Nouvelle présidence Rohani : quel impact sur l'économie iranienne ?

J'examinerai dans un premier temps la situation économique actuelle de l'Iran, en considérant notamment les chiffres de la croissance, de l'inflation et du taux de change.

Dans un deuxième temps, j'aborderai un certain nombre de problèmes relatifs à la politique économique de l'Iran, en particulier les questions des subventions, du taux de change et de l'investissement étranger, qui influent directement sur le climat des affaires.

Tout d'abord, il faut signaler que la plupart des sanctions continuent de peser lourdement sur l'économie iranienne. Ainsi, selon l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), la production pétrolière journalière iranienne a diminué de 50 % par rapport à 2011, ce qui équivaut à un million de barils par jour. Or les rentes pétrolières représentent environ la moitié des revenus budgétaires de l'Iran. De manière corrélée, nous observons également que la production de l'Arabie saoudite a augmenté afin de prévenir un éventuel choc pétrolier.

Dans le même temps, l'impact des sanctions sur la croissance iranienne est considérable. En 2012, l'Iran a connu une récession de près de 5 %, qui a contribué au mécontentement du peuple iranien à l'encontre du Président précédent. En 2013, la croissance a été nulle, témoignant d'une stagnation de l'activité.

Les économistes considèrent qu'une inflation autour de 50 % constitue le signe avant-coureur d'un emballement susceptible de dégénérer en situation d'hyperinflation. Or, en 2012, l'inflation des produits iraniens se situait officiellement autour de 40 %, avec un pic à 50 % observé pour certains produits d'alimentation.

Cependant, peu avant l'élection du Président Rohani, le taux de change du rial par rapport au dollar a commencé à se réapprécier, ce qui a permis d'abaisser le taux d'inflation aux alentours de 20 %. Toutefois, si le moindre incident survient en marge des négociations, il aura un impact sur le taux de change et l'inflation repartira à la hausse.

Les promesses du nouveau Président se traduisent-elles par une reprise de l'activité ?

À mon sens, il est extrêmement complexe de faire des projections sur la croissance en 2014, étant donné que l'évolution de l'économie iranienne est tributaire de l'avancée des négociations sur le programme nucléaire.

Le gouvernement iranien a intégré dans son projet de budget 2014 un scénario de statu quo concernant les sanctions dont il fait l'objet. En dépit de cette prudence, il escompte une croissance d'environ 3 %.

Indéniablement, un frémissement de l'activité est perceptible, notamment dans le secteur automobile, où une augmentation d'activité de 70 % est attendue. Cependant, ces chiffres doivent être relativisés, dans la mesure où les résultats de l'année 2013 étaient particulièrement faibles. Par ailleurs, il est inutile de préciser que si un allégement des sanctions survenait, la reprise de l'activité interviendra dans des proportions bien plus importantes.

Le taux de change en Iran constitue à la fois un symptôme des difficultés et un facteur d'augmentation de l'inflation et des coûts des entreprises. Pour cette raison, la Banque centrale iranienne souhaite unifier le taux de change officiel du dollar et son taux de change sur le marché noir, respectivement autour de 25 000 et 30 000 rials 2 ( * ) . La réussite de cette initiative dépend naturellement de l'issue des négociations.

Nous observons toutefois des divergences de points de vue sur la pertinence de stabiliser le taux de change de la monnaie iranienne à un niveau trop élevé. Certains secteurs estiment en effet qu'une telle démarche pourrait nuire à leur compétitivité. Or, à l'instar du président de Tractor Sazi, qui constate depuis quatre ans une accélération des exportations non pétrolières de l'Iran, je pense que les sanctions ont encouragé les entreprises iraniennes à développer leurs exportations. Par conséquent, établir un taux de change autour de 25 000 rials pourrait nuire à la compétitivité des entreprises non pétrolières, alors même que le développement régional et international de telles exportations, notamment dans le secteur automobile, constitue un objectif du gouvernement.

