II. COMMUNICATIONS

A. ÉTAT DES LIEUX DES POLITIQUES D'AMÉNAGEMENT EN FRANCE ET AU JAPON

M. Michael BISMUTH, modérateur

Monsieur Jean-Pierre Sueur, pouvez-vous nous présenter le cadre politique actuel de la décentralisation, et plus particulièrement le rôle renforcé que les métropoles seront amenées à jouer ?

M. Jean-Pierre SUEUR, président de la commission des lois

En guise d'introduction, je rappellerais que j'ai été l'auteur, en 2011, d'un rapport intitulé « Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? » Celui-ci posait le problème du devenir des villes dans le monde.

Chaque jour dans le monde, 200 000 habitants supplémentaires viennent s'installer dans les villes. En d'autres termes, chaque année, la population urbaine augmente de 72 millions de personnes. La montée des villes constitue donc un phénomène irrépressible, qui concerne pratiquement tous les pays du monde.

Il en résulte une question essentielle, insuffisamment évoquée dans la sphère politique : quel est notre projet pour les villes du futur ? Les décisions que nous prenons, ou ne prenons pas, aujourd'hui auront des conséquences importantes sur les villes dans lesquelles nous vivrons dans vingt, trente, quarante ou cinquante ans.

Il est étrange que cette question soit souvent absente des débats précédant les élections. Il s'agit pourtant d'une interrogation fondamentale.

Premièrement, nous devons défendre la ville. Comme l'a souligné le président David Assouline, « l'air de la ville rend libre ». Il existe comme une sorte d'impensé ou d'idée préconçue au sujet de la ville. Charles Péguy disait « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée . C'est d'avoir une pensée toute faite .» L'idée toute faite consiste, en l'occurrence, à penser que la nature est naturellement bonne, et que la ville est mauvaise. La ville serait le lieu de l'insécurité, de la criminalité, de la pollution. Elle serait le réceptacle de tous les malheurs de la société, alors que le monde rural serait bon, doux, humain, charmant. Je ne souscris pas à cette vision. Je pense que la ville est belle. Ainsi, le Japon est beau par ses villes. J'ai ainsi connu la ville d'Utsunomiya, jumelée avec la ville d'Orléans. Les villes du Japon ont leur beauté, comme toutes les villes. Il faut aimer les villes. Cela signifie gérer les problèmes des villes.

En France, il existe un ministère de la Ville. Dans ce rapport, j'ai souligné que le ministère de la Ville avait pour charge la ville qui va mal, les quartiers en difficulté. D'autres ministères s'occupent du centre-ville, de la ville patrimoniale : l'Équipement, le Logement, la Culture. Pourtant, comme je l'ai souligné, il n'existe pas deux ministères de l'Agriculture : un pour l'agriculture qui va bien et un pour l'agriculture qui va mal. Or, un tel dédoublement existe pour la ville. J'en ai appelé à l'existence d'un seul ministère de la Ville. Je suis convaincu que pour changer la ville, c'est toute la ville qu'il faut appréhender. On ne change pas un quartier sans engendrer un effet sur l'ensemble de l'aire urbaine. Ainsi, dans un quartier en difficulté d'une ville que je connais bien, nous avons décidé de créer un tramway. Le quartier en difficulté est dès lors situé près du centre-ville. Nous avons créé une grande et belle avenue. Le quartier en difficulté n'est plus périphérique. Le long de l'avenue, nous avons créé de belles entreprises. Par « contamination », le quartier change peu à peu. Je me suis reproché, lorsque j'étais maire, d'avoir démoli les barres et les tours, et d'avoir mis à la place des immeubles collectifs plus petits et plus jolis. J'aurais dû faire construire des pavillons ou un parc.

En France, nous avons la manie du zonage. Ainsi, nous avons créé les zones urbaines prioritaires (ZUP). Puis, nous avons créé les zones d'aménagement concerté (ZAC), les zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU), devenues ensuite zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Il existe aussi les zones d'éducation prioritaire (ZEP), qui visent à promouvoir les élèves ayant le plus de difficultés. Je pourrais encore citer les zones urbaines sensibles (ZUS), les zones de revitalisation urbaine (ZRU), et les zones franches urbaines (ZFU). Plus il existe de zones, moins il y a de lisibilité. Si les zones sont conçues pour le bien public, l'excès de zonage stigmatise. À titre d'exemple, une école située dans une ZEP perd des élèves. Autrement dit, la politique de la ville doit être une politique globale, qui propose des projets pour toute la ville.

