B. SÉANCE DE TRAVAIL SUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

1. Premier thème : la gestion de l'eau

Pour ouvrir le débat, Mme Marie-Noëlle Battistel a présenté la gestion des barrages hydroélectriques français et les conséquences qu'a eue sur eux la directive-cadre européenne sur l'eau du 23 octobre 2000, qui privilégie l'utilisation durable de l'eau et la préservation de sa qualité via des plans de gestion, afin de parvenir en 2015 à un bon état général des eaux souterraines et superficielles, y compris les eaux estuariennes et côtières. Cependant, l'ouverture à la concurrence des ouvrages autrefois gérés par l'État pose problème, notamment en cas d'implantation d'un opérateur étranger. La France doit pouvoir s'appuyer sur la ressource hydraulique alors que la part du nucléaire dans la production énergétique française doit diminuer.

M. Claude Carignan a expliqué qu'au Canada, la gestion des barrages et la production énergétique relèvent de la compétence des provinces. Au Québec, les sociétés privées peuvent construire et gérer de petites installations hydroélectriques, mais elles doivent d'abord obtenir l'approbation d'Hydro-Québec, société d'État québécoise, responsable de la production, du transport et de la distribution de l'électricité au Québec. D'autres sources d'électricité existent : éoliennes et usines de transformation de déchets biodégradables, par exemple. Les grands consommateurs d'électricité que sont les usines et les industries ont souvent leur propre source d'approvisionnement et peuvent obtenir l'autorisation de vendre leur surplus d'électricité dans le réseau provincial. Au Québec, 90 % à 95 % de l'électricité est produite par les barrages hydroélectriques, bien que la tendance actuelle soit au développement de modes alternatifs. En France, au contraire, l'hydroélectricité ne représente que 13 % de la production d'électricité.

Pour M. Yvon Godin, les provinces sont particulièrement attachées à demeurer compétentes en matière de production d'électricité. A cet égard, le projet d'entente entre le Nouveau-Brunswick et le Québec, qui prévoyait la vente de la plupart des actifs d'Energie NB, société d'État du Nouveau-Brunswick, à Hydro-Quebec, société d'État québécoise, a finalement été abandonné face aux nombreuses critiques des partis d'opposition. De manière générale, le fait que les provinces possèdent leurs sociétés d'État n'empêche pas la concurrence nationale et internationale d'exister. Ainsi la contribution financière du gouvernement fédéral au projet hydroélectrique terre-neuvien de Muskrat Falls - consistant à transporter l'électricité produite au Labrador et à Terre-Neuve pour l'acheminer vers le réseau vers les États-Unis en passant par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et donc en contournant le Québec - a été dénoncée par le Gouvernement du Québec comme une intrusion du pouvoir fédéral et une concurrence déloyale à l'hydroélectricité québécoise.

De ce point de vue, Mme Catherine Coutelle a rappelé que s'applique dans l'Union européenne le principe de la libre concurrence. Plusieurs secteurs - transport ferroviaire ou électricité, par exemple - ont vu leurs réseaux progressivement ouverts à la concurrence. En matière d'électricité, les directives européennes transposées dans le droit français imposent, d'une part, une séparation complète des activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. Elles prévoient, d'autre part, que les activités de production et de fourniture d'électricité soient totalement ouvertes à la concurrence pour, à terme, créer un grand marché de l'énergie et faire baisser les prix à la consommation - objectif démenti par la réalité.

Mme Catherine Coutelle a souligné également l'engagement de la France à atteindre d'ici à 2020 l'objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie finale. En matière d'hydroélectricité, il faut trouver un équilibre entre l'objectif de développement durable et celui de la préservation des ressources naturelles, en prenant par exemple des mesures compensatoires.