En ce qui concerne ce secteur automobile, le gouvernement iranien a autorisé les constructeurs nationaux à utiliser le taux de change subventionné pour importer des pièces, ce qui pourrait relancer la croissance en 2014.

La politique de réduction des subventions constitue un autre enjeu crucial. M. Mahmoud Ahmadinejad a initié avec succès une politique inédite de réduction des subventions, notamment sur les prix de l'énergie. Cependant, la question de la poursuite de cette politique se pose dans la mesure où elle a abouti à un choc inflationniste pour la population et les entreprises.

Pour autant, le gouvernement souhaite suivre l'exemple d'Ahmadinejad et a intégré un certain nombre de baisses de subventions sur l'énergie dans le budget 2014, ce qu'aucun pays émergent n'a encore fait dans de telles proportions.

Pour compenser la hausse des prix de l'énergie, le gouvernement verse mensuellement 45 500 tomans 3 ( * ) à chaque Iranien, ce qui constitue une somme considérable. Dans l'obligation de faire des économies, il a vainement demandé aux citoyens de se retirer volontairement de la liste des bénéficiaires de ces aides, estimant qu'ils n'en avaient pas besoin.

Ce dossier est particulièrement épineux pour le gouvernement actuel car, si en théorie, la hausse des prix de l'énergie est censée lui fournir des ressources suffisantes pour soutenir financièrement la population et les entreprises, le risque est grand que ses dépenses ne dépassent ses recettes.

Par ailleurs, la volonté du gouvernement iranien d'attirer les investissements étrangers est affichée de manière explicite. J'en veux pour preuve la presse quotidienne iranienne qui relaie des prises de contacts commerciaux avec les Américains.

Incontestablement, les autorités iraniennes encouragent les investissements américains dans les secteurs de l'énergie et de l'automobile. Des responsables iraniens constatent, par exemple, que si le MEDEF négocie de manière ouverte, les Américains marchandent, pour leur part, dans le plus grand secret.

De même, les principaux fournisseurs iraniens d'accès à Internet négocient pour obtenir des prises de participation de la part d'entreprises étrangères. Tous les secteurs ont donc besoin de capitaux et de technologies.

Cela étant, si nous nous référons au classement Doing Business produit par la Banque mondiale, le climat des affaires en Iran apparaît très peu attractif, à cause notamment de la lourdeur de la bureaucratie et de l'ampleur des phénomènes de corruption.

Les questions du change, des subventions ainsi que des réformes d'ouverture de l'économie iranienne sont donc les trois éléments qui pèseront sur l'environnement des affaires. Dans le secteur public comme dans le secteur privé, un consensus émerge en Iran sur la nécessité pour ce dernier d'assurer son rôle en matière de développement, le premier ayant atteint ses limites, notamment dans le domaine de la création d'emplois.

Le gouvernement iranien fait donc montre d'une volonté explicite d'attirer l'investissement étranger, de développer les exportations non pétrolières, d'améliorer l'environnement des affaires et de privatiser l'économie. Dans ce sens, cent très grandes entreprises oeuvrant dans les domaines de la pétrochimie, du pétrole, du transport et de l'ingénierie ont été proposées à la privatisation.

Pour conclure, il apparaît que l'économie iranienne évolue positivement et que ses capacités de croissance sont très importantes. Le plan quinquennal des autorités iraniennes prévoit ainsi une hausse de la croissance moyenne annuelle autour de 8 %.

Cependant, la marge de manoeuvre du gouvernement iranien reste fortement dépendante de l'issue des négociations sur le programme nucléaire.

M. Michel MAKINSKY, chercheur associé à l'IPSE, directeur général d'Ageromys International

* 2 Monnaie officielle de l'Iran.

* 3 Ancienne monnaie de l'Iran, encore utilisée par beaucoup d'Iraniens comme référence pour exprimer les prix courants, sur la base de 1 toman = 10 rials.

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