principes et connaissances tendant à améliorer la communication législative et la compréhension des textes législatifs. Elles sont les conditions mêmes de l'effectivité de la loi, dans la mesure où l'application de celle-ci est conditionnée par sa connaissance et sa compréhension par ses destinataires. [...] Leur qualité d'objectif de valeur constitutionnelle signifie que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi ne constituent pas des droits subjectifs mais des conditions objectives d'effectivité des droits et libertés constitutionnels ainsi que des moyens de limitation de ceux-ci. Elles font partie d'une catégorie de normes constitutionnelles qui ont pour destinataire le législateur ».

1. La consécration de l'objectif

L'accessibilité et l'intelligibilité de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle 21 ( * ) dégagé par le Conseil constitutionnel en 1999.

La loi avait habilité le gouvernement à procéder par voie d'ordonnances à l'adoption de neuf codes en raison du retard pris par le processus de codification du fait de l'engorgement du calendrier législatif.

Les requérants mettaient en avant la violation de l'article 38 de la Constitution sur les ordonnances et estimaient notamment que l'argument relatif au retard dans le travail de codification lié à l'encombrement du calendrier parlementaire n'était pas suffisant pour recourir à l'article 38.

Le Conseil constitutionnel ne les a pas suivis. Dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, afférente à la loi portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, il a considéré, de façon prétorienne, que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution ; qu'en l'espèce, le Gouvernement a apporté au Parlement les précisions nécessaires en rappelant l'intérêt général qui s'attache à l'achèvement des neuf codes mentionnés à l'article 1 er , auquel faisait obstacle l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire ; que cette finalité répond au demeurant à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; qu'en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu'une telle connaissance est en outre nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas » ».

Les Cahiers du Conseil constitutionnel précisent que « l'urgence qu'il y a à surmonter le goulot d'étranglement parlementaire, pour mener à bien le programme de codification, est une justification qui n'est nullement étrangère aux motifs susceptibles d'inspirer légitimement l'utilisation d'ordonnances ; puisqu'elle est consubstantielle à l'intérêt général qui s'attache à rendre plus effective la connaissance de la loi par les citoyens. Bien plus : le recours à l'article 38, pour mener à bien la codification du droit interne en surmontant l'obstacle constitué par l'embouteillage des textes au Parlement, concourait à l'accessibilité et à l'intelligibilité de la loi, dans lesquelles le Conseil a vu un objectif de valeur constitutionnelle découlant de la combinaison des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 » 22 ( * ) .

Le législateur a ainsi l'obligation de respecter l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Aussi cet objectif peut-il constituer le fondement d'une déclaration de non-conformité à la Constitution.

Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a prononcé qu'une seule censure sur cette base.

Il a en effet déclaré contraire à la Constitution l'article 7 de la loi portant réforme de l'élection des sénateurs relatif aux bulletins de vote et qui complétait l'article L. 52-3 du code électoral.

Ici encore, le Conseil s'est appuyé sur les travaux préparatoires pour apprécier l'intelligibilité de la loi.

Dans sa décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003 portant sur cette loi, après avoir rappelé son considérant de principe sur la question, il a prononcé une censure pour atteinte « tant à l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qu'au principe de loyauté du suffrage », sur la base de quatre considérations :

- « Il ressort des travaux parlementaires à l'issue desquels ont été adoptées ces dispositions que l'intention du législateur est de les rendre applicables à l'élection des sénateurs ; que, toutefois, l'article L. 52-3 ainsi complété figure au titre I er du livre I er du code électoral, dont les dispositions ne sont pas relatives à cette élection » ;

- « La portée normative du premier alinéa inséré à l'article L. 52-3 du code électoral est incertaine » ;

- « Les notions de « nom propre », de « liste présentée dans une circonscription départementale » et de « représentant d'un groupement ou parti politique » sont ambiguës » ;

- « Le dernier alinéa inséré au même article autorise, dans certains cas, l'inscription sur les bulletins de vote du nom de personnes qui ne sont pas candidates à l'élection ; [...] une telle inscription risquerait de créer la confusion dans l'esprit des électeurs et, ainsi, d'altérer la sincérité du scrutin ».

Le Conseil a ainsi manifesté sa vigilance sur la qualité de la rédaction de la loi électorale, qui entraîne des conséquences sur la loyauté du suffrage.

L'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ne peut toutefois conduire le législateur à méconnaître les règles constitutionnelles qui définissent ses compétences.

Alors que les requérants avaient soulevé le grief du défaut de clarté et d'intelligibilité, reprochant notamment au législateur de ne pas avoir traité complètement la question dont il s'était emparé, laissant au gouvernement le soin de compléter par décrets le mécanisme mis en place, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, afférente à la loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, a considéré que « le fait que la loi déférée ne permettrait pas d'appréhender complètement le nouveau dispositif résulte de la répartition des compétences fixée par les articles 34 et 37 de la Constitution ».

Dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 relative à la loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, le Conseil constitutionnel a précisé qu' outre la codification, la simplification du droit répondait également à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi : « En l'espèce, l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire fait obstacle à la réalisation, dans des délais raisonnables, du programme du Gouvernement tendant à simplifier le droit et à poursuivre sa codification ; [...] cette double finalité répond à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ».

Il a réaffirmé cette position dans sa décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004 relative à la loi de simplification du droit, les Cahiers du Conseil constitutionnel notant que « le Conseil constitutionnel rend hommage non pas aux ordonnances [...] , mais à la simplification et à la codification du droit, [...] dont les ordonnances sont, faute de mieux, le véhicule, en raison de l'encombrement de l'ordre du jour du Parlement » 23 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel avait été saisi, en application de l'article 54 de la Constitution, de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens, par les députés 24 ( * ) , qui soutenaient qu'en dispensant de traduire en français la partie du texte correspondant à la description de l'invention, l'accord violait l'article 2 de la Constitution et méconnaissait, notamment, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Le Conseil a jugé, dans sa décision n° 2006-541 DC du 28 septembre 2006, que « la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ne saurait être utilement invoquée à l'encontre d'un titre de propriété tel qu'un brevet ».

