L'ANALYSE CONTEXTUELLE

Sir Richard DALTON, The Royal Institute of International Affairs (Chatham House), ancien ambassadeur britannique à Téhéran

État des négociations entre l'Iran et le groupe des « 5+1 » et perspectives d'amélioration des échanges commerciaux

Mesdames et Messieurs les sénateurs, Excellence, Mesdames et Messieurs.

Je souhaite tout d'abord vous remercier de cette invitation. C'est un honneur d'être l'hôte du Sénat de la République française.

Je félicite le cercle Iran Économie d'avoir pris l'initiative de nous réunir pour traiter ce sujet d'actualité et vous remercie tous de votre accueil et votre hospitalité.

Pour évaluer l'issue probable des négociations, il est nécessaire de se poser deux questions préalables. Pourquoi les commentateurs ont-ils perdu récemment l'optimisme qui prédominait en amont des négociations entre l'Iran et le groupe des « 5+1 » ? Quelles sont les forces politiques qui doivent s'entendre sur le texte de l'accord final ?

Les pourparlers actuels sont secrets, de telle sorte qu'aucun d'entre nous ne connaît les détails de leur avancement. Les deux parties se sont rendues à Vienne avec la ferme intention de trouver un accord. Cependant, les points de contestation sont si nombreux qu'elles ont jusqu'ici campé sur leurs positions.

Quelques points positifs peuvent cependant être observés :

La confiance réciproque, bien que fragile, apparaît aujourd'hui renforcée. Après la réunion de Vienne, les porte-parole respectifs des États-Unis et de l'Iran ont ainsi évoqué plus de réalisme de part et d'autre.

Un accord de principe aurait apparemment été trouvé sur la réduction de la production de plutonium du réacteur d'Arak, qui ne constitue plus un obstacle majeur à la réussite des négociations, comme cela pouvait encore être le cas l'an dernier.

Des progrès ont été réalisés sur la question de la transparence et la façon de construire une politique durable, fondée sur les engagements de l'Iran à s'ouvrir à des inspections internationales supplémentaires.

À mon sens, le Parlement iranien ratifiera le protocole additionnel de l'accord avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur les sauvegardes lorsqu'un accord global sur la levée des sanctions à l'encontre de l'Iran sera mis à exécution. Par ailleurs, il est tout à fait probable que l'Iran dépasse temporairement les exigences du protocole additionnel en matière de transparence et d'activité nucléaire.

En outre, le secrétariat de l'AIEA, qui enquêtera prochainement sur les possibles dimensions militaires du précédent programme iranien, note des progrès « raisonnables » dans les réponses apportées par l'Iran à ce sujet. De fait, l'Iran souhaite sincèrement régulariser son statut auprès de l'Agence internationale.

La négociation cruciale sur le futur niveau de capacité d'enrichissement de l'Iran n'en est qu'à ses prémices. Les Iraniens voudront qu'il soit aussi élevé que possible pour deux raisons connexes : d'une part, afin de développer leur capacité de production d'uranium faiblement enrichi et, d'autre part, pour transformer ce matériau en combustible en vue d'alimenter le réacteur de Bushehr et les futures générations de réacteurs nucléaires. À l'inverse, les États-Unis et Israël souhaiteront que cette capacité demeure à un niveau très faible afin d'endiguer au plus vite le risque de développement par l'Iran d'une bombe nucléaire.

Le débat sur les besoins pratiques d'enrichissement de l'Iran n'a guère commencé. Selon les informations dont je dispose, l'Iran n'a pas encore présenté à ses partenaires de négociation son programme de construction de réacteurs civils, qu'il s'agisse des réacteurs de faible puissance développés à des fins de recherche médicale, ou des réacteurs puissants destinés à générer de l'énergie électrique.

De même, le flou règne encore autour des quatre réacteurs puissants que l'Iran envisage d'acheter auprès de la Russie, afin d'assurer son autosuffisance.

La durée des dispositions transitoires visant à limiter et surveiller le programme iranien n'a toujours pas fait l'objet d'un accord, alors même qu'elle constitue un enjeu central. L'objectif ultime des négociations, tel qu'il est défini dans le plan d'action du 24 novembre, reste la normalisation, en temps voulu, du statut nucléaire de l'Iran auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l'AIEA.

