Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 3 - 26 mars 1995

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LES DOCUMENTS DE TRAVAIL DU SÉNAT

Série GROUPES D'AMITIÉ

ENTRE DEUX EMBARGOS

LA RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE AU DÉBUT 1995

RAPPORT DU DÉPLACEMENT

EFFECTUÉ DU 3 MARS AU 8 MARS 1995

PAR LE GROUPE D'AMITIÉ

FRANCE-RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la suite du déplacement effectué par le Groupe d'Amitié France-République de Macédoine. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

n° GA3 Septembre 1995

COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

MM. Roland BERNARD Président du groupe d'amitié

Sénateur du Rhône

André BOYER Sénateur du Lot

La délégation était accompagnée de M. Pierre MAYEUR, administrateur des services du Sénat, secrétaire administratif du groupe d'amitié.

INTRODUCTION : LE GROUPE D'AMITIÉ FRANCE - RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE DU SÉNAT

Le 17 mai 1994, le Bureau du Sénat a autorisé, sur la demande de M. Roland BERNARD, la constitution d'un groupe d'amitié entre la France et la République de Macédoine. Ce groupe a tenu son Assemblée Générale Constitutive le 28 juin 1994.

L'histoire de ce groupe d'amitié est ainsi très récente et se limite principalement au premier de ses objectifs : mieux faire connaître à MM. et Mmes les sénateurs cette petite République de 2 millions d'habitants. La Macédoine constitue, en effet, une clef essentielle pour le maintien de la paix dans le sud des Balkans, alors que Skopje est distant de 300 kilomètres de Sarajevo.

COMPOSITION DU BUREAU

Á la suite de l'Assemblée Générale constitutive du 28 juin 1994, le Bureau du groupe d'amitié est le suivant :

Président : M. Roland BERNARD (SOC-Rhône)

Vice-Présidents : M. Michel MIROUDOT (RI - Haute-Saône)

M. Jacques BÉRARD (RPR - Vaucluse)

Secrétaires : M. Jacques GOLLIET (UC - Haute-Savoie)

M. René RÉGNAULT (SOC- Côtes d'Armor)

M. Yvon COLLIN (RDE - Tarn-et-Garonne)

Il est à noter que le Président du groupe d'amitié, M. Roland BERNARD et le deuxième vice-président, M. Jacques BÉRARD, se sont rendus en Macédoine, en qualité d'observateurs internationaux, pour le premier tour des élections présidentielle et législative, le 16 octobre 1994, accompagnés par le secrétaire administratif du groupe. Si cette mission n'était pas une mission du groupe d'amitié, elle a permis de contribuer à une meilleure information sur la situation macédonienne. Le rapport de cette mission a été distribué, notamment, à tous les membres du groupe d'amitié.

Le mercredi 7 décembre 1994, le groupe a organisé un dîner au Sénat en l'honneur de Son Excellence Luan STAROVA, ambassadeur de la République de Macédoine en France, qui a permis à la dizaine de sénateurs présents d'avoir un meilleur éclairage encore de la situation de son pays, au lendemain de ces élections très importantes.

Les autorités macédoniennes, très sensibles aux efforts du groupe d'amitié, ont tenu à l'inviter à effectuer un déplacement en mars 1995. L'invitation a été lancée par M. Stojan ANDOV, Président du Parlement, alors que le groupe d'amitié macédonien avec la France n'avait pas encore été constitué.

Lors de ses déplacements dans le sud de la Macédoine, la délégation a été accompagnée par M. Atanas VANGELOV, député de Gevgeljia et professeur à l'université Cyrille et Méthode de Skopje. Qu'il trouve ici l'expression des remerciements de la délégation.

Enfin, ce déplacement n'aurait pu pleinement réussir sans le dévouement de l'ambassadeur de France à Skopje, M. Patrick CHRISMANT, et de sa petite, mais efficace équipe.

I- L'indépendance de la Macédoine est une conséquence de la dislocation de la fédération yougoslave.

1- La Macédoine dans l'Histoire

a) Un enjeu de toujours entre puissances balkaniques

Le nom de Macédoine évoque immédiatement le royaume que Philippe II porta à son apogée, avant d'imposer son hégémonie à toute la Grèce antique (359-336 avant J.C.). Les Macédoniens étaient des Grecs du Nord, ils n'étaient pas des Héllènes, "citoyens d'une cité-État" 1 ( * ) , comme les Athéniens ou les habitants de Sparte. Ce territoire avait été préalablement occupé par les Perses (VIème - Vème siècle). La Macédoine antique était d'une superficie d'à peu près 70.000 km 2 , un pays essentiellement montagneux ouvert par des bassins, dont le plus vaste est celui du Vardar.

De la Macédoine antique à l'arrivée des Slaves

VIème siècle avant J.C - VIIème siècle après J.C

VIème - Vème siècle avant J.C . occupation par les Perses

336 - 323 Règne d'Alexandre le Grand

323 - 276 Diadoques

276 - 168 Antigonides

148 victoire des Romains à Pydna : la Macédoine devient province romaine jusqu'au IVème siècle après Jésus-Christ, date à laquelle elle est rattachée à l'Empire romain d'Orient.

C'est au VIIème siècle après Jésus-Christ que les tribus slaves déferlent sur la péninsule balkanique, occupant même la plus grande partie du Péloponnèse. La Macédoine va être alors, du IXème au XlVème siècle, un enjeu territorial entre Byzantins, Serbes et Bulgares. En 864, la Bulgarie se convertit au christianisme orthodoxe. Le territoire de la Macédoine va être le foyer de la religion orthodoxe (monastères) et de la langue slave. Quand la Russie est convertie au christianisme orthodoxe en 989, elle adopte le dialecte slave macédonien "cyrillique", inventé en Bulgarie. La première chronique russe, au début du XIIème siècle, est écrite en slavon de Macédoine. La Serbie en 1180, puis la Bulgarie en 1185, se révoltent et créent deux États indépendants de l'Empire romain d'Orient. Après être passée sous la domination de l'Empire grec de Nicée au milieu du XIIIème siècle, la Serbie conquiert, à la fin du siècle, toute la partie septentrionale du territoire macédonien. L'entente étant impossible entre Serbes et Grecs, ce sont les Turcs qui s'imposent. De 1371 à 1912, la Macédoine fait partie de l'Empire ottoman. En 1767, les Grecs obtiennent des Turcs qu'ils destituent le métropolitanat d'Ohrid, pour le placer sous la domination d'exarques nommés par le patriarche de Constantinople.

La Macédoine enjeu des Balkans :

du traité de San Stefano au traité de Bucarest

1878 - 1913

1878 Traité de San Stefano mettant fin à la guerre russo-turque impose l'idée d'une grande Bulgarie occupant la Macédoine.

1878 Congrès de Berlin : la Macédoine est restituée à l'Empire ottoman.

1894 création de l'ORIM (Organisation Révolutionnaire Intérieure de Macédoine) à Salonique, soutenue par la Bulgarie.

1903 (2 août) insurrection de la Saint-Elie (ou révolte d'Illinden) contre les Turcs : échec et répression sanglante.

octobre 1912 - mars 1913 première guerre balkanique. Les Serbes occupent la Macédoine.

juin 1913 deuxième guerre balkanique les Bulgares attaquent leurs ex-alliés serbes, sans succès.

août 1913 traité de Bucarest, mettant fin à la domination turque et partageant la Macédoine.

Par le traité de Bucarest (août 1913), la Grèce bénéficie de 51,7 % du territoire de la Macédoine (soit 34 177 km 2 ), la Macédoine du Vardar revenant à la Serbie (38,2 %, soit 25 713 km 2 ), la Bulgarie se contentant de 10,11 % du territoire.

Des "échanges de population" ont alors lieu, les "héllénophones" de la Macédoine "serbe" et "bulgare" refluant vers la Macédoine grecque, la plupart des Slavo-macédoniens quittant la Grèce. De 1915 à 1918, la région est le théâtre d'une campagne menée par les Alliés contre les forces austro-germano-bulgares. La Bulgarie s'engage en effet dans la première guerre mondiale avec le but d'occuper la Macédoine. La ville de Monastir (Bitola) est ainsi libérée par les troupes françaises de l'armée d'Orient, en septembre 1916. Le Traité de Neuilly de 1919 confirme celui de Bucarest. Á la suite des traités suivant la première guerre mondiale, la partie "serbe" fait partie intégrante du Royaume de Yougoslavie, sans qu'on lui reconnaisse pour autant des droits spécifiques. Leur différence n'est pas reconnue de peur de fournir des arguments aux prétentions bulgares. Il est rarement question, alors, de "Macédoniens". On parle de "Serbes" ou de "Serbes du Sud". La seconde guerre mondiale offre à la Bulgarie, en 1941, une nouvelle occasion d'annexer la Macédoine (à l'exception des territoires annexés à l'Albanie italienne) : les troupes bulgares occupent la Macédoine grecque et yougoslave. La Bulgarie applique une politique de reconnaissance de l'identité macédonienne (à la différence de la politique d'assimilation serbe entre les deux guerres). La résistance menée par le parti communiste de Macédoine conduit à la libération, pendant l'été 1943, de plusieurs territoires de la région. Le "Manifeste de la résistance macédonienne", publié en octobre 1943, définit les principaux éléments de l'organisation juridique du futur État macédonien.

b) Une des six républiques de l'ex-Yougoslavie entre 1945 et 1990

Elle devient le 29 novembre 1945 l'une des six républiques socialistes qui composent la Fédération yougoslave. Elle se dote d'une constitution socialiste le 31 décembre 1946. Le calcul de Tito est clair : pour équilibrer les relations entre les Slovènes, les Serbes et les Croates, il faut d'autres partenaires. Parler de "Macédoniens" et créer une République autonome autour de Skopje fait partie de cette politique. Il agite également le projet, dans les premières années d'après-guerre, qui correspondent à la guerre civile en Grèce (1945-1949), avec le dirigeant bulgare Dimitrov, d'une fédération slavo-macédonienne englobant la Macédoine grecque.

Après la brouille avec les pays communistes voisins, Tito continue à favoriser la mise en place d'une "conscience macédonienne" en autorisant la création d'une Église orthodoxe autocéphale de Macédoine en 1967, non reconnue par le Patriarcat de Serbie et les autres Églises orthodoxes. Il s'agit bien d'éviter à la fois toute tentation de rattachement avec la Bulgarie ou la domination excessive des Serbes.

Les élites vont jouer le jeu de cette intégration à part entière dans l'entité yougoslave; beaucoup de Macédoniens deviennent ainsi hauts fonctionnaires, universitaires, journalistes, diplomates, même si les répressions sont semblables à celles constatées dans les autres républiques.