En effet, un brevet ne peut être assimilé à une loi. L'objectif d'intelligibilité ne concerne que la loi et ne pèse donc que sur le législateur. « Ce n'est pas tout le droit qui doit être intelligible, mais, d'un point de vue constitutionnel, la seule loi » écrit M. Michel Verpeaux 25 ( * ) .

2. La loi peut être complexe sans être inintelligible

Si la loi doit être intelligible, elle peut être complexe sans être contraire à la Constitution.

Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 portant sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le Conseil constitutionnel a noté que, « si la loi déférée accroît encore la complexité des circuits financiers entre les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et les organismes créés pour concourir à leur financement, elle énonce de façon précise les nouvelles règles de financement qu'elle instaure ; qu'en particulier, elle détermine les nouvelles recettes de chaque organisme et fixe les clés de répartition du produit des impositions affectées ; qu'en outre, les transferts entre les différents fonds spécialisés et les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale sont précisément définis », et juge que « le surcroît de complexité introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à la rendre contraire à la Constitution ».

Il a jugé dans le même sens dans sa décision n° 2001-447 DC du 18 juillet 2001 portant sur la loi relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, tout en soulignant la réalité de la complexité accrue des circuits financiers relatifs à la protection sociale. Il a adopté la même position quelques mois plus tard concernant la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, dans sa décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001, bien que « la loi déférée se caractérise encore par la complexité des circuits financiers » de la protection sociale.

Ce type de loi, qui concerne en l'espèce le droit et le financement de la sécurité sociale, « sera toujours marqué par une technicité certaine et demeurera donc difficilement accessible pour des non-initiés. [...] Incontestablement, la difficulté essentielle pour le juge constitutionnel est de déterminer, spécialement pour des textes à forte technicité, le seuil abstrait de surcomplexité générant une déclaration d'inconstitutionnalité » 26 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a également rejeté le grief soulevé par les requérants à l'encontre de la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel, selon lequel « l'ensemble du texte souffre d'une opacité qui nuit à son accessibilité par le citoyen », cette opacité ne pouvant, selon eux, que « paraître contradictoire avec l'objectif d'intelligibilité et de clarté de la loi ».

Les Cahiers du Conseil constitutionnel relèvent que « la complexité accrue [...] n'est donc nullement gratuite » 27 ( * ) . Le Conseil a en effet considéré, dans sa décision n° 2004-499 DC précitée, que, « si la loi déférée refond la législation relative à la protection des données personnelles, c'est en vue d'adapter cette législation à l'évolution des données techniques et des pratiques, ainsi que pour tirer les conséquences d'une directive communautaire ; qu'elle définit de façon précise les nouvelles règles de procédure et de fond applicables ». Dans des matières très techniques, le souci de précision du législateur le conduit à voter une loi complexe, mais cette complexité est nécessaire à l'intelligibilité.

La complexité de la loi s'apprécie toujours, dans la jurisprudence constitutionnelle, en fonction des destinataires de la norme législative. Ainsi la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi est-elle relative.

Dans sa décision n° 2004-494 DC précitée, et alors que les requérants estimaient que la nouvelle articulation entre les différents niveaux d'accords collectifs méconnaissait, par sa complexité, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, le Conseil constitutionnel a jugé que, « si les dispositions critiquées rendent plus complexe l'articulation entre les différents accords collectifs, elles définissent de façon précise les rapports entre les différents niveaux de négociation ; [...] ainsi le législateur, qui a entendu se référer à la position commune adoptée par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001, n'a pas méconnu les exigences d'intelligibilité et de clarté de la loi ».

Commentant cette décision, M. Jean-Eric Schoettl note que « le dispositif critiqué se caractérise indéniablement par une certaine complexité », mais il précise que « le législateur s'est cependant borné à mettre en oeuvre un document conventionnel (« position commune »), adopté par les partenaires sociaux le 16 juillet 2001. La complexité de la loi ne fait que refléter la complexité de l'accord » 28 ( * ) . De surcroît, ces nouvelles règles « n'excèdent pas le niveau de compréhension de partenaires sociaux rompus à des exercices contractuels plus sophistiqués encore. Or l'exigence d'intelligibilité s'apprécie en fonction des destinataires de la loi ».

La doctrine n'a pas forcément approuvé cette décision. « L'argument ne convainc pas » estime ainsi Mme Valérie Ogier-Bernaud, qui écrit que, « si le Conseil constitutionnel accepte que les documents conventionnels [...] servent de source d'inspiration au législateur, il doit cependant exiger de sa part non une simple retranscription, mais sa transformation en texte législatif doté des qualités nécessaires de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité » 29 ( * ) . De même, M. Loïc Philip estime qu'« on pourrait pourtant attendre de la part du législateur un effort de clarification au lieu d'une simple transposition d'un texte conventionnel obscur » 30 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel est amené à déterminer les conditions qui rendent la loi intelligible.

En matière électorale, l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi est d'autant plus important que sont en jeu la sincérité du scrutin et l'authenticité de la représentation.

Ainsi, et alors que les requérants soulevaient le grief de l'inintelligibilité de dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux 31 ( * ) , le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003 portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, a relevé la complexité de cette loi, qui peut même être une source de « malentendus » 32 ( * ) , mais n'a pas censuré les articles déférés, dès lors que cette complexité relève de la prise en compte de l'intérêt général : « La complexité que revêt ce mode de scrutin, s'agissant en particulier de la répartition des sièges entre sections départementales, trouve son origine dans la conciliation que le législateur a voulu opérer entre la représentation proportionnelle dans le cadre d'un vote régional, la constitution d'une majorité politique au sein du conseil régional et la restauration d'un lien entre conseillers régionaux et départements ; [...] cette complexité répond à des objectifs que le législateur a pu regarder comme d'intérêt général ».

