ÉCHANGES AVEC LA SALLE

De la salle

Si j'en crois les propos tenus à l'occasion de ce colloque, les risques politiques, juridiques et bancaires pesant sur les entreprises françaises sont nombreux. Pourtant, je reviens de Téhéran aujourd'hui et puis affirmer que les autorités iraniennes nous ont assuré qu'elles fourniraient des garanties aux entreprises souhaitant investir dans le pays.

Par ailleurs, les Italiens, les Allemands et les Américains préparent actuellement l'après-embargo, en dépit de diverses injonctions contraires. Ma question est donc la suivante : la France doit-elle faire prévaloir le principe d'audace ou le principe de précaution dans ses échanges avec l'Iran ? Et va-t-elle enfin s'aligner sur les États-Unis et les autres pays européens, qui signent des avant-contrats sans s'arrêter aux règles existantes ?

M. Michel MAKINSKY

Essayons de synthétiser les éléments de réponse formulés jusqu'ici. Tout d'abord, nous constatons que le principe d'audace semble de mieux en mieux intégré par les entités françaises, qu'il s'agisse des entreprises ou des autorités gouvernementales, comme en témoignent les initiatives du MEDEF et de la commission des Finances du Sénat. À titre personnel, je pense qu'une partie de la classe politique française est sous l'emprise de groupes de pression, eux-mêmes sous influence de pays étrangers, et manifeste une résistance ferme.

Pour contrer cette opposition, fondée principalement sur une vision naïve de l'Iran, il appartient aux hommes politiques d'utiliser les médias et d'informer l'opinion publique des enjeux économiques que représentent les échanges avec ce pays pour les industries françaises.

Les risques de sanctions sont réels et justifient qu'on applique le principe de précaution. Cependant, les entreprises françaises bénéficient d'une marge de manoeuvre dont elles ne profitent pas à l'heure actuelle. À mon sens, il est donc essentiel de trouver un équilibre pour saisir toutes les opportunités. Dans le même ordre d'idée, la classe politique et les médias doivent être les cibles privilégiées de notre action d'information.

De la salle

La mission du MEDEF a-t-elle eu des retombées concrètes ? Par ailleurs, une suite sera-t-elle donnée à cette initiative ?

M. Patrick BLAIN

Cette mission a eu des retombées positives, notamment pour de petites et moyennes entreprises. Je ne saurais dire combien d'entreprises sont concernées, cependant des contrats ont été effectivement signés à l'issue de la visite de la délégation du MEDEF. Naturellement, ceux-ci ne se chiffrent pas en milliards, mais il s'agit là d'un premier pas encourageant.

Par ailleurs, je pense que cette mission exploratoire a permis à certaines entreprises n'ayant pas repris de contacts avec l'Iran, de réfléchir à des initiatives allant dans ce sens. Toutefois, la question des financements reste d'actualité.

En outre, l'affluence constatée au colloque d'aujourd'hui, qui réunit des entrepreneurs et des représentants de l'État, traduit à mon sens un effet indirect de cette démarche, qui a pour objet la création d'emplois en France et en Iran, facteur essentiel de la stabilité dans le monde.

De la salle

Si je puis me permettre de donner un conseil, n'utilisez pas le dollar mais l'euro pour vos transactions, sinon vous serez soumis à la juridiction américaine et ferez l'objet de toutes les sanctions.

Par ailleurs, je souhaite lever les inquiétudes relatives à la législation sociale, fiscale et générale iranienne. Celle-ci est simple et n'a que peu changé depuis 1936. Les règles très sévères concernant la propriété du capital ont été considérablement allégées, tandis que le régime social apparaît tout à fait opérationnel.

Sur le plan fiscal, une législation inspirée des principes antérieurs existe depuis 2002. Les taux ainsi que les systèmes d'assiettes sont clairement établis. Vous ne devez donc pas éprouver la moindre crainte à l'idée d'investir en Iran, malgré la domination politique israélo-américaine à laquelle nous sommes soumis.

Ma question concerne l'éventuelle réouverture du Bureau de représentation commerciale à Téhéran, fermé en 2012 et qui soutenait localement les entrepreneurs français.

