Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 123 - 25 avril 2016


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Autriche (1)

VALORISER L'APPRENTISSAGE :

UN SUCCÈS AUTRICHIEN, UN DÉFI FRANÇAIS

Actes du colloque du 11 décembre 2014

Sous le haut patronage de

M. André TRILLARD, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Autriche, Sénateur de la Loire-Atlantique

S. E. Mme Ursula PLASSNIK, Ambassadeur d'Autriche en France

Palais du Luxembourg

Salle Clemenceau

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(1) Membres du groupe d'amitié France-Autriche : M. André TRILLARD, Président , M. Jean BIZET, M. Jean-Marie BOCKEL, Secrétaire, M. Michel BOUTANT, Vice-Président, M. Robert del PICCHIA, Président d'honneur, M. Daniel GREMILLET, Mme Christiane KAMMERMANN, M. Antoine LEFÈVRE, Vice-Président, M. Jean-Jacques LOZACH, M. Philippe NACHBAR, Vice-Président, M. Jackie PIERRE, M. Jean-Vincent PLACÉ, M. Charles REVET, M. Bernard SAUGEY, Mme Patricia SCHILLINGER, Mme Catherine TROENDLÉ, Vice-Présidente.

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N° GA 123 - Décembre 2014

OUVERTURE

M. André TRILLARD - Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Autriche du Sénat,
Sénateur de la Loire-Atlantique

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir dans l'enceinte du Sénat français.

Permettez-moi de remercier chacun des intervenants ou des participants à l'organisation de ce colloque sur la valorisation de l'apprentissage.

Je commencerai par Son Excellence Madame Ursula Plassnik, Ambassadeur d'Autriche en France, qui a remarquablement organisé la partie autrichienne de ce colloque.

Je remercie Monsieur le Ministre Rudolf Hundstorfer d'être venu d'Autriche pour participer à ce colloque ainsi que notre ancien ministre du travail Monsieur Xavier Bertrand.

Je remercie le Président du Sénat, Gérard Larcher, ancien ministre du Travail également, qui clôturera cette matinée.

Je remercie les Ambassadeurs qui nous ont fait l'honneur de leur présence : Son Excellence Dritan Tola, Ambassadeur d'Albanie ; Son Excellence Maria Ubach Font, Ambassadeur de la Principauté d'Andorre ; Son Excellence Harald Stranzl, Ambassadeur représentant permanent de l'Autriche auprès de l'UNESCO et Son Excellence Maria Elisabeth Stubits Weidinger, Ambassadeur représentant permanent de l'Autriche à l'OCDE. Je salue également les Ambassades d'Allemagne, de Belgique, d'Espagne, d'Estonie, d'Irlande, de Finlande, de Hongrie, des Pays-Bas, du Portugal, de Roumanie, de Slovénie représentées aujourd'hui, ainsi que l'ensemble des participants des tables rondes de cette matinée, Madame Florence Poivey, Monsieur Jean-Marc Huart, Monsieur Jean-Claude Bellanger, Monsieur Johannes Kopf, Monsieur Michael Landertshammer, Monsieur Peter Mitterbauer, Monsieur Dieter Siegel, Monsieur Maurice Croppi, Monsieur Patrice Guézou, Monsieur Michel Guisembert et Madame Renate Römer.

Je remercie enfin l'ensemble des invités, venus d'Autriche et de l'ensemble du territoire français - de la Savoie à Nice, sans oublier la Loire-Atlantique. Dans mes remerciements, je n'oublie pas les trois femmes talentueuses qui nous ont permis d'organiser cette journée : Julia Kriessl, Serena Pitti-Ferrandi et Véronique de Francqueville, ma collaboratrice.

À l'occasion de ma visite à Vienne un an et demi auparavant, j'ai pu découvrir l'organisation du monde économique autrichien. Je me suis particulièrement réjoui de l'attention portée à l'ensemble des jeunes, car ces jeunes représentent l'avenir. Vous, amis autrichiens, les considérez dans leur individualité, et non comme des masses ou des nombres. Bien que nous connaissions en France des réussites extraordinaires, force est de constater que l'apprentissage n'est pas considéré comme une voie royale et respectée, à la hauteur de sa vraie valeur. C'est sur ce modèle que nous avons voulu travailler. Je vous remercie d'avoir accepté de participer à ce colloque pour nous éclairer.

Je cède désormais la parole à Madame l'Ambassadeur.

S. E. Mme Ursula PLASSNIK - Ambassadeur d'Autriche en France

Monsieur le Président,

Cher André Trillard,

Je vous remercie beaucoup de cette initiative, qui honore l'Autriche.

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes tous des apprentis en Europe. Nous apprenons les uns des autres, à tous les niveaux. Ces derniers jours, une dizaine de jeunes apprentis autrichiens sont venus travailler six semaines à Lyon. Cette réussite, permise dans le cadre du programme « Erasmus + », illustre la dimension européenne du sujet. Une dizaine de jeunes Français se rendront, à leur tour, en Autriche au début de l'année prochaine. Nous organiserons un échange de formateurs à cette occasion. Il s'agit d'une piste intéressante, qui mérite d'être poursuivie pour mieux se connaître.

À mon sens, le sujet dont nous traitons aujourd'hui comporte essentiellement deux dimensions, éminemment européennes. Tout d'abord, ce sujet participe de la lutte contre le chômage - pas seulement celui des jeunes - par la capacité de création d'emplois et la délivrance d'une formation ciblée à la fois pour le jeune et pour l'entreprise. En Autriche, cette formation mène 35 % des apprentis vers l'indépendance, en leur permettant de devenir entrepreneurs. Le deuxième volet européen est celui de la ré-industrialisation. Le taux d'industrialisation s'élève à 21 % en l'Autriche, contre 12,5 % en France. Nous manquons de main d'oeuvre qualifiée et hautement qualifiée. Il convient d'engager la ré-industrialisation nécessaire de l'Europe, à travers l'apprentissage par exemple.

En Autriche, l'apprentissage procède d'un choix de la société. Cette politique vise à mettre sur un pied d'égalité le prestige de l'apprentissage et celui des études universitaires, en tant que voies d'accès équivalentes à un emploi satisfaisant. Trois ministres du Gouvernement autrichien actuel ont réalisé une partie de leur parcours dans le cadre de l'apprentissage - parmi lesquels Rudolf Hundstorfer, qui nous fait le plaisir et l'honneur de participer à ce colloque.

Mesdames et Messieurs, je suis très honorée de la présence parmi nous d'Autrichiens compétents, issus des structures de l'Etat ou des partenaires sociaux - qui sont les « copropriétaires » de la formation en alternance. Ce sont eux qui définissent les différents secteurs de l'apprentissage, dans un processus de négociation pratiquement continu. Je suis également très reconnaissante envers les chefs d'entreprise présents parmi nous, comme les PDG de Rosenbauer et de MIBA AG, qui nous expliqueront pour quelle raison l'apprentissage permet d'augmenter la compétitivité des entreprises, en liant directement la recherche à l'application. Ces aspects sont très importants pour une PME.

Je vous remercie de votre attention.

INTRODUCTION

M. Rudolf HUNDSTORFER - Ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Protection des consommateurs d'Autriche

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous remercier de me permettre de participer à ce colloque, qui s'inscrit dans la continuité d'une série de manifestations initiée quelques années auparavant par mes prédécesseurs.

Vous avez devant vous un ancien apprenti, qui tient à rappeler qu'il l'a été et par ailleurs, aimerait démontrer tout ce qu'il est possible de faire lorsqu'on a été apprenti. En réalité, quatre membres du Gouvernement autrichien ont commencé leur parcours en tant qu'apprenti. Je tiens à le souligner, car nous sommes obligés de constater que l'apprentissage s'est vu conférer une grande valeur dans la société autrichienne. Cette valeur, qui fait toute la différence entre nos deux pays, constitue d'ailleurs le secret du succès de l'apprentissage autrichien. 40 % des jeunes en Autriche commencent leurs études par l'apprentissage, avant de s'engager dans une carrière. En Autriche, l'apprentissage est considéré comme une possibilité extraordinaire. Quel que soit le parti politique, nous observons un large consensus sur ce point. Ce consensus se retrouve également parmi les partenaires sociaux, car l'apprentissage est considéré comme indispensable dans les relations de partenariat social. Nous avons besoin, aujourd'hui et demain, de personnel hautement qualifié, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, pour poursuivre le développement de notre économie.

Je voudrais remercier également Madame l'Ambassadeur. Les intervenants évoqueront d'excellentes pratiques. Je tiens à vous faire comprendre pour quelle raison l'apprentissage est si important pour les entreprises. Celles-ci souhaitent garantir la qualité de leurs produits, en recrutant un personnel hautement qualifié qu'elles ont elles-mêmes formé. Chaque pays a sa propre histoire, ses propres traditions et sa manière de fonctionner. Cependant, en Autriche, les partenaires sociaux (aussi bien les syndicats que les représentants du patronat) travaillent main dans la main et réfléchissent à la manière dont doivent évoluer les professions pratiquées dans le cadre de l'apprentissage. L'imprimerie disposait autrefois d'ouvriers hautement qualifiés, mais n'a plus besoin d'autant d'apprentis aujourd'hui, car les techniques se sont considérablement modifiées. Il importe que les métiers de l'apprentissage s'adaptent à cette réalité économique. En Autriche, le Ministre assume la responsabilité des décisions prises par les partenaires sociaux. Nous sommes simplement intégrés à la discussion.

Je crois que la réussite de l'apprentissage en Autriche tient à la facilité des contacts entre le patronat et les syndicats. Il n'existe aucune crainte ou aversion envers l'autre partie. Au contraire, les deux parties travaillent ensemble, pour permettre aux jeunes de demain de suivre les formations professionnelles nécessaires pour bien commencer leur carrière. Une chose est claire : ce qui est appris aujourd'hui devra sans doute être réappris autrement dans cinq ans dans le cadre de la formation continue - mais c'est un autre aspect de notre sujet.

L'État autrichien soutient cette démarche. Nous sommes extrêmement impliqués dans la formation professionnelle. 80 % du temps de formation se déroule au sein d'une entreprise et 20 % dans une école professionnelle. L'État permet aux écoles professionnelles d'exister. Le coût de la formation est essentiellement porté par les entreprises, même si l'État leur délivre des subventions et des aides. J'espère que la présente manifestation nous permettra d'apporter notre contribution, pour lever un certain nombre de barrières existant entre nos deux pays et ainsi créer des passerelles entre nos systèmes, entre le patronat et les syndicats. J'étais auparavant le secrétaire général de la Fédération des syndicats autrichiens et je suis donc issu du monde syndical. Je crois qu'il est vraiment possible de construire des passerelles entre le monde politique, le monde syndical et le patronat, dans l'intérêt des jeunes d'aujourd'hui et de demain.

D'ici 2020, les jeunes aujourd'hui âgés d'une dizaine d'années seront conduits à prendre des décisions au regard de leur orientation professionnelle future. Il importe que l'apprentissage ait à leurs yeux la même valeur qu'une formation scolaire classique. Nous devons donc parvenir à le faire comprendre aux citoyens. Tout le monde doit bénéficier d'une formation de qualité équivalente. Je suis issu d'un pays dans lequel nous discutons toujours des valeurs respectives des professions. Nous considérons que l'apprentissage doit demeurer profondément valorisé au sein de notre société. Le colloque de ce jour permettra d'exposer nos modes de fonctionnement, pour parvenir à ces bons résultats. Nos intervenants sont extrêmement compétents. Ce colloque sera également important au regard de la politique sociale. Il faut donner des chances aux jeunes, et non pas les abandonner sans le moindre espoir pour leur avenir.

L'apprentissage apporte sa petite contribution à la construction du monde de demain. Nous sommes capables de démontrer que ce dispositif fonctionne. Avec l'Allemagne, l'Autriche est le deuxième pays européen dans lequel le taux de chômage des jeunes est le plus faible. Notre projet nécessite évidemment un grand engagement de la part de tous les participants, État et partenaires sociaux. Cependant, cette démarche s'avère véritablement rentable. J'espère que ce colloque permettra d'avancer dans la bonne direction. Néanmoins, je sais qu'il est impossible de modifier les traditions du jour au lendemain. L'on ne peut changer les rapports sociaux d'un coup de baguette magique ; il faut vraiment vivre ces évolutions au quotidien.