Par une série de réserves d'interprétation, le Conseil constitutionnel a précisé les conditions auxquelles cette loi indéniablement complexe était conforme à la Constitution : « Considérant, toutefois, qu' il incombera aux autorités compétentes de prévoir toutes dispositions utiles pour informer les électeurs et les candidats sur les modalités du scrutin et sur le fait que c'est au niveau régional que doit être appréciée la représentativité de chaque liste ; qu'il leur appartiendra en particulier d'expliquer que le caractère régional du scrutin et l'existence d'une prime majoritaire peuvent conduire à ce que, dans une section départementale donnée, une formation se voie attribuer plus de sièges qu'une autre alors qu'elle a obtenu moins de voix dans le département correspondant ; qu'il leur reviendra également d'indiquer que le mécanisme de répartition retenu peut aboutir, d'une élection régionale à la suivante, à la variation du nombre total de sièges attribués à une même section départementale ».

Le Conseil ajoute enfin que, « pour assurer la bonne information de l'électeur et éviter par là une nouvelle augmentation de l'abstention, le bulletin de vote de chaque liste dans chaque région devra comprendre le libellé de la liste, le nom du candidat tête de liste et, répartis par sections départementales, les noms de tous les candidats de la liste ».

3. La loi ne doit pas être excessivement complexe

Dans sa décision n° 2003-473 DC précitée, le Conseil constitutionnel avait considéré que « l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité inutile ». Il n'avait toutefois prononcé aucune censure sur ce fondement.

En revanche, la loi de finances pour 2006 a donné au Conseil l'occasion de dégager une nouvelle exigence : la nécessité pour une loi de ne pas être rédigée de façon excessivement complexe .

Cette loi de finances a engagé une réforme importante de l'impôt sur le revenu, son article 78 instituant un plafonnement global des avantages fiscaux, les « niches fiscales ».

Si les requérants contestaient la constitutionalité de cet article, ils avaient soulevé d'autres griefs que celui de son défaut de clarté ou d'intelligibilité.

La décision du Conseil constitutionnel est intéressante, parce qu'elle censure l'article 78 de la loi de finances pour 2006 au titre d'un grief nouveau, celui de la complexité excessive de la loi , sans se référer explicitement au principe de clarté ou à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité, même si « cette exigence [la non-complexité excessive] concrétise l'un des aspects de l'objectif constitutionnel » 33 ( * ) .

Dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 portant sur la loi de finances pour 2006, le Conseil constitutionnel a rappelé un certain nombre de principes avant de se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article 78. Il a ainsi considéré que :

- il serait porté atteinte aux articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée » ;

- « en matière fiscale, la loi, lorsqu'elle atteint un niveau de complexité tel qu'elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l'article 14 de la Déclaration de 1789 » ;

- « il en est particulièrement ainsi lorsque la loi fiscale invite le contribuable, comme en l'espèce, à opérer des arbitrages et qu'elle conditionne la charge finale de l'impôt aux choix éclairés de l'intéressé ; [...] au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes » ;

- « toutefois, [...] des motifs d'intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi ».

Au regard de ces principes, le Conseil a censuré l'article 78 au motif que sa complexité était excessive eu égard à sa finalité :

- « les destinataires des dispositions en cause ne sont pas seulement l'administration fiscale, mais aussi les contribuables, appelés à calculer par avance le montant de leur impôt afin d'évaluer l'incidence sur leurs choix des nouvelles règles de plafonnement » ;

- « la complexité de ces règles se traduit notamment par la longueur de l'article 78 34 ( * ) , par le caractère imbriqué, incompréhensible pour le contribuable, et parfois ambigu pour le professionnel, de ses dispositions, ainsi que par les très nombreux renvois qu'il comporte à d'autres dispositions elles-mêmes imbriquées ; [...] les incertitudes qui en résulteraient seraient source d'insécurité juridique, notamment de malentendus, de réclamations et de contentieux » ;

- « la complexité du dispositif organisé par l'article 78 pourrait mettre une partie des contribuables concernés hors d'état d'opérer les arbitrages auxquels les invite le législateur ; [...] faute pour la loi de garantir la rationalité de ces arbitrages, serait altérée la justification de chacun des avantages fiscaux correspondants du point de vue de l'égalité devant l'impôt ».

De surcroît, la complexité de l'article 78 n'était pas justifiée par un intérêt général suffisant : « Le gain attendu, pour le budget de l'Etat, du dispositif de plafonnement des avantages fiscaux organisé par l'article 78 de la loi déférée est sans commune mesure avec la perte de recettes résultant des dispositions de ses articles 74, 75 et 76 », soit 40 millions d'euros, alors que le coût de la réforme du barème s'établissait à 3,8 milliards d'euros.

Le Conseil a dès lors censuré l'article 78 car sa complexité « est à la fois excessive et non justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » .

4. La loi peut comporter une part d'incertitude quant à son application

Si la loi peut être complexe sans être inintelligible, elle peut également comporter une part d'incertitude quant à son application future, dès lors que celle-ci est inévitable et que le degré d'incertitude est justifié par un motif d'intérêt général et compensé par des mesures d'information.

Les requérants estimaient que l'article 5 de la loi portant réforme des retraites, dont l'objet était de préciser les conditions dans lesquelles serait allongée la durée d'assurance ou de services permettant de bénéficier d'une pension de retraite à taux plein, était contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, en particulier parce que les ayants droit ne pourraient pas « savoir avec certitude le nombre de trimestres de cotisations nécessaires pour s'assurer une liquidation de leurs droits à la retraite avec un taux plein ».