2- Une indépendance obligée plus que désirée

Ce mouvement d'indépendance va s'appuyer, dans un premier temps, sur une authentique revendication nationaliste. Le 19 mai 1990, 50.000 manifestants, en République yougoslave de Macédoine, bloquent la frontière avec la Grèce pour réclamer la reconnaissance par celle-ci de la minorité " macédonienne " dans la province grecque de Macédoine. Cette minorité est en effet chiffrée entre quelques milliers et 50.000 pour la Grèce, État unitaire qui se refuse à reconnaître les minorités ethniques. Le 25 mai de la même année, les délégués macédoniens s'associent aux délégués croates et Slovènes pour boycotter les travaux du congrès de la Ligue des communistes yougoslaves. En juin, le Parti démocratique pour l'unité nationale macédonienne (VMRO) est créé. Il se veut l'héritier du mouvement nationaliste, terroriste et pan-macédonien ORIM (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne). Le VMRO est, à vrai dire, un regroupement hétérogène de mouvements. Certains réclament ouvertement la Macédoine grecque et Thessalonique. Les 11 et 25 novembre 1990, des élections libres sont organisées. Un Gouvernement de coalition, composé d'experts, associant l'Alliance sociale-démocrate et le VMRO-DPMNE est constitué. Le Parlement élit M. GLIGOROV comme Président de la République et M. GEORGEVSKI comme Vice-Président. Le 8 septembre 1991, lors d'un référendum boycotté par la plus grande partie des albanophones et des serbes (72 % de participation), 95 % des Macédoniens choisissent l'indépendance. En octobre 1991, le VMRO quitte la coalition, se plaignant d'être insuffisamment associé à l'exercice du pouvoir, mais participe néanmoins à la rédaction de la nouvelle constitution, promulguée le 21 novembre 1991.

Le 12 janvier 1992, la minorité albanaise organise unilatéralement un référendum sur son autonomie politique et territoriale, qui est tenu évidemment pour non valide par le Gouvernement.

Le 9 février 1992, un accord est signé avec l'armée fédérale yougoslave pour son évacuation du territoire de la République avant le 15. Cette république aura été ainsi la seule à quitter la fédération sans qu'il y ait eu l'amorce d'un conflit armé.

Cette indépendance est plus le résultat d'une évolution historique non maîtrisée, qu'une indépendance réellement désirée depuis toujours. Il s'agit d'ailleurs d'un des grands points de divergence entre la droite macédonienne du VMRO, qui revendique cette indépendance "slave" et les forces de gauche issues de l'ancienne Ligue communiste, qui présentent cette souveraineté comme la volonté des citoyens de la république de Macédoine, slaves macédoniens, slaves non macédoniens et non slaves, de construire un État qui n'est pas un État-nation, mais qui ne veut pas rester dans une fédération dominée par la seule Serbie. Il existe un corpus de doctrine très fort à Skopje pour considérer que les frontières héritées de la fédération doivent être sauvegardées : la question albanaise, c'est-à-dire la volonté de rassembler tous les Albanais d'Albanie, du Kosovo et de Macédoine dans un seul État est, dans ce sens, profondément analogue à la question serbe.

a) une volonté de construire un régime parlementaire et démocratique...

La constitution de 134 articles adoptée au lendemain de l'indépendance, fait de la République de Macédoine un régime parlementaire, avec :

- u ne Assemblée unique, l'Assemblée de la République de Macédoine, composée de 120 députés élus pour quatre ans,

- un Président élu pour cinq ans au suffrage universel, ayant les prérogatives habituelles d'un chef de l'État en régime parlementaire,

- un Gouvernement responsable devant l'Assemblée par les mécanismes de la question de confiance et de la motion de censure; il est à noter qu'il existe une incompatibilité totale entre les fonctions de membre du Gouvernement et de député (absence de suppléant), un membre du Gouvernement ne peut pas se présenter à la députation.

- et une Cour Constitutionnelle.

L'Assemblée nationale et le Président de la République sont élus au suffrage universel direct.

Principales dispositions de la loi sur l'élection des députés

(76 articles)

loi du 21 septembre 1990

article 2

droit de vote et éligibilité à 18 ans.

article 6

Le Président du Parlement convoque les électeurs tous les quatre ans.

article 20

conditions pour être candidat

il faut être présenté par un parti politique déclaré ayant au moins 1500 membres, les organisations politiques qui n'atteignent pas ce chiffre, ou qui ne sont pas déclarées, peuvent présenter un candidat sous réserve de 100 signatures.

articles 53 à 59

conditions pour être élu

un candidat est élu au premier tour s'il obtient un tiers des électeurs inscrits ; possibilité de se maintenir au deuxième tour pour tous les candidats ayant obtenu au moins 7 % des votants ; la liste des candidats est établie dix jours avant le deuxième tour ; le candidat élu au second tour est celui arrivé en tête.

Pour l'élection du Président de la République, la loi rappelle principalement les dispositions prises dans la Constitution :

Loi sur l'élection du

Président de la République

article 6

un candidat à la présidence de la République doit être proposé par au moins 10.000 électeurs ou 30 députés. Un électeur ou un parlementaire ne peut proposer qu'un candidat. Les conditions pour être candidat à la présidence de la République sont inscrites dans la Constitution (article 80 : 40 ans minimum, résidence de dix ans pendant les quinze dernières années).

articles 11 à 13

Le candidat atteignant au premier tour plus de 50 % des électeurs inscrits est élu. Ne restent au deuxième tour, deux semaines après le premier, que les deux candidats arrivés en tête. Est élu au deuxième tour celui dépassant 50 % des électeurs inscrits. Si, au deuxième tour, aucun des deux candidats n'atteint 50 % des inscrits, toute la procédure est recommencée, (article 81 de la Constitution).

La formation des partis politiques est libre, pourvu qu'ils respectent l'ordre constitutionnel et la paix :

Loi sur les partis politiques

article 3

les membres des partis politiques doivent être citoyens de la République de Macédoine.

article 4

le programme, le statut et les activités des partis politiques ne peuvent être animés par :

- la volonté de détruire l'ordre constitutionnel,

- l'appel à une agression armée,

- la manifestation d'intolérance religieuse ou ethnique.

article 7 à 26

Conditions de reconnaissance

Les partis politiques doivent prouver chaque année qu'ils ont toujours 500 membres auprès de la Cour de Justice de Skopje. Cette cour contrôle que le statut et les buts du parti respectent l'article 4. La Cour Suprême intervient en appel. La décision finale de reconnaissance revient à la Cour Constitutionnelle de la République de Macédoine.

Les partis politiques en Macédoine se distinguent entre partis politiques "généralistes" et partis ethniques.

Partis « généralistes » de la coalition

Alliance sociale-démocrate : héritière de la Ligue des communistes de Macédoine. Elle a tenu son congrès fondateur en novembre 1989. Son programme met en avant l'État de droit, l'ouverture à l'Europe, les privatisations.

Parti libéral : Parti modéré, il a fait le choix de s'intégrer dans les organisations mondiales, en devenant observateur de l'Internationale libérale depuis 1994. Il s'accorde avec les grandes options du parti social-démocrate, mais diffère sur le choix des priorités (libéralisation de l'économie, privatisations, etc.)

Parti socialiste : Il se réclame de l'Internationale socialiste et propose un programme social-démocrate.

Pour les partis politiques généralistes, on assiste à un regroupement depuis 1994 à gauche et au centre, sous le nom d'Alliance pour la Macédoine, des sociaux-démocrates (ex-communistes), du parti libéral et de la fraction majoritaire du parti socialiste.

Á droite, le VMRO, dont le mot d'ordre est "La Macédoine aux Macédoniens" est une organisation qui chapeaute en fait une demi-douzaine de fractions, dont le DPMNE est la plus importante. Il est à noter qu'en 1994, comme en 1990, ces fractions se sont présentées divisées au premier tour.

Un parti nouveau, déclarant vouloir se battre contre la corruption, a fait irruption dans la vie politique macédonienne, le parti démocratique (intellectuels, hommes d'affaires), dont le mot d'ordre est "Des mains propres", dirigé par M. Petar GOSEV, ancien président de la Ligue des communistes de Macédoine et ancien de l'Alliance social-démocrate. Son programme économique est ultra-libéral et se réclame ouvertement du thatchérisme.

Partis « généralistes » d'opposition

VMRO

formé en juin 1990 par des Macédoniens de la diaspora, reprenant le sigle du mouvement révolutionnaire ORIM.

anti-communiste et nationaliste.

Parti démocratique

PDM

Pour les partis ethniques, on en observe de toutes sortes. Les partis albanais (PDP, NDP) sont les plus importants, se divisant eux-mêmes entre fractions modérées et radicales. Il existe également des partis turcs. Le parti des Yougoslaves et le parti communiste se rangent dans cette catégorie puisqu'ils sont exclusivement représentés au nord de la Macédoine, là où il existe un peuplement serbe. Il existe enfin un parti pour la reconnaissance à part entière de la minorité tzigane.

Principaux partis ethniques

Partis albanais

PDP (Parti de la prospérité démocratique)

fondé à Tetovo en avril 1990.

NDP

le NDP tient normalement un discours plus « dur », mais il existe une fraction du PDP désormais radicalisée autour de Menduh THACI (congrès de février 1994)

Autres

Parti pour l'émancipation des Roms

Parti des Yougoslaves

Parti communiste

Parti turc

La loi sur les partis politiques prévoit le système de financement suivant :

Financement des partis politiques

Le financement par des États étrangers ou par des collectivités locales est interdit. Le financement public gouvernemental revient pour 30 % de manière égale entre les partis qui on obtenu au moins 3 % aux dernières élections, et pour 70 % aux partis qui disposent de députés, proportionnellement à leur nombre. Les dons privés sont soumis à un plafond.

La source des revenus des partis politiques doit être rendue publique.

Des premières élections libres ont eu lieu les 11 et 25 novembre 1990. Le Parlement macédonien, fort de 120 membres, s'est partagé alors entre trois principales fractions :

- un bloc majoritaire de "gauche", composé de l'Alliance sociale-démocrate du président GLIGOROV, du parti libéral et du parti socialiste.

- une opposition minoritaire (droite nationaliste du VMRO). Il faut noter que pendant près de deux ans une "grande coalition" d'unité nationale, associant le VMRO au pouvoir, est restée au pouvoir.

- des groupes parlementaires hétérogènes représentant les partis ethniques : les deux partis albanais PDP (Parti de la prospérité démocratique) et NDP, les représentants du parti des yougoslaves, les indépendants et le parti tzigane.

