TABLE RONDE 3 - COMMENT RÉUSSIR VOTRE APPROCHE DES MARCHÉS DE L'ASEAN ?

Ont participé à cette table ronde :

M. Olivier FLURY, Responsable Asie, Egis
Mme Marie-Josée CONNAN, Directrice Ubifrance, Philippines
M. François MATRAIRE, Directeur Ubifrance, Malaisie

_____________________

M. Arnaud FLEURY. - Pour synthétiser, que faut-il retenir pour réussir son approche des marchés de l'ASEAN ? Sans doute faut-il en premier lieu définir une stratégie régionale ?

M. François MATRAIRE . - Les marchés de l'ASEAN sont tous très différents les uns des autres, même si nous pouvons esquisser une forte ligne de cohérence entre ces pays. Cette cohérence se retrouve dans l'organisation de l'ASEAN elle-même et dans la mise en place d'un marché unique des pays de l'Asie du Sud-Est à compter de 2015. Des accords de libre-échange, notamment avec la Chine, ont également été signés par des pays de l'ASEAN. Ces derniers présentent des niveaux de développement différents. Il convient dès lors d'adopter une logique régionale pour cette zone et de trouver la porte d'entrée, qui est toujours différente en fonction du produit, du prix et du niveau de développement du pays adressé. Il est donc important de réaliser un indice de référence détaillé, car il n'y a pas de porte d'entrée unique pour la région.

M. Arnaud FLEURY . - Il faut donc bien connaître les réalités de ces pays et oublier les clichés.

M. François MATRAIRE . - Effectivement. Il importe de bien comprendre la réalité du terrain, en prenant des informations auprès d'experts de terrain, et d'oublier les clichés. Par exemple, les pays de cette zone sont consommateurs de vins et spiritueux. Pour autant, il faut savoir qu'il existe des pays musulmans dans cette zone, ce qui impacte fortement les barrières et les opportunités de marché. De même, le marché des produits carnés est bloqué en Malaisie et en Indonésie par des barrières d'accès, ce qui peut constituer une opportunité pour les entreprises qui produisent des produits halal de qualité.

M. Arnaud FLEURY . - Nous avons l'impression que les Philippines constituent avec l'Indonésie le pays à plus fort potentiel. Quels sont les clichés à évacuer concernant ce pays ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - Comme cela a été dit ce matin, ces marchés offrent des opportunités en matière de consommation et d'investissement. Les Philippines souffrent d'une image de pays à catastrophes, avec un faible niveau de vie. Pour ces deux dernières années, il affiche pourtant des indicateurs macroéconomiques au beau fixe et sa croissance a été saluée par les agences de notation internationales, qui l'ont classé dans la catégorie des pays à faible risque l'année dernière. Nous constatons également une nette amélioration du contexte général philippin, si bien que ce pays apparaît désormais en bonne place sur le radar des sociétés françaises. Je salue les représentants de sociétés que j'ai pu rencontrer à Manille et qui sont présents aujourd'hui.

La société philippine est une société de consommation, le secteur de la consommation privée augmente de 5 % à 6 % chaque année et la classe moyenne s'y développe pour compter à présent environ 10 millions de personnes. Cette économie va vite et évolue. Ce pays est très ouvert en termes de consommation, sa structure de distribution est très moderne, avec des centres commerciaux et une approche facilitée.

M. Arnaud FLEURY . - L'approche commerciale est-elle facile aux Philippines ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - Le contact est facile, car la culture philippine a été influencée par la présence américaine durant cinquante ans. Les contacts philippins sont donc accueillants et ouverts sur l'international. Les Philippines sont classées parmi les dix premiers pays du monde en matière d'utilisateurs de Facebook et certaines marques philippines communiquent uniquement avec leurs comptes Facebook, et non avec leurs sites internet.

Pour ces grands pays émergents, il convient donc d'aller au-delà des idées reçues et d'intégrer leur sophistication relative à certains modes de consommation. La stratégie d'approche doit tenir compte de ces importants marchés porteurs, ainsi que des grands marchés émergents, qui offriront des opportunités conséquentes demain.

M. Arnaud FLEURY . - Egis est l'un des grands groupes d'ingénierie d'infrastructure français, voire le plus gros. Il appartient à la Caisse des dépôts et consignations et travaille également dans le domaine de l'exploitation.