Le Conseil constitutionnel ne les a pas suivis. Dans sa décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003 sur la loi portant réforme des retraites, il a jugé que l'article 5 de la loi n'était pas contraire à la Constitution : « Considérant que, d'une part, les assurés auront connaissance de la règle fixée par le I de l'article 5, qui détermine désormais la durée d'assurance ou de services requise pour bénéficier d'une retraite au taux plein ; que, d'autre part, si cette durée est susceptible d'être modifiée, cette variation est inhérente tant à l'impossibilité dans laquelle se trouve le législateur de savoir comment évoluera l'espérance de vie à l'âge de la retraite, qu'à sa volonté de sauvegarder l'équilibre du système de retraite par répartition ; qu'enfin, la loi critiquée prévoit, en ses articles 6 et 10, des mesures nouvelles permettant de garantir l'information des assurés, y compris en ce qui concerne leur situation individuelle ».

5. L'accessibilité et l'intelligibilité de la loi, une composante de la sécurité juridique

La notion de sécurité juridique, dont le fondement pourrait être trouvé dans l'article XVI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur la « garantie des droits », n'a jamais, en tant que telle, été consacrée par le Conseil constitutionnel, qui la protège sans l'invoquer expressément 35 ( * ) .

On rappellera également que le Conseil d'Etat a récemment consacré, de façon solennelle, par un arrêt d'assemblée, le principe de sécurité juridique, en imposant de prévoir des dispositions transitoires dans le décret portant code de déontologie des commissaires aux comptes 36 ( * ) .

L'intelligibilité de la loi constitue un élément de la sécurité juridique, mais n'épuise pas le sujet.

La sécurité juridique, en effet, est un concept plus large qui renvoie aussi à la non-rétroactivité de la règle, à la protection des droits acquis, à la confiance légitime, à la stabilité des relations contractuelles, à la limitation des validations législatives, soit à des notions qui relèvent de la prévisibilité de la loi comme exigence de sécurité juridique.

M. Pierre de Montalivet note, dans son article précité, que « c'est donc plutôt la qualité de la loi qu'a consacrée le Conseil constitutionnel à travers l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Cet objectif ne correspond qu'à une partie de l'exigence de qualité de la loi, qui n'est elle-même qu'une composante de la sécurité juridique », avec la prévisibilité.

Comme l'écrit le professeur Bertrand Mathieu dans son article précité, l'intelligibilité de la loi « relève de la protection de la sécurité juridique. [...] En ce sens, la loi doit présenter certaines qualités : elle doit être accessible et compréhensible, pour autant que la complexité de la matière traitée le permette. [...] La contrainte qui pèse, au titre de l'exigence d'intelligibilité, sur le législateur est à la fois plus étendue et plus faible que celle liée aux impératifs de l'article 34 de la Constitution. Plus étendue, car elle exige que le droit soit non seulement cohérent mais aussi compréhensible ; plus faible, car elle n'impose pas au législateur une obligation de résultat (le droit applicable peut être complexe), mais de moyen (faire en sorte qu'il ne le soit pas inutilement) ».

Il convient néanmoins d'insister sur le caractère relatif de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. En effet, « l'objectif n'est pas véritablement d'assurer pleinement l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi mais de tendre vers ce but. Cette accessibilité et cette intelligibilité sont en quelque sorte un « idéal type », vers lequel le législateur doit tendre mais qu'il ne peut atteindre totalement » écrit M. Pierre de Montalivet dans son article précité.

D. LA NORMATIVITÉ DE LA LOI

Le Conseil constitutionnel, juge de la constitutionnalité des lois, est désormais devenu celui de leur normativité.

1. « La loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative »

C'est avec son importante décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004 portant sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, que le Conseil constitutionnel a censuré pour la première fois une disposition législative dont la portée normative est incertaine .

Le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales présentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre ».

L'article 4 de cette loi organique donnait une nouvelle rédaction à l'article L.O. 1114-3 du code général des collectivités territoriales, prévoyant que la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources des collectivités territoriales est déterminante au sens de l'article 72-2 de la Constitution lorsqu'elle remplit deux conditions cumulatives :

- d'abord, la part des ressources propres est déterminante lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités territoriales, compte tenu des compétences qui leur sont confiées ;

- ensuite, cette part ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003.

Le Conseil constitutionnel, après avoir rappelé les termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi est l'expression de la volonté générale », considère qu' « il résulte de cet article comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative ».

Puis, il rappelle son considérant de principe sur l'obligation pour le législateur d'épuiser sa compétence, le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Il juge alors que « la première des deux conditions prévues par l'article 4 de la loi déférée, relative à la garantie de la libre administration des collectivités territoriales, outre son caractère tautologique , ne respecte, du fait de sa portée normative incertaine , ni le principe de clarté de la loi ni l'exigence de précision que l'article 72-2 de la Constitution requiert du législateur organique ». Il juge en revanche que la seconde condition relative au seuil minimal est conforme à la Constitution, et prononce alors une censure partielle.

Le commentaire de cette décision paru aux Cahiers du Conseil constitutionnel consacre un développement spécifique à « la question des dispositions sans portée normative ou à portée normative incertaine » 37 ( * ) .

Ce commentaire comporte un « avertissement » au législateur : « La décision du Conseil constitutionnel sur l'autonomie financière des collectivités territoriales donne à la censure [...] une portée allant très au-delà du cas d'espèce. Le dernier alinéa de l'article 4 de la loi organique a fourni en effet l'occasion au Conseil de préciser sa position quant aux dispositions législatives dont la portée normative est incertaine (cas de l'espèce) et d'adresser un avertissement au législateur, préfigurant un éventuel changement de jurisprudence, quant aux dispositions législatives dépourvues de toute portée normative. [...] »

Citant l'exemple de l'article 1 er de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, aux termes duquel : « Les activités physiques et sportives constituent un facteur important d'équilibre, de santé, d'épanouissement de chacun », les Cahiers notent que « l'insertion d'un tel truisme dans un texte législatif pose un problème moins grave que le précédent. Une formule sans contenu normatif ne fait guère qu'encombrer le corpus juridique. N'emportant pas d'effets de droit, elle se fond dans un « bruit législatif » sans conséquence vraiment fâcheuse du point de vue de la sécurité juridique ou de la séparation des pouvoirs ».

