TABLE RONDE 1 - LES DÉFIS LIÉS À L'AGRICULTURE ET À LA GESTION DE LA RESSOURCE FORESTIÈRE

Ont participé à cette table ronde :

Mme Jacqueline SULTAN, Ministre de l'Agriculture de Guinée
M. Roland PORTELLA, Président de la coordination pour l'Afrique de demain
M. Yvon COLLIN, Sénateur du Tarn-et-Garonne, co-auteur avec Mme Fabienne KELLER, du rapport d'information au nom de la commission des finances du Sénat sur les financements en matière de lutte contre le changement climatique en faveur des pays les moins avancés
M. Jean-Luc FRANÇOIS, Chef de la division Agriculture, développement rural, biodiversité à l'Agence française de développement

Mme Cécile BARBIÈRE, journaliste multimedia - Nous ouvrons cette première table ronde sur les défis liés à l'agriculture et à la gestion de la ressource forestière. Ces sujets multiples peuvent paraître parfois contradictoires en Afrique. Comment assurer l'indépendance alimentaire d'un continent qui connaît une croissance démographique galopante, tout en développant une agriculture durable et respectueuse du climat ? Comment sauvegarder la ressource forestière, alors que les terres agricoles empiètent sur les forêts africaines qui sont, en outre, des puits de carbone importants et le poumon de la planète ? Agriculture et forêt sont des responsables importants des émissions mondiales de gaz à effet de serre -la déforestation et l'agriculture représentent 24 % des émissions mondiales-, mais elles font également partie de la solution.

Madame Jacqueline Sultan, votre pays fait partie des pays africains qui ont soumis une contribution ambitieuse dans le cadre de la COP21 visant notamment à réduire de 13 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030. Comment relèverez-vous ce défi ? Quelles actions mettrez-vous en place, en particulier dans les domaines agricoles et forestiers ?

Mme Jacqueline SULTAN - Je vous demande de m'excuser car je ne serai pas très prolixe sur ce débat car je reviens de New Delhi.

La Guinée est riche en ressources naturelles. Elle est considérée comme un puits de carbone, grâce à ses ressources forestières, et abrite plus d'un millier de cours d'eau, notamment quatre des principaux fleuves de l'Afrique de l'Ouest. Ces ressources sont gravement menacées par le changement climatique et la pression pourrait s'accroître du fait des flux de populations régionales. En effet, la situation géographique de la Guinée pourrait en faire un refuge pour les populations des pays sahéliens du nord, en particulier les éleveurs pastoraux, plus gravement touchés par la sécheresse et la modification des régimes pluviométriques. De plus, la Guinée possède plus du tiers des réserves de bauxite de la planète.

Pour contribuer le plus efficacement possible à son développement durable et à celui de ses voisins, la Guinée souhaite être un pays stabilisateur de la sous-région à l'horizon 2030, en préservant et valorisant ses ressources hydriques, en s'efforçant de rester un puits de carbone et en exploitant ses ressources de manière raisonnée, ainsi qu'en intégrant davantage les enjeux climatiques dans le plan de transhumance régionale. Pour réaliser cela, plusieurs pistes sont envisagées, dont celle du développement des énergies renouvelables, de l'amélioration de l'efficacité énergétique, celle de la diminution de la pression sur les forêts par la mise en oeuvre d'une gestion durable des ressources forestières et des terres, ainsi que la piste du développement et de l'amélioration des pratiques agricoles et pastorales adaptées au changement climatique.

Le climat est actuellement propice à l'agriculture, avec notamment une pluviométrie de 1 200 millimètres par an au nord et au nord-est et de 4 000 millimètres à Conakry. La Guinée est exposée et sensible au changement climatique et ne dispose que de peu de capacités d'adaptation. Elle est en particulier affectée par l'augmentation des températures, la baisse des précipitations moyennes annuelles et la modification de la fréquence et de la répartition annuelle des précipitations. L'élévation de près de 80 centimètres du niveau de la mer est prévue d'ici 2100. Ces nouvelles conditions climatiques pourraient générer des conséquences négatives pour de nombreux secteurs. Toutefois, la Guinée devrait continuer à bénéficier de conditions climatiques plus favorables que ses voisins du nord et pourrait devenir un lieu de transhumance des troupeaux sahéliens plus important, ce qui est susceptible de générer des conflits sur l'usage des terres.

Dans le cadre de l'adaptation aux conséquences locales du changement climatique, la Guinée s'engage à préserver la qualité et la quantité des ressources en eau, au bénéfice des populations. Les actions prioritaires concernent :

- la préservation et la restauration des têtes de sources et des berges, en particulier sur les cours d'eau transfrontaliers ;

- la préservation des berges et du lit des cours d'eau nationaux et transnationaux ;

- la recherche d'alternatives aux activités d'usage et de prélèvement dégradant la qualité des eaux (fabriques de briques, dragage des lits pour la recherche des minerais) ;

- l'intégration du changement climatique dans les cadres institutionnels et juridiques ;

- l'aménagement des bassins versants transfrontaliers ; la mise en place d'un système de suivi hydroécologique des fleuves internationaux.

La zone côtière est la première zone économique de la Guinée, qui abrite 38 % de la population, joue un rôle fondamental dans les secteurs agricoles et énergétiques et contribue à hauteur de 24 % à la production nationale de riz. Le potentiel de terres agricoles du littoral est de 1,3 million d'hectares, dont 380 000 sont cultivés chaque année. Des cultures diverses sont pratiquées en arrière-mangrove. Plus de 140 000 hectares sur les 385 000 hectares de mangrove ont été convertis en rizière. La mangrove fournit 60 % de l'énergie domestique de la capitale et des principales villes du littoral. La zone côtière est donc particulièrement vulnérable au changement climatique, en raison de l'élévation du niveau de la mer et de l'intensification de l'érosion sur les côtes.

L'île de Kabak, à forte intensité de culture, a subi une marée centennale exceptionnelle qui a détruit une digue de 2,8 kilomètres, engendrant une catastrophe pour les producteurs de riz de cette île. Nous vivons donc déjà la vulnérabilité sur la zone côtière. À l'époque de Dumez, deux kilomètres de dunes avaient déjà disparu, car cette île n'a aucun moyen de s'adapter, en raison de sa position face à l'océan.

En outre, l'urbanisation anarchique due au non-respect du code foncier s'ajoute aux impacts du changement climatique. Nous nous engageons à mettre en place des mesures nécessaires à la protection, la conservation et à la gestion des écosystèmes, la redynamisation des activités économiques et le renforcement de la résilience des populations des zones côtières. Nous nous engageons également