B. UNE HYPOTHÈQUE : LA RÉVISION DE L'ARTICLE 37 DE LA CONSTITUTION

Aux termes de l'article 37 de la Constitution burkinabè, tel qu'il résulte de la loi n° 003-2000/AN du 11 avril 2000, « le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois ».

Il résulte de cette disposition, entrée en vigueur à compter de l'élection présidentielle de 2005, que le Président Compaoré ne devrait pas pouvoir briguer un nouveau mandat lors des prochaines élections, qui auront lieu en 2015.

Pourtant, certains prêtent au Président Blaise Compaoré l'intention de modifier la Constitution afin de pouvoir se représenter. Ces craintes se sont notamment exprimées en 2012, lors de l'examen du projet de loi créant le Sénat. Elles ont depuis pris de l'ampleur, même si l'article 37 n'a pas été modifié jusqu'ici.

Le Président du Faso lui-même entretient le doute sur ses intentions en vue de la présidentielle de 2015. Il a ainsi évoqué l'hypothèse d'un référendum pour réviser, le cas échéant, l'article 37 de la Constitution : « Pour l'article 37, je sais qu'il y a effectivement beaucoup de débats là-dessus. La Constitution a ciblé des points qui ne peuvent pas être modifiés. Nous avons une Constitution, dont la référence suprême, c'est le peuple. Donc le peuple sera consulté sur la question, s'il y a nécessité » 1 ( * ) .

Cette incertitude pèse sur le climat politique d'ensemble.

C. UN POINT DE TENSION : LE PROJET DE CRÉATION D'UN SÉNAT

Dans le cadre de sa visite, la délégation a été amenée à aborder à plusieurs reprises la question de la création d'un Sénat au Burkina Faso.

Le débat politique s'est, en effet, cristallisé sur cette question au cours de l'année 2013, la création du Sénat ayant été perçue par l'opposition comme un moyen de réviser l'article 37 de la Constitution.

Comme l'analyse un rapport de l'International Crisis Group, « avec 70 sièges sur 127, Blaise Compaoré ne dispose plus automatiquement des deux tiers des députés nécessaires pour modifier la Constitution par le seul vote de l'Assemblée nationale. C'est ici que le projet de création du Sénat prend tout son sens. Car le Sénat lui donne la possibilité de s'assurer une majorité parlementaire pour modifier la Constitution sans passer par la voie référendaire. En effet, depuis l'adoption de la loi portant création du Sénat, le président peut demander une réunion des deux chambres en Congrès, dans quatre cas de figure, dont une procédure de révision de la Constitution » 2 ( * ) .

L'idée de créer un Sénat au Burkina Faso fait partie des propositions de réformes politiques issues du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) mis en place en mai 2011, à la suite des engagements pris par le Président Compaoré lors de l'élection présidentielle de 2010.

La création d'un Sénat au Burkina Faso a été inscrite dans la Constitution burkinabè à l'occasion de la révision constitutionnelle du 11 juin 2012 (loi constitutionnelle n°033-2012/AN), déclinée par la loi organique n° 018-2013/AN du 21 mai 2013 portant organisation et fonctionnement du Parlement, adoptée par 81 voix sur 127.

Elle consacre ainsi un retour au bicamérisme, puisqu'une Chambre des Représentants a existé aux côtés de l'Assemblée nationale jusqu'à sa suppression en 2002 (loi n° 001-2002/AN du 22 janvier 2002).

L'article 80 de la Constitution dispose que le Sénat est composé de représentants des collectivités territoriales, des autorités coutumières et religieuses, du patronat, des travailleurs, des Burkinabè vivant à l'étranger et de personnalités nommées par le président du Faso. Les sénateurs représentant les collectivités territoriales sont élus par les élus locaux de leurs régions respectives au suffrage universel indirect. Les sénateurs représentant les autorités coutumières et religieuses, les travailleurs, le patronat et les Burkinabè de l'étranger sont désignés par leurs structures respectives. Nul ne peut être élu ou nommé sénateur s'il n'a 45 ans révolus au jour du scrutin ou de la nomination.

La durée du mandat des sénateurs est fixée à 6 ans, contre 5 ans pour les députés.

En cas de vacance de la Présidence du Faso, quelle qu'en soit la cause, ou d'empêchement absolu ou définitif constaté par le Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement, les fonctions du Président du Faso sont exercées par le Président du Sénat. Il est alors procédé à l'élection d'un nouveau président pour une nouvelle période de 5 ans, 60 jours au moins et 90 jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l'empêchement. Le Président du Sénat exerçant ainsi les fonctions de Président du Faso ne peut pas être candidat à cette élection présidentielle.