Au Canada, et au Québec en particulier, M. Denis Coderre a fait valoir qu'il faut tenir compte de la présence ancienne des peuples autochtones dans les territoires où sont installés des ouvrages hydroélectriques. Mme Claudette Tardif a ajouté que les principales sources d'énergie varient d'une province à l'autre : les provinces de l'Ouest, par exemple, s'alimentent notamment grâce à leurs réserves de pétrole et de gaz naturel.

Outre la production d'électricité, le gaspillage constitue une autre des facettes de la problématique de la gestion de l'eau. Or, au Canada, l'abondance et le faible coût de l'eau encouragent son gaspillage. Au Québec, par exemple, les compteurs d'eau sont peu nombreux et ne concernent que les bâtiments industriels, commerciaux et institutionnels. Pour les particuliers, le compteur d'eau n'est pas obligatoire ; la tarification ne s'effectue donc pas en fonction de la quantité d'eau consommée, mais correspond aux frais de gestion. En France, au contraire, les compteurs d'eau sont souvent collectifs dans les immeubles résidentiels. Une initiative a été lancée pour mettre des compteurs individuels dans les HLM, dans un souci de responsabilisation des occupants.

Autre problème lié à l'eau : la pollution. Au Canada, le déversement de déchets et de substances toxiques dans les eaux douces des Grands Lacs nuit gravement à l'écosystème et constitue une menace pour la santé humaine. Le sénateur Carignan a indiqué que près de 40 millions de personnes (un Canadien sur trois et un Américain sur 10) vivent dans la région des Grands Lacs, et qu'une vingtaine de villes canadiennes et américaines riveraines y déversent chaque année quelque 90 milliards de litres d'eaux usées non traitées. Or, leur eau doit répondre à la demande croissante de l'industrie, des exploitations agricoles et des aires urbaines. Certains lacs ont d'ores et déjà atteint leur plus bas niveau.

Ont également été abordées les questions de l'irrigation et des réserves de substitution en France, susceptibles, selon les agriculteurs, de résoudre les problèmes de gestion de l'eau. Cette solution ne fait néanmoins pas l'unanimité, à la fois pour des raisons d'ordre financier, et aussi en raison de son impact sur les réserves en eau et sur le milieu aquatique naturel. Un moratoire a été demandé par Mme Delphine Batho, alors ministre de l'écologie, aux agences de l'eau sur le financement des réserves de substitution. Cette décision a suscité de vives réactions de la part des agriculteurs, car ces réserves en eau permettent d'irriguer les cultures intensives et de faire face aux aléas de la sécheresse.

2. Deuxième thème : l'utilisation des intrants agricoles

En préambule, Mme Joëlle Huillier a clairement distingué l'agriculture biologique, qui limite au maximum l'utilisation d'intrants, de l'agriculture raisonnée, qui utilise les intrants de manière ciblée et très réglementée. Le développement de l'agriculture à fort rendement a longtemps bénéficié des intrants agricoles. Pourtant, l'usage de ces produits a un impact profond en matière de sécurité sanitaire, qu'il s'agisse de la santé des végétaux, des animaux ou des êtres humains. En France, un plan interministériel de réduction des risques liés aux pesticides a été mis en place en juin 2006 et le « Grenelle de l'environnement » a confirmé les orientations de ce plan en prévoyant la réduction de moitié, en 10 ans, de l'emploi de pesticides de synthèse, ainsi que le passage de 20 % des exploitations en agriculture biologique d'ici 2020.

M. Jean-Claude Rivest s'est félicité que le Canada pratique une agriculture raisonnée : il s'est doté d'une législation complète afin de promouvoir une utilisation efficace et efficiente des intrants agricoles. L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) applique cette réglementation en vue de protéger l'approvisionnement alimentaire, la santé des animaux et des végétaux et d'améliorer le bien-être des Canadiens, la qualité de l'environnement et la bonne santé de l'économie. Puisque l'agriculture est un domaine de compétences partagées, les provinces et les territoires se sont aussi dotés de lois, de politiques ou de programmes qui visent à réduire l'utilisation des intrants et à promouvoir des méthodes agricoles respectueuses de l'environnement et des principes de l'agriculture durable.