Le Parlement macédonien 1990 - 1994

Alliance social-démocrate

32

Réformistes (libéraux)

18

Parti socialiste

4

PDP et NDP (partis albanais)

23

Indépendants

2

VMRO

38

Parti des Yougoslaves

2

Parti Tzigane

1

TOTAL

120

Ce parlement a élu à son tour M. Kiro Gligorov à la présidence de la République. Né en 1917 ou 1919 selon les sources, il s'agit d'un ancien hiérarque de l'administration yougoslave, ce qui est un argument souvent utilisé par les nationalistes macédoniens. Il jouit, au-delà des clivages politiques, d'une incontestable popularité, parce que c'est lui -notamment - qui a obtenu le retrait sans heurts des troupes fédérales yougoslaves et le déploiement préventif- une première dans les opérations de ce genre - de 1.000 casques bleus de la FORPRONU (Scandinaves en janvier 1993 et américains en juillet 1993).

b)...respectant les droits des minorités

Á la différence d'une république comme la Slovénie, la Macédoine n'a pas un peuplement homogène. Si elle s'appuie sur la majorité slavo-macédonienne, elle comporte un grand nombre de minorités. Une des premières graves questions qui se posaient au jeune État était de chiffrer sans discussion possible, alors que les Albanais estimaient leur nombre sous-évalué, l'importance de ces minorités. Le recensement qui s'est déroulé en 1994 a été opéré avec l'aide - et sous le contrôle - du Conseil de l'Europe. La publication des chiffres a été retardée, pour ne pas entraîner de polémiques pendant la période électorale.

RÉSULTATS DU RECENSEMENT 1994

(21 juin-10 juillet)

Macédoniens

1.288.330

66,5 %

Albanais

442.914

22,5 %

Turcs

77.252

4,0 %

Tsiganes

43.732

2,3 %

Serbes

39.260

2,0 %

Valaques

8.467

0,4 %

Autres

36.922

1,9 %

TOTAL

1.936.877

100,0 %

(N.B. ces résultats ont été annoncés le 14 novembre 1994; les précédents chiffres, très contestés, portaient sur un recensement effectué en 1990).

La Constitution de la République de Macédoine respecte les droits des minorités. Le début de son Préambule est particulièrement éclairant : "Partant de l'héritage historique, culturel, spirituel et étatique du peuple macédonien, (...), la Macédoine est constituée comme État national du peuple macédonien qui assure une égalité complète des droits civiques et une cohabitation durable du peuple macédonien avec des Albanais, Turcs, Valaques, Roms et autres nationalités qui habitent dans la République de Macédoine ". L'article 7 prévoit que, si la langue officielle en République de Macédoine est le macédonien et son alphabet le cyrillique, " dans les unités de l'autogestion locale où les membres des nationalités sont en majorité, leurs langues et alphabet sont, aux côtés du macédonien et du cyrillique, également en usage officiel de la manière déterminée par la Loi ". Dans les unités où les membres des nationalités sont en nombre "considérable ", leurs langue et alphabet sont "en usage officiel". L'article 9 affirme l'égalité des citoyens de la République de Macédoine indépendamment de leur sexe, race, couleur de la peau, origine nationale et sociale, convictions politiques et religieuses, situation sociale et fortune. L'article 19, qui proclame la liberté de confession, met à égalité l'Église orthodoxe macédonienne et les autres communautés confessionnelles et groupes religieux, également séparés de l'État. Ces Églises peuvent avoir leurs propres écoles. L'article 49 affirme que les "membres des nationalités ont le droit d'exprimer, de cultiver et de développer leurs identité et particularités nationales". Les membres des nationalités ont droit à l'enseignement en leur langue dans l'éducation primaire et secondaire, à égalité avec le macédonien.

La situation des minorités est très variable. Elles sont d'ailleurs de taille tout à fait différente.

La minorité albanaise est la plus nombreuse et la seule qui peut remettre en cause réellement l'unité du pays. Dans un certain sens, la Macédoine ne survivra que si cette minorité n'est pas tentée par des aventures extérieures (rêve de la "Grande Albanie").

La communauté albanaise en Macédoine

communauté la plus nombreuse : 21 %

regroupée dans la région qui s'étende de Skopje à Struga en longeant la frontière albano-macédonienne et dans quelques communes situées dans la région de Prespa.

Les Albanais sont majoritaires dans six communes :

Tetovo, 180.000 habitants (73 % d'Albanais), Gostivar, Kicevo, Debar, Struga et Kumanovo.

Les Slavo-macédoniens et les Albanais sont dans une situation économique très différente. Les Albanais se sentent défavorisés : les Macédoniens monopolisent les emplois de direction, les emplois administratifs et les professions intellectuelles.

Inversement, dans l'imaginaire slavo-macédonien du XIXème siècle, les Albanais sont représentés comme des "étrangers, des envahisseurs, des sauvages, des prolifiques" 2 ( * ) .

Leur représentation au sein des organes de l'administration d'État est très souvent symbolique. Le taux de chômage les frappe beaucoup plus, même s'ils s'investissent dans le développement d'activités privées. Ils sont soupçonnés également de constituer des formations paramilitaires.

La loi sur la citoyenneté a aggravé le mécontentement des Albanais. Il faut exciper, en effet, sur les quinze dernières années, de dix années de présence sur le territoire macédonien. En 1992, cette citoyenneté a été refusée à quelque 20.000 Albanais de Macédoine qui, pour des raisons économiques, ont passé une bonne part de leur vie dans les autres républiques fédérées.

Après l'épisode du référendum organisé sur l'autonomie en janvier 1992, puis les émeutes du Bit Pazar (quartier albanais de Skopje), le 6 novembre 1992, qui ont fait quatre morts, une certaine détente a pu être observée, par la prise de conscience des Albanais que leur statut était nettement privilégié par rapport aux Albanais d'Albanie et du Kosovo. Le parti albanais le plus important, le PDP, a fait le choix d'entrer dans la coalition gouvernementale, observant ce qui se passait en Bosnie. Au-delà des tentatives de rapprochement et des discours d'apaisement, les Albanais et les Macédoniens vivent dans "deux sociétés parallèles, dans une sorte d'indifférence ; pour certains d'entre eux, dans une crainte mutuelle " 3 ( * ) .

Le Gouvernement macédonien mène une politique d'intégration active, comme l'ont confirmé à la délégation sénatoriale les autorités macédoniennes rencontrées.

En ce qui concerne la police, M. FRCKOVSKI, ministre de l'Intérieur, a expliqué que des quotas ont été pris pour que, dans les écoles de la police, les Albanais soient 22 % (la situation globale de départ est de 1,7 %). Un système de discrimination positive est mis en place pour que ce pourcentage monte à 4,5 % en deux ans. L'objectif est d'arriver à 20 %, mais il faut faire attention à ce que les critères de recrutement restent professionnels, il faut éviter la cooptation politique et les processus de corruption que l'on peut observer dans d'autres polices de pays issus du bloc socialiste. Il faut également observer que tout le cadre idéologique est à changer puisque la situation de départ est celle d'une très grande méfiance de la communauté albanaise envers la police. Depuis l'indépendance, les représentants de la communauté albanaise sont très sensibles au fait qu'il n'y ait pas eu de brutalités policières à son encontre.

En ce qui concerne l'armée, il est à noter que, du temps de la fédération, il n'y avait pas d'officier albanais. En deux ans, le pourcentage d'Albanais dans l'armée macédonienne est passé de 0,5 % à 3,7 %. Le respect des rites religieux (nourriture) est assuré. L'armée macédonienne comprend huit généraux; l'année prochaine, l'un d'entre eux sera Albanais.

Lors des dernières élections, un Albanais a été candidat sous la bannière de l'Alliance pour la Macédoine, dans une circonscription à forte majorité albanaise; il n'a été battu que de quelques voix par un candidat d'un parti albanais.

La délégation sénatoriale a pu rencontrer des députés albanais élus au Parlement de Macédoine. Ils ont affirmé que les Albanais ne veulent pas être des marginaux dans la construction d'un État démocratique. Ils s'investissent pour que la Macédoine réussisse. Mais le problème crucial pour eux est l'enseignement et l'éducation. En quatre ans, il n'y a eu aucune loi dans le domaine de l'enseignement. L'emploi de la langue albanaise en Macédoine est assez restrictif. Quand il n'y pas de loi, on interprète la Constitution et l'interprétation de la Constitution dépend de ceux qui l'ont faite. Les représentants du NDP ont rappelé que le règlement du Parlement prévoyait l'emploi de la langue albanaise, comme d'autres langues minoritaires, maintenant ce n'est plus le cas. Ces représentants ont fait part à la délégation, également, d'une grande dégradation en matière d'enseignement. Il y avait, selon lui, 1500 étudiants albanais dans l'ex-Yougoslavie, il y en aurait 250 actuellement.

Les efforts d'intégration de cette communauté menés par le Gouvernement se heurtent, en effet, au désir légitime des Albanais de garder leur culture propre, ce qui pousse certains d'entre eux à vouloir disposer d'universités autonomes. Le désir du pouvoir central est davantage d'essayer d'intégrer les Albanais dans les institutions de la République de Macédoine, tout en respectant bien sûr les traditions religieuses. Il y a la crainte que ces institutions propres soient contrôlés par des Albanais de l'extérieur, des réfugiés du Kosovo : l'affaire de l'université de Tetovo (février 1995, un mort) montre que cette crainte n'est pas infondée.

Le programme exposé à la délégation sénatoriale par le Parti démocratique des Turcs, montre que la minorité albanaise n'est pas la seule à réclamer des droits :

1°) modification de la loi électorale pour permettre aux minorités ethniques d'être mieux représentés ;

2°) demande d'une législation pour l'enseignement des langues minoritaires ;

3°) élargissement des conditions scientifiques, d'éducation et d'information pour permettre l'expression de l'identité culturelle des minorités ;

4°) participation plus active des minorités dans les administrations d'État et les grandes entreprises.

En ce qui concerne la minorité tzigane, le député la représentant, M. Faïk ABDI, a fait part à la délégation sénatoriale de sa satisfaction sur le traitement des Roms en Macédoine. Ils ont, comme les autres communautés, des festivals, des émissions de radio et de télévision hebdomadaires - et bientôt bihebdomadaires - à la télévision macédonienne. Les Roms ont une grande estime pour le Président GLIGOROV qui a parlé, dans son discours à l'ONU, de la communauté rom comme d'une communauté faisant partie, au même titre que les autres, de la Macédoine.

L'état d'esprit des Serbes de Macédoine, très minoritaires, est néanmoins intéressant à observer.

La communauté serbe en Macédoine

40.000 personnes

(selon les nationalistes serbes, 300.000 personnes.)

85 % d'entre eux, pour le ministre de l'Intérieur, sont intégrés dans les grandes villes et la Serbie n'a pas d'influence sur eux. Mais les 15 % restants sont situés dans des villages du Nord de la Macédoine, à la frontière avec la Serbie. Certains villages ont ainsi déployé le drapeau yougoslave devant la mairie, ainsi que des portraits des différents dirigeants serbes. Des affrontements entre les forces de l'ordre macédonienne et certaines forces extrémistes ont déjà eu lieu.