Je tiens à remercier Madame l'Ambassadeur de son engagement, car il est peu fréquent qu'un diplomate s'engage autant sur un sujet de ce type et je souhaite tout le succès possible à cette conférence.

Je regrette de devoir quitter ce colloque dès à présent. Ceci n'est pas une marque de désintérêt, mais je dois me rendre à une réunion à Bruxelles avec Monsieur François Rebsamen, Ministre français du Travail.

Je vous remercie.

M. André Trillard Mme Ursula Plassnik

M. Rudolf Hundstorfer

M. Xavier Bertrand

M. Xavier BERTRAND - Ancien Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité de la République française, Député de l'Aisne

Monsieur le Ministre,

Madame l'Ambassadeur,

Monsieur le Sénateur, mon cher André,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je vais vous exposer les raisons pour lesquelles j'ai accepté de participer à ce colloque. Premièrement, l'apprentissage est un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Cela était vrai dans le cadre de mes fonctions ministérielles. Cela l'est toujours aujourd'hui dans le cadre de mes fonctions de maire de Saint-Quentin. J'ai décidé, depuis ma prise de fonctions, de m'engager clairement sur l'apprentissage pour la transmission du savoir. L'apprentissage est pour moi un défi. Deuxièmement, il me paraît toujours intelligent d'observer les pratiques de nos partenaires européens. L'intitulé de ce colloque est particulièrement pertinent : réussite chez vous, l'apprentissage représente encore un défi pour nous. La troisième raison de ma participation tient à l'amitié que je porte à Monsieur le Président André Trillard. Celui-ci dispose de plusieurs cordes à son arc : l'enracinement local, un intérêt pour les questions de défense et aussi pour cette question qui concerne notre avenir économique et est le marqueur de la réussite des acteurs politiques : l'avenir des jeunes, qui passe bien évidemment par l'emploi des jeunes.

Si chez nous l'apprentissage est considéré comme un défi pour la France, c'est bien la preuve que nous n'avons pas atteint le même niveau de réussite que chez vous. Ce n'est ni un échec de la gauche ni un échec de la droite ; c'est un défi dont nous ne parvenons pas à prendre la mesure collectivement. D'ailleurs, l'apprentissage n'est pas un enjeu partisan. Si nous partageons le même dessein, pourquoi ne parvenons-nous pas au même niveau de réussite que vous ? Je pense que vous alliez une vision stratégique (« pourquoi l'apprentissage ») à un véritable pragmatisme (« comment l'apprentissage »). D'une certaine manière, en France, nous fixons l'objectif - du moins, souhaitons-nous l'atteindre - alors que nous n'avons pas encore suffisamment décelé tous les points pratiques, qui peuvent sembler parfois mineurs, mais qui nous empêchent d'atteindre cet objectif. Ayant regardé la réussite autrichienne, ayant écouté Madame l'Ambassadeur et Monsieur le Ministre, je voudrais me permettre de tracer quelques rapides perspectives, avant de préciser pourquoi je crois à l'apprentissage et de montrer comment il est possible d'améliorer notre efficacité dans ce domaine.

L'apprentissage est à mes yeux, en France, le meilleur outil pour la qualification des jeunes et leur insertion. Il n'existe pas de meilleur outil que celui qui permet aux jeunes d'apprendre leur métier à l'école et dans l'entreprise. Ce dispositif permet à l'entreprise de mieux connaître et préparer le jeune, tout en offrant la possibilité à ce dernier de vérifier son adaptation à cette entreprise. D'ailleurs, les chiffres démontrent que l'insertion après l'apprentissage est la meilleure qui soit. En outre, je m'élève avec vigueur contre les tentations d'instaurer un « SMIC jeune ». Pour les jeunes, il est déjà suffisamment difficile de trouver sa place dans la société. L'on ne peut leur proposer une précarisation en termes de pouvoir d'achat et de niveau de vie. Plutôt que d'engager des débats stériles sur la question d'un « SMIC jeune », dynamisons le débat sur l'apprentissage. Nous savons pertinemment que la question du coût du travail ne se pose pas de la même façon avec l'apprentissage. Nous devons donc nous approprier la question de l'apprentissage, qui, avec l'alternance, constitue un moyen socialement acceptable de modérer le coût du travail pour des jeunes peu ou pas expérimentés, tout en leur permettant d'élever leur niveau de qualification et partant, leurs perspectives d'embauche.

L'apprentissage, en France, doit cibler davantage les moins qualifiés. Pour autant, nous devons veiller à ne pas créer un nivellement par le bas de l'apprentissage. Veillons à ne pas éloigner les financements des CFA (Centre de Formation d'Apprentis). Chaque année, notre système éducatif met 140 000 jeunes sur le marché du travail sans qualification ni diplôme. Si l'apprentissage trouvait davantage sa place, ces jeunes ne connaîtraient pas une destinée aussi difficile. Il ne s'agit pas d'ôter tout financement aux étudiants diplomés, mais de penser véritablement à ces jeunes, peu ou pas qualifiés, qui sont ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés à trouver un emploi.

Par ailleurs, la gouvernance et les financements doivent être moins éclatés. En Autriche, vous faites totalement confiance aux partenaires sociaux. Il nous importe de recentrer le financement de l'apprentissage, qui donne lieu à trois contributions différentes actuellement (l'État, la région et les entreprises). Tous ceux qui aspirent à la simplification y trouvent non pas un sujet d'expérimentation, mais un sujet de simplification indispensable.

En France, nous nous étonnons qu'un ministre puisse avoir suivi un cursus d'apprentissage. Je crois que nous pouvons applaudir Monsieur le Ministre Hundstorfer qui est un ancien apprenti. Les difficultés que connaît actuellement la France illustrent un double phénomène. En premier lieu, ces difficultés revêtent un caractère conjoncturel, étant liées à la crise et à la réduction des budgets (avec, par exemple, la suppression de la prime à l'embauche). Nous délivrons un grand nombre d'aides aux entreprises, afin d'éviter que l'apprentissage leur coûte. Or, quelles que soient les aides, il faut bien comprendre qu'un apprenti n'a pas la même capacité de travail, surtout au début de son cursus. Lorsqu'un apprenti étudie à l'école, il ne travaille pas. Parallèlement, le maître de stage, qui consacre une partie de son temps à l'apprenti, ne consacre pas toute sa force de travail à son poste. Les aides versées aux entreprises ne doivent donc pas être considérées comme un cadeau, mais comme une compensation du choix fait par l'entreprise de se lancer dans l'apprentissage. C'est pourquoi je pense que nous devons attribuer le plus grand nombre d'aides possible aux entreprises.

D'autre part, les difficultés que nous connaissons sont pour partie liées aux normes sur les machines dangereuses. Mon concessionnaire m'a signalé que son apprenti ne pouvait fixer la plaque d'immatriculation de ma moto, car la machine est considérée comme dangereuse. Mes collaborateurs m'ont conseillé d'inviter mon concessionnaire à solliciter une dérogation auprès de l'Inspection du Travail - dérogation qu'il aurait pu obtenir après visite. Si c'était aussi simple que cela, mon concessionnaire aurait sollicité cette dérogation. Or, tel n'est pas le cas. C'est pourquoi il importe d'engager une démarche de simplification. Les responsables politiques et les partenaires sociaux doivent comprendre que l'ensemble de ces décrets constitue un frein à l'apprentissage. Comment un apprenti peut-il apprendre le métier de boulanger, si la réglementation l'empêche d'être présent dès 5 heures du matin ? Le jeune effectue un apprentissage pour apprendre le métier seulement, et non pour nettoyer le fournil quelques heures après.

L'apprentissage n'est un sujet ni de droite ni de gauche. C'est un sujet de bon sens, sur lequel nous devons absolument progresser.

Mes propositions consistent à simplifier les normes, réduire le nombre de voies de collecte, impliquer davantage les partenaires sociaux et les branches et enfin, établir des dispositifs de pré-apprentissage. Il est préférable qu'un jeune trouve sa voie professionnelle dès 14 ans, plutôt que de s'engager dans une voie plus traditionnelle qui ne lui correspond pas. Nous devons donc encourager l'échange d'informations, la transparence sur les places vacantes.

J'ai été très sensible à la précision apportée par Monsieur le Ministre au sujet de l'évolution des emplois. En matière d'apprentissage, nous devons d'ores et déjà réfléchir aux voies d'excellence.

L'apprentissage est un défi qui, s'il devient une réalité, nous permettra de redonner vraiment de l'espoir aux jeunes. Outre une logique nationale, nous devons favoriser l'implication locale (notamment par l'intermédiaire des missions locales). Cette grande cause est toute aussi légitime que les autres. Je crois vraiment que l'apprentissage devrait être envisagé comme une grande cause nationale et un levier de mobilisation de tous et toutes. Il suffit de s'inspirer des exemples qui fonctionnent. Ce n'est pas une démarche idéologique, mais pragmatique. Si l'apprentissage connaissait la réussite qu'il mérite en France, davantage de jeunes penseraient véritablement pouvoir forger leur avenir dans notre pays.

Je vous remercie de votre attention.

I - LES JEUNES DE DEMAIN, REVALORISER L'APPRENTI DANS LA SOCIÉTÉ

Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste

Ont participé à cette table ronde :

Mme Florence POIVEY, présidente de la commission sur la formation du MEDEF
M. Jean-Marc HUART, sous-directeur des politiques de formation et du contrôle à la Délégation générale de l'emploi et de la formation professionnelle
M. Jean-Claude BELLANGER, secrétaire général des Compagnons du devoir
M. Johannes KOPF, directeur de l'« Artbeitsmarktservice », Agence fédérale pour l'emploi autrichienne
M. Michel LANDERTSHAMMER, directeur de l'Institut de formation professionnelle de la Chambre économique fédérale de l'Autriche

Mme Myriam LEVAIN . - Pour cette première table ronde, nous accueillons Monsieur Michel Landertshammer. Vous êtes directeur de l'Institut de formation professionnelle de la Chambre économique fédérale autrichienne et avez cofondé en 1994 l'Ecole supérieure spécialisée en sciences économiques de Vienne.

Monsieur Johannes Kopf, vous êtes directeur de l'« Arbeitsmarktservice » (l'Agence fédérale pour l'emploi autrichienne) et avez auparavant travaillé au sein du cabinet du Ministre de l'Économie et du travail, en tant qu'expert du marché du travail.

Madame Florence Poivey, vous êtes la présidente de la commission formation et insertion au sein du pôle social du MEDEF. Vous connaissez très bien le sujet de l'apprentissage, puisque vous avez également été chargée des négociations sur la formation professionnelle au MEDEF.

Monsieur Jean-Marc Huart, vous êtes sous-directeur des politiques de formation et du contrôle à la Délégation générale de l'emploi et de la formation professionnelle. Avant de prendre vos fonctions au Ministère du Travail, vous avez longtemps travaillé au Ministère de l'Éducation nationale et notamment participé à la mission « Promouvoir et développer l'alternance », conduite en 2009 par Monsieur Henri Proglio, alors PDG de Veolia Environnement.

Enfin, Monsieur Jean-Claude Bellanger, vous êtes secrétaire général des Compagnons du devoir, première structure de compagnonnage qui forme chaque année 10 000 jeunes dans 27 corps de métiers différents. L'apprentissage est au coeur de cette association créée en 1941 et reconnue d'utilité publique.

L'année prochaine, le Gouvernement français va lancer un plan de relance de l'apprentissage, avec pour objectif d'atteindre les 500 000 apprentis d'ici à 2017. En Autriche, près de 121 000 apprentis sont formés chaque année. Le pays est souvent cité en exemple, puisque 40 % des jeunes autrichiens d'une même année optent pour l'apprentissage dès l'âge de 15 ans.