M. Olivier FLURY . - Effectivement, nous exploitons des routes à péage et des aéroports.

M. Arnaud FLEURY . - Quels pays de l'ASEAN voudriez-vous mettre en avant ?

M. Olivier FLURY . - Nous sommes un acteur ancien sur cette zone, sur laquelle nous travaillons depuis vingt-cinq ans, plus particulièrement au Vietnam et en Indonésie. Nous sommes à présent en phase de diversification et nous renouvelons notre approche de ces marchés pour accroître notre spectre, notamment avec le secteur privé. De grands partenaires privés investissent en effet dans des villes nouvelles, par exemple en Indonésie, en Birmanie et aux Philippines. Dans ce pays, de grands partenaires financiers investissent dans d'importants projets, souvent selon des modes PPP, combinant des infrastructures de transport et de développement.

M. Arnaud FLEURY . - Quels sont vos conseils en matière d'approche pour le Vietnam ?

M. Olivier FLURY . - Il s'agit d'un marché important, pour lequel nous nous appuyons beaucoup sur les financements internationaux. Nous y avons cependant connu quelques difficultés de recouvrement, avec quelques clients privés.

Le marché vietnamien est très concurrentiel, très ouvert sur le monde. Dans ce pays, il est difficile de travailler. Il y a encore deux ans, nous étions en perte de vitesse au Vietnam, mais nous venons de signer de beaux contrats dans le domaine de l'entretien routier. Il y a beaucoup de choses à faire dans ce pays.

M. Arnaud FLEURY . - Il n'y a pas de recettes miracles pour les pays de l'ASEAN, qui présentent néanmoins des points communs.

M. François MATRAIRE . - Comme dans tous les pays asiatiques, la proximité y est très importante pour les affaires. Si cette proximité n'est pas physique, elle doit être assurée par une correspondance fournie, des visites régulières, l'envoi de voeux, etc.

M. Arnaud FLEURY . - Il faut rester modeste et respecter les conventions. Il convient ainsi de garder ces réalités bien en tête.

M. François MATRAIRE . - Exactement. Les entrepreneurs de ces pays n'apprécient pas du tout que les entreprises occidentales ne viennent y travailler que pour une seule affaire et il est très difficile d'y regagner les clients perdus.

M. Arnaud FLEURY . - Madame Connan, quel est votre sentiment sur ces questions pour les Philippines ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - On dit souvent que les Philippines constituent un creuset 5 ( * ) d'influences espagnoles, américaines et asiatiques. J'insisterai pour ma part sur l'ancrage asiatique de ce pays.

Le développement de la relation professionnelle est essentiel dans cet environnement, mais elle prend du temps. Cinq à dix ans sont ainsi nécessaire pour convaincre ces clients et nouer une relation de confiance permettant de faire se succéder les contrats. Il s'agit donc d'un investissement dans la durée et d'un engagement personnel de l'entreprise. Il convient de bien avoir en tête l'importance du contact pour travailler en ASEAN.

M. Arnaud FLEURY . - Cette prospection en ASEAN coûte-t-elle cher ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - Il est possible de couvrir toute l'ASEAN assez facilement, mais les coûts sont variables selon les pays. À Singapour, la prospection est très chère par exemple. Aux Philippines, elle doit s'accompagner d'importants efforts de promotion. Il faut ainsi prévoir des engagements en termes de communication et de marketing.

M. François MATRAIRE . - En ASEAN, Ubifrance a défini une stratégie qui va dans ce sens, avec des couples pays/produits toujours variables selon les secteurs, les activités et les besoins des entreprises, qui nous permettent de vous aider à pénétrer ces secteurs. Cette organisation permet également de réaliser des économies d'échelles fortes, en se rendant dans deux à trois pays en une semaine.

M. Arnaud FLEURY . - Quelles sont les options à retenir concernant l'approche des marchés ?

M. François MATRAIRE . - Il est effectivement idéal de trouver un partenaire local, une plateforme commerciale et logistique dans chacun des pays. Ce partenaire peut être un agent distributeur ou un partenaire technique pour les produits complexes. Dans ce cas, nous vous recommanderons de réfléchir à la pérennisation de votre présence sur place. Dans tous les cas, il convient d'assurer une présence locale, avec un partenaire ou une présence physique.

Je rappelle par ailleurs que les secteurs du pétrole et du gaz sont généralement très bloqués en termes d'accès au marché. Il convient néanmoins de conserver un partenaire local sérieux et sur le long terme dans tous les cas.

M. Arnaud FLEURY . - Il est donc risqué de ne travailler qu'avec un agent pour tout l'ASEAN.

M. François MATRAIRE . - Effectivement. Dans ce cas, il convient de prendre en compte les sensibilités inter-pays et de choisir un pays considéré comme neutre par ses voisins.

M. Arnaud FLEURY . - Quels pays apparaissent neutres sur la région ?

M. François MATRAIRE . - Je serai tenté de vous répondre : « aucun ». Les Malaisiens, qui se considèrent relativement avancés sur les sujets de haute technologie, n'apprécieraient sans doute pas de travailler avec une entreprise leur demandant de venir la trouver à Singapour.