II- La Macédoine mène un combat difficile pour une pleine reconnaissance internationale

1. La Macédoine mène un combat difficile

La première rédaction de la constitution macédonienne affirmait dans son article 49 que " la Macédoine veille à la situation et aux droits des membres du peuple macédonien dans les États voisins ". La commission d'arbitrage rassemblant les présidents des Cours constitutionnelles, dite "commission Badinter", a vérifié la conformité de l'État macédonien à différents critères permettant de le ranger dans les pays "démocratiques". Cette commission a demandé la modification des articles 3 et 49, ce qui a été fait le 6 janvier 1992 par le Parlement. Le nouvel alinéa 4 de l'article 3 précise expressément que " la République de Macédoine n `a pas de prétentions territoriales à l'égard des pays voisins". Une modification des frontières ne pourrait avoir lieu que sous réserve de modification de la Constitution et " selon le principe de la bonne volonté et conformément aux normes internationales universellement reconnues ".

La Grèce face à la Macédoine

14 février 1992 - 700 000 personnes manifestent à Salonique contre la reconnaissance de la Macédoine.

10 décembre 1992 - manifestations contre l'attitude de la Grèce à Skopje et protestations contre la reconnaissance de la Macédoine à Athènes (un million de personnes)

15 octobre 1993 - rupture par la Grèce de tout dialogue avec la Macédoine

16 février 1994 - fermeture par la Grèce de toute la frontière.

La résistance de la Grèce, qui reproche à son voisin du Nord son nom et son drapeau (le symbole de Verginia, que l'on aurait trouvé près du tombeau du roi Philippe, père d'Alexandre le Grand), a beaucoup gêné la République de Macédoine dans sa quête d' une reconnaissance internationale. En même temps, à chaque fois qu'elle a tenté d'isoler encore plus la jeune République, les puissances occidentales ont fait un effort significatif : reconnaissance par six pays de l'Union européenne, à la suite de la rupture du dialogue; reconnaissance par les États-Unis, malgré la présence d'un très fort lobby grec, à la suite de la fermeture de la frontière et du port de Salonique.

Reconnaissance de la République de Macédoine

28 juin 1992 - le sommet des Douze à Lisbonne se déclare prêt à reconnaître le nouvel État " sous une dénomination qui ne comporte pas le nom de Macédoine ". Á la suite de cet échec, le Gouvernement de M. KLUJSEV est renversé par 97 voix contre 2 et 7 abstentions.

8 avril 1993 - La Macédoine est admise à l'ONU sous le nom d'"ex-république yougoslave de Macédoine" (FYROM former Yougoslav Republic of Macedonia). Le drapeau dont la Grèce demande l'abandon n'est pas hissé devant les Nations Unies, admission comme observateur à la CSCE.

rejet à quelques voix près d'une motion de censure déposée par le VMRO pour protester contre les concessions du Gouvernement relatives au nom de la République.

13 mai 1993 - La FYROM devient invité spécial auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

30 octobre 1993 - 45 États ont reconnu la Macédoine sous son nom « onusien » ou sous le nom de « République de Macédoine ».

27 décembre 1993 - Six pays de l'Union européenne, moins la Grèce reconnaissent la FYROM. Le reste des Douze (moins la Grèce) suit quelque temps après.

17 février 1994 - les États-Unis reconnaissent la FYROM, mais sans ouvrir d'ambassade.

Cette brusque fièvre nationaliste a eu de fortes conséquences sur la vie politique grecque. L'admission de la FYROM à l'ONU a coûté le pouvoir au Premier ministre grec, M. Konstantin MITSOTAKIS. Le départ de son successeur potentiel, M. Antonis SAMARAS, a provoqué des élections anticipées, remportées très largement en octobre 1993 par le PASOK de M. PAPANDREOU.

Le déploiement à titre préventif de casques bleus en Macédoine - une première dans l'histoire de l'ONU - décidé en décembre 1992 n'est pas lié au conflit avec la Grèce, mais à la peur que les conflits inter-ethniques n'embrasent la jeune République. Les soldats Scandinaves puis américains dépêchés sur place, se sont déployés au nord de Skopje et surveillent la frontière avec la République fédérale de Yougoslavie.

2. Alors que les objectifs de sa diplomatie concourent à la stabilité dans le sud des Balkans.

La diplomatie macédonienne part du principe que les frontières issues des différents traités, crises et guerres ne doivent pas être remises en cause par la force. Elle n'a aucune prétention territoriale par rapport à ses voisins.

Ses objectifs découlent directement de sa politique intérieure, à savoir faire cohabiter des communautés différentes dans un seul État, selon un modèle qui n'est pas comparable avec celui de l'État-nation. Le succès de cette construction affaiblirait les prétentions des partisans de la Grande Albanie, comme celles des partisans de la Grande Serbie.

Dans les premiers temps de l'indépendance macédonienne, les déclarations malheureuses, émanant principalement du VMRO, ont heurté profondément l'identité nationale grecque.

Les autorités macédoniennes ont affirmé à la délégation sénatoriale que le dialogue avec la Grèce est possible s'il n'est pas porté atteinte à la dignité de l'État de Macédoine. Tout est négociable, y compris le drapeau, mais pas le nom. Demander à la République de renoncer à son nom n'est pas raisonnable (« quel serait d'ailleurs le nom de cette République ? » , comme le demandent les Macédoniens), la recommandation du conseil de Lisbonne (1992) de l'Union européenne n'a pas été appréciée par Skopje, qui a eu l'impression que les Douze (à l'époque) ne comprenaient absolument pas la situation des Balkans. Les Macédoniens avaient placé beaucoup d'espoir dans l'initiative VANCE, mais l'intransigeance grecque n'a pas permis de concrétiser cette rencontre. Pourtant, comme le président GLIGOROV l'a réaffirmé à la délégation sénatoriale, il n'y a pas d'autre issue que le dialogue.

La situation était jusqu'à début septembre 1995, en effet, complètement bloquée pour la reprise des négociations directes. La Grèce, le 23 mars 1995, acceptait l'invitation du médiateur spécial de l'ONU, Cyrus VANCE, de se rendre le 6 avril à New-York pour rencontrer les responsables macédoniens. Le 5 avril, ces négociations directes étaient reportées, car Skopje n'avait pas répondu à la proposition de M. VANCE, conditionnant cette reprise à la levée de l'embargo. Or, Athènes réclamait de la République « skopjote » le changement de drapeau, une réforme de la constitution et la cessation de sa « propagande hostile », comme l'expliquait le porte-parole du Gouvernement grec, M. Evangélos VENIZÉLOS.

Avec l'Albanie, la Macédoine a entamé une politique de rapprochement qui a porté ses fruits. Des contacts bilatéraux sont fréquents, tant au niveau de l'exécutif qu'au niveau des parlementaires eux-mêmes. Organiser des rencontres régulières entre les deux présidents BERISHA et GLIGOROV est une nécessité.

Avec le voisin du Nord (République Fédérale de Yougoslavie), qui ne l'a pas reconnue, la Macédoine a une politique prudente; elle dénonce les atrocités commises par les Serbes de Bosnie et juge dangereux le rêve « grand serbe » construit sur l'idée que la Serbie est le rempart de l'Occident. Elle redoute les tentatives conjointes de Belgrade et d'Athènes pour isoler la Macédoine. Les autorités macédoniennes soupçonnent le président MILOSEVIC de rêver d'une « confédération entre la Serbie et la Grèce, en rayant l'État macédonien de la carte » 4 ( * ) . Elle suit avec inquiétude ce qui se passe au Kosovo. Un afflux d'Albanais du Kosovo pourrait déstabiliser la Macédoine. En même temps, elle est profondément dépendante de ce grand partenaire commercial (énergie). Si jamais l'embargo onusien était levé, il s'agirait d'un handicap majeur en moins ; d'autre part, la Grèce se trouverait isolée.

La Macédoine suit avec inquiétude ce qui se passe en Bulgarie, avec la dégradation du climat politique et la montée de phénomènes mafieux. Elle est néanmoins très reconnaissante au président JELEV d'avoir été le premier chef d'État à la reconnaître, même si la Bulgarie n'a pas reconnu la « nation macédonienne ».

La Macédoine a une volonté d'ouverture par rapport à l'Union européenne et désire être reconnue à part entière dans les différentes institutions. Elle a le sentiment de ne pas maîtriser encore correctement les circuits de décision de Bruxelles. La Commission européenne a porté, le 13 avril 1994, le litige gréco-macédonien devant la Cour européenne de justice de Luxembourg, sommée de condamner l'action d'Athènes et de lui imposer de lever son embargo. La Commission a estimé clairement que l'embargo décrété contre la Macédoine était contraire au traité de l'Union européenne, qu'il constituait une mesure susceptible de fausser la concurrence au sein du marché intérieur de l'Union. Elle a reproché à la Grèce d'avoir décrété cet embargo sans consultation préalable des autres États membres de l'Union européenne. En effet, la décision unilatérale de la Grèce est parfaitement contraire aux règlements communautaires de commerce avec les pays tiers. Une première décision formelle a été prise le 29 juin 1994, lorsque la Cour européenne a refusé de se prononcer d'urgence sur l'affaire, permettant de facto à la Grèce de poursuivre son blocus. L'avocat général JACOBS proposait le jeudi 6 avril 1995 de rejeter - pour incompétence de la Cour - la plainte déposée par la Commission : « il n'appartient pas à la Cour, dans les circonstances du présent cas d'espèce, de statuer sur le fond du différend qui oppose la Grèce à l'Ancienne République yougoslave de Macédoine » . La décision de la Cour de Justice est très importante pour la petite république.

Á terme, la République de Macédoine vise une intégration dans l'Union européenne, avec beaucoup de lucidité quant au temps nécessaire à son entrée.

La Macédoine tente de sortir de son isolement; malheureusement pour elle, peu d'officiels occidentaux ont fait le déplacement à Skopje. M. Alain LAMASSOURE, ministre délégué aux affaires européennes, a effectué la première visite en Macédoine d'un ministre français, le 1er juillet 1994. M. Klaus KINKEL est venu à Skopje le 11 avril 1995, pour des entretiens avec les principales autorités macédoniennes, en déclarant clairement que sa visite avait pour but de « soutenir le Gouvernement macédonien dans la recherche de solutions négociées aux problèmes intérieurs et extérieurs de la Macédoine ; nous devons renforcer ce pays et montrer par notre politique qu'il n'est pas isolé » . Les 6 et 7 juin 1995, le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Miguel Angel MARTINEZ, a effectué une visite officielle en Macédoine. Á cette occasion, il a réaffirmé que la Macédoine, comme l'Albanie, avaient vocation à devenir membres à part entière du Conseil de l'Europe dans un avenir proche.