Dans le contexte des échanges commerciaux internationaux, les agriculteurs canadiens se heurtent à plusieurs défis. Le processus d'homologation canadien peut parfois être long, notamment pour les engrais chimiques et les médicaments vétérinaires. Les agriculteurs éprouvent donc des difficultés à obtenir des intrants qui sont déjà en usage ailleurs dans le monde. De surcroît, la lenteur du processus d'homologation canadien est l'un des obstacles non tarifaires qui entravent la conclusion des négociations relatives à l'accord économique et commercial global avec l'Union européenne. De fait, les exportateurs européens se plaignent de la lenteur du processus canadien d'homologation des nouveaux médicaments vétérinaires, des retards de traitement des demandes d'autorisation touchant les additifs alimentaires et des normes canadiennes relatives à la composition des fromages. Le sénateur Rivest a estimé qu'il serait intéressant d'examiner comment l'Union européenne, la France et le Canada pourraient travailler ensemble pour simplifier les processus d'homologation des intrants agroalimentaires.

M. Claude Carignan a soulevé la question de l'utilisation du label « bio », reconnaissant que l'élevage des animaux ne peut se faire sans aucun médicament, et qu'il faut aussi tenir compte des intrants présents dans l'alimentation des animaux. Est-il pertinent de favoriser une agriculture strictement biologique ? En France, par exemple, le label biologique renvoie à des normes précises. Il apparaît nécessaire de normaliser la définition du label « bio », notamment pour faciliter le commerce international de produits agroalimentaires.

Enfin, plusieurs parlementaires ont abordé la question des délais de mise sur le marché de produits qui se substituent à des produits dont la commercialisation a été interdite. Ces retards sont certes compréhensibles, mais ils nuisent au développement de l'industrie agroalimentaire.

3. Troisième thème : la protection des milieux fragiles

M. Hoang Mai a tout d'abord précisé qu'au Canada, la protection des milieux fragiles est un domaine de compétences partagé entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. En matière de protection des océans, par exemple, le gouvernement fédéral joue un rôle prédominant. Étant donné que le Canada possède un des plus longs littoraux au monde, le pays s'appuie sur un important corpus législatif et sur la coopération intergouvernementale. Par ailleurs, les peuples autochtones jouent un rôle important dans la protection et la conservation des milieux fragiles. Au Canada, ce sont les organismes non gouvernementaux qui sont à l'avant-garde de la protection des océans, du littoral, des fonds marins et de la vie marine. En dépit d'efforts consentis en matière de sensibilisation, il n'existe pas de mesures globales qui soient orchestrées au niveau fédéral. Toutefois, un projet de loi visant à interdire l'importation d'ailerons de requins a été déposé au Parlement fédéral.

Pour sa part, M. Patrice Martin-Lalande a évoqué le programme de protection et de conservation qui a été mis en place en Sologne, une région forestière naturelle d'environ 500 000 hectares, parsemée de plus de 2 000 étangs. La réserve naturelle de Sologne figure parmi les 1 753 sites français du Réseau Natura 2000, un ensemble de sites naturels européens, terrestres et marins, identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages, animales ou végétales, et de leurs habitats. L'objectif de Natura 2000 est de concilier la préservation de la nature avec les préoccupations socio-économiques et les spécificités locales. On peut toutefois regretter que la préservation d'une biodiversité équilibrée se heurte à la rigidité de certaines politiques menées au niveau européen. Ainsi, les décisions relatives à la protection de certaines espèces peuvent déstabiliser le cycle naturel du milieu, comme l'illustrent les exemples du cormoran ou du héron. À cet égard, la gestion des indicateurs d'évaluation demeure lacunaire : il faut concevoir des outils plus pertinents qui permettront de justifier le maintien de certaines mesures de protection.

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