M. Arnaud FLEURY . - Que préconisez-vous, Monsieur Flury, concernant l'établissement d'une structure locale ou le travail avec un partenaire local ?

M. Olivier FLURY . - Dans notre domaine des services, dans lequel nous vendons des objets uniques à chaque projet, nous sommes obligés de travailler en proximité avec nos clients et nos marchés. Nous sommes donc amenés à développer des structures locales, comme un bureau de représentation. Nous avons ainsi créé une filiale en Indonésie, à la tête de laquelle se trouve un expatrié. Depuis quelques mois, nous développons notre activité en Birmanie, ce qui a nécessité un long travail pour signer des contrats et l'identification d'un partenaire local complémentaire (en l'occurrence, un architecte). Nos modes d'approche peuvent donc être variables, nous pouvons embaucher un commercial local, organiser un VIE, etc.

M. Arnaud FLEURY . - Une plateforme est-elle nécessaire ?

M. François MATRAIRE . - Elle fait sens en ASEAN, surtout avec du contenu local. Une plateforme permet également de se projeter dans les pays avec lesquels les pays de la zone ont noué des accords, comme la Chine, et de bénéficier d'importations chinoises à des tarifs préférentiels. Dans une logique manufacturière, une plateforme est effectivement cruciale, de même que pour redistribuer des biens de consommation. Singapour se pose ainsi comme un pays d'excellence en la matière, mais la Malaisie peut également être utile dans ce domaine.

Mme Marie-Josée CONNAN . - Du fait d'enjeux de consolidation de flux, il faut privilégier une porte d'entrée qui peut être Singapour, la Malaisie ou encore Hong-Kong, pour accéder aux Philippines.

M. Arnaud FLEURY . - À qui ces activités doivent-elles être confiées ?

M. Olivier FLURY . - Il est difficilement envisageable d'envoyer un Indonésien faire du business au Vietnam, surtout pour représenter un groupe français. Il est cependant envisageable de travailler avec des collaborateurs locaux, et pas uniquement avec des expatriés. Il est ainsi possible de trouver des managers de très bon niveau localement.

M. Gérard PELTIER . - Je dirige une société dans le domaine de la vente de matériel médical, qui est présente en ASEAN. Nous avons déplacé notre plateforme de Singapour à Bangkok pour des raisons de coût. Les prix sont en effet très élevés à Singapour.

M. Arnaud FLEURY . - Nous allons aborder dans la table ronde suivante la question de la pérennisation des relations.

M. François MATRAIRE . - Une société française envoie fréquemment un collaborateur indien pour travailler en Inde, ce qui ne fonctionne pas. Ce collaborateur est jugé hautain par les Asiatiques, mais cette entreprise ne s'en rend pas compte.

M. Pierre MAILLOUX . - Comment les femmes sont-elles perçues dans le monde des affaires en ASEAN ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - Aux Philippines, elles sont très bien reçues. D'une manière générale, le secteur privé y est très développé et nous constatons fréquemment la présence des femmes à de hautes fonctions, parfois plus qu'en Europe, d'ailleurs.

M. François MATRAIRE . - Ces affirmations valent d'ailleurs pour les autres pays de l'ASEAN.

M. Arnaud FLEURY . - Et qu'en est-il des pays musulmans ?

M. François MATRAIRE . - Cette situation prévaut également. Nous sommes ainsi nous-mêmes surpris lorsque, dans les grands groupes indonésiens et malaisiens, nous nous retrouvons face à des femmes d'affaires qui ont beaucoup de pouvoir.

M. Arnaud FLEURY . - En quelques mots, pouvez-vous nous dire quelle est l'approche à adopter pour réussir ses affaires en ASEAN ?

Mme Marie-Josée CONNAN . - L'approche couple produit/marché est tout à fait pertinente. Cette zone présente beaucoup d'opportunités, les niveaux de développement sont variables selon les pays et l'approche par secteur d'activité est pertinente. Il faut analyser ses couples produits/marché avec l'aide d'Ubifrance, puis venir sur ces marchés. Ubifrance peut également vous faire gagner du temps dans le domaine de la mise en relation. Ensuite, il s'agit de développer ses contacts.

M. François MATRAIRE . - Ubifrance présente l'avantage de ne pas être en situation de conflit d'intérêts et nous vous parlerons de ce fait avec franchise, en vous orientant si nécessaire vers d'autres pays que ceux que vous visiez initialement. C'est l'avantage de notre réseau, présent partout dans le monde.


* 5 Melting-pot, dans le texte.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page