M. Nigel COULTHARD

Il a été rétabli il y a trois mois.

M. Patrick BLAIN

Je le confirme, nous avons rencontré M. Bruchon, en poste au sein de ce bureau.

De la salle

Les barters 7 ( * ) ont-ils facilité certaines opérations commerciales dans les différents secteurs, et si oui, pour quels montants ?

M. Patrick BLAIN

Je crois savoir que beaucoup d'entreprises s'adonnent au bartering , mais je n'ai pas la moindre idée des montants en jeu.

M. Nigel COULTHARD

Le bartering est pratiqué principalement par des Chinois et des Indiens. Par ailleurs, un problème s'est produit entre Chinois et Iraniens, dans la mesure où les fonds chinois de devises alloués aux exportations pétrolières de l'Iran vers la Chine ont été retenus et un taux d'intérêt négatif leur a été appliqué, provoquant la colère des Iraniens. Il existe donc des opportunités théoriques pour les Français à ce niveau également.

De la salle

Nous sommes aujourd'hui à un tournant de l'histoire iranienne. Trente-cinq années de République islamique ont fortement marqué le pays, et les négociations actuelles sur le programme nucléaire iranien traduisent l'émergence d'une ère nouvelle. De ce fait, il est très important d'investir sur le long terme en Iran. J'ai pu constater les efforts essentiels réalisés par Total en matière de formation des techniciens. Or, la formation constitue le fondement de la valorisation de nos compétences dans ce pays.

Il appartient non seulement aux entreprises, mais également à l'État français, à travers les services culturels, de prendre en compte cette donnée capitale. Cela étant, l'Iran doit également faire preuve de volontarisme pour faciliter la création d'une relation durable. Le nationalisme iranien, renforcé par l'islamisme, n'a jamais été aussi fort qu'aujourd'hui et l'arrogance des autorités ne peut qu'être décuplée au regard des compétences acquises par les travailleurs iraniens depuis l'application des sanctions.

L'Iran n'étant pas un pays facile d'accès pour les étrangers, il apparaît donc nécessaire d'inciter les Iraniens à créer des liens avec la France.

De la salle

Sir Richard Dalton, ne pensez-vous pas que la dimension secrète des négociations entre l'Iran et les États-Unis relève plutôt d'une exigence de la part de M. Hassan Rohani que d'un souhait de M. Barack Obama ? Par ailleurs, celle-ci ne constitue-t-elle pas un handicap pour les Américains ?

M. Georges MALBRUNOT

La réponse semble aller de soi.

De la salle

Quelles actions peuvent être engagées concrètement pour défendre notre industrie, étant donné que la France est un partenaire historique de l'Iran dans ce domaine ?

M. Patrick BLAIN

Je souhaite revenir sur la question du principe de précaution et du principe d'audace. À mon sens, tout dépend de la sphère considérée. À l'échelle des entreprises, c'est naturellement le principe d'audace qui prédomine. Il appartient désormais aux mondes bancaire et politique de suivre cet exemple.

M. Georges MALBRUNOT

Beaucoup de problèmes et de lenteurs empêchent de renouer des liens avec l'Iran. Cependant, nous ne disposons pas de tous les éléments, car un certain nombre d'avancées se font dans le secret. Les futures visites du ministre des Affaires étrangères iranien en Arabie Saoudite, particulièrement véhémente à l'égard de l'Iran, et de l'Émir du Koweït à Téhéran témoignent de ces évolutions notables.

Il appartient donc aux entrepreneurs français d'en profiter pour montrer qu'ils ont pour ferme intention de continuer à commercer à l'Iran, même si les autorités iraniennes se souviendront probablement longtemps de la méfiance exprimée par le gouvernement français à leur égard.

M. Nigel COULTHARD

Avant de clore nos travaux, je souhaite vivement remercier le groupe d'amitié France-Iran du Sénat et tous ceux qui ont contribué à l'organisation de cette rencontre.


* 7 Personnes ou organismes pratiquant l'échange de biens, marchandises ou prestations entre entreprises.

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