Les visites du président GLIGOROV à Paris les 8 mai, dans le cadre des cérémonies commémoratives du 8 mai 1945, puis à l'occasion de la conférence de l'UEO (19-22 juin), ont été très appréciées par les autorités macédoniennes. Ce dernier déplacement a permis au président GLIGOROV de rencontrer M. Hervé de CHARETTE, nouveau ministre des Affaires étrangères, M. René MONORY, Président du Sénat, le 20 juin 1995, et M. Jacques CHIRAC, nouveau Président de la République française, le 21 juin.

L'Union Européenne a prorogé le régime commercial autonome mis en place à partir de février 1992 pour la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, après la suspension de l'accord de coopération liant la Communauté et la Yougoslavie.

Elle a accordé, en décembre 1992, lors du Conseil européen d'Edimbourg, une aide de 100 millions d'écus, à répartir à parts égales entre budget communautaire et contribution des États membres. Le différend gréco-macédonien empêche la Macédoine de bénéficier, pour l'instant, des crédits du programme communautaire PHARE, en raison de l'opposition grecque. Ce programme requiert, en effet, l'unanimité.

Les projets de coopération entre la jeune République et la France ne manquent pas.

En ce qui concerne la coopération politique, la France s'est engagée à assurer la formation d'experts (diplomates, policiers). La formation de fonctionnaires du Parlement macédonien est également en projet, depuis la visite du groupe d'amitié sénatorial.

En matière de coopération militaire, des décisions importantes ont été prises en février-mars 1995 5 ( * ) .

Dans le domaine économique, un important projet a été lancé à l'occasion de la visite de M. LAMASSOURE, à savoir l'étude de faisabilité de l'aménagement intégré de la vallée du Vardar. Cette étude a été commencée effectivement en mars 1995, après la signature d'un contrat d'études passé en novembre 1994 entre le consortium macédonien Vardarska Dolina, qui rassemble les grands acteurs économique de la Macédoine, et la Compagnie nationale du Rhône. Cette étude de faisabilité représente un montant de 2,8 millions de francs 6 ( * ) .

Au total, l'enveloppe générale relative aux projets d'équipement et de coopération technique représente 16 millions de francs.

Il est à noter, par ailleurs, qu'ALCATEL-CIT est sur les rangs d'un appel d'offres lancé par la BERD pour la modernisation des lignes téléphoniques.

En matière de coopération culturelle, celle-ci s'appuie principalement sur le Centre Culturel Français existant à Skopje depuis 1975. Ce centre est très actif, au point qu'il ait été désigné par les autorités macédoniennes, non sans humour, comme l'une des plus importantes institutions culturelles de la capitale macédonienne.

III- Cette absence de reconnaissance internationale pleine et entière aggrave une situation politique et économique déjà difficile

1. La mise en place progressive de mécanismes démocratiques

La situation politique, à peu près stable, s'est dégradée à partir d'août 1994. En effet, alors que le Gouvernement était composé de représentants du groupe majoritaire, sous la direction de M. Brando CRVENKOVSKI , avec cinq ministres des partis albanais, la sortie du PDP et du NDP de la coalition et - par voie de conséquence- la démission des ministres albanais ont fragilisé la coalition au pouvoir, rendant nécessaires des élections anticipées (elles étaient prévues pour le 16 novembre), élections qui furent annoncées par M. Stojan ANDOV, président du Parlement, selon les règles constitutionnelles, le 7 septembre.

Ces élections se sont déroulées, sur le plan de la conjoncture diplomatique, en plein réchauffement des relations macédo-albanaises.

Selon les différents témoignages recueillis sur place, et selon les différents communiqués émis par les parlementaires C.S.C.E. et du Conseil de l'Europe, il semble que la campagne électorale, très courte, se soit déroulée dans des conditions tout à fait satisfaisantes et que les différentes forces politiques ont eu accès aux grands media macédoniens. Si la réélection de M. GLIGOROV dès le premier tour était attendue, les élections législatives apparaissaient très ouvertes, avec une grande inconnue : le score du parti démocratique.

Une tentative, en juillet 1994, de réformer le système électoral, qui date dans ses grandes lignes, soit de 1990, soit d'avant, s'était heurtée à un échec. C'est donc exactement le même système électoral qu'en 1990 qui a été appliqué pour les élections de 1994, avec une nuance très importante : depuis 1990, la Macédoine est devenue un État indépendant et souverain. La loi sur la citoyenneté s'appliquait.

La loi sur l'élection du Président de la République ( cf. supra ) explique qu'il n'y ait eu que deux candidats :

- M. Kiro GLIGOROV (Alliance pour la Macédoine), président sortant,

- M. Ljubisa GEORGIJEVSKI, metteur en scène de 54 ans, présenté par le VMRO-DPMNE.

En effet, la commission d'État pour les élections a rejeté le 28 septembre, en raison d'un nombre insuffisant de signatures (30 députés ou 10.000 électeurs), les candidatures de :

- M. Halid SHABAN (parti démocratique des turcs),

- M. George ATANOVSKI (indépendant, vivant aux États-Unis).

Il est à noter que les partis albanais n'ont pas voulu présenter de candidat, de peur que ce ne soit utilisé par les Slaves pour minorer leur importance. En effet, il n'est pas sûr que ce candidat aurait recueilli les suffrages de toute la population électorale albanaise, beaucoup d'Albanais votant pour M. GLIGOROV, considéré comme un facteur de paix.

En ce qui concerne les élections législatives, tous les regroupements sont possibles entre le premier et le deuxième tour. Obtenir dans ce contexte plus de 30 % des inscrits n'est pas chose facile, ce qui explique le peu de sièges attribués au premier tour en 1990 : seulement 14. La loi électorale contribue objectivement à une fragmentation trop importante de la vie politique macédonienne, comme le montre le nombre de candidats et de partis politiques présents au premier tour des élections législatives : 1.600 candidats d'une cinquantaine de partis, pour seulement 120 circonscriptions

Le découpage électoral, qui n'a pas été remis en cause entre 1990 et 1994, fait l'objet de critiques importantes, car il est supposé minorer l'importance de la communauté albanaise, en lui donnant les circonscriptions les plus importantes en termes de voix. La Macédoine est découpée en 34 communes et 120 circonscriptions électorales, une commune pouvant regrouper de 1 à 9 circonscriptions.

La Commission d'État pour les élections a proclamé les 20 et le 23 octobre 1994 le résultat des différentes élections :

Élection présidentielle

Suffrages

Pourcentage par rapport aux électeurs inscrits

M. Kiro GLIOGOROV

713.529

52,40 %

M. Ljubisa GEORGIJEVSKI

196.936

14,47 %

M. GLIGOROV a été élu dès le premier tour. L'opposition, en se fondant sur le fait que près de 120.000 personnes avaient pu voter sans figurer sur les listes électorales, a exigé l'annulation de cette élection.

Le taux de participation a été de 77,2 %.

Élections législatives

Suffrages

Pourcentage par rapport aux électeurs inscrits

Alliance pour la Macédoine

323.637

32,1 %

VMRO

141.035

14,4 %

Parti démocratique

109.164

11,2 %

Dix députés ont élus au premier tour :

- sept pour l'Alliance pour la Macédoine;

- un pour le parti socialiste (fraction minoritaire ne faisant pas partie de l'Alliance);

- deux pour le Parti de la Prospérité Démocratique (PDP).

Le VMRO et le Parti démocratique, après avoir organisé une manifestation pacifique ayant rassemblé environ vingt mille personnes à Skopje le mardi 18 octobre, ont appelé au boycott du second tour. En conséquence, ce dernier a été un raz de marée pour l'Alliance. Au total, le nouveau Parlement comprend :

- 58 députés pour l'Union social-démocrate,

- 29 députés pour le Parti libéral,

- 8 députés pour le Parti socialiste

- 10 députés pour le PDP,

- 4 députés pour le NDP,

- 1 député pour le Parti démocratique de Macédoine,

- 1 député pour le Parti social-démocrate,

- 1 député pour le Parti démocratique des Turcs en Macédoine - Voie islamique,

- 1 député du Parti pour l'émancipation des Roms (PTER)

- 7 "indépendants", dont trois députés appartenant à une fraction radicale du PDP.

Depuis les élections, il est clair que bon nombre de membres du VMRO regrettent de ne pas être représentés au Parlement. La situation est étonnante, puisque la délégation sénatoriale a pu constater qu'il existait des exécutifs locaux "mixtes" (Alliance pour la Macédoine/VMRO), comme à Bitola 7 ( * ) , alors que ces élus locaux ne peuvent être représentés au Parlement. Cette écrasante domination de l'Alliance pour la Macédoine peut avoir comme effet de créer une opposition au sein de la majorité, avec notamment le Parti libéral, mécontent de disposer du même nombre de ministres que le PDP, alors que sa représentation parlementaire est plus importante.

Les partis au pouvoir admettent tout à fait la désorganisation relative constatée par bon nombre d'observateurs, même si aucun camp n'a été réellement avantagé.

La délégation sénatoriale a pu rencontrer, le 7 mars 1995, les représentants des partis représentés au Parlement, lors d'une table ronde animée par Mme Illenka MITREVA, Présidente de la commission des Affaires étrangères. Elle a été sensible au sens de responsabilité qui animait les participants. Sans vouloir gommer de véritables différences d'appréciation, il est à noter que tous ces partis s'accordaient sur la nécessité de réussir « l'expérience Macédoine ».

2. La situation économique est très préoccupante

a) La Macédoine était la plus pauvre des six républiques yougoslaves

La Macédoine contribuait à hauteur de 5-6 % au PNB de l'ancienne fédération yougoslave. Elle était bien la république la moins développée, avec, par exemple, un taux d'analphabétisme de l'ordre de 10 %.

Ses structures ne sont pas celles d'un pays occidental.

L'agriculture est sous-productive et familiale

Le climat est méditerranéen et les parcelles sont de petite taille (entre 1 et 4 hectares). La vallée du Vardar permet de bénéficier d'un climat moins sec, mais la Macédoine reste néanmoins très sensible aux sécheresses (années 1992-1993). Spécialités : tabac (23.000 tonnes en 1992), soit 42 % de celle produite par l'ancienne Yougoslavie. Culture du blé, de l'orge et du maïs.

L'élevage ovin est prédominant (2,25 millions de têtes, soit 1,10 ovin par habitant (35 % de l'ex-Yougoslavie).

L'industrie macédonienne était loin d'être inexistante, couvrant une gamme étendue de produits. Même si la Macédoine dispose de mines de charbon, de fer et de cuivre, elle était très dépendante - en ce qui concerne ses ressources énergétiques (électricité) de la Serbie.