Pour initier les débats de la matinée, je m'adresserai à Madame Florence Poivey. D'après vous, comment redonner ses lettres de noblesse à l'apprentissage en France ? Quel rôle peuvent jouer l'État et les collectivités locales dans la revalorisation de l'apprentissage ?

Mme Florence POIVEY . - Bonjour à toutes et à tous. Je tiens à vous remercier d'avoir organisé cette rencontre. L'apprentissage est un sujet sociétal majeur ; c'est aussi un sujet essentiel pour nos entreprises. Je pense que nous aurons l'occasion de vous faire partager nos extraordinaires inquiétudes en la matière.

L'enfant suisse que je suis, née en Suisse et qui a grandi en Suisse, ne sait pas si elle est plus autrichienne ou plus française. Lorsque j'écoutais le ministre autrichien, je rêvais qu'il soit le mien. En tant qu'organisation patronale, nous appelons avec force un véritable sursaut, une rupture structurante en matière d'apprentissage. Par l'apprentissage, nos entreprises recrutent des salariés mieux formés. Elles ont besoin d'un personnel hautement qualifié. En France aussi, nous devons être en mesure d'affirmer que l'apprentissage nous permet de recruter de meilleurs collaborateurs. Cela ne signifie pas que les filières traditionnelles ne sont pas de bonne qualité, mais que l'apprentissage favorise la proximité avec les entreprises. De plus, les apprentis représentent un vivier de collaborateurs futurs. Dans le Massif central, je n'aurais jamais pu assurer la croissance de mon entreprise sans un « quota » important d'apprentis. Dans d'autres entreprises plus anciennes que la mienne, l'apprentissage est aussi un vivier de remplacement, lorsque la pyramide des âges l'oblige. Troisièmement, lorsqu'on a travaillé en apprenant ou appris en travaillant, l'on a soif d'apprendre tout au long de sa carrière. Nous avons besoin de collaborateurs capables de se remettre en question en permanence. Je suis moi-même une autodidacte. La formation continue fait donc partie de mon quotidien personnel. Je n'ai pas d'autre choix que d'apprendre tous les jours. L'apprentissage le permet, mais comment y parvenir dans notre pays ?

Je souhaiterais tout d'abord évoquer deux contradictions par rapport à l'intervention de Monsieur Xavier Bertrand. Les situations évoquées démontrent bien que notre pays est encore dépourvu d'une véritable ambition au sujet de l'apprentissage. En premier lieu, Monsieur Xavier Bertrand a affirmé que l'apprentissage ne devait rien coûter à l'entreprise. Or, l'entrepreneur que je suis considère que l'apprentissage doit précisément coûter à l'entreprise. Pour le MEDEF, le fait que notre système fonctionne un peu mieux lorsque des subventions lui sont délivrées, est précisément la manifestation d'un dysfonctionnement. À nos yeux, il s'agit d'une déviance du système. Deuxièmement, Monsieur Xavier Bertrand a souligné qu'il ne fallait pas oublier les plus démunis. C'est une évidence, mais le système ne doit pas être construit pour eux. Le système 80 %/20 % vise à construire un système d'excellence pour 80 % de nos jeunes. Si ce système est bon, il embarquera naturellement les 20 % restants. En revanche, il ne faudrait pas construire un système pour 20 % des jeunes en souhaitant qu'il embarque dans l'excellence 80 % des jeunes. Au contraire, nous devons avoir l'audace de construire un système qui s'adresse à tous les jeunes.

Dans mon canton de Lausanne est prévue une aide spécifique de 1 700 francs suisses au bénéfice des jeunes décrocheurs (soit environ 900 euros). Bien que le montant de cette aide soit relativement élevé, les demandes n'ont pas été si nombreuses. En effet, l'apprentissage est une voie tellement royale (75 % des jeunes Suisses commencent leur carrière professionnelle par l'apprentissage), que les jeunes sont fiers d'accéder à ce dispositif. Ils préfèrent infiniment être amenés vers la voie qu'ils savent être celle de la dignité et de la profession.

Monsieur le Ministre Hundstorfer a souligné un élément qui me paraît extrêmement important : le système autrichien est piloté, construit, voulu et assumé. Il relève de la responsabilité des partenaires sociaux, c'est-à-dire des acteurs de l'entreprise. Il faut absolument que nous parvenions à changer notre système. Ce n'est pas une revendication. Nous sommes prêts à perdre le bénéfice des aides - à condition que nous soyons appelés à co-écrire le contenu des formations, c'est-à-dire à co-décider de la carte des formations. Amis autrichiens, sachez que dans notre pays, la région peut refuser à une entreprise ou une organisation professionnelle la possibilité d'ouvrir un centre de formation, si elle craint que cette nouvelle structure fasse de l'ombre à ses propres institutions !

Mme Myriam LEVAIN. - Cette intervention est une très bonne occasion de donner la parole à nos amis autrichiens. Monsieur Landertshammer, quelles sont les raisons du succès de l'apprentissage en Autriche ? Cette réussite n'est-elle pas liée au fait que l'apprentissage repose avant tout sur les entreprises, plus que sur les collectivités locales ?

M. Michael LANDERTSHAMMER. - Tout d'abord, je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque sur un sujet aussi important et passionnant.

L'Autriche a la chance de disposer de ce système de formation en entreprise et d'apprentissage depuis des décennies. Un système ancré dans les traditions ne peut être transposé tel quel dans un autre pays. Au cours des dernières années, nous nous sommes attachés à analyser les raisons du succès de ce mode d'apprentissage. Lorsqu'on examine le taux de chômage des jeunes, force est de constater que l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse tirent mieux leur épingle du jeu. En effet, les entrepreneurs sont non seulement prêts à participer, mais veulent participer et former eux-mêmes les jeunes dont ils auront besoin demain. Les entrepreneurs autrichiens ne considèrent pas la formation professionnelle comme un coût, mais comme un investissement, car elle garantit le succès de l'entreprise. Dès lors que les entreprises décident elles-mêmes du nombre d'apprentis qu'elles vont accueillir, un mécanisme de marché se met en oeuvre. Nous ne formons pas de jeunes sans un réel besoin du marché de l'emploi. Ainsi, la plupart des jeunes formés en apprentissage pourront être recrutés par l'entreprise qui les a formés. Le taux de rétention de ces jeunes dans l'entreprise est donc très élevé.

Par ailleurs, les entreprises autrichiennes apprécient peu que l'autorité de l'État se mêle de la formation d'apprentissage. C'est pourquoi des structures de gouvernance confèrent un rôle important aux partenaires sociaux. Les représentants des organisations patronales et des organisations syndicales déterminent les profils professionnels et les adaptent constamment aux besoins. Le processus serait beaucoup plus long s'il était confié aux ministères et non aux personnes directement concernées. De plus, les partenaires sociaux sont organisés de manière autonome. Tous les aspects administratifs sont entre les mains des chambres de salariés et de la chambre économique. Par exemple, les membres de la chambre économique sont responsables de la sélection des apprentis et délivrent les diplômes d'apprentissage. Grâce à ce suivi, la formation professionnelle est de bon niveau.

80 % de la formation est réalisée en entreprise et 20 % dans des écoles professionnelles organisées par l'État. Comme le démontrent plusieurs études, plus la part de la formation en entreprise est importante, plus le succès de l'apprentissage est grand, permettant ainsi de réduire le taux de chômage. Par ailleurs, la formation en entreprise et la formation en école professionnelle sont très reconnues dans notre pays. Elles font partie du cursus de formation classique. Lorsqu'un étudiant termine sa formation professionnelle et passe son examen, il obtient un certificat reconnu par l'État, qui lui permet de poursuivre son cursus et par exemple, de passer le baccalauréat professionnel qui lui donnera accès à tout autre cursus. C'est l'une des raisons de la réussite de l'apprentissage en Autriche.

Cependant, je souhaiterais formuler une remarque critique. Les parents, qui en règle générale contribuent à la décision sur l'orientation professionnelle de leur enfant, ont plutôt une image négative de l'apprentissage. Actuellement, nous notons une rivalité entre les entreprises d'une part, et le système scolaire classique d'autre part. Il n'en demeure pas moins que 40 % des jeunes Autrichiens s'orientent vers l'apprentissage. Nous veillons scrupuleusement à préserver la perméabilité des cursus d'apprentissage par rapport aux cursus classiques.

Je vous remercie.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Huart, dans quelle mesure l'État et les entreprises ont-ils un rôle à jouer en France, en matière d'apprentissage ?

M. Jean-Marc HUART. - Je vous remercie de votre invitation et tiens à saluer l'initiative de ce colloque. L'apprentissage est un élément extrêmement important de notre politique de formation professionnelle et de notre politique d'emploi. Le Gouvernement et le Président de la République se sont d'ailleurs exprimés à plusieurs reprises à ce sujet. Une grande journée de mobilisation a été organisée le 19 septembre 2014 de manière à fédérer l'ensemble des acteurs.

En France, l'apprentissage constitue l'une des deux voies d'accès au diplôme professionnel, la première étant la voie scolaire. 700 000 jeunes préparent un diplôme professionnel jusqu'au baccalauréat professionnel. Cette formation professionnelle a pour particularité de se réaliser pour partie en alternance. Dans le cadre d'un baccalauréat professionnel préparé en trois années, les jeunes passent 24 semaines de stage en entreprise. À la différence de l'apprentissage, le jeune ne signe pas de contrat de travail. En outre, le niveau d'alternance, c'est-à-dire le temps passé en entreprise, est plus faible.

L'apprentissage concerne 420 000 jeunes en France, dont 320 000 qui préparent des diplômes de type CAP 1 ( * ) /BEP 2 ( * ) /Baccalauréat professionnel et 100 000 qui préparent des diplômes de l'enseignement supérieur. Si les chiffres de l'apprentissage ont progressé depuis 2005, nous observons toutefois une diminution pour les niveaux moins qualifiés depuis deux ans. Nous devons collectivement nous donner les moyens de rebondir pour augmenter le nombre d'apprentis.

Bien que nos deux systèmes soient très différents, nous partageons le constat d'un défaut de valorisation de l'apprentissage. Trois types d'acteurs interviennent dans la signature d'un contrat d'apprentissage. Au sens économique, le contrat est le résultat d'une triple coïncidence des besoins : ceux du jeune et de sa famille, ceux du centre de formation et ceux d'une entreprise.

Afin d'illustrer la manière dont nous tentons de relever le défi, je souhaiterais présenter quelques mesures prises en France. Le système de financement de l'apprentissage s'avère très complexe, bien qu'il ait fait l'objet de réformes successives. Nous avons pourtant tenté de faire en sorte que les fonds dédiés à l'apprentissage (et notamment ceux issus de la taxe d'apprentissage) puissent revenir davantage à la formation à l'apprentissage. Cela sous-entend un renforcement du rôle de l'institution responsable de la carte des formations, à savoir la région. Celle-ci a également une responsabilité en termes de développement économique sur le territoire. En outre, nous avons essayé d'établir, à deux reprises, dans l'intérêt des entreprises, des primes permettant de favoriser l'embauche d'un apprenti supplémentaire. Cette prime revêt une dimension symbolique, en ce qu'elle démontre la responsabilité de l'État dans la valorisation de l'apprentissage. Nous avons également tenté de sécuriser le plus possible le parcours du jeune. À ce titre, je citerai deux mesures. La première a consisté à renforcer, parmi les missions des centres de formation des apprentis, la mission d'aide à la recherche d'emploi. D'autre part, nous avons permis, dans le cadre de la loi du 5 mars 2014, la signature d'un contrat à durée indéterminée au bénéfice du jeune apprenti. Toutefois, les modalités du contrat d'apprentissage continuent de s'appliquer durant les deux premières années de ce CDI.

Nous avons par ailleurs essayé de créer des instances de dialogue à l'échelle de la région, baptisés « comités régionaux », afin de permettre aux acteurs d'échanger sur les efforts effectués en matière d'apprentissage.

