2. Asie du Sud-Est

En Asie, surtout dans les villes, le secteur informel englobe entre un tiers et deux tiers de la main-d'oeuvre. Il occupe notamment une place importante dans les économies des pays francophones d'Asie du Sud-Est. Il apparaît en effet qu'au Vietnam et au Cambodge, et dans une moindre mesure au Laos, l'informel permet de fournir du travail à une main-d'oeuvre excédentaire, compte tenu de l'accroissement rapide de la population active et de la mise en oeuvre de certaines réformes économiques.

Toutefois, le terme de secteur informel n'est utilisé que depuis très récemment dans ces pays. Il peut être défini comme un secteur économique constitué de toutes les micro-entreprises et les unités d'auto-emploi qui sont juridiquement légales, mais qui ne sont pas formellement contrôlées par l'État. Étant caractérisé, entre autres, par l'utilisation de technologie simple, par des heures de travail variables ou flexibles et par l'absence de sécurité sociale, il peut prendre diverses formes. Il concerne, en l'occurrence, les petites productions familiales dans le domaine du commerce, de la réparation et des transports, la main-d'oeuvre domestique, les services privés tels que la location de maisons, les services médicaux hors de l'hôpital, les cours privés, etc.

Le développement de ce secteur au Vietnam est lié à plusieurs contraintes. Suite aux réformes économiques mises en oeuvre les entreprises d'État ne sont en effet plus en mesure d'absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Or, le nombre de ces derniers a très fortement augmenté en raison, d'une part, de la démobilisation militaire et, d'autre part, du taux d'accroissement démographique qui avoisine 3 % annuellement.

Ce dernier risque d'ailleurs de rester très élevé puisque 40 % de la population vietnamienne a moins de 15 ans. On estime en effet que près de 8,6 millions de personnes se présenteront sur le marché du travail entre 1996 et 2000. Ainsi, même avec une croissance élevée (de l'ordre de 10 %), l'économie ne pourra absorber qu'un peu moins de la moitié de ces personnes tandis que les autres devront trouver un emploi dans le secteur informel qui sert donc, le cas échéant, de soupape de sécurité. Cette situation a des répercussions importantes chez les jeunes Vietnamiens. Selon les enquêtes du Ministère du Travail, la moitié des employés du secteur informel sont des jeunes dont c'est le premier emploi.

Par ailleurs, le secteur informel peut procurer aussi un complément de revenus. Parmi les employés de ce secteur, 10 % y exercent en effet une activité complémentaire à un travail officiel dans les entreprises publiques ou privées. Selon l'étude de M. Philippe Papin citée dans la bibliographie, en 1996, le traitement moyen d'un fonctionnaire était de 240 francs français, contre 190 francs dans le privé officiel et 165 francs dans l'informel : l'écart est faible, et c'est un complément très appréciable, presque un doublement de revenus, pour ceux qui ont déjà un emploi ailleurs.

La même étude fait apparaître que, sur l'ensemble de l'économie, le secteur informel représentait 48 % du PIB du Vietnam en 1996. De 1985 à 1994, ce secteur a créé 2,3 millions d'emplois, ce qui en fait le deuxième employeur du pays après le secteur agricole et avant l'État. De plus, de 1985 à 1996, parallèlement à l'émergence d'entreprises privées, le secteur informel a progressé de 60 % sur le plan de la création d'emploi alors que le secteur étatique était à la baisse (-30 %) dans les entreprises d'État et -9,2 % dans le service public). À Hochiminh-ville par exemple, 63 % de la population active, évaluée à 2,8 millions de personnes, avait du travail en 1996. Sur ce nombre, les trois quarts étaient employés dans le secteur privé, et parmi eux, la moitié, soit 650000 personnes oeuvraient dans l'informel selon la répartition suivante : 100000 sont employées de maison, 150000 sont employées dans le cadre familial et 300000 ont des activités telles que conducteurs de cyclo-pousse ou de moto-taxi, vendeurs ambulants, réparateurs travaillant sur les trottoirs, dans les rues et les marchés.

Lorsqu'on examine ses unités économiques, on constate que l'informel agit à très petite échelle. La main d'oeuvre est limitée à 5 personnes et les capitaux investis étaient en moyenne de 2 000 francs en 1992. Les recettes d'une unité moyenne sont de 20000 francs par personne et par an. C'est moins que les recettes de 30000 francs d'une entreprise enregistrée, mais comme cette dernière doit payer des impôts et des taxes, et qu'elle possède un capital initial dix fois plus élevé, son taux de profit de 17 % est au bout du compte inférieur à celui de la petite unité informelle qui atteint 44 %.

L'informel est aussi un phénomène rural. En effet dans les campagnes, la faible rentabilité pousse certains paysans, et en premier lieu les riziculteurs, vers l'économie informelle. Les enquêtes indiquent que le secteur informel en milieu rural représente 10 à 15 % des emplois dans le Nord du pays et 15 à 20 % dans le Sud.

En résumé, au Vietnam le secteur informel procure de l'emploi aux jeunes et aux employés, et fournit un complément financier aux fonctionnaires et aux paysans. Ce faisant, il répond à la nécessité immédiate de combattre la pauvreté par la création de possibilités d'emploi additionnelles pour une population active en forte augmentation.

Au Cambodge, les contours du secteur informel s'inscrivent dans un contexte économique tout autre. Dans ce pays, l'économie a subi une profonde transition suite à la guerre et à l'instabilité politique qui en a résulté. Les soldats démobilisés, le retour d'environ 350000 réfugiés et d'environ 180000 personnes déplacées à l'intérieur du pays sont venus augmenter les rangs des demandeurs d'emplois, alors que l'agriculture ne peut plus absorber autant de personnes qu'elle le devrait puisque plusieurs terres cultivables sont actuellement infestées de mines. Autre conséquence de la guerre, les femmes représentent maintenant 65 % de la population et 35 % des familles sont entretenues par celles-ci. Par ailleurs, la plupart des grandes entreprises ont été détruites par la guerre et l'économie repose surtout sur des activités de petites échelles : les gens à leur propre compte et les micro-entreprises. Cette situation est encore aggravée par l'absence ou l'insuffisance des infrastructures de base telles que les routes et les transports. À cause de tous ces éléments, et de l'étroitesse du marché, même le secteur informel - particulièrement le commerce et les services - ne parvient plus à absorber la main d'oeuvre excédentaire.

Certaines organisations internationales et ONG apportent une assistance au secteur informel au Cambodge grâce à des programmes de micro-crédits.

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