C'est pourquoi le Conseil constitutionnel s'abstenait, jusqu'alors, de censurer de telles dispositions, préférant souligner leur absence d'effets juridiques.

Les Cahiers poursuivaient : « Toutefois, devant la multiplication de tels « neutrons législatifs » dans les textes votés depuis quelques années, phénomène qui prolonge et aggrave les intrusions de la loi dans le domaine réglementaire, le Conseil constitutionnel pourrait reconsidérer sa position dans un sens plus sévère ».

La doctrine semble avoir approuvé cette évolution jurisprudentielle qui « semble pouvoir [...] restaurer [la sécurité juridique] à deux égards : elle peut jouer un rôle préventif en incitant le législateur à s'abstenir d'utiliser ce type de dispositions ; elle permet surtout d'empêcher leur entrée en vigueur, qui rendait l'environnement juridique plus complexe, le droit plus incertain et nuisait à l'autorité de la loi » 38 ( * ) .

Quelques mois plus tard, le Conseil est passé de l'avertissement au législateur à la sanction. Il est en effet allé plus loin en annulant des dispositions au seul motif de leur absence de normativité .

Il a repris l'ensemble de ce raisonnement en le systématisant à l'occasion du recours dirigé contre la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, dite « loi Fillon ». Ce recours, notent les Cahiers , « était l'occasion, pour le Conseil constitutionnel, de préciser sa position sur des questions telles que les énoncés flous, les « neutrons législatifs », les lois d'orientation, les rapports annexés et les empiètements de la loi sur le règlement » 39 ( * ) .

La décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 sur cette « loi Fillon », qui intervient peu après le discours prononcé par M. Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, lors de ses voeux au président de la République, le 3 janvier 2005, comporte des développements consacrés à « la portée normative de certaines dispositions », qui rappellent les normes applicables, et distingue les dispositions sans portée normative des dispositions de portée normative incertaine .

Cette décision concerne la définition même de la loi : les Cahiers relèvent ainsi que « la loi étant définie par sa portée normative (elle prescrit, interdit, autorise...), un énoncé sans portée normative n'est pas une loi et ne peut pas figurer dans une loi ». Le Conseil constitutionnel a néanmoins posé une exception à ce principe concernant les lois de programme ( cf. infra ).

Le Conseil constitutionnel opère en deux temps.

D'une part, après avoir repris son considérant formulé dans la décision n° 2004- 500 DC précitée, selon lequel « la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative », il juge que les dispositions du II de l'article 7 de la loi déférée, qui précise les missions de l'école, « sont manifestement dépourvues de toute portée normative » et qu'elles sont dès lors contraires à la Constitution.

D'autre part, le Conseil, du fait de « la généralité des termes » employés, formule des réserves d'interprétation « à propos de dispositions dont la lettre n'indique pas si elles posent des obligations de résultats ou de moyens et qui, dès lors, sont potentiellement les plus dangereuses du point de vue de la sécurité juridique ». Sous ces réserves d'interprétation, dont le sens a été dégagé des travaux parlementaires, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le principe de clarté de la loi.

Cette décision a suscité des critiques de la part de certains auteurs.

Pour M. Guillaume Glénard, le recours à l'article 6 de la Déclaration de 1789 pour fonder sa décision est « inapproprié ». Il considère en effet que « l'expression retenue par les révolutionnaires ne renvoie nullement à une quelconque normativité » et que l'article 6 « n'interdit pas l'insertion dans une loi d'une disposition dépourvue de valeur normative, laquelle peut être la manifestation d'une volonté non juridique, c'est-à-dire politique ». Il conclut que « le Conseil constitutionnel a procédé de manière purement prétorienne » 40 ( * ) .

Quant à Mme Véronique Champeil-Desplats, elle estime que « dénier à la volonté générale la possibilité même de s'exprimer sous une forme non normative peut dérouter. L'édiction d'énoncés non normatifs peut remplir des fonctions diverses et, surtout, manifester une volonté politique ou symbolique réfléchie de prendre parti sur l'histoire » 41 ( * ) . Elle s'interroge également sur les limites de la jurisprudence constitutionnelle relative à la normativité : « Si un énoncé n'est pas normatif au sens du Conseil constitutionnel [...] , comment alors peut-il être contraire - ou produire des effets contraires - à une norme constitutionnelle ? ». De même, « si une disposition n'est pas normative, comment les autorités d'application pourraient-elles lui faire produire des effets normatifs ? » Quant au juge, il « peut reconnaître qu'un énoncé n'a pas d'effet normatif, et rejeter un recours sur ce fondement. Il ne s'agit pas d'un déni de justice mais de l'affirmation que la requête était mal fondée ». Du reste, un texte non normatif peut avoir son utilité : « L'abstraction et l'absence apparente de normativité des énoncés législatifs remplissent de multiples fonctions. Elles sont parfois le fruit de compromis sans lesquels le texte n'aurait pu être adopté. Elles peuvent aussi correspondre à une volonté délibérée de laisser aux diverses autorités d'application un pouvoir d'appréciation afin, par exemple, d'assurer une meilleure adaptation du texte à la diversité des circonstances et ainsi, finalement, de prévoir l'imprévu ».

2. Les lois d'orientation et de programme

La question des rapports annexés à certaines lois a amené le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la normativité de ces dispositions et, plus largement, à faire évoluer sa jurisprudence sur les lois d'orientation et de programme.

Un nombre croissant de lois comportent désormais des annexes approuvant des orientations. Ce phénomène soulève la question de la portée normative de ces dispositions.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel, soulevant d'office cette question, a d'abord repris la position adoptée par le Conseil d'Etat à propos du rapport annexé à la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 42 ( * ) et du rapport présentant les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale annexé, en application de la loi organique, à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 43 ( * ) , à savoir que ces rapports n'avaient pas la valeur normative des dispositions législatives.