La ville de la deuxième moitié du XX e siècle a été une ville où chaque secteur avait une fonction précise. La grande industrie a créé les grands ensembles, et ces derniers ont donné lieu aux grandes surfaces. En outre, un président de la République a estimé qu'il convenait d'adapter la ville à l'automobile. Certaines villes comportent des quartiers dans lesquels il n'y a que de l'habitat, jouxtant des quartiers dotés uniquement de commerces, que l'on appelle des « entrées de villes ». Il existe aussi le centre-ville patrimonial, les faubourgs, le campus universitaire au loin, un espace de loisirs, un parc d'activités, la technopole... Tout ceci forme une sorte de mosaïque. Je plaide au contraire pour une nouvelle urbanité, c'est-à-dire une ville dotée de toutes les fonctions dans chaque quartier. Lorsque nous faisons un grand projet de ville (GPV), j'insiste pour que l'on prévoie de la recherche scientifique, de l'entreprise, du sport, des loisirs, des commerces et de l'habitat diversifié. La mixité sociale, dont je suis un ardent partisan, doit aller de pair avec la mixité fonctionnelle. Il s'agit là de l'une des clefs du futur.

Enfin, la loi de décentralisation prévoit la création de métropoles. Onze métropoles sont en projet, outre Paris, Lyon et Marseille. L'idée est d'avoir de grands pôles urbains efficaces, dotés de compétences fortes, travaillant en lien étroit avec les régions et les communautés d'agglomérations et de communes. Cette organisation soulèvera le problème de la démocratie. Ainsi, la métropole de Lyon sera dotée de tous les pouvoirs du conseil général et de tous les pouvoirs d'une communauté urbaine. Dans le monde entier, se pose le problème de l'aire urbaine réelle. La démocratie n'est pas toujours aux dimensions de l'aire urbaine réelle. L'aire dans laquelle on prend les décisions importantes, relatives à la création d'un tramway, du développement économique, c'est la métropole. Il convient donc de se demander s'il ne faut pas instaurer de la démocratie à ce niveau.

Je conclurai par trois points. De nombreux pays sont confrontés au problème des nappes urbaines : en témoignent des villes comme Dehli, São Paulo, Le Caire, Mexico. Aujourd'hui, un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles. Ce chiffre atteindra 1,5 milliard en 2020. Selon certains, la solution serait de raser les bidonvilles. Mais, outre qu'il s'agit d'une logique totalitaire et dictatoriale, cette solution est inopérante. En revanche, il est pertinent de partir d'un bidonville et de créer, progressivement, de la voirie, du réseau, de l'activité économique, de la démocratie.

Il convient également de lutter contre les nappes urbaines infinies, qui prennent de l'espace et empiètent sur l'agriculture. Le mitage prend également de l'espace sur l'agriculture. Ainsi, comparons Atlanta, aux États-Unis, et Barcelone en Espagne. La surface d'Atlanta est vingt-six fois supérieure à celle de Barcelone. Pourtant, la population est plus importante à Barcelone qu'à Atlanta. On dépense dix fois plus d'argent pour les transports à Atlanta qu'à Barcelone. Plus la ville s'étale, moins elle est écologique, car elle coûte cher en termes d'énergie. La concentration est parfois plus écologique que l'étalement, sauf si une embolie de la concentration a lieu. À mon sens, il existe deux solutions. La première solution renvoie à la ville polycentrique. J'ai cette utopie de transformer les banlieues en centres-villes. Pour faire vivre un quartier, quel qu'il soit, ce dernier doit avoir une fonction de centralité et d'urbanité. La seconde solution revient à jouer la carte des réseaux de villes. De plus en plus de nos concitoyens vivent dans plusieurs villes : ils travaillent dans l'une, tandis qu'ils habitent dans une autre. Dans ce contexte, les réseaux de villes jouent un rôle essentiel pour éviter les nappes ou l'uniformisation des villes.

Enfin, il existe aujourd'hui près d'une centaine d'aires urbaines comportant des millions d'habitants dans le monde. Un certain nombre d'entre elles n'ont pas les moyens de gérer les crises auxquelles elles sont confrontées. Mon rapport propose la création d'un organe de l'ONU, doté de financements, pour aider un certain nombre de villes à surmonter leurs problèmes.

Je terminerai en soulignant que depuis que j'ai commencé mon intervention, 50 000 personnes dans le monde sont devenues urbaines. L'avenir des villes du monde doit donc entrer sur le devant de la scène.

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