B. LA VILLE JAPONAISE EN MUTATION

M. Michael BISMUTH, modérateur

Monsieur Toshifumi Kurose, pouvez-vous nous dire quelques mots de l'organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales japonaises ? Plus particulièrement, pouvez-vous préciser le rôle des communes dans l'aménagement urbain au Japon ?

M. Toshifumi KUROSE, directeur général du CLAIR Paris

En tant que directeur du bureau de représentation des collectivités locales japonaises, j'aimerais vous présenter l'organisation et le fonctionnement des collectivités locales japonaises.

Mais tout d'abord, j'adresse mes sincères remerciements à M. David Assouline qui a associé notre bureau à l'organisation de ce colloque. Nous attachons beaucoup d'importance au partage de bonnes pratiques territoriales entre nos deux pays. Le colloque d'aujourd'hui est donc une belle opportunité de partager les bonnes pratiques en termes de gouvernance en France et au Japon.

Ma présentation vise à vous apporter des éclaircissements sur l'administration territoriale japonaise, qui pourraient vous aider à mieux comprendre les présentations des maires japonais qui suivront la mienne.

Je rappelle les caractéristiques des collectivités locales japonaises.

D'abord, l'existence d'une garantie constitutionnelle de l'autonomie locale. La Constitution japonaise reconnaît en effet l'autonomie des collectivités locales, qui s'administrent librement. Le Japon est un pays unitaire et décentralisé, ce qui permet une comparaison avec la France. Néanmoins, il existe de nombreuses différences entre nos deux pays.

Ensuite, un système à deux niveaux. La différence tient au fait que le Japon ne compte pas de régions. Il n'existe que deux niveaux de collectivités japonaises : les départements et les communes.

Autre particularité : une configuration présidentialiste. Chaque collectivité est dotée d'un pouvoir exécutif et d'une assemblée délibérante. Les membres de l'assemblée et le chef de l'exécutif sont élus séparément au suffrage universel direct. L'assemblée délibérante et le chef de l'exécutif, le maire pour la commune et le gouverneur pour le département, se contrôlent mutuellement. La configuration de ces deux organes peut être qualifiée de « présidentielle » alors qu'en France, l'organisation de l'assemblée délibérante pourrait être comparée au régime « parlementaire ».

S'agissant du pouvoir réglementaire, il existe des similitudes. En France, la réforme constitutionnelle de 2003 reconnaît aux collectivités locales un pouvoir réglementaire. De même, au Japon, les collectivités territoriales peuvent adopter, dans le cadre de la loi, des règlements sur toute matière relevant de leur compétence. Dans le domaine de l'aménagement urbain, un règlement départemental ou municipal peut porter sur la protection de l'environnement, sur la qualité de l'eau, par exemple. Et le règlement peut imposer des normes beaucoup plus sévères que celles établies par l'État. Par ailleurs, les collectivités locales japonaises ont la possibilité d'instaurer leurs propres impôts, ou des sanctions applicables sur leur territoire. Le domaine du règlement est donc très large, et la définition de ses limites par rapport au domaine de la loi relève d'une jurisprudence abondante.

En France, aujourd'hui, la simplification et la diminution des normes réglementaires applicables aux collectivités territoriales sont d'actualité. Au Japon aussi, cette question fait l'objet d'un grand débat entre l'État et les collectivités locales depuis cinq ans. La réforme est en cours, et quelque 1 000 normes ont déjà été revues. Auparavant, les collectivités locales devaient aménager une route ou une crèche conformément aux normes établies par l'État. Elles peuvent désormais modifier par règlement la largeur d'une route ou la taille d'une crèche selon le trafic routier ou le nombre d'enfants de leur territoire. Le pouvoir réglementaire des collectivités locales s'est donc accru depuis quelques années.

La question des ressources financières des collectivités locales maintenant. S'agissant des dépenses publiques, la part des collectivités locales japonaises représente près de 60 % des dépenses des administrations publiques selon les comptes de la Nation. Cela traduit l'importance des services publics assurés par les collectivités locales. Les recettes fiscales ne représentent toutefois qu'un peu plus de 30 % de l'ensemble de leurs recettes. Aussi le débat sur l'autonomie financière des collectivités locales est-il engagé depuis plusieurs années.

En France, à la suite de sa révision de 2003, la Constitution dispose que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. Au Japon aussi, une réforme pour renforcer les ressources propres des collectivités locales est en cours. Cette réforme prévoit notamment un transfert de fiscalité de l'État aux collectivités locales. Étant moi-même fonctionnaire du ministère japonais de l'Intérieur, il m'est déjà arrivé de me rendre au ministère français de l'Intérieur dans le cadre d'une étude, pour connaître ce qu'il fallait entendre par « une part déterminante ».

Concernant la répartition des compétences entre les départements et les communes, comme en Europe, c'est le principe de subsidiarité qui est appliqué. Dès lors, tout ce qui ne pourrait pas être effectué par les communes incombe aux départements. Ainsi, l'élaboration des documents d'urbanisme relève de la compétence des communes, mais les départements sont compétents pour le zonage, qui consiste à distinguer des zones où l'aménagement urbain planifié est autorisé, et des zones où l'urbanisation doit être freinée. C'est dans ce cadre que les communes décident de l'affectation des sols.