Dans sa décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002 portant sur la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel a repris la jurisprudence du Conseil d'Etat et a distingué le rapport d'orientation, approuvé par l'article 1 er de la loi, du rapport approuvé par l'article 2 : « Si la programmation des moyens de la sécurité intérieure pour les années 2002 à 2007 figurant à l'annexe II de la loi et approuvée par son article 2 a la valeur normative qui s'attache aux lois de programme prévues à l'article 1 er de l'ordonnance susvisée du 2 janvier 1959, les "orientations" présentées dans le rapport figurant à l'annexe I de la loi déférée ne relèvent en revanche d'aucune des catégories de textes législatifs prévues par la Constitution et ne sont dès lors pas revêtues de la valeur normative qui s'attache à la loi ».

Il a adopté la même position dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 portant sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Cette jurisprudence avait pour conséquence la déclaration de non-conformité à la Constitution des dispositions des lois d'orientation qui sont dépourvues de portée normative et qui ne peuvent se rattacher à la notion de « loi de programme à caractère économique et financier » prévue par l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution.

A l'époque, la doctrine pouvait expliquer que « le Conseil constitutionnel n'a pas [...] pris de position de principe sur les annexes législatives en général » 44 ( * ) .

Dans sa décision n° 2005-512 DC précitée, le Conseil constitutionnel a précisé sa jurisprudence sur les rapports annexés.

Alors que les requérants estimaient que l'article 12 de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, aux termes duquel « les orientations et les objectifs de la politique nationale en faveur de l'éducation ainsi que les moyens programmés figurant dans le rapport annexé à la présente loi sont approuvés », était dépourvu de portée normative, le Conseil a jugé que le contenu du rapport était bel et bien dénué de caractère normatif, mais qu'il pouvait se rattacher à la catégorie des lois de programme à caractère économique et social : « Ce rapport annexé fixe des objectifs à l'action de l'Etat dans le domaine de l'enseignement des premier et second degrés ; [...] si les engagements qui y figurent ne sont pas revêtus de la portée normative qui s'attache à la loi, ses dispositions sont de celles qui peuvent trouver leur place dans la catégorie des lois de programme à caractère économique ou social prévue par l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution ; [...] dans cette mesure, elles pouvaient être approuvées par le législateur ; [...] le grief tiré du défaut de portée normative ne peut donc être utilement soulevé à l'encontre de l'ensemble du rapport approuvé par l'article 12 de la loi déférée ».

Le Conseil a requalifié la loi d'orientation en loi de programme. Comme le notent les Cahiers du Conseil constitutionnel , « les lois d'orientation doivent être des lois de programme », dont la portée normative est moindre que celle de la loi ordinaire.

M. Jean-Pierre Camby écrit à ce propos : « Cette catégorie législative pourra fonctionner comme une sorte de soupape au regard d'une jurisprudence sur l'absence de normativité de la loi ordinaire : si le législateur veut incorporer à son travail un débat sur des orientations, des objectifs ou des affirmations dénuées de normativité, il pourra continuer de le faire par le biais de lois de programme, dont les annexes, pour être dépourvues de tout caractère normatif, n'en revêtiront pas moins la part d'engagement politique, de définition d'objectifs, d'affirmation et de symbole que remplissent les normes floues. Mais la loi ordinaire ne saurait désormais mêler de tels neutrons à des dispositions impératives » 45 ( * ) .

Le Conseil a toutefois censuré l'article 12 de la loi déférée, au motif que, « en vertu de l'article 70 de la Constitution, [le rapport annexé] aurait dû être soumis pour avis au Conseil économique et social ; que l'omission de cette formalité substantielle a entaché la régularité de la procédure mise en oeuvre pour son approbation ».

Le contrôle de conformité, par le Conseil constitutionnel, de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique a donné l'occasion de souligner le caractère relatif de l'exigence de normativité .

En effet, les requérants estimaient que les articles 1 er à 6 de la loi déférée, qui déterminent les objectifs de l'action de l'Etat en matière de politique énergétique, étaient dénués de portée normative, que le législateur avait cherché à « contourner » la jurisprudence du Conseil constitutionnel « en matière de textes dénués de portée normative » en requalifiant la loi, au cours de son examen, en « loi de programme », et qu'ils ne respectaient pas le principe de clarté et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Le Conseil constitutionnel n'a pas suivi cette argumentation, bien que ce texte soit passé, au cours de sa discussion au Parlement, de 13 à 110 articles et que le projet de loi d'orientation sur l'énergie ait changé d'intitulé pour devenir la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. En effet, comme le font observer les Cahiers du Conseil constitutionnel , « la plus grande partie des orientations initialement contenues dans le rapport annexé est remontée dans le corps même du texte » 46 ( * ) . Il a également estimé que le rattachement de la loi d'orientation sur l'énergie à la catégorie des lois de programme n'est intervenu qu'en cours de navette : à la date de son dépôt, ce texte ne pouvait donc être considéré comme un projet de loi de programme devant être soumis pour avis au Conseil économique et social en vertu de l'article 70 de la Constitution. Ainsi l'exigence de consultation du Conseil économique et social s'apprécie-t-elle à la date de dépôt du texte.

Dans sa décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 portant sur la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, il a jugé que « la catégorie des lois de programme à caractère économique et social est définie, depuis le 1 er janvier 2005, par le seul avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution ; que les dispositions des articles 1 er à 6 de la loi déférée qui fixent des objectifs à l'action de l'Etat dans le domaine énergétique sont de celles qui peuvent désormais trouver leur place dans cette catégorie ; qu'il s'ensuit que le grief tiré de leur défaut de portée normative ne peut être utilement soulevé à leur encontre ; que ne saurait davantage être invoqué le grief tiré de leur imprécision ».