Mme Myriam LEVAIN. - Je vous remercie. Cette première table étant essentiellement dédiée à l'implication du jeune dans l'apprentissage, je souhaiterais poser la question suivante à Monsieur Bellanger : pourquoi les jeunes ont-ils intérêt à s'orienter vers l'apprentissage ?

M. Jean-Claude BELLANGER. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque.

En France, notre première préoccupation porte sur l'orientation. Dès le plus jeune âge, nous essayons d'orienter tous les jeunes vers un cursus relevant de la formation générale. Or, les parcours dits « techniques » devraient bénéficier du même niveau de reconnaissance que les parcours dits « généraux ». En France, le choix de l'apprentissage est principalement un choix par défaut. De nombreux jeunes changent de métier au bout d'un an, par méconnaissance totale du métier choisi. Dès le plus jeune âge, nous devrions donc adopter une approche pragmatique pour sensibiliser la jeunesse à la réalité des métiers. Il est souhaitable que les jeunes aient la possibilité, dès la sixième, de rencontrer le monde de l'entreprise pour découvrir les métiers et, par la suite, choisir le métier qui leur convient.

L'apprentissage est malheureusement souvent méconnu du monde de l'enseignement général. Il n'est pas présenté comme une voie d'excellence, mais comme une deuxième voie ne permettant plus au jeune de progresser. Nous devrions pouvoir présenter un vrai cursus de formation aux jeunes souhaitant se diriger vers l'apprentissage. Aujourd'hui, un grand nombre d'entre eux entrent en apprentissage pour passer un BEP ou un CAP, mais n'ont aucune visibilité sur les parcours d'accès à un BTS ou une licence - d'autant qu'on ne leur a jamais expliqué qu'il leur était possible d'atteindre ce niveau par la voie de l'apprentissage.

Les jeunes accueillis par les Compagnons du devoir s'inscrivent dans un parcours long, qui leur offre une parfaite visibilité sur les échéances futures. La majorité des jeunes sont en capacité de valider une licence au terme de leur parcours. Nous pouvons donc mener les jeunes au même niveau d'enseignement, qu'ils aient choisi la voie de l'apprentissage ou la voie de l'enseignement général.

La loi entrée en vigueur cette année ne nous rassure pas, car le mécanisme actuel exclut un grand nombre de structures non rattachées à des appareils de branche. Nous sommes très inquiets de notre devenir, en tant qu'acteurs de l'apprentissage. Cette voie contribuera sans doute à diminuer le nombre d'apprentis et d'alternants, ce qui est regrettable.

Mme Myriam LEVAIN. - Je souhaiterais que Monsieur Kopf nous fasse part de la vision qu'ont les jeunes Autrichiens de l'apprentissage.

M. Johannes KOPF. - Merci de m'avoir invité. Hier, la chaîne de télévision France 2 a diffusé un long reportage sur le marché du travail en Autriche. Selon moi, deux raisons permettent d'expliquer pourquoi le taux de chômage des jeunes est si faible dans notre pays. Premièrement, après une formation en apprentissage, vous n'êtes pas obligé de rechercher un emploi. La moitié des jeunes formés par l'apprentissage restent dans l'entreprise dans laquelle ils ont effectué leur apprentissage. Deuxièmement, l'économie évolue très rapidement et les exigences formulées à l'égard des salariés se transforment. Il est donc logique qu'une formation en entreprise permette aux salariés de s'adapter plus rapidement à la réalité qu'une formation dans une école classique. Il existe en outre des raisons financières à ce succès.

J'ai l'impression que l'apprentissage souffre d'un problème d'image en France. Ni les parents, ni les entreprises, ni les jeunes ne semblent particulièrement apprécier l'apprentissage. D'une manière générale, les chefs d'entreprises français ne comprennent pas pourquoi ils devraient investir dans l'apprentissage. Ce problème ne pourra être résolu que par la mise en oeuvre d'une série de réformes. L'ancien ministre du Travail a évoqué les normes de sécurité. Il est évident que les jeunes ne peuvent apprendre leur métier s'il leur est interdit d'utiliser les machines. Plus on permet aux jeunes de s'intégrer dans l'entreprise, plus on s'intéresse à eux, plus ils s'intéressent à nous en retour. Tout au long de ma scolarité dans le cursus classique, je n'ai passé qu'une seule après-midi dans une entreprise. Ces conditions ne permettent pas de susciter un intérêt pour une formation pratique.

L'une des clés est de développer l'information sur les carrières professionnelles possibles et d'améliorer l'image de l'apprentissage, en le considérant comme une voie d'excellence. Je vous propose de renforcer la publicité sur les concours EuroSkills et WorldSkills. Il faudrait solliciter quelques entreprises de haute technologie, comme celles aujourd'hui représentées, pour concevoir une formation de très haut niveau, capable de nous battre dans les prochains concours. L'image de l'apprentissage en serait valorisée.

Pour véritablement modifier les comportements et en particulier ceux des entreprises, l'État doit se montrer assez généreux dans un premier temps. Je ne vois aucun inconvénient à ce qu'il finance l'apprentissage, même si les entreprises autrichiennes y contribuent déjà pour une grande part.

Mme Myriam LEVAIN . - Vous avez souvent évoqué le déficit d'image de l'apprentissage. Madame Poivey, quelles sont vos propositions pour redorer le blason de l'apprentissage ?

Mme Florence POIVEY. - Notre ministre du Travail actuel, Monsieur François Rebsamen, a compris à quel point il était urgent de changer le cap pour redonner à l'apprentissage un souffle nouveau. Cependant, je me permets de préciser que nous ne constatons pas une simple diminution de l'apprentissage. En deux ans, nous allons perdre 20 % de nos apprentis - plus de 60 000 jeunes.

Comme Jean-Claude Bellanger l'a évoqué, la loi du 5 mars 2014 est importante en ce sens qu'elle a permis de concrétiser la négociation sur la formation professionnelle, qui a abouti à un très bel accord. De façon un peu malicieuse, cette loi s'est vu ajouter un volet relatif à l'apprentissage. Jean-Marc Huart appelle au dialogue sur le volet de l'apprentissage, comme je l'ai fait moi-même durant la négociation sur la réforme de la formation professionnelle. Or, les partenaires sociaux n'ont absolument pas été consultés, que ce soit individuellement ou collectivement. La loi du 5 mars 2014 prive les entreprises de 77 % de leurs fonds libres - c'est-à-dire ceux qu'elles peuvent dédier à leur politique propre de formation. Pour le chef d'entreprise que je suis, le circuit de financement de l'apprentissage paraît assez complexe. Alors que le monde nous oblige à évoluer en permanence, une partie des fonds ne peut plus être dédiée à l'investissement. Outre la question de l'image et de l'orientation, nous devons émettre des signaux forts en direction des entreprises.

En matière d'orientation, il importe d'adopter une attitude pragmatique. Aujourd'hui, les jeunes choisissent leur cursus sur Internet. Certaines académies n'inscrivent pas les voies d'apprentissage. Il importe que le ministère de l'Éducation nationale adresse un message aux recteurs pour s'assurer que toutes les filières de l'apprentissage soient inscrites sur Internet. Dans d'autres académies, les filières de l'apprentissage sont bien inscrites, mais figurent en dehors du système scolaire. Imaginez à quel point il est rassurant pour un jeune - et pour sa famille - de s'inscrire sur une filière hors système scolaire.

Il est donc possible de prendre de mesures simples. Madame la Ministre Najat Vallaud-Belkacem, qui nous donne le sentiment d'être très concernée par cette question, fera sans doute évoluer les choses.

Jean-Claude Bellanger a également évoqué l'importance que nous devions accorder à l'accompagnement du jeune, tant dans la construction de son ambition que de son parcours. Je ne sais pas si l'Autriche dispose d'une agence d'évaluation indépendante. En France, nous avons soulevé cette question lors de la journée de mobilisation du 19 septembre. Il nous paraît important que le jeune soit informé de ses perspectives d'emploi, à chaque étape de son parcours, pour qu'il puisse alimenter son ambition à partir de la réalité. C'est une manière concrète de démontrer que l'apprentissage est une voie d'excellence. Il s'agit simplement d'une autre voie pédagogique, qui mérite d'être tentée.

À l'ambition de 80 % de jeunes Français reçus au bac, je rêverais que l'on puisse opposer la suivante : celle que 80 % de nos jeunes aient été tentés par l'apprentissage, au moins une fois dans leur parcours d'apprenant.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Huart, souhaitez-vous réagir à cette intervention ?

M. Jean-Marc HUART. - Nous avons bien organisé au moins deux phases de concertation avec les partenaires sociaux avant la promulgation de la loi du 5 mars 2014. En outre, les fonds libres dont disposent les entreprises ont augmenté ; l'intégration de la CSA 3 ( * ) à la taxe d'apprentissage permet précisément de dégager des fonds supplémentaires.

La question des systèmes d'information et d'orientation a été entendue. L'Éducation nationale essaie d'intégrer davantage la voie de l'apprentissage dans ses systèmes d'orientation. Depuis quelques années, les ministres ont mis en place des parcours individuels d'information et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Dans ce cadre, la voie de l'apprentissage sera valorisée. Par ailleurs, nous notons une volonté de rapprochement visant à favoriser la mixité des cursus. Pour rendre l'apprentissage attractif, il convient d'établir un lien entre le collège, l'entreprise et le contrat. Je pense que le service public de l'emploi est en mesure de développer un effort de prospection pour favoriser ce lien, qui doit d'ailleurs être initié dans le cadre de la mise en place des services publics régionaux de l'orientation.

Mme Myriam LEVAIN. - Merci. Monsieur Landertshammer, je vous invite à développer l'image de l'apprentissage en Autriche, qui est l'un des facteurs du succès de l'apprentissage dans votre pays. Monsieur Kopf pourrait également ajouter quelques mots à ce sujet.

M. Michael LANDERTSHAMMER. - L'image des formations en apprentissage n'a cessé de s'améliorer, en particulier en raison de la situation économique générale. Les partenaires sociaux font des efforts avec les ministères compétents pour améliorer encore la situation. Dans le cadre de l'enquête OCDE/PISA, nous avons obtenu des résultats assez médiocres. En revanche, nous figurons parmi les meilleurs dans le domaine de l'apprentissage.

Prélever des impôts n'a jamais fonctionné en Autriche. Il importe que les entreprises conservent leur liberté de décider. L'image de l'apprentissage ne peut s'améliorer qu'à la condition que les parents soient informés au préalable des perspectives offertes par les différents métiers. Ces informations sont communiquées par la Chambre économique autrichienne et les partenaires sociaux. À la lecture des résultats d'une analyse de potentiels, de nombreux parents se rendent compte que leur enfant bénéficierait peut-être d'un avenir meilleur s'il réalisait une formation professionnelle en entreprise, à dimension pratique. De nombreux jeunes, bien que talentueux, ne sont pas sollicités comme ils le devraient dans l'école traditionnelle.

Bien que l'apprentissage soit coûteux, il s'avère rentable à la fois pour les entreprises et l'État. En Autriche, le système de formation en alternance est en réalité meilleur marché.

M. Johannes KOPF. - En Autriche, 40 % des jeunes de 15 ans s'orientent vers l'apprentissage, mais cette voie souffre toujours d'un problème d'image. Depuis la fin des années 1980, beaucoup d'efforts ont été entrepris pour la rendre plus attractive. Malgré tout, les élèves qui obtiennent les meilleures notes ont toujours tendance à suivre un cursus classique, jusqu'au bac puis à l'université. Les autres élèves s'orientent vers l'apprentissage. Or, les exigences des entreprises ne cessent de croître. Plusieurs chefs d'entreprise seraient disposés à embaucher des apprentis, mais souhaiteraient qu'ils disposent des connaissances préalables nécessaires. La tendance est au renforcement des qualifications. Il est d'ailleurs souhaitable de combiner la possibilité de suivre une formation en apprentissage et l'obtention d'un baccalauréat, pour conserver une passerelle vers l'enseignement supérieur.