En outre, les communes japonaises exercent des compétences diversifiées telles que l'action sociale, l'école élémentaire et le collège. Au Japon, les enseignants des écoles et des collèges sont des fonctionnaires communaux, tandis qu'en France, ils sont fonctionnaires d'État. Pour renforcer les capacités de l'administration communale, le Japon a toujours procédé à la fusion des communes. La première grande vague de fusions, qui avait pour objectif d'ajuster la taille des communes pour leur permettre de gérer les écoles élémentaires, a eu lieu il y a 125 ans. À l'époque, le Japon comptait environ 70 000 communes et le nombre des communes a été réduit à 16 000. Puis, il y a 60 ans, peu après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague de fusions a permis de diviser le nombre des communes, qui étaient alors au nombre de 10 000, par trois, soit 3 500 communes. La taille des communes issues de cette vague de fusions était ainsi adaptée pour la gestion des collèges. Enfin, avec la troisième vague de fusions initiée il y a huit ans, le nombre des communes est passé de 3 200 à 1 719, soit une diminution de 40 %.

Cela est une différence majeure avec la France qui a opté pour la coopération intercommunale. Au Japon, il existe des syndicats intercommunaux, mais pas d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI). Nous avons déjà traité ce sujet, ces deux modes de fonctionnement de l'intercommunalité en France et au Japon, lors d'un précédent colloque franco-japonais organisé au Sénat en 2006.

La répartition des compétences entre l'État et les collectivités locales est différente dans ces deux pays.

En France, 90 % des communes comptent moins de 3 500 habitants. La situation japonaise diffère totalement, et les communes de plus de 3 500 habitants représentent 90 % de l'ensemble des communes.

Par ailleurs, il existe 47 départements au Japon. En termes de population, le département japonais est comparable à la région française, puisque le Japon compte deux fois plus d'habitants.

Nous avons parlé tout à l'heure des métropoles en France, et comme je vous l'ai précisé, il n'existe pas d'EPCI au Japon. En revanche, les compétences exercées par les grandes villes japonaises varient selon leur taille démographique. Il existe ainsi des « villes désignées par décret », qui pourraient être équivalentes aux métropoles françaises. Ces communes à statut particulier, qui sont au nombre de vingt aujourd'hui, peuvent créer des arrondissements dans leur périmètre, et elles pourraient, à ce titre, être comparées aux villes de Lyon ou de Marseille.

J'aimerais vous parler du débat autour du projet de réorganisation territoriale du département d'Osaka, dont le chef-lieu est la ville d'Osaka. Osaka est la deuxième agglomération après Tokyo. Or, dans le département de Tokyo, il y a à la fois des communes et 23 arrondissements à statut particulier. Le projet du département d'Osaka vise à mettre en place, comme à Tokyo, des arrondissements à statut particulier. D'ailleurs, une proposition de loi relative à la transformation des grandes villes en arrondissements à statut particulier a été votée par le Parlement l'été dernier.

La loi permet de supprimer la ville d'Osaka pour la remplacer par plusieurs arrondissements à statut particulier. Naturellement, les maires des villes désignées par décret ne se montrent pas bienveillants à l'égard d'une telle réorganisation territoriale qui pourrait entraîner la disparition de leurs communes. C'est pourquoi certains d'entre eux défendent l'idée d'un modèle proche de celui de la future métropole de Lyon : les villes désignées par décret remplaceraient ainsi, dans leurs limites administratives, le département.

Les données macro-économiques présentées ici montrent bien les défis auxquels est confronté le Japon. D'abord, sa superficie est plus réduite que celle de la France. Sa population, concentrée sur des zones habitables exiguës, vieillit rapidement et diminue. Le Japon connaît également de nombreuses catastrophes naturelles. La faible croissance économique qui dure depuis plusieurs années et la déflation ne facilitent pas la gestion financière des administrations publiques locales.

La désertification des commerces de centre-ville, l'implantation de grandes surfaces dans les zones périurbaines et les communes rurales dont la majorité de la population a plus de 65 ans, tous ces problèmes liés à un développement urbain déséquilibré ne sont que le reflet de ces données macro-économiques. La plupart des communes japonaises étant de grande taille, une zone urbanisée et une zone rurale coexistent dans leurs périmètres. Les communes jouent le premier rôle dans l'aménagement urbain et les maires doivent veiller au développement harmonieux et équilibré de l'ensemble du territoire.

La loi sur la dynamisation des centres-villes, modifiée en 2006 pour faire face aux problèmes de désertification des centres-villes, prévoit que les communes peuvent élaborer un programme-cadre pour le développement du centre-ville en concertation avec les acteurs économiques. Les villes de Kumamoto et d'Iida dont les maires sont ici présents sont aujourd'hui dotées de leurs programmes-cadres. Les communes dont le programme-cadre a été reconnu par le Premier ministre bénéficient de subventions d'État et de dérogations fiscales, financières et réglementaires.

Par ailleurs, la ville-centre d'une unité urbaine et ses communes environnantes peuvent conclure une convention pour créer un district urbain, qui leur permet de coordonner leur action dans l'organisation des services publics aux habitants de l'agglomération, et de freiner ainsi la dépopulation. La ville d'Iida a été la première à créer un district urbain avec ses communes proches avec lesquelles elle constitue un bassin de vie.

La ville de Kumamoto, quant à elle, s'est dotée du statut de ville désignée par décret en avril 2012. Elle mène des politiques d'aménagement urbain ambitieuses dignes de son nouveau statut.

Iida et Kumamoto ont des profils différents, mais ces villes sont toutes les deux des illustrations pertinentes de bonnes pratiques territoriales.

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