De cette décision du Conseil, il faut retenir que des dispositions non normatives constituant un catalogue d'objectifs (qualitatifs et quantitatifs) peuvent trouver leur place dans une loi de programme de caractère économique et social . Dès lors, le moyen tiré du défaut de normativité de ces dispositions est inopérant , cette catégorie de loi étant soumise à d'autres exigences du fait de son objet et de sa nature.

Selon le commentaire de cette décision publié aux Cahiers , la réunion de trois conditions définit la loi de programme :

- cette loi doit toucher au domaine économique et social ;

- elle doit se présenter comme un catalogue d'objectifs ;

- le Conseil économique et social doit avoir été consulté en vertu de l'article 70 de la Constitution, dès lors qu'à la date de son dépôt, le projet de loi contient des éléments programmatiques qui se rattachent à la catégorie des lois de programme à caractère économique et social.

E. L'ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE RELATIVE AU PARTAGE « LOI/RÈGLEMENT »

Alors que la Constitution fixait le domaine d'intervention respectif de la loi (article 34) et du règlement (article 37), le Conseil constitutionnel a, de longue date maintenant, tranché la question de « l'incompétence positive » du législateur.

En effet, depuis la décision n° 82-143 DC du 30 juillet 1982, dite « Blocage des prix et revenus », le Conseil permet au législateur d'empiéter sur le domaine du règlement : « La Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi ». Dès lors, les requérants « ne sauraient se prévaloir de ce que le législateur est intervenu dans le domaine réglementaire pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la Constitution ».

Or, la multiplication des dispositions de nature réglementaire dans les lois a conduit le Conseil constitutionnel à faire évoluer cette jurisprudence, à l'occasion de son contrôle de constitutionnalité sur la « loi Fillon ».

Dans sa décision n° 2005-512 DC précitée, il a considéré que quatre articles de la loi ont, « à l'évidence, le caractère réglementaire », et, surtout, de façon novatrice, le précise dans le dispositif de sa décision (article 3).

Le commentaire de cette décision publié aux Cahiers explicite la démarche du juge constitutionnel.

Ainsi cette décision a-t-elle voulu sanctionner la « loi bavarde », dénoncée en 1991 par le Conseil d'État dans son rapport public : « La condamnation de la « loi bavarde » est justifiée par la nécessité d'enrayer le processus de dégradation de la qualité de la législation ». En outre, « en réaffirmant ainsi les fondements essentiels de l'acte législatif, le Conseil a manifesté son intention de reconsidérer sa position, jusqu'alors tolérante, à l'égard des dispositions non normatives ».

Par ailleurs, « le Conseil constitutionnel se propose désormais de déclarer « préventivement » réglementaires les dispositions en cause. [...] Cette déclaration de la nature réglementaire de dispositions contenues dans une loi déférée, si elle ne conduit pas à leur censure, n'en stigmatise pas moins la malfaçon législative dont elles sont entachées. En outre, elle produit un effet utile (surtout si elle est reprise dans le dispositif de la décision) : la possibilité, pour le gouvernement, de déclasser sans saisine nouvelle du Conseil constitutionnel ».

Toutefois, cette décision n'est pas sans poser de réelles questions, comme l'a d'ailleurs relevé la doctrine.

M. Michel Verpeaux écrit ainsi : « Ces normes requalifiées de réglementaires par le Conseil gardent néanmoins leur « forme législative » tant qu'elles ne sont pas modifiées par décret. Elles ne deviennent pas des actes administratifs et elles ne sont pas susceptibles de recours devant le Conseil d'État. [...] Dans le cas de la procédure de délégalisation de l'article 37, alinéa 2, la question d'un éventuel recours ne se posait pas en pratique pour des raisons de délai, la décision du Conseil constitutionnel intervenant longtemps après l'entrée en vigueur des dispositions en cause, et tout recours était impossible. Lorsque le Conseil est amené, comme dans le cas de la décision 512 DC, à proclamer qu'une disposition d'une loi est en fait de nature réglementaire avant même que la loi entre en vigueur, le délai théorique de deux mois du recours pour excès de pouvoir est ouvert. Mais admettre une telle hypothèse poserait la délicate question du point de départ du délai de recours (la décision du Conseil, ou la promulgation de la loi ?) et reviendrait encore à faire du Conseil l'auteur, indirect, d'un acte administratif de type nouveau, ou, pire encore, le Parlement, de manière consciente ou non, ce que l'on ne peut guère concevoir ». Il conclut en estimant que, « en voulant « marquer le coup » pour prévenir le législateur qu'il ne devait plus abuser des normes faussement législatives, le Conseil a choisi une solution de compromis pour montrer du doigt les dispositions réglementaires sans les censurer » , et considère que cette décision est « plus de valeur que de droit » 47 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a procédé de la même façon quelques mois plus tard, s'agissant du domaine respectif de la loi organique et de la loi ordinaire .

Ce n'est pas la première fois que le Conseil relevait un empiètement de la loi organique dans le domaine de la loi. Il estimait alors que les dispositions en cause n'étaient pas contraires à la Constitution, mais qu'elles avaient en fait valeur de loi ordinaire 48 ( * ) .

En revanche, dans sa décision n° 2005-519 DC précitée, il a déclassé ou reclassé, dans le dispositif de sa décision (articles 3 et 4), plusieurs articles de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale qui, soit n'ont pas le caractère de loi organique, soit, au contraire, n'ont pas valeur de loi ordinaire, mais organique - c'est d'ailleurs la première fois que le Conseil reclassait en « LO » des dispositions libellées en « L » par le législateur. En l'absence d'un tel déclassement ou reclassement, « la lisibilité et la sécurité juridique n'y auraient guère trouvé leur compte », font observer les Cahiers du Conseil constitutionnel 49 ( * ) .