Cela signifie-t-il que la normalisation aura lieu d'ici quatre ou cinq ans, soit le temps nécessaire à la mise en oeuvre du protocole additionnel et à l'obtention de la certification de l'AIEA sur l'absence d'activités belliqueuses ? Ou bien, comme le souhaitent les adversaires les plus intransigeants de l'Iran, la normalisation ne surviendra-t-elle que d'ici vingt à trente ans ?

J'ai le sentiment que, dans le cadre de ce véritable marathon diplomatique, les participants n'ont accompli que le quart du chemin.

Cependant, il est également possible que les canaux de négociation informels entre les États-Unis et l'Iran fonctionnent pleinement et que, comme en 2013, la situation soit moins bloquée qu'elle n'y paraît.

Trois hypothèses se font jour :

- l'Ayatollah Khamenei insiste publiquement, et à maintes reprises, sur la nécessité pour les négociateurs iraniens de ne pas céder aux intimidations et de faire du progrès nucléaire la priorité absolue ;

- Israël, avec l'appui des membres du Congrès américain, estime que l'Iran doit être privé de toute capacité de production d'une bombe nucléaire. L'administration américaine, pour sa part, se montre plus flexible, en déclarant que le but des négociations est un accord global, garantissant le caractère pacifique du programme nucléaire iranien et l'impossibilité pour ce pays de se doter d'une arme atomique. Toutefois, l'application pratique de cet objectif américain, qui semble raisonnable, se heurte toujours à l'intransigeance des négociateurs ;

- en raison de ces blocages, de nouvelles instructions, plus réalistes et flexibles, sont données des deux côtés, en prévision de la réunion du 16 au 20 juin 2014.

Du côté iranien, les négociateurs bénéficient du soutien du Guide, Ali Khamenei, bien que celui-ci ait exprimé publiquement son scepticisme sur une issue positive aux négociations. Cette position de prudence est une conséquence des négociations précédentes puisque, selon M. Khamenei, à chaque fois que l'Iran a fait des concessions, les États-Unis et leurs partenaires ont eu tendance à en réclamer davantage.

Bien que compréhensible, ce pessimisme n'en est pas moins regrettable dans la mesure où il encourage la frange radicale, farouchement opposée à un rapprochement avec les États-Unis et très attentive aux moindres restrictions ou limitations du programme nucléaire susceptibles d'être concédées par l'équipe du Président Rohani. Plus précisément, certains radicaux, voire certains militaires, estiment que la possibilité de se doter d'une arme nucléaire doit être défendue.

A l'heure actuelle, il est impossible de déterminer si le Guide se prononcera en faveur d'un accord assurant la levée des sanctions ou bien s'il le rejettera, comme le réclament les radicaux. Toutefois, il me semble que l'opinion publique iranienne est en majorité favorable à un tel accord, car celui-ci lui permettrait de se doter d'un programme de construction de réacteurs nucléaires viable sur le long terme, avec un apport technique national important. À mon sens, les Iraniens savent que la réalisation de ces objectifs dépend directement de l'application du plan d'action du 24 novembre 2013.

De leur côté, Washington et Tel-Aviv mènent d'intenses débats au sujet de principes théoriquement acceptables. Le Premier ministre israélien considère que les avancées survenues depuis novembre sont une erreur et impliquent de graves dangers à venir pour Israël. Selon lui, l'Iran n'est pas digne de confiance et les propos tenus par les Iraniens sur la nature pacifique de leur programme nucléaire sont mensongers. Par ailleurs, il craint que le système d'inspection mis en place par l'Occident soit susceptible d'être contourné.

Cependant, certains commentateurs israéliens partagent un point de vue opposé et estiment que la prétendue « menace existentielle » représentée par l'Iran est surévaluée par les Israéliens les plus radicaux.

Un certain nombre des membres du Congrès considèrent l'Iran comme un ennemi intime des États-Unis. Leur opinion est renforcée par des voix s'élevant de quelques-uns des pays du Conseil de coopération du Golfe, selon lesquelles la levée des sanctions économiques, même en contrepartie d'un bon accord sur le nucléaire, serait une erreur.