Le Gouvernement macédonien a entamé dès 1990 une politique audacieuse de restructurations et de privatisation, tout d'abord du commerce de détail. Cette politique a été menée en accord complet avec le FMI et la Banque mondiale.

b) une situation aggravée par le double embargo, mais pour l'instant toujours stable

La fin de la fédération yougoslave et l'embargo du 31 mai 1992 de l'ONU contre la Serbie et le Monténégro ont été très vivement ressentis par la Macédoine qui commerçait beaucoup avec son voisin du Nord (75 % des exportations de la Macédoine en 1989). Á cet embargo, s'est ajoutée la fermeture des frontières imposée par la Grèce.

Après plus d'un an de blocus grec, la Macédoine subit gravement la crise économique qui l'a contrainte à réorienter tous ses échanges. Les Macédoniens ont dû modifier profondément leurs comportements. Pour autant, le Gouvernement macédonien n'a pas modifié sa politique. Dimitar Bercev, directeur du département économique du ministre macédonien des Affaires étrangères a estimé le coût annuel du blocus à un demi-milliard de dollars dans le mémorandum transmis à la Commission européenne en vue de son procès contre la Grèce devant la Cour européenne de Justice.

La conséquence première de l'embargo a été de couper le cordon ombilical reliant Skopje et Salonique, le grand port grec sur l'Egée. Le robinet du pétrole a été verrouillé, comme se sont interrompues les seules liaisons ferroviaires du pays, construite sur un tracé Nord/Sud. Cette mesure a été d'autant plus durement ressentie que l'axe stratégique nord-sud, via la vallée du Vardar, qui relie la Méditerranée à l'Europe centrale, était déjà entravé par les sanctions internationales contre la Serbie, le principal partenaire commercial d'avant l'indépendance.

Les estimations qui ont été publiées donnent une idée de la gravité de la récession économique qui frappe la Macédoine 8 ( * ) : la production industrielle aurait chuté de 9,5 % en 1994, les deux-tiers des usines ne tournant plus qu'à 40 % de leurs capacités ; l'inflation aurait atteint 123,9 % ; le taux de chômage s'élèverait à 38,3 %, avec 185.000 sans emplois. Cette dégradation économique fait suite à une situation déjà difficile, née de la désorganisation des échanges résultant de la désagrégation de la fédération yougoslave. Or, il n'est pas inutile de rappeler que, dès la période 1975-1985, la situation économique globale de l'ex-Yougoslavie s'était déjà fortement dégradée.

Par force, la Macédoine a reconverti ses flux commerciaux d'est en ouest. Les échanges ont emprunté des routes transversales inadaptées, à travers la Bulgarie et l'Albanie, redécouvrant en quelque sorte l'antique Via Egnatia des Romains qui reliait, sur un millier de kilomètres au sud des Balkans, l'Adriatique à l'Asie Mineure. Cette route, grande comme une route départementale française, passe par un col situé à près de mille mètres d'altitude. En conséquence, les produits turcs, italiens ou slovènes ont supplanté les marchandises grecques. Mais le surcoût est énorme. Le coût de l'acheminement d'une tonne de pétrole par Salonique était de 19 dollars; il est désormais de 57 dollars, via Burgas en Bulgarie. Autre exemple, le coût d'exportation d'un frigidaire "Frinko" est passé de 125 à 187 dollars par tonne. Les attentes aux frontières sont aussi considérables: jusqu'à 15 heures à Gjusevo, et 3 jours à Zlatarevo, les points de passage avec la Bulgarie, et parfois une semaine sur le pont surencombré de Giurgu qui enjambe le Danube entre la Bulgarie et le Roumanie.

Les autorités macédoniennes se sont mis en contact avec la Turquie, la Bulgarie et l'Albanie pour moderniser les infrastructures routières et créer une infrastructure ferroviaire sur un axe Durres (port en Albanie sur la mer Adriatique) - Mer Noire (Turquie).

Les Macédoniens, dont le pouvoir d'achat s'est effondré, avec un PNB par habitant qui serait passé de 1.078 dollars en 1990 à 640 dollars en 1994, ont dû s'adapter. Les citadins ont resserrés leurs liens avec leurs familles rurales, et certains sont repartis à la campagne. La Macédoine a la « chance » d'être encore un pays agricole, quasi autosuffisant. On trouve ainsi de tout sur les marchés d'alimentation.

Une économie parallèle s'est aussi développée, comme a surgi une élite "maffieuse" qui profite de toutes sortes de trafics, en particulier en violation de l'embargo contre la Serbie.

La Macédoine a été accusée d'être un maillon essentiel de la nouvelle route de la drogue. De la Turquie à l'Albanie, les routes les plus courtes passent par la Grèce ou la Macédoine, via la Bulgarie, pour l'héroïne produite en Iran, en Afghanistan ou au Pakistan. Des ports albanais, comme Durres, la drogue s'embarque vers les grands marchés de l'Ouest, selon des experts de l'ONU. "Nous nous trouvons sur ce qu'il est convenu de nommer la route de la drogue", a admis Peter Dzundev, chef de la commission macédonienne contre la Toxicomanie à une mission spécialisée du Gouvernement français. Mais pour le ministre de l'intérieur, "il n'y a plus depuis deux ans de danger d'un circuit stable via la Macédoine" , car "les contrôles renforcés ont rendu nos frontières plus ou moins transparentes". Des problèmes demeurent toutefois avec la Bulgarie, devenue une "plaque tournante". II n'a fait état que "de cas individuels" de trafics de drogue comme le prouveraient les "saisies limitées à 2 à 5 kg maximum", et l'absence d'explosion sur le marché local. La Macédoine cultive le pavot, "uniquement dans un but pharmaceutique", selon les autorités, et exclusivement destiné à une usine chimique locale Alcaloïd. Pour la revue spécialisée française, Observatoire géopolitique des drogues (OGD), la mafia albanaise s'est taillée un sanctuaire en Macédoine. L'OGD affirme, sans livrer de preuves, que l'argent de la drogue sert à acheter les armes d'une future insurrection au Kosovo et la création d'une "Grande Albanie". Ces accusations ont été reprises par les autorités grecques, d'abord par un document du ministère des Affaires étrangères, déposé le 29 mai 1995 par le ministre M. Carolos PAPOULIAS en réponse à un député de l'opposition conservatrice, puis par un rapport du ministère de l'Ordre public. Devant la délégation sénatoriale, M. FRCKOVSKI a repris les déclarations qu'il avait faites en février 1995; il a démenti cette accusation en assurant que la "mafia albanaise" avait été pour la plus grande part, démantelée en Macédoine et a affirmé qu'Interpol confirmait cette déclaration; les narco-trafiquants éviteraient la Macédoine en passant par la Roumanie (au nord) et par la Grèce et l'Albanie (au sud).

L'aide internationale a aussi commencé à se manifester, avec le déblocage attendu d'un prêt du FMI de 50 millions de dollars. Une aide de 23 millions d'écus (1 écu = 6,5 F environ) a été approuvée fin 1994 par la Commission européenne dans le cadre du programme Phare. Mais elle est pour l'instant bloquée. La Macédoine a trouvé un avocat de poids, en la personne du financier international Georges Soros qui, devant une commission du Congrès américain, a estimé le 13 février 1995 que "l'économie macédonienne est menacée d'effondrement sous le poids du blocus grec". "Et si la Macédoine sombre, nous aurons une troisième guerre balkanique" `, a-t-il averti.

La délégation sénatoriale a pu vérifier, en se rendant à la frontière grecque au poste de Gevgeljia (6 mars), de l'effet de la fermeture des frontières. À ce poste frontière situé sur l'autoroute Belgrade-Athènes, une vingtaine de voies destinées à la circulation automobile sont totalement vides. Seuls quelques véhicules de tourisme passent, au rythme de deux-trois par heure.

En revanche, au nord du pays, en se rendant sur la route de Pristina (Kosovo), la délégation sénatoriale a pu se rendre compte de la non-efficacité de l'embargo décrété contre l'ex-Yougoslavie. Á neuf heures du soir, il y avait trois kilomètres de queue de camions. Ces véhicules sont soumis à différents contrôles, certes, mais il y a quand même continuation - très ralentie - d'échanges commerciaux, surtout depuis le régime allégé de sanctions dont bénéficie Belgrade depuis août 1994.

La Macédoine reste très dépendante de la République Fédérale de Yougoslavie en ce qui concerne l'énergie.

c) les exemples d'Ohrid et de Bitola

Ohrid, avant la dislocation de la fédération yougoslave, vivait du tourisme. Avec une capacité de 30.000 lits de toutes catégories, elle pouvait accueillir jusqu'à 2 millions de touristes par an, venant principalement des Pays-Bas et d'Allemagne, mais également de Grèce. La ville comprend 45.000 habitants. 23.000 personnes étaient employées dans le tourisme ; il y en a désormais 15.000, puisque les capacités hôtelières ne tournent pas à plein. L'agglomération regroupe 70.000 habitants.

Elle a subi de plein fouet les effets de l'embargo onusien et du blocus grec, puisqu'elle n'a bénéficié en 1991 que de 540.000 nuitées. Ce chiffre est remonté à 1,3 million en 1994, provenant pour la plupart du reste de la Macédoine et de pays voisins (Bulgarie). La ville a tenu néanmoins à garder ses traditions estivales, avec le festival d'Ohrid qui se déroule du 12 juillet au 20 août : représentations théâtrales, concerts de musique classique et contemporaine, diverses manifestations folkloriques.

L'agglomération de Bitola, deuxième ville de Macédoine située au sud-est du pays, à quatorze kilomètres de la frontière grecque, subit durement l'embargo. Les responsables locaux ont confirmé à la délégation sénatoriale que 50 % des capacités industrielles étaient actuellement inexploitées.

Au moment où était achevée la rédaction de ce rapport, la Grèce et l'ex-République Yougoslave de Macédoine signaient au siège des Nations unies, le 13 septembre 1995 un accord qualifié d'historique par le médiateur de l'ONU, M. Cyrus VANCE.

Cet accord, signé en présence du secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros BOUTROS-GHALI, par les ministres des Affaires étrangères des deux pays, M. Carolos PAPOULIAS pour la Grèce, et M. Stevo CRVENKOVSKI pour la Macédoine, prévoit, dans un délai de trente jours à compter de la signature, la levée de l'embargo économique et le changement du drapeau macédonien actuel. Chaque pays accepte de reconnaître la souveraineté de l'autre. Des bureaux de liaison seront ouverts.

La question du nom définitif fera l'objet de négociations ultérieures entre les deux parties.