* 1 Selon M. Etienne Grass (« L'inflation législative a-t-elle un sens ? », Revue du droit public n° 1-2003), l'accroissement des normes législatives est fréquemment associé au terme « inflation » depuis un « article fondateur » du doyen René Savatier, intitulé « L'inflation législative et l'indigestion du corps social », Dalloz 1977 chron., page 43.

* 2 La loi, Dalloz (2 e édition, 1994).

* 3 « L'inflation législative n'est donc pas l'augmentation du nombre des lois nouvelles, mais celle de leur taille » écrit Georges Hispalis (pseudonyme) dans son article intitulé « Pourquoi tant de loi(s) ? », publié dans la revue Pouvoirs consacrée à la loi (n° 114, septembre 2005). L'auteur précise que les lois sont « plus volumineuses, complexes, voire touffues qu'auparavant ».

* 4 Voir aussi l'article « Penser la loi » que M. Guy Carcassonne a publié dans la revue Pouvoirs (n° 114, septembre 2005), ou encore l'article de M. Yves Gaudemet dans la Revue du droit public (n° 1-2006), dans lequel il dénonce la « loi administrative ».

* 5 Actes du colloque « La réforme du travail législatif », Cahiers constitutionnels de Paris I, Dalloz 2006 - Cf. également, sur le thème de « La qualité de la loi », l'intervention de M. Jean-Louis Hérin dans ce colloque.

* 6 Proposition de loi constitutionnelle n° 1832 du 5 octobre 2004 (AN, XII e législature).

* 7 Des extraits de ce discours sont reproduits en annexe à la présente étude.

* 8 Les dispositions de la Constitution mentionnées dans les décisions du Conseil constitutionnel citées sont reproduites en annexe à la présente étude.

* 9 M. Damien Chamussy, Revue du droit public n° 6-2004. Voir aussi, du même auteur, « Le Conseil constitutionnel, le droit d'amendement et la qualité de la législation - Évolutions récentes de la jurisprudence », Revue du droit public n° 4-2007.

* 10 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19.

* 11 Le Conseil constitutionnel exige en effet traditionnellement que les dispositions législatives en matière pénale soient rédigées en termes suffisamment clairs et précis afin que le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, formulé par l'article 8 de la Déclaration des droits de 1789, ne soit pas méconnu (voir par exemple la décision n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, la décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985 portant sur la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises ou encore la décision n° 86-213 DC du 3 septembre 1986 portant sur la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État).

* 12 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12.

* 13 Mme Laurence Gay, Revue française de droit constitutionnel n° 50, avril-juin 2002.

* 14 M. Bertrand Mathieu, Petites affiches n° 191, 24 septembre 2002.

* 15 Mme Laure Milano, Contrôle de constitutionnalité et qualité de la loi, Revue du droit public n° 3-2006.

* 16 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18.

* 17 Mme Laurence Gay, Revue française de droit constitutionnel n° 50, avril-juin 2002.

* 18 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21.

* 19 Cet article a été publié dans l'ouvrage collectif dirigé par M. Roland Drago, intitulé « La confection de la loi », Presses universitaires de France, Cahiers des sciences morales et politiques (janvier 2005).

* 20 M. Pierre de Montalivet a consacré sa thèse aux objectifs de valeur constitutionnelle et a reçu le Prix de thèse 2005 du Sénat.

* 21 Il convient de rappeler que la notion d'objectif de valeur constitutionnelle est apparue pour la première fois dans la décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982 à propos de la loi relative à la communication audiovisuelle. « L'objectif de valeur constitutionnelle est donc la justification de certaines limites apportées à l'application d'une règle constitutionnelle ; mais cet objectif ne peut permettre de faire disparaître cette règle ou lui porter une atteinte excessive », écrit M. François Luchaire dans un article de la Revue française de droit constitutionnel n° 64, octobre 2005.

* 22 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8.

* 23 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18.

* 24 Le Conseil constitutionnel avait également été saisi de cet accord par le Premier ministre.

* 25 Recueil Dalloz (2007-n° 2).

* 26 M. Didier Ribes, Revue française de droit constitutionnel n° 50, avril-juin 2002.

* 27 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17.

* 28 Petites affiches n° 97, 14 mai 2004.

* 29 Revue française de droit constitutionnel n° 59, juillet 2004.

* 30 Revue de droit fiscal n° 8 (année 2005).

* 31 Les requérants critiquaient en particulier le fait que l'instauration d'une « prime majoritaire » régionale permettrait à une liste d'être majoritaire en sièges tout en étant minoritaire en voix dans un même département.

* 32 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15.

* 33 M. Bertrand Mathieu, Petites affiches n° 10, 13 janvier 2006.

* 34 Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 20 rappellent que l'article 78 représentait 9 pages de la « petite loi » et 14 801 caractères. Par ailleurs, le dossier documentaire publié sur le site Internet du Conseil représente, sous la forme d'un schéma, les très nombreux renvois opérés par l'article 78 et illustre ainsi l'extrême complexité de ce dispositif.

* 35 Sur ce point, voir les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 11 (mars/septembre 2001), qui, dans la rubrique « Études et doctrine », analysent le principe de sécurité juridique.

* 36 Arrêt Société KPMG et autres, du 24 mars 2006.

* 37 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17.

* 38 Mme Anne-Laure Valembois, Petites affiches n° 246, 12 décembre 2005.

* 39 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19.

* 40 Revue française de droit administratif 2005.

* 41 N'est pas normatif qui peut. L'exigence de normativité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 21.

* 42 Arrêt Confédération nationale des groupes autonomes de l'enseignement public, du 5 mars 1999.

* 43 Arrêt Rouquette, du même jour.

* 44 M. Stéphane Guy, Revue du droit public n° 5-2002.

* 45 Revue du droit public n° 4-2005.

* 46 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19.

* 47 Recueil Dalloz 2005.

* 48 Voir, par exemple, la décision n° 92-305 DC du 21 février 1992, afférente à la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

* 49 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19.

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