Dans l'Ouest de l'Autriche, l'apprentissage est très bien considéré. Les jeunes ne s'orientent vers les cursus classiques que s'ils ne parviennent pas à trouver une place dans l'apprentissage. Au contraire, dans l'Est de notre pays, les jeunes s'orientent vers l'apprentissage s'ils n'obtiennent pas de bons résultats à l'école. Cet écart entre les deux extrémités du pays est intéressant. La durée de l'apprentissage varie entre deux et quatre ans, offrant aux jeunes une formation de très haut niveau à l'échelle internationale. Nous faisons tout notre possible pour accroître la perméabilité du système. La bonne information sur les métiers est donc essentielle.

Mme Myriam LEVAIN. - Avant de recueillir les questions de la salle, je souhaiterais recueillir les suggestions de Monsieur Bellanger pour améliorer l'image de l'apprentissage.

M. Jean-Claude BELLANGER. - En France, le problème est peut-être lié aux termes « contrat d'apprentissage ». Lors de la Conférence du 19 septembre 2014, le Président de la République a présenté le contrat d'apprentissage comme un « contrat d'insertion ». Envisager le contrat d'apprentissage comme un contrat d'insertion destiné à tous les publics revient à dévaloriser et pénaliser les jeunes qui s'orientent vers cette voie. Nous devons donc être très vigilants à l'égard de la communication. Le fait que bon nombre de familles ne considèrent pas le contrat d'apprentissage à sa juste valeur est principalement lié à nos modes de communication.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur le Président Trillard souhaite intervenir, je lui cède la parole.

M. André TRILLARD. - Je vous remercie. En Autriche, quels sont les opérateurs de la formation en alternance, en complément de l'entreprise ?

Depuis deux ans en France, des signaux très défavorables ont été envoyés en direction de la formation en alternance. Le premier consiste en la mise en concurrence financière des contrats aidés avec la formation en alternance. Dans la région Pays de la Loire, j'ai par ailleurs relevé des délais anormaux dans le financement des centres de formation, de nature à mettre en péril l'existence même des centres de formation. Monsieur Huart, vous avez donc un travail conséquent à accomplir si vous souhaitez rétablir auprès des députés et des sénateurs l'image de l'administration. Nous pensons qu'un jeu pervers s'exerce à l'intérieur des administrations françaises. Ce jeu pervers consiste à considérer l'Éducation nationale comme la seule voie possible. Par exemple, l'interdiction de l'utilisation des perceuses par les apprentis génère une obstruction au fonctionnement des centres de formation et à la formation elle-même. Cela revient à considérer les centres de formation comme des structures d'insertion, ce qu'ils ne sont pas. Un citoyen qui ne trouve pas d'emploi a de fortes chances de connaître des difficultés d'insertion. Un citoyen qui travaille, qui a un centre d'intérêt dans sa journée, un salaire, sa dignité, a moins de chances de rencontrer des problèmes personnels et sociaux.

M. Jean-Marc HUART. - La question des machines dangereuses est un sujet extrêmement complexe, car le rôle de la réglementation est de protéger le plus possible l'ensemble des parties prenantes. Il s'agit en premier lieu de protéger l'entreprise dans son rôle de production et de formateur, dans son rôle de cosignataire d'une convention d'apprentissage et dans son rôle de responsabilité quant au devenir du jeune. Cette responsabilité est partagée par les pouvoirs publics, créateurs de la réglementation.

La semaine dernière, j'ai assisté à une manifestation dans la Grande bibliothèque, organisée par le réseau CCCA BTP. Un apprenti m'a interpellé au sujet de la réglementation sur les machines dangereuses : « Est-il normal que pendant deux ans, je ne puisse que tenir l'échelle pendant que mon patron est sur le toit ? » L'après-midi même, nous avons reçu un signalement d'un jeune apprenti qui, malgré toutes les précautions prises, a été victime d'un accident grave. La réglementation ne vise pas à entraver le jeune ni le fonctionnement de l'entreprise, mais à leur assurer un niveau de protection. Néanmoins, nous devons sans doute progresser dans ce cadre. Dans le cadre de la manifestation du 19 septembre, nous avons souhaité confier au Comité d'orientations sur les conditions de travail (COCT) des solutions permettant, à conditions de sécurité égales, de protéger efficacement les apprentis sans créer de nouvelles contraintes - et notamment en matière de formation. Une réflexion a donc été engagée.

M. Johannes KOPF. - En Autriche, les écoles professionnelles sont à la fois organisées et financées par l'État, en tant que mission de l'État. S'agissant des normes de sécurité, nous assumons également la responsabilité collective d'empêcher le chômage des jeunes.

M. Michael LANDERTSHAMMER. - En Autriche, le problème des écoles professionnelles est résolu. Dès lors qu'un jeune signe un accord de travail avec une entreprise, il a l'obligation de se former dans une école professionnelle. Les contrats d'apprentissage sont préparés par la Chambre économique autrichienne. Les entreprises reçoivent une aide. En Autriche, un certain nombre de normes ont été édictées, mais l'on fait confiance aux entreprises, en leur laissant une part de responsabilité. Une personne de l'entreprise doit accompagner en permanence le jeune.

Mme Florence POIVEY. - Pour ce sujet qui concerne tant notre jeunesse, je souhaiterais développer deux pistes d'espérance. Premièrement, l'accord que nous avons signé en matière de formation professionnelle oblige l'État, les régions et les partenaires sociaux à travailler très étroitement ensemble. Deuxièmement, Monsieur Vincent Peillon, ancien ministre de l'Éducation nationale, a cherché à faire progresser la philosophie et la mission de l'Éducation nationale, pour que celle-ci n'ait plus simplement vocation à former des citoyens, mais aussi à préparer les jeunes à devenir des collaborateurs. Les universités se sont emparées du sujet. Dans les collèges et lycées, la démarche est en bonne voie.

Mme Myriam LEVAIN. - N'hésitez pas à poser des questions à nos intervenants.

Un participant. - Je représente la CCI de Paris. Je souhaiterais formuler quelques remarques sur notre système. En France, il est possible de tout faire à partir de l'apprentissage : le jeune peut à la fois préparer un diplôme et un titre professionnel. De cet avantage, nous avons fait un handicap, en créant un système de concurrence entre l'Éducation nationale et le monde professionnel. Au lieu de collaborer vers un même objectif, j'ai le sentiment que chacune des filières essaie de faire mieux que l'autre ou de la pénaliser.

En France, les entreprises consacrent une part assez importante de la masse salariale au financement de l'apprentissage et rémunèrent également leurs apprentis. Or, les entreprises qui paient n'ont pas la maîtrise du dispositif. Par exemple, elles ne peuvent choisir ni les formations, ni les lieux de formation, ni les organismes auxquels les confier. Nous avons donc installé un système de précaution et de dérogation qui décourage l'entreprise.

Mme Myriam LEVAIN. - Avant d'ouvrir la seconde table ronde, nous allons céder la parole à Madame l'Ambassadeur.

S. E. Mme Ursula PLASSNIK. - Merci. Je souhaiterais demander aux intervenants si la perspective d'obtenir un salaire satisfaisant est un facteur de succès de l'apprentissage en Autriche.

M. Michael LANDERTSHAMMER. - L'argent joue toujours un rôle important. Un jeune qui s'oriente vers l'apprentissage perçoit immédiatement un revenu et aura plus de chances d'avoir un revenu stable qu'une personne qui a suivi des études. Après avoir passé le baccalauréat, de nombreux jeunes, qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études ou n'en ont pas la possibilité, rencontrent de grandes difficultés à trouver un emploi. C'est la raison pour laquelle ils se dirigent ensuite vers l'apprentissage. Nous essayons de créer des passerelles vers l'apprentissage pour ces jeunes qui ont déjà un niveau de qualification générale important. Le chemin sera toutefois long.

Mme Myriam LEVAIN. - Je vous demande d'applaudir et de remercier nos intervenants.

II - L'APPRENTISSAGE, UNE ÉTAPE DANS LA RÉ-INDUSTRIALISATION DE L'EUROPE

Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste

Ont participé à cette table ronde :

M. Peter MITTERBAUER, PDG de MIBA AG
M. Dieter SIEGEL, PDG de Rosenbauer AG
M. Maurice CROPPI, Directeur de la Formation de Michelin
M. Patrice GUÉZOU, Directeur Formation et Compétences de CCI France
M. Michel GUISEMBERT, Président de WorldSkills
Mme Renate RÖMER, envoyée spéciale de la Chambre économique fédérale de l'Autriche pour EuroSkills et WorldSkills

Mme Myriam LEVAIN . - Nous accueillons Madame Renate Römer. Vous êtes l'envoyée spéciale de la Chambre économique fédérale de l'Autriche pour EuroSkills et WorldSkills. L'Autriche a remporté la dernière édition des EuroSkills, qui se sont déroulés à Lille au mois d'octobre dernier. Vous nous en parlerez.

Monsieur Peter Mitterbauer, vous êtes le PDF de MIBA AG, l'une des plus importantes entreprises autrichiennes, spécialisée dans la conception et la production de composants à propulsion innovants. Votre groupe est familier de l'apprentissage, puisqu'un salarié sur quatre dans votre entreprise a commencé sa carrière en tant qu'apprenti.

Monsieur Dieter Siegel, vous êtes également le PDG d'une très grande entreprise autrichienne, Rosenbauer International, qui construit des fourgons d'incendie et des équipements de protection individuelle. Dans votre entreprise, l'apprentissage est une filière classique d'entrée dans l'entreprise.

Monsieur Patrice Guézou, vous êtes le directeur Formation et Compétences de CCI France. Auparavant, vous avez notamment été conseiller technique au cabinet du ministre délégué à la formation professionnelle et à l'apprentissage et vous êtes membre suppléant du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP).

Monsieur Maurice Croppi, vous êtes directeur de la formation de Michelin, qui compte plusieurs centaines de jeunes en alternance. En dehors de vos activités pour le groupe Michelin, vous siégez dans plusieurs instances de formation professionnelle.

Monsieur Michel Guisembert, vous êtes le président du réseau WorldSkills, qui est très engagé pour la promotion de l'apprentissage et de l'alternance, la mobilité et la jeunesse des métiers. Tous les deux ans sont organisées à travers le monde des Olympiades des Métiers, dont vous nous parlerez.

Au cours de cette table ronde, nous allons analyser de quelle manière l'apprentissage peut devenir une porte d'entrée vers le marché de l'emploi et un facteur de dynamisme de l'économie.

Monsieur Mitterbauer, pourquoi les entreprises autrichiennes ont-elles tout intérêt à miser sur l'apprentissage ?

M. Peter MITTERBAUER. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque. Tout d'abord, je mentionnerai quelques chiffres concernant notre entreprise. Nous sommes équipementiers dans le secteur de l'automobile et proposons des composants de propulsion innovants. Nos salariés se répartissent sur 20 sites dans le monde. Nous essayons d'être leader sur le plan technologique pour offrir les meilleurs produits à nos clients. Cette volonté est attachée à celle de créer des produits à forte valeur ajoutée.

Nous accueillons des apprentis depuis longtemps. En 1927, mon grand-père, lui-même apprenti serrurier, a repris l'atelier de son maître à l'âge de 21 ans. Après la Seconde Guerre mondiale, il a transformé cet atelier de serrurerie pour fournir des pièces détachées qui n'étaient plus disponibles sur le marché international. Nous sommes devenus numéro 1, car mon grand-père a pressenti la volonté du marché et la nécessité de développer l'apprentissage pour recruter des salariés qualifiés. Nous accueillons actuellement 200 jeunes en formation, dont 120 en apprentissage en Autriche et 80 en Slovaquie. Un quart de nos apprentis passe un baccalauréat professionnel après son apprentissage et un tiers de nos collaborateurs en Autriche a commencé sa carrière comme apprenti. Sans cette tradition de l'apprentissage, nous ne serions peut-être pas leaders sur le marché.

Mme Myriam LEVAIN. - Je cède la parole à Monsieur Siegel, dont l'entreprise est un exemple en matière d'intégration des apprentis.