ANNEXES

PROGRAMME DE LA VISITE DU GROUPE D'AMITIÉ FRANCE - RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE DU SÉNAT

Vendredi 3 mars 1995

17 h 20 Arrivée de la délégation à l'aéroport de Petrovec (Skopje)

20 h 30 Arrivée à Ohrid

10 h 00 Réception à la mairie d'Ohrid

18 h 00 Réception à la mairie de Bitola

Dimanche 5 mars 1995

08 h 30 Dépôt de gerbe au cimetière militaire français

11 h 00 Réception à la mairie de Gevgeljia

16 h 00 Départ pour Skopje

Lundi 6 mars 1995

09 h 00 Audience du Ministre de la Défense, S.E. Blagoj HANDZISKI

10 h 00 Rencontre et entretiens avec les membres de la commission des Affaires étrangères du Parlement

11 h 30 Rencontre et entretiens avec les coordinateurs des groupes parlementaires représentés au Parlement

19 h 45 Rencontre avec M. Sasko STEFKOV, ministre sans portefeuille

Mardi 7 mars 1995

09 h 00 Rencontre avec le recteur de l'université des Saints Cyrille et Méthode de Skopje, Mme Radmila KIPRIJANOVA

09 h 30 Remise de matériel à la bibliothèque française de philologie

10 h 00 Audience de S.E. M. Ljubomir FRCKOVSKI, ministre de l'Intérieur

11 h 00 Audience de S.E. M. Stojan ANDOV, Président du Parlement

12 h 00 Audience de S.E. M. Kiro GLIGOROV, Président de la République

13 h 30 Audience de S.E. M. Branko CRVENKOVSKI, Premier ministre

16 h 00 Conférence de presse au centre de presse du Parlement

17 h 00 Dépôt de gerbe au cimetière militaire français

Mercredi 8 mars

06 h 40 Départ de la délégation pour Paris

COMPTE-RENDU DES ENTRETIENS
AVEC LES AUTORITÉS MACÉDONIENNES

M. Blagoj HANDZISKI, ministre de la Défense

Skopje, 6 mars 1995

Le ministre a expliqué qu'il s'efforçait d'avoir des contacts fréquents avec ses homologues étrangers.

M. Roland BERNARD a rappelé qu'il avait rencontré M. POPOVSKI, son prédécesseur, en mai 1993.

M. Blajoj HANDZISKI a exposé que l'armée macédonienne - 15.000 personnes, dont 2.000 cadres et personnel civil - avait un but purement défensif. Elle n'a pas de visées offensives. L'embargo prive certaines armes comme l'artillerie et l'aviation d'une grande partie de leurs capacités opérationnelles, et pèse sur la maintenance des blindés. L'armée macédonienne ne peut guère assurer un entretien de ses chars. Elle est à l'écart des nouvelles technologies. Elle manque de moyens également en matière de médecine militaire.

Il espère que l'affectation prochaine d'un attaché militaire français à part entière, à compter d'avril, permettra de renforcer à l'avenir la coopération entre la France et la Macédoine.

Il a jugé que l'armée macédonienne disposait de très bons cadres, issus de l'armée yougoslave.

Les conditions de coopération sont les suivantes : apprendre la langue, participer à des rencontres sur la défense, former d'autres cadres dans différents pays. Actuellement, l'armée macédonienne a un groupe d'officiers en Turquie, un groupe va partir en Allemagne. Des projets sont en cours avec la Grande-Bretagne.

Un accord a été obtenu pour qu'un groupe d'officiers macédoniens suive les cours de l'École Supérieure de Guerre. Une liste d'officiers sera demandée. Une formation en langue française sera faite.

M. André BOYER a posé la question de la Gendarmerie nationale et des formes de coopération. Il faudra prévoir - dans la liste des officiers amenés à se rendre en France- de distinguer ceux qui pourraient suivre l'École de la Gendarmerie et l'École de Médecine des Armées.

6 mars 1995

rencontre avec des membres de la commission des Affaires étrangères

Mme Illenka MITREVA, Présidente

M. Atanas VANGELOV, Union sociale-démocrate

M. Slavo NAUMOVSK1, Parti Libéral

M. Sami 1BRAIMI, PDP

M. Faik ABDI, Parti d'émancipation des Roms

La commission est composée de 13 membres, élus à la proportionnelle. Ils ont le pouvoir de ratification des traités.

Mme MITREVA a présenté les grands axes de la politique étrangère macédonienne et rappelé le désir de la jeune République de faire partie de la " maison commune " européenne. Observateur à l'OSCE et invitée spéciale au Conseil de l'Europe, la Macédoine est membre d'une quarantaine d'institutions financières ou économiques internationales. Elle est reconnue par plus de cinquante États.

La tradition de la francophonie est importante. Skopje est jumelée à Roubaix, Koumanovo à Rennes et Bitola à Epinal.

Mme MITREVA a exprimé l'espoir que la présidence française de l'Union européenne (au cours du 1er semestre 1995) permette d'avancer dans la solution du problème diplomatique qui connait la Macédoine sur sa frontière sud.

Évoquant les négociations avec la Grèce, elle a estimé que le dialogue pouvait être entrepris dans le respect de la dignité de l'État de Macédoine.

Mme MITREVA a déploré l'absence de stratégie européenne concernant les Balkans.

M. Roland BERNARD a remercié Mme MITREVA pour son exposé introductif et expliqué les objectifs du groupe d'amitié du Sénat.

Il a souligné que l'Union européenne n'était pas un État fédéral. Le Traité de Maastricht a consacré un embryon de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), mais l'Union reste prisonnière des distinctions d'appréciation entre l'approfondissement et l'élargissement. Si l'Europe se construit actuellement sur l'axe de coopération franco-allemand, les anciennes amitiés sont parfois réapparues avec la dislocation de la fédération yougoslave. La politique de la France est d'éviter des schémas réducteurs, comme la Serbie rempart de l'occident contre l'Islam. Elle est, en fin de compte, une politique d'équidistance.

M. NAUMOVSKI, l'un des rédacteurs de la Déclaration d'indépendance macédonienne, a insisté sur le bas niveau du discours politique en Macédoine qui handicape la construction de l'État macédonien, et sur l'importance des Macédoniens en Albanie et en Grèce.

M. IBRAIMI 9 ( * ) a rappelé la contribution qu'apporte le PDP à la Macédoine et s'est déclaré très sensible aux déclarations de Roland Bernard sur l'idée qu'il faut éviter de se placer dans une logique monde islamique/monde orthodoxe. L'étoile du drapeau macédonien va dans toutes les directions. Il note que le président albanais prononce le nom de Macédoine dans un contexte de plus en plus positif.

M. ABDI a expliqué que la construction de cet État multinational, où les droits de tous sont respectés, doit être soutenu par l'ensemble des institutions internationales. La situation actuelle est tout à fait injuste.

M. VANGELOV a insisté sur le fait que la Macédoine soit le seul État des Balkans à avoir abordé des réformes économiques de cette importance. Il a émis le souhait que la commission des Affaires étrangères du Sénat soit jumelée avec la commission des Affaires étrangères du Parlement macédonien.

Entretien avec M. Sasko STEFKOV, ministre sans portefeuille (libéral) Skopje, 7 mars 1995

La Macédoine souhaite signer rapidement un accord global avec l'Union européenne.

Il a vu un signe positif dans la signature récente de l'accord passé par l'Union avec la Turquie ; l'opposition grecque peut être levée.

La décision de la CJCE sera importante sur le plan éthique et moral, à savoir montrer que l'Union européenne tient à ses principes, même si seulement deux entreprises communautaires ont porté plainte devant la CJCE. Il serait facile, pour les Macédoniens, de sombrer dans le nationalisme ; ce n'est pourtant pas le cas.

Il a déploré les insuffisances qui ont été constatées dans l'organisation des élections, estimant cependant que ces erreurs n'ont pas avantagé l'un ou l'autre parti. Le VMRO a cru bon de boycotter le second tour, mais il était nettement battu au premier tour, par rapport aux élections de 1990.

M. Roland BERNARD a expliqué que la cause de la République de Macédoine progressait, parce que l'opinion publique européenne a été choquée par l'attitude de la Grèce envers l'Albanie : le préjugé pro-albanais joue en défaveur des Grecs.

Il est important de noter que le président du Parlement albanais voit très souvent M. ANDOV : avoir des échanges à ce niveau est très important. Les solutions globales (regrouper tous les Serbes dans les Balkans, tous les Albanais des Balkans) sont dangereuses et injouables.

Entretien avec M. Ljubomir FRCKOVSKI, ministre de l'Intérieur 1 ( * )0 . Skopje, 7 mars 1995.

La réforme de la police a pour objectif principal de changer le cadre idéologique. Très peu d'Albanais sont dans la police, la communauté avait une certaine haine envers la police datant de l'Ancien régime communiste. Il faut donc construire des relations de confiance, qui peuvent être mises à mal par des incidents comme celui de l'université de Tetovo. Il faut du temps pour construire des forces démocratiques. La réaction de certaines forces albanaises a été un signe positif : elles sont enracinées dans la République de Macédoine.

La police regroupe trois secteurs globaux : 1°) la police classique - 2°) l'espionnage et le contre-espionnage, qui constituera une agence à part. 3°) les services administratifs : passeports, cartes d'identité, autorisations et certificats, permis de conduire, etc. Ce ministère regroupe 8.500 agents, dont 5.500 policiers en uniforme et 2.700 en civil.

Interrogé par M. BOYER sur la criminalité liée à la drogue et au trafic d'armes, M. FRCKOVSKI a expliqué qu'il s'agissait d'une des grandes priorités. Même du temps de l'ex-Yougoslavie, le problème existait. La police macédonienne s'est employée à collaborer activement, dans le cadre d'Interpol (la Macédoine en est membre à part entière), avec les polices occidentales, au premier rang desquelles les polices allemande et autrichienne. La "route de la drogue" aurait été coupée, mais reste le problème de la frontière avec la Bulgarie : les structures policières bulgares sont en pleine déliquescence. Le problème du trafic d'armes est identique.

Entretien avec M. Stojan ANDOV, président du Parlement Skopje, 7 mars 1995

M. Roland BERNARD a décrit la genèse et les efforts du groupe d'amitié pour faire connaître la Macédoine.

M. ANDOV a fait part de la surprise des autorités macédoniennes de voir la Grèce donner son accord à la signature de l'accord de libre échange entre l'Union européenne et la Turquie. La non-signature aurait eu des conséquences fâcheuses sur ce dernier pays. Cette signature donne en revanche encore plus de poids à la construction d'un axe moderne de circulation Durres (Albanie) - Skopje (Macédoine) - Sofia (Bulgarie) - Istanboul (Turquie).

Roland BERNARD a relevé que cet accord a été signé indépendamment de la solution du problème de Chypre : il s'agit d'un espoir pour la Macédoine.