Jusqu'ici, l'administration américaine a résisté, de manière louable, à ces deux séries de pression, convaincue qu'elle finira par rallier le Congrès et les plus sceptiques à ses vues. J'en veux pour preuve la façon exemplaire dont la Maison-Blanche et le département d'État, avec l'appui de leurs partenaires occidentaux, ont géré la question iranienne depuis le printemps 2013.

Je pense que les sceptiques finiront par admettre que l'écrasante supériorité des armes stratégiques possédées par les États-Unis et Israël ne peut que dissuader l'Iran de modifier sa politique actuelle en matière d'armement nucléaire.

Néanmoins, la hiérarchie politique iranienne n'acceptera jamais d'accord si elle n'est pas assurée de la levée des sanctions économiques. Les négociations entre l'administration américaine et le Congrès ne pourront donc commencer sérieusement qu'une fois définies les grandes lignes d'un accord avec l'Iran. L'issue et le calendrier des négociations restent donc très incertains.

Trois dénouements possibles aux négociations de juillet prochain peuvent toutefois être envisagés :

- un accord global est signé, car tous les négociateurs sont parvenus à résoudre les questions en suspens ;

- un nouvel accord intérimaire public est approuvé, dans lequel les négociateurs détaillent les questions ayant fait l'objet d'un consensus et précisent les points de discorde ;

- un accord privé, par lequel les négociateurs attestent de certains progrès, est trouvé et constitue un préalable à de futurs travaux.

J'estime que la dernière possibilité est la plus probable et que les négociations aboutiront à un accord global dans le courant de cette année, car les deux parties ne disposent pas d'une meilleure solution pour réaliser leurs objectifs fondamentaux. Un échec serait en effet plus douloureux pour les deux parties que des concessions sur les points problématiques.

En outre, quelles conséquences l'issue des négociations induit-elle pour les opérateurs économiques ?

Il est encore trop tôt pour déterminer si le commerce et l'investissement avec l'Iran pourront retrouver le niveau qu'ils avaient atteint en 2006. Cependant, je crois à la suspension, dès 2015, des sanctions financières et pétrolières liées au programme nucléaire iranien.

À mon sens, le Conseil européen et le Conseil de Sécurité des Nations Unies seront en mesure de s'adapter rapidement à cette nouvelle situation. En revanche, le processus risque d'être plus long aux États-Unis, compte tenu des délais nécessaires pour obtenir des dérogations aux sanctions actées par le Congrès, modifier la législation fondamentale et supprimer les contrôles de l'OFAC ( Office of Foreign Assets Control ).

L'obtention d'un accord ne facilitera pas pour autant les échanges commerciaux avec l'Iran. En effet, les capacités des systèmes politiques et de gestion des affaires iraniens apparaissent limitées. Par ailleurs, la mise en oeuvre de politiques de discrimination à l'encontre de certains pays européens est également envisageable.

Bien que la patience et la prudence s'imposent, en raison notamment des mesures de rétorsion américaines, l'heure est toutefois venue de renouveler les contacts personnels, d'envoyer des messages politiques forts et de procéder à des visites exploratoires.

Certes, même dans l'éventualité où l'ouverture commerciale serait totale, des limites aux capacités commerciales des Iraniens continueront de se faire jour, en raison des problèmes structurels de l'économie iranienne et des conflits entre les différentes stratégies économiques intérieures. Néanmoins, je suis convaincu que l'Iran, placé sous la gestion prudente du Président Hassan Rohani, offrira des opportunités commerciales importantes.

Je ne peux donc que souhaiter le succès des négociations sur le nucléaire iranien : ce succès est le seul qui puisse donner vie aux attentes du peuple iranien, de la région et de l'Europe.

M. Georges MALBRUNOT

Merci, Sir Dalton, pour cet exposé très dense et très clair. Je cède maintenant la parole à M. Thierry Coville, qui abordera la question de l'économie iranienne, un an après l'élection du Président Hassan Rohani.

M. Thierry COVILLE, professeur à Novancia, chercheur à l'IRIS

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