En application de l'article 7 de la loi précitée du 21 mai 2013, le Sénat devait comprendre 89 membres :

- 39 sénateurs élus représentant les collectivités territoriales, à raison de 3 par région ;

- 16 sénateurs représentant certaines autorités, à raison de 4 pour les autorités coutumières et traditionnelles, 4 pour les autorités religieuses, 4 pour les organisations syndicales de travailleurs et 4 pour les organisations reconnues du patronat burkinabè ;

- 5 sénateurs élus représentant les Burkinabè vivant à l'étranger à raison de 2 sièges pour le continent africain, un siège pour le continent européen, un siège pour le continent américain et un siège pour le continent asiatique ;

- 29 sénateurs pourvus par voie de nomination du Président du Faso.

Des élections sénatoriales ont eu lieu le 28 juillet 2013 afin de désigner les 39 sénateurs représentant les collectivités territoriales et le 4 août 2013 afin de désigner les 5 sénateurs représentant les Burkinabè vivant à l'étranger.

Toutefois, à la suite du mouvement de contestation de la création du Sénat qui s'amplifiait (nombreuses manifestations à l'été 2013), les critiques portant en particulier sur le coût de la nouvelle institution et sur le motif supposé de sa création (crainte que cela ne vise en réalité à permettre une modification de l'article 37 de la Constitution), le Président Compaoré a demandé au Premier ministre et au ministre d'État chargé des relations avec les institutions et des réformes politiques de convoquer le « comité de suivi et d'évaluation de la mise en oeuvre des réformes politiques consensuelles », afin de lui remettre un « rapport d'étape circonstancié sur l'opérationnalisation du Sénat ». Ce rapport, en date du 29 août 2013, a été remis à la délégation sénatoriale par le directeur de cabinet de M. Bongnessan Arsène Yè, ministre chargé des Relations avec les Institutions et des Réformes politiques.

Ce rapport évoque plusieurs pistes de solution pour sortir de la crise , notamment la réduction de l'âge d'éligibilité des sénateurs (de 45 à 35 ou 30 ans), la réduction du nombre de sénateurs (de 89 à 71), la révision à la baisse du nombre de sénateurs nommés par le Président du Faso (sans citer de chiffre), l'ouverture des candidatures au Sénat à tout citoyen militant d'une formation politique, la création d'une commission mixte paritaire en cas de désaccord entre le Sénat et l'Assemblée nationale 3 ( * ) ainsi que la saisine en premier lieu du Sénat sur les projets de loi traitant de questions d'ordre religieux, enfin, la limitation du coût de fonctionnement du Parlement.

Le Président Blaise Compaoré a depuis lors répété que le Sénat serait mis en place : « Il y a dans les discussions que nous continuons à avoir des échanges sur des aménagements à faire notamment en ce qui concerne la composition du Sénat. Ce qu'il faut retenir, c'est que le Sénat est inscrit dans la Constitution aujourd'hui. Et ce n'est pas à moi, président du Burkina Faso, qu'on va demander de ne pas appliquer ce qui est inscrit dans la Constitution. Donc le Sénat se mettra en place » 4 ( * ) .

Dans l'attente de cette situation, l'Assemblée nationale a adopté, le 12 novembre 2013, un projet de loi constitutionnelle lui permettant d'assumer la plénitude des attributions du Parlement jusqu'à la mise en place du Sénat.

Davantage que l'idée elle-même de création d'un Sénat, c'est le contexte de sa mise en oeuvre qui semble constituer une difficulté majeure.


* 1 Source : RFI, « Burkina Faso: Blaise Compaoré confirme la mise en place du Sénat », 13 décembre 2013.

* 2 International Crisis Group, Rapport Afrique n° 205, « Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », 22 juillet 2013, p. 44.

* 3 L'article 25 de la loi du 21 mai 2013 dispose qu'en cas de désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat ou si le Sénat ne s'est pas prononcé dans les délais requis, l'Assemblée nationale statue définitivement, sauf pour les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales et des instances des Burkinabè vivant à l'étranger. Ces derniers sont soumis en premier lieu au Sénat et celui-ci est appelé à statuer définitivement en cas de désaccord entre les deux chambres.

* 4 Source : RFI, « Burkina Faso : Blaise Compaoré confirme la mise en place du Sénat », 13 décembre 2013.

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