En ce qui concerne la situation en ex-Yougoslavie, si les sanctions contre la Serbie/Monténégro sont levées, la Grèce se trouvera isolée. M. ANDOV a rappelé qu'il faudrait que les Serbes de Bosnie donnent leur accord; or ils ont davantage de territoire que ne leur accorde le groupe de contact. La Serbie, après avoir atteints ces objectifs, jouera peut-être à l'avenir un rôle d'apaisement. La situation albanaise est la même. Le président BERISHA est raisonnable, mais il est sous la pression de certaines forces extrémistes albanaises, qui souhaiteraient déstabiliser les Albanais de Macédoine et les Albanais du Kosovo. Il est beaucoup plus facile d'avoir une action sur les premiers, puisque la Macédoine est un État démocratique, que sur les seconds. Il faut que la diplomatie européenne, MM. JUPPE et KINKEL, comprennent que la situation dans les Balkans ne peut pas s'arranger sans que la Macédoine soit partie prenante. Enfin, il serait difficile à la République de Macédoine de renoncer à son nom, on ne voit pas très bien sous quel nom elle pourrait s'appeler.

Entretien avec M. Kiro GLIGOROV,

Président de la République de Macédoine

Skopje, 7 mars 1995

C'est la cinquième fois que le sénateur BERNARD a l'occasion d'être reçu par le président GLIGOROV. Il a rappelé le programme, l'excellent accueil et le but de ce voyage : s'informer. Il a fait part d'une évolution de l'opinion publique française sur la Macédoine.

M. GLIGOROV a expliqué qu'il était difficile de comprendre la Grèce. Des espoirs avaient été placés dans l'initiative VANCE : faire dialoguer les deux parties pour la première fois, mais les Grecs ont refusé de rencontrer les Macédoniens. La guerre est aux portes du sud des Balkans, et on perd du temps à avoir des discussions sur la nationalité d'Alexandre le Grand (enterré en Egypte, d'ailleurs). Il faut partir du principe qu'il n'y a pas de prétention territoriale dans un sens comme dans un autre.

Interrogé par le sénateur BERNARD sur les relations macédo-albanaises, le Président macédonien a rappelé l'importance du dialogue entre les deux pays. Organiser des relations amicales entre les deux présidents BERISHA et GLIGOROV est une nécessité. Il n'a jamais été question de l'université albanaise de Tetovo, qui a été le cadre d'affrontements entre Albanais et police macédonienne en février 1995, lors de ces entretiens. Cette question doit se préparer, s'étudier. Faut-il des universités en dehors du système global d'enseignement de la Macédoine, en dehors des lois ? L'exemple des écoles privées (sauvages) albanaises montre des résultats très médiocres dans l'enseignement lui-même. Tout cela se passe au détriment de la communauté albanaise elle-même.

Roland BERNARD a expliqué que la communauté albanaise bénéficiait, dans les média occidentaux et auprès des ONG, d'un préjugé favorable. Ainsi, la reconduite à la frontière du Kosovo des Albanais a-t-elle été sévèrement commentée par les média : la police macédonienne livre à la police serbe des Kosovars. En fait, le président GLIGOROV a assuré qu'aucun d'entre eux n'avait été emprisonné de retour au Kosovo et qu'ils ont pu se rendre où ils voulaient.

M. GLIGOROV a insisté sur la nécessité de construire une voie ferrée est-ouest : elle manque historiquement.

Pour conclure, le président GLIGOROV a fait part de son déplacement à Paris dans le cadre de l'UEO à la mi-juin.

Entretien avec M. Branko CRVENKOVSKI,

Premier ministre de la République de Macédoine

Skopje, 7 mars 1995

L'entretien a porté principalement sur les réformes économiques en cours et la situation économique de la Macédoine. Les institutions financières internationales estiment que les résultats ont été moins catastrophiques que prévu. Le taux d'inflation devrait être en 1995 de 18 %. Le nombre de chômeurs approche les 200.000. D'après les prévisions occidentales, le blocus décrété par la Grèce aurait du avoir pour effet de contraindre la Macédoine à abandonner sa politique de réforme économique. Cela n'a pas été le cas.

Avec deux frontières sur quatre fermées et un revenu qui a chuté de 1500 $ par tête à 800 $ en quatre ans, avec la perte des marchés des autres républiques yougoslaves (les produits macédoniens étaient très largement vendus à l'ensemble Serbie/Monténégro et en Bosnie-Herzégovine), la situation ne peut que s'être dégradée.

M. Roland BERNARD a fait part de sa surprise; quand on observe l'état du parc automobile macédonien, qui est souvent un bon critère de la situation économique d'un pays, ou quand l'on remarque l'absence de mouvements sociaux majeurs, il est fort possible qu'une part importante de l'activité économique ne soit pas comptabilisée.

Pour le Premier ministre, ce qui est clair, c'est que la situation de départ n'est pas comparable à celle de pays comme l'URSS, l'Albanie ou la Roumanie. 87 % des biens fonciers étaient détenus par des propriétaires privés, par exemple. La privatisation des petits magasins a été très rapide. La crise pétrolière, malgré le renchérissement très important, n'a pas eu lieu. Le pétrole passe par Burgas.

Des amis de la Macédoine ont expliqué au Premier ministre qu'il leur serait possible de donner davantage et d'ameuter l'opinion publique internationale si des manifestations se déroulait dans les rues des grandes villes de la République de Macédoine. Mais on ne saurait pas comment faire rentrer les gens chez eux après la manifestation : ce type de démarche est très dangereux. Avec ce qui se passe en Bosnie, en Tchétchénie, en Géorgie, il est clair que le seuil de tolérance de l'opinion publique internationale est très élevé.

L'axe ouest-est nécessite des grands travaux à financement important. Pour l'instant, les crédits apparaissent difficiles à obtenir. Dans des conditions normales, ces projets ne seraient pas tous rentables, mais la République de Macédoine n'a pas vraiment le choix.

Interrogé sur la présence de M. SOROS en Macédoine, M. CRVENKOVSKI a répondu que le financier international avait sa fondation en Macédoine comme dans d'autres pays de l'Est. Il a prêté au Gouvernement macédonien, personnellement, des sommes d'argent importantes. Il est très apprécié pour le rôle qu'il joue pour la Macédoine. Il permet à la République de mieux maîtriser les circuits d'attribution des crédits dans les institutions financières internationales.

COMPTE-RENDU DES ENTRETIENS
AVEC LES ÉLUS LOCAUX

Ohrid

4 mars 1995

Ohrid est une des villes les plus anciennes du monde (XIIème siècle avant Jésus-Christ). Surnommée " Jérusalem des Balkans ", elle aurait 365 églises. Elle est l'un des berceaux de la religion orthodoxe, avec la fondation de la première université slave d'Europe. La ville fait partie depuis 1980 du patrimoine mondial placé sous la protection de I'UNESCO.

M. Blagoja SILJANOVSKI, maire d'Ohrid, a expliqué combien la perte des recettes du tourisme a été particulièrement terrible pour sa ville 1 ( * )1 .

Dans le domaine de la voirie et de l'environnement, la ville a construit un réseau de collecte d'eaux usées qui se jettent dans le lac d'Ohrid. Seule la première phase du projet a pu être menée à terme. La Banque mondiale est en contact avec la ville afin de terminer le projet. Le lac d'Ohrid étant partagé entre la Macédoine et l'Albanie, cette dernière effectue les mêmes démarches.

Le budget de la ville est de 2 millions et demi de francs, essentiellement utilisés sur les travaux d'infrastructure (éclairage, assainissement, routes locales, propagande touristique).

Bitola

4 mars 1995

Bitola - plus connue peut-être en France sous le nom de Monastir - est située à 14 kilomètres de la frontière grecque. Elle comprend 90.000 habitants, l'agglomération 140.000. Elle est la deuxième ville universitaire de Macédoine, le deuxième centre industriel et le premier producteur d'électricité. Elle possède en effet le plus grand centre thermique, qui produit entre 78 et 80 % de l'énergie nationale. D'autre part, la ville a une série d'industries secondaires de transformation : frigidaires, agro-alimentaire, art ménager. Elle joue également le rôle de pôle médical pour toute la région sud-ouest (hôpital, faculté de médecine). Siège d'un théâtre qui rayonne sur tout le sud des Balkans, la ville comprend également un festival cinématographique et le festival des danses et des musiques traditionnelles.

La France a une présence traditionnelle dans cette ville, avec le consulat de Bitola et le cimetière militaire, où sont enterrés plus de 10.000 soldats de l'armée d'Orient. Jusqu'en 1948, un collège français existait et a contribué à affirmer la présence française dans cette région. Bitola est jumelée avec la ville française d'Epinal.

Gevgelija

5 mars 1995

Gevgelija possédait au XIXème siècle 800 habitants. Á l'heure actuelle, 35 000 habitants vivent dans l'agglomération. Cette région constitue un des principaux pôles agricoles macédoniens : cultures (tomates, pommes...), élevage (viande ovine, viande bovine, etc.).

Grâce au lac de Dojran, que se partagent la Grèce et la Macédoine, il s'agissait également d'un grand centre touristique. Le lac est approvisionné par une série de cours d'eau qui viennent de Grèce. Afin d'irriguer les zones agricoles, qui se sont considérablement développées depuis l'entrée de la Grèce au sein de la Communauté européenne, les Grecs ont capté l'eau nécessaire au lac, tout en pompant de manière abusive. La profondeur maximale est passée entre 1988 et 1994 de 12 à 6 mètres et la profondeur moyenne de 7 à 2,5 mètres. Les sécheresses observées pendant la première moitié des années quatre-vingt dix ont amplifié le phénomène. Á ce rythme, il apparaît probable que le lac de Dojran n'existera plus dans cinq ans. Les Grecs ne respectent pas un accord passé en 1988 avec la Yougoslavie. L'état actuel des relations ne permet pas de concertation à ce sujet.




* 1 comme l'écrit l'historien anglais Toynbee dans La grande aventure de l'Humanité , p. 190 (Pavot, 1993)

* 2 M. ROUX, thèse sur Les Albanais en Yougoslavie . Edition de la Maison des Sciences de l'Homme, 1992, p. 425.

* 3 Le Monde, 28 avril 1994.

* 4 comme l'explique M. Branko CRVENKOVSKI, Premier ministre, dans un entretien accordé au Monde en avril 1995.

* 5 Cf compte-rendu de l'entretien avec M. Blagoj HANDZISKI, ministre de la défense, p. 44-45

* 6 Voir la carte fournie en annexe, p. 56.

* 7 En juin 1995, une configuration inédite a permis à une majorité formée du VMRO et du PDP d'assurer la gestion de la ville de Skopje.

* 8 Ces chiffres, cités par une dépêche de l'AFP. de février 1995, ont été jugés excessifs par les autorités macédoniennes rencontrées.

* 9 M. IBRAIMI est l'un des trois parlementaires faisant partie de la délégation macédonienne au Conseil de l'Europe.

* 10 M. FRCKOVSKI. âgé de 33 ans, est professeur de libertés publiques.

* 11 cf. supra, p.39.

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