M. Dieter SIEGEL. - Je me réjouis d'avoir l'occasion de partager notre expérience en matière d'apprentissage. Notre entreprise a toujours formé des apprentis. Grâce à la formation en apprentissage, nous pouvons former nos collaborateurs à la production de produits de haute qualité. Le taux de rétention des apprentis de notre entreprise est proche de 100 % pour les spécialités techniques et manuelles. 50 % de nos besoins en salariés manuels sont couverts par l'apprentissage. Ainsi, nous employons 125 apprentis en Autriche. Notre entreprise demeure familiale. L'apprentissage nous permet de garantir nos perspectives de long terme. Une personne qui a fait son apprentissage dans l'entreprise entretient un autre lien avec l'entreprise qu'une personne qui y est entrée à la sortie de ses études.

Mme Myriam LEVAIN. - Madame Römer, que sont les EuroSkills ? L'Autriche pourrait-elle susciter une émulation en Europe autour de l'apprentissage ?

Mme Renate RÖMER. - Je suis très heureuse d'être parmi vous. En Autriche, la plupart des entreprises sont des entreprises familiales. La loyauté à l'entreprise reste une valeur déterminante.

L'Autriche participe au mouvement WorldSkills depuis 50 ans. Il s'agit presque d'une infection virale. Les jeunes qui y participent s'investissent dans la préparation du concours, entraînant une transformation de leur personnalité. Non seulement ils deviennent adultes, mais ils en ressortent plus forts, se tiennent plus droits. Tous les participants y ont appris quelque chose. En Autriche, grâce à un recrutement sélectif, nous avons toujours présenté des candidats de première qualité et avons d'ailleurs obtenu le titre européen.

Il existe un réservoir de jeunes talentueux dans tous les pays, en particulier en Asie, car les candidats sont sélectionnés de façon très stricte. La Corée retire les concurrents du circuit normal pour les intégrer dans un internat dédié à la préparation intensive de WorldSkills. Les familles des candidats sélectionnés reçoivent une indemnité à vie. Bien que l'Autriche figure toujours parmi les premiers de la classe, des pays issus de l'ancien empire austro-hongrois ont également repris cette tradition de l'apprentissage en alternance (Hongrie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie).

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guisembert, je vous invite à nous présenter le concours WorldSkills et ses apports à l'apprentissage.

M. Michel GUISEMBERT. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à cette rencontre, d'autant que je suis particulièrement admiratif des réalisations de l'Autriche en matière d'apprentissage.

Dès 1947, l'Espagne a inventé un dispositif permettant de mettre en valeur les métiers et la jeunesse, tout en facilitant la connaissance de la réalité des métiers. Ainsi sont nées les Olympiades des Métiers, conçues sur le modèle des Jeux olympiques. Aujourd'hui, 72 pays participent à cette compétition, qui réunit tous les deux ans 1 000 candidats de moins de 23 ans. Cette fête de la jeunesse est l'occasion de tirer vers le haut l'ensemble des compétences nécessaires dans plus de 50 métiers d'actualité. Ce formidable message d'optimisme remplit de joie tous les organisateurs. En France, grâce à l'implication extraordinaire des conseils régionaux et de l'ensemble des partenaires oeuvrant pour la formation professionnelle et pour la jeunesse, ce ne sont pas moins de 9 000 candidats qui ont participé aux sélections régionales. 867 champions sont en lice pour les finales nationales, qui auront lieu à Strasbourg du 29 au 31 janvier. De ces 867 candidats, nous constituerons l'équipe de France des métiers. En août 2015, nous partirons ensemble à São Paulo pour affronter les 71 autres nations.

Vous avez eu raison, Madame Römer, de souligner l'excellence de l'Autriche dans cette démarche. Dans le cadre des Olympiades des métiers de 2019, nous souhaitons réunir les partenaires que sont le Gouvernement, les régions, les organisations professionnelles, les syndicats, les chambres consulaires, etc. pour accueillir toutes les nations à Paris. Si nous sommes retenus, nous nous mettrons en ordre de marche pour faire de la formation professionnelle un véritable challenge.

Ayant eu la chance de rencontrer tous les acteurs de la formation professionnelle en France et en Europe, je peux vous assurer que la France est dotée de véritables forces vives. De nombreuses personnes se mobilisent et y croient, mais nous travaillons encore de façon trop isolée. Nous devons faire fi de toutes les différences pour réussir. Nous souhaitons dire aux autres pays que nous avons besoin d'eux pour réussir ensemble cette initiative, importante pour la jeunesse et notre économie.

Mme Myriam LEVAIN. - Michelin fait partie de ces entreprises qui ont investi depuis longtemps dans l'apprentissage. Pourquoi avoir fait ce pari ?

M. Maurice CROPPI. - Je suis ravi d'être parmi vous. L'alternance concerne Michelin depuis toujours. Pour mémoire, la première promotion d'apprentis date de 1924 et la loi sur la taxe d'apprentissage, de 1925. Nous étions un peu précurseurs. Aujourd'hui, notre entreprise comporte plus de 4 % d'alternants, du CAP au Bac+5. La communauté d'alternants est gérée de la même manière, quel que soit le niveau de formation. Cette politique d'alternance s'inscrit vraiment dans une politique de pré-recrutement. En France, un salarié recruté chez Michelin est passé soit par un stage, soit par l'alternance.

Nous nous investissons dans l'alternance en raison des enjeux humains, sociaux et de performance économique. Nous souhaitons participer le plus en amont possible à l'évolution des programmes pour recruter les salariés dotés des compétences dont nous avons besoin, aujourd'hui et demain. L'apprentissage est vraiment un enjeu stratégique. Pour maintenir des industries en France, nous avons besoin de personnel qualifié. Nous bénéficions certes de l'image positive d'une grande entreprise et ne rencontrons donc pas de difficulté à recruter des candidats. Cependant, nous constatons que le démarrage de carrière des jeunes qui ont choisi l'apprentissage est beaucoup plus rapide, car ceux-ci ont bénéficié de l'accompagnement d'un tuteur qui leur a transmis les savoir-faire, codes et valeurs de l'entreprise. D'ailleurs, nous notons que les titulaires d'un bac+3 ou bac+5 s'intéressent de plus en plus l'apprentissage. L'apprentissage est un atout pour se démarquer dès le début de sa carrière professionnelle.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guézou, l'apprentissage n'est-il pas l'une des clés pour redynamiser les entreprises en France et lutter contre le chômage ?

M. Patrice GUÉZOU. - Je vous remercie de m'avoir invité à participer à ce colloque. Il est difficile de comparer la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) France à la Wirtschaftskammer Österreich (WKO), la chambre économique fédérale autrichienne, car nos deux structures sont très différentes. Nous n'avons donc pas le même champ d'intervention.

Les CCI sont amenées à former sur l'ensemble des niveaux de qualification, du CAP au Master, et du niveau de qualification I au niveau V. A l'occasion de ma participation au Danube Business Forum organisé en Autriche début novembre, un certain nombre d'éléments m'ont paru largement « différenciants », au regard de notre politique d'emploi. Le premier facteur est celui de la confiance accordée à l'action. En d'autres termes, l'on peut apprendre par le travail. Le fait d'agir, de faire, de manipuler, est un élément de développement des connaissances. Un deuxième élément clivant concerne la confiance accordée aux partenaires sociaux dans la définition des qualifications requises pour exercer un métier. La réactivité fait la différence à la fois dans l'apprentissage et dans la capacité à développer son activité. Un troisième facteur de confiance, évident pour mes collègues autrichiens, tient à la perception de l'apprentissage comme facteur de développement du commerce extérieur. Comme notre collègue autrichien l'évoquait tout à l'heure, il est normal que l'Autriche tisse des relations spontanées avec les pays environnants. Ce faisant, les entreprises ne s'investissent pas seulement dans une logique de ventes de produits, mais aussi dans une démarche de développement de la qualification. Le système éducatif est perçu comme un facteur de différenciation dans le cadre de la bataille commerciale. Ce dernier facteur de confiance est si prégnant en Autriche que nous mesurons le retard pris en France et l'ampleur du travail à réaliser.

Mme Myriam LEVAIN. - Merci. Je m'adresse à Monsieur Mitterbauer pour obtenir des précisions sur le centre d'apprentis en Slovaquie. Le dynamisme de l'apprentissage en Autriche est-il l'un des facteurs expliquant le faible taux de chômage, au moins chez les jeunes ?

M. Peter MITTERBAUER. - En Autriche, 80 % de la formation en apprentissage est réalisée dans l'entreprise et 20 % dans une école professionnelle. Dans notre usine en Slovaquie, 70 % de la formation est réalisée dans une école professionnelle et les 30 % restants en entreprise. Ce système présente des avantages, comme des inconvénients. Nous préférons la première solution, qui répond mieux à nos besoins. Cependant, nous avons lancé un projet pilote avec le Gouvernement slovaque en 2013, permettant aux apprentis de passer 60 % de leur temps dans notre entreprise et 40 % dans une école professionnelle. Ce projet pilote bénéficie du soutien du Gouvernement slovaque. Il n'a pas été difficile de trouver des jeunes désireux de réaliser cet apprentissage.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Siegel, pensez-vous que l'apprentissage soit une solution pour faciliter l'accès des jeunes au marché du travail ? Je crois que votre entreprise est un bon exemple de facilitation.

M. Dieter SIEGEL. - Je n'aime pas utiliser le terme « intégration », qui sous-entend une exclusion préalable. En passant 80 % de leur temps de formation en entreprise, les jeunes Autrichiens peuvent vraiment découvrir la vie professionnelle (fonctionnement de l'organisation, discipline...). Toute personne passée par l'apprentissage a appris quelque chose. Au contraire, une personne restée dans l'enseignement général rencontrera peut-être des difficultés à intégrer une entreprise et commencer tous les matins à 7 heures. 92 % des personnes ayant fait un apprentissage ont trouvé un emploi. L'apprentissage est donc une garantie pour trouver un emploi. Une grande partie du chômage des jeunes, mais aussi des adultes, est liée au manque de formation. Par ailleurs, les Olympiades des Métiers sont très intéressantes pour les travailleurs, mais seule une petite partie de la population peut y participer. Les Coréens sont très actifs, ce qui démontre la valeur accordée au travail ouvrier. Nous nous inscrivons dans cette démarche en Autriche.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Croppi, je vous invite à revenir sur la contribution de votre entreprise à l'apprentissage. En France, l'apprentissage est extrêmement orienté vers les métiers manuels. Comment faire en sorte de déployer l'apprentissage dans tous les secteurs ?

M. Maurice CROPPI. - Nous accueillons des alternants dans tous les métiers, dont 30 % dans les métiers tertiaires. Nous nous inscrivons dans une logique de pré-recrutement, pour tous les métiers, et avons besoin d'emplois hautement qualifiés. Il est possible d'accueillir des jeunes peu diplômés, dans le cadre d'un dispositif adapté inscrit dans une logique d'excellence. Nous avons les mêmes exigences envers tous nos alternants, quel que soit leur diplôme. À titre expérimental, nous avons mis en place un CAP destiné aux jeunes en difficulté. Chaque année, 50 % de ces jeunes en difficulté s'orientent vers un baccalauréat professionnel, 30 % vers un bac+2 et 15 % vers une licence professionnelle. Pour inciter les jeunes les plus éloignés de l'emploi à venir à notre rencontre, nous devons utiliser des moyens adaptés. Il importe de trouver le bon équilibre ; ces jeunes ne doivent pas être majoritaires, mais ils seront tirés vers le haut. Ces initiatives contribuent à donner une autre image de l'apprentissage.

Mme Myriam LEVAIN. - Madame Römer, le mot « confiance » a été prononcé. La France souffre-t-elle d'un défaut de confiance dans l'apprentissage ?

Mme Renate RÖMER. - Le thème de la confiance a déjà été abordé au cours de la première table ronde. Un système comme le système autrichien ne peut être créé du jour au lendemain, par un simple coup de baguette magique. Comme l'a indiqué Monsieur Hundstorfer, le rôle des partenaires sociaux est très important. Je me demande où sont les partenaires sociaux en France. En Autriche, des réunions sont organisées avec les partenaires sociaux à l'automne pour discuter des principaux sujets. En écoutant l'intervention de Monsieur Croppi, je me rends compte qu'un certain nombre de jeunes n'ont pas d'expérience du succès de la formation, car ils n'ont pas de modèle familial. Nous devons faire en sorte de qualifier davantage nos apprentis, en leur permettant d'apprendre des langues étrangères, des normes comportementales, un sens du management. Une dynamique de groupe se crée peu à peu. Si l'un des membres du groupe est encore faible, il va bénéficier de la dynamique de groupe.

La Chambre économique autrichienne organise chaque année une semaine business réservée aux enfants, permettant aux jeunes de 8 à 14 ans d'aller à la rencontre des entreprises. Si l'analyse des potentiels est effectuée à temps, nous pourrons déceler plus tôt les potentiels de l'enfant. Dans l'entreprise, il est impossible de rattraper le retard scolaire ; il faut investir sur les forces dont dispose le jeune, et non se concentrer sur ses faiblesses. Le modèle français de l'égalité n'est pas adapté, car les gens ne sont pas toujours égaux ; chacun a ses capacités propres. La puberté est une époque difficile. C'est aussi la période au cours de laquelle décider de son orientation professionnelle. De nombreuses personnes auront besoin de temps supplémentaire pour se décider. C'est pourquoi les jeunes doivent être accompagnés dans ce cheminement. Or, la France est encore plus bureaucratique que l'Autriche. Il semble que les nombreuses institutions se parlent sans s'entendre ni se comprendre.

Depuis 25 ans, l'Autriche a mis en place une coopération entre les entreprises et les écoles. Les entreprises se rendent dans les écoles et échangent avec les directeurs d'établissement. Nous avons également institué un « permis de conduire d'entreprise ». Différentes étapes sont d'ores et déjà proposées aux élèves du cursus général pour les sensibiliser aux thèmes de l'entreprise. Néanmoins, nous nous heurtons évidemment à quelques difficultés. Par exemple, il serait souhaitable d'imaginer un autre terme que celui de « l'apprentissage ».

Je vous invite à participer aux Olympiades des Métiers. Vous serez vous-mêmes infectés par le virus de la compétition. Il n'y a pas de « génération perdue ». Chacun a ses talents ; il suffit de les trouver.

Pour toutes ces raisons, je vous conseillerais de dépoussiérer votre système. Si les entreprises ne sont pas des partenaires sociaux, je me demande qui peut être partenaire social dans ce pays.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Mitterbauer, vous souhaitiez réagir à ces interventions.

M. Peter MITTERBAUER. - Je dis toujours à mes apprentis que ce sont eux qui déterminent les nouvelles tendances. Chacun d'entre eux sait qu'il trouvera une place dans notre entreprise. Dans notre région, nous utilisons ce proverbe, qui remplissait mon grand-père et mon père de fierté : « Quand tu as fait ton apprentissage chez MIBA, tu peux tout de suite commencer à construire ta maison ». Les parents savent qu'ils peuvent faire confiance à MIBA et qu'ils peuvent nous confier leurs enfants, car nous assurerons leur avenir.

Le monde de l'école est différent de celui de l'entreprise, dans lequel nous assumons des responsabilités. Face au manque de personnel qualifié, nous recherchons des jeunes dotés d'une formation professionnelle de haut niveau. Il ne faut pas seulement parler d'une ré-industrialisation en Europe, alors que notre secteur secondaire disparaît. Les Américains parlent moins, mais agissent. L'apprentissage est essentiel. Nous devons donc en donner le goût aux citoyens.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guézou, n'est-il pas opportun de s'inspirer du système autrichien, qui offre beaucoup plus de passerelles entre l'apprentissage et les autres formations ? Un jeune ne doit pas être contraint, à 15 ans, de choisir son orientation pour toujours.

M. Patrice GUÉZOU. - Le fait de choisir n'est pas une question majeure. Plus l'on est capable de donner aux jeunes des voies d'accès différenciées au fait d'apprendre, mieux c'est. En revanche, l'on n'informe pas suffisamment en amont les jeunes des différentes possibilités qui s'offrent à eux, à travers les passerelles. Comme le montrent les statistiques, le système français contribue à accentuer les inégalités. Il importe de dépasser cette rigidité, pour réintroduire une confiance réciproque entre les employeurs, pas simplement susceptibles de penser l'action du jeune comme un substitut à une main d'oeuvre qui n'aurait pas pu être recrutée par ailleurs, et le monde de l'éducation, qui doit envisager le lieu de formation que peut constituer l'entreprise comme un lieu dans lequel développer des compétences, des connaissances et dont les enseignants peuvent eux-mêmes s'inspirer. L'articulation entre le système éducatif et l'entreprise n'est pas spontanée ; elle est à créer. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi, lorsqu'il s'agit de développer l'apprentissage en France, c'est à l'Éducation nationale que le Gouvernement demande d'accomplir l'effort majeur. Je ne comprends pas pour quelle raison nous ne cherchons pas à capitaliser sur les outils existants, qui ont pourtant été développés en partenariat avec les entreprises. Tous les jours, les CFA doivent se battre contre les préjugés, qu'ils émanent des entreprises - qui peuvent avoir une perception « court-termiste » de la compétence, et ainsi embarquer le jeune dans une vision qui ne permette pas réellement de développer son employabilité - ou des enseignants - qui envisagent la relation avec l'entreprise sous l'angle de l'exploitation.

Par ailleurs, la question n'est pas tant celle de la cohabitation entre deux systèmes, que celle de l'articulation, de la dialectique entre la situation de travail et la situation de formation. Faire en sorte qu'elles se nourrissent l'une l'autre est un défi permanent. Pour atteindre l'objectif de 500 000 apprentis, nous devrons investir là où des graines ont déjà été plantées, comme le souligne le rapport de l'IGAS 4 ( * ) . Les dispositifs sont complémentaires.

Mme Myriam LEVAIN. - Vous êtes donc optimiste quant aux réalisations possibles en France.

M. Patrice GUÉZOU. - Il est devenu naturel, pour tout étudiant en école de commerce, de réaliser un parcours à l'étranger dans le cadre de son parcours de formation. Nous militons en faveur « d' Erasmus+ » et des systèmes articulés d'apprentissage. Aucune raison ne justifie que la mobilité internationale soit réservée aux titulaires d'un bac+5. Des rendez-vous doivent être pris pour faciliter les parcours entre la France et l'Autriche, au titre de l'apprentissage.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Guisembert, je vous cède la parole avant de recueillir les questions de la salle.

M. Michel GUISEMBERT. - J'ai milité pour la conservation du terme « apprenti ». La notion d'apprendre, ou d'apprenti signifie « prendre auprès de ». Cette relation entre les personnes qui savent et celles qui veulent apprendre est fondamentale.

Quel plaisir de voir, au travers de la possession d'un métier, de l'apprentissage d'un métier et de son perfectionnement, la passion que cela peut susciter ! J'ai rencontré tellement de personnes, fortement diplômées, s'ennuyer profondément dans leur activité quotidienne qu'il me semble indispensable de permettre à quelqu'un de pratiquer son métier avec passion. Nous devons diffuser un véritable message d'espoir à la jeunesse. « Travail » est un mot barbare - puisqu'il désigne littéralement l'outil de torture dans lequel l'on ferrait les chevaux et les boeufs. Pourtant, ce mot « travail », de même que le mot « métier », a une noblesse. Nous devons donc défendre ces mots « métier », « ouvrier », « travail ». Ces mots, qui font notre quotidien, sont des mots par lesquels construire sa vie, se construire, s'épanouir, transmettre, et réussir sa vie.

Les jeunes, qu'ils soient de la génération Y ou Z, ne sont pas si compliqués. Pour réussir, il faut un projet, un challenge et aussi une règle. Les jeunes sont demandeurs d'un cadre. Il faut aussi un accompagnement. L'on ne peut réussir seul. C'est pourquoi nous devons leur délivrer un accompagnement adapté. Il faut aussi une reconnaissance. Peu importe nos responsabilités, nous avons besoin de cette reconnaissance. Il faut aussi de la confiance. Les jeunes d'aujourd'hui ont besoin qu'on leur fasse confiance. Enfin, nous avons besoin d'émotion. Tous ces ingrédients sont réunis dans les Olympiades des Métiers. Nous avons besoin de communier sur quelque chose qui nous fait vibrer ensemble.

Mme Myriam LEVAIN. - Monsieur Trillard souhaitait poser une question à nos intervenants.

M. André TRILLARD. - Je poserai trois questions. L'Autriche organise-t-elle des actions médiatiques particulières pour promouvoir la connaissance de la vie de l'entreprise ?

Ma deuxième question s'adresse à Madame Römer et Monsieur Guisembert. Les travaux que vous effectuez dans le cadre de WorldSkills et EuroSkills bénéficient-ils d'une couverture médiatique suffisante ?

Par ailleurs, le métier de la cuisine est fortement médiatisé en France, à travers différents concours. Cette médiatisation a-t-elle eu des répercussions en termes de recrutement ?

Enfin, je tenais à préciser que le travail pour les chevaux permettait d'éviter les coups de pied mortels dans 5 % des cas.

Mme Renate RÖMER. - La Business week , destinée aux enfants, est organisée selon des modalités différentes dans les divers Länder . Nous organisons par ailleurs un salon destiné à apporter des informations sur l'ensemble des cursus, quel que soit le secteur. Par cette action conjuguée du secteur économique et de l'enseignement, nous parvenons à délivrer des informations très complètes au public. Les enseignants se rendent dans les entreprises avec leurs élèves. Nous essayons vraiment de coopérer le plus tôt possible et le plus loin possible.

Pendant très longtemps, l'Autriche a fait tout ce qui était en son pouvoir pour capter l'attention des médias. Pour ce faire, il faut des moyens. Si le résultat est souvent revendiqué par beaucoup de gens, en revanche, en cas d'échec, un bouc émissaire est désigné. S'agissant d'EuroSkills, nous avons désormais la possibilité de réaliser un reportage sur le déroulement du concours et la cérémonie de clôture, que la télévision a diffusé en première partie de soirée. Les lauréats ont été reçus par le Président autrichien. Cependant, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Je souhaiterais que les métiers de la cuisine soient présentés aux jeunes, mais la télévision autrichienne n'a pas encore formulé de proposition en ce sens.

M. Michel GUISEMBERT. - Nous pouvons nous féliciter du grand nombre d'émissions consacrées à la cuisine ou à la pâtisserie. Pour autant, il ne faut pas tromper les jeunes. Le système de médiatisation est extrêmement compliqué en France. Bien que nous ayons recensé 367 articles et émissions portant sur l'organisation de la finale d'EuroSkills à Lille, nous ne pouvons que regretter que les grandes chaînes nationales n'aient pas assez communiqué sur cet événement. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec Madame Najat Vallaud-Belkacem lors de sa venue à Lille. Elle se demandait pourquoi cet évènement n'était pas davantage médiatisé. Je lui ai répondu que c'était de sa faute - car les médias couvriraient davantage cet évènement si la ministre y assistait. Nous essayons de capter les grands médias, mais les responsables de chaînes accordent une grande importance à l'audimat.

Enfin, je souhaiterais évoquer un sujet qui me met en colère. La jeunesse qui travaille, la jeunesse qui va bien n'intéresse personne. C'est pourquoi nous devons assumer un rôle d'ambassadeurs de l'apprentissage. J'avais souhaité que la formation professionnelle des jeunes soit reconnue comme grande cause nationale pour 2015, car cela nous aurait permis de bénéficier d'une couverture médiatique.

M. Robert del PICCHIA. - Je souhaiterais apporter un témoignage. Avant d'être sénateur, j'ai aidé un Autrichien à réaliser un film. L'occasion m'a ainsi été donnée de visiter une usine de fabrication de véhicules de pompiers. J'y ai alors appris bon nombre de choses. Par la suite, en tant que sénateur, j'ai effectué un stage chez Michelin. Monsieur Croppi, vos propos sont très justes. L'apprentissage consiste à apprendre aux côtés de quelqu'un. Lors de ma visite de l'usine, deux personnes m'ont appris à fabriquer un pneu. J'en ai été très fier - je rassure tout le monde, ce pneu n'a pas été mis en vente. Apprendre quelque chose, aux côtés de quelqu'un, est une réussite.

Une participante. - En tant que vice-présidente en charge de l'apprentissage en Pays-de-la-Loire, j'ai beaucoup travaillé sur la notion de « parcours » et d'aller-retour entre la voie de l'apprentissage et la voie dite « scolaire ». Au travers des Olympiades des Métiers, à l'occasion desquelles j'ai attrapé le virus comme vous tous, il m'est apparu que ces jeunes en situation d'excellence ont souvent commencé leur parcours par un échec scolaire en 3 ème , avant de grimper les échelons. Lorsque la confiance s'installe, l'on permet au jeune d'aller plus loin. Cependant, les allers-retours doivent demeurer possibles. Lorsqu'un jeune passé par l'université redevient boulanger ou menuisier, cela ne doit pas être considéré comme un échec. Il faut véritablement favoriser l'individualisation des parcours.

Vous êtes tous amenés à participer à des forums européens. Une fluidification des parcours d'apprentissage à l'étranger me paraît nécessaire. Tout le monde y gagnera. Enfin, nous avons peu parlé des maîtres d'apprentissage, dont le rôle est fortement valorisé en Allemagne et en Autriche. Le tutorat permet de valoriser dans l'entreprise des personnes qui ne sont pas chefs d'équipe, mais aptes à transmettre leur savoir. Je souhaiterais savoir de quelle manière vous appréhendez ce rôle de tuteur. Je vous remercie.

M. Dieter SIEGEL. - Il importe de bâtir une offre aussi large que possible. S'agissant de l'offre existante, il convient d'examiner les voies professionnelles auxquelles mène l'apprentissage et de vérifier si les jeunes ont la possibilité d'être réinsérés par la suite dans le système scolaire. En matière d'apprentissage, un parcours de trois ans me semble suffisant pour permettre aux jeunes d'acquérir une compétence professionnelle, tout en leur réservant la possibilité de s'orienter dans une autre voie. Il ne faut pas donner aux jeunes l'impression de se décider à 15 ans de manière définitive pour toute la vie.

M. Peter MITTERBAUER. - Je souhaiterais souligner la fierté que retire l'entreprise de sa participation à l'apprentissage. Les jeunes ont eux-mêmes le sentiment de participer à une démarche qui fait sens, plutôt que d'être assis sur les bancs de l'école. Si l'on répète à un jeune « Tu es trop jeune, tu es trop petit, tu n'y arrives pas, tu ne sais pas faire », il n'y arrivera pas. En revanche, si on lui accorde le droit à l'erreur, tout en croyant à sa réussite, il y parviendra.

En Autriche, trois à quatre années de formation en apprentissage coûtent en moyenne 40 000 euros par apprenti, mais celui-ci perçoit une rémunération pendant la durée de son apprentissage (600 euros la première année et 1 400 euros la dernière année). Sa carrière débute en tant que salarié qualifié et il perçoit un salaire brut de 2 500 euros environ par mois. Ce salaire est supérieur à celui d'une personne qui aurait suivi une formation de cinq ans dans le milieu scolaire, et qui pourra tout juste espérer obtenir un emploi. Cette incitation financière devrait permettre aux jeunes de s'orienter vers l'apprentissage. Les apprentis formés dans notre entreprise deviennent bien souvent des cadres et des personnages clés de l'entreprise.

Mme Myriam LEVAIN. - Nous allons conclure cette matinée très riche. Je tiens à remercier tous les intervenants de cette deuxième table ronde particulièrement intéressante, avant de laisser la parole à Monsieur André Trillard puis Monsieur Gérard Larcher, Président du Sénat.

CLÔTURE

M. André TRILLARD

Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Autriche du Sénat,

Sénateur de la Loire-Atlantique

Je tiens tout d'abord à vous remercier, Madame Myriam Levain, d'avoir animé avec une telle qualité l'ensemble de nos débats.

Je remercie également Madame l'Ambassadeur et ses collaborateurs, ainsi que tous les participants. Les échanges pourront se poursuivre.

Je salue aussi, en tant qu'ami, le Président d'Erasmus France, aujourd'hui présent à qui, je l'espère, profitera sans doute cette rencontre.

Enfin, je tiens à souligner à quel point je suis touché par la venue de Monsieur Gérard Larcher, Président du Sénat et ancien ministre du Travail, qui est très attaché à ces sujets.

Mon cher Président, je vous cède la parole.

M. Gérard Larcher

M. Gérard LARCHER - Président du Sénat

Monsieur le Président,

Cher André Trillard,

Madame l'Ambassadeur,

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Le titre que vous avez choisi pour ce colloque est éloquent : « Valoriser l'apprentissage : un succès autrichien, un défi français ». Ce colloque illustre aussi ce que doivent être nos groupes d'amitié au Sénat. Ces groupes favorisent évidemment les liens parlementaires entre nos assemblées, mais aussi essaient de s'enrichir mutuellement dans le cadre de ce que nous avons en partage, et notamment au sein de l'Union européenne. Une Union européenne, qu'il est coutumier de faire en quelque sorte « l'agneau du sacrifice d'Abraham », mais que nous aurions intérêt à valoriser tous ensemble.

« Succès autrichien » : nous savons que votre système dual permet d'obtenir de bons résultats. Pour un ministre du Travail, regarder vos courbes est un élément de rêve. Même si j'ai connu des périodes heureuses avec Jean-Louis Borloo, caractérisées par un taux de chômage autour de 7 %, nous connaissions une réalité, qui est également celle de l'Europe du Sud : un taux de chômage des jeunes toujours 2,5 fois supérieur au taux de chômage national. Nous avions essayé de très nombreux dispositifs. Je fus même le ministre d'un « contrat première embauche », c'est-à-dire le ministre qui a connu le plus grand nombre de manifestations dans la rue. Ce contrat était une tentative de s'extraire d'un système si protecteur - en tant que gaulliste social, je ne suis pas suspect d'être tellement réactionnaire - qu'il protège les protégés, tout en exposant deux segments : les jeunes lors de leur entrée dans le monde du travail et les aînés, dans une sortie extrêmement rapide du monde du travail. C'est un défi bien français.

Si en Autriche, près d'un jeune sur deux suit le chemin de l'apprentissage, il n'y en a qu'un sur dix en France. En outre, 140 000 jeunes sortent chaque année du système sans formation et sans qualification. Depuis l'année 1979, ce chiffre est invariable, que nous ayons ou non unifié le collège, ou encore mené 80 % d'une classe d'âge vers le baccalauréat. D'après le rapport de Raymond Barre remis à l'époque à Valéry Giscard d'Estaing, comme le rapport que j'ai remis à Nicolas Sarkozy en 2012, la réalité est la même. Cela signifie que l'approche de l'intégration, par l'Éducation nationale, ne connaît malheureusement pas un succès à la hauteur des investissements.

Ce matin, vous avez écouté l'intervention de Monsieur Rudolf Hundstorfer et bénéficié des lumières de celui qui m'a succédé à ce ministère, Xavier Bertrand. Vous avez partagé une statistique terrible : en France, aucun ministre n'est issu de l'apprentissage, contre quatre en Autriche. L'un de mes prédécesseurs au Sénat était lui-même issu de l'apprentissage. Monsieur  René Monory, à qui je dois beaucoup et qui m'a beaucoup appris, était en effet apprenti mécanicien. Il a donc été le deuxième personnage de la République. Chez nous aussi, l'apprentissage doit ouvrir des possibilités au même titre que les autres formations.

Vous avez choisi de centrer vos échanges sur la revalorisation de la place et du rôle de l'apprentissage dans la société et sa contribution à un défi, qu'est celui de la ré-industrialisation de l'Europe. Alors que la croissance américaine est repartie, la croissance européenne est aujourd'hui très médiocre. Elle représente un défi, qui passe aussi par un défi industriel - sur lequel nous avons tous plus ou moins perdu du terrain. Ces deux thèmes se situent au coeur des enjeux auxquels nous sommes confrontés.

J'espère que la présentation de nos réformes et initiatives en France a pu vous être utile. Avec Jean-Louis Borloo, nous avions pour objectif de mener 500 000 jeunes vers l'apprentissage. Nous en sommes loin malheureusement, mais je crois que ce colloque est l'occasion de réfléchir au système dual et à la reconnaissance particulière que vous accordez à l'apprentissage. Ce devrait être une voie de l'excellence, mais ne l'est pas encore. Attachés que nous sommes, non loin de la Sorbonne, aux humanités - qui sont parfois la marque de notre société - nous opposons souvent humanité et habileté. Comme l'évoquait Monsieur Guisembert à l'instant, il est vrai que dans notre médiasphère et notre politico-sphère, la formation par l'alternance ne bénéficie pas de la place qui devrait lui être attribuée. Il est vrai aussi que notre immense « super-tanker » - l'Éducation nationale - a eu quelques difficultés à lui accorder toute sa place. Cette question sera posée à partir de la semaine prochaine, dans le cadre du débat parlementaire relatif à la réforme des territoires. Qui se préoccupe de la formation professionnelle ? Sont-ce les régions, ou faut-il continuer de confier cette responsabilité au seul État ?

Je souhaiterais poser deux questions structurantes, que vous pourrez emporter dans vos bagages. Première question : faut-il réduire la place de l'Éducation nationale dans la définition des formations ? N'appartient-il pas aux branches professionnelles et aux entreprises d'être responsables de la définition des diplômes ou des certifications professionnelles ? Cela n'exclut pas - comme l'a abordé Madame l'Ambassadeur - les passerelles. Votre force, comme celle de l'Allemagne, réside dans la capacité de passer d'un système à l'autre. En n'opposant pas humanités et habileté, l'on construit des femmes et des hommes capables d'être des citoyens complets et entièrement formés. L'un des moyens de lever les préjugés en France consiste à faire de la formation duale un moyen de favoriser le dialogue entre l'école et les entreprises.

Deuxième question : le système de financement en France est-il adapté à l'apprentissage ? Comme l'illustre le rapport que j'ai remis en 2012, l'essentiel de la taxe finançant l'apprentissage ne bénéficie pas aux niveaux IV et V. En fait, nous finançons une partie de la formation supérieure avec la taxe prélevée sur les entreprises - lesquelles ne forment pas la totalité des salariés des entreprises. La question du maintien de la taxe d'apprentissage mérite également d'être posée : n'est-ce pas un dispositif obsolète ? Parfois, les entreprises ont l'impression que ce n'est qu'une taxe de plus, qui ne donne lieu à aucun retour. N'appartiendrait-il pas aux entreprises de financer directement la formation ?

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Madame l'Ambassadeur,

Vous voyez que l'on peut être Président du Sénat et ne pas avoir tout à fait oublié les nécessités de la formation des hommes et des femmes. Un taux de chômage des jeunes proche de 25 % soulève la question de la société. Au-delà de la dimension économique, la cohésion sociale est en cause quand un quart d'une grande classe d'âge se trouve exclue « du sentiment d'être utile aux autres ».

En tout cas, je remercie l'initiative prise par le groupe d'amitié France-Autriche, à travers son Président André Trillard. Madame l'Ambassadeur, je vous prie de remercier tous les participants venus d'Autriche, que je salue personnellement. Vous me disiez à l'oreille « Il n'y a pas que des grands pays comme l'Allemagne ». Votre expérience est tout à fait intéressante, de par sa dimension de proximité et d'humanité - qu'il nous faut retrouver en ces temps de difficultés.

Merci à tous.

MM. Robert del Picchia et André Trillard


* 1 CAP Certificat d'aptitude professionnelle

* 2 BEP Brevet d'études professionnelles

* 3 CSA Contribution supplémentaire à l'apprentissage

* 4 IGAS Inspection générale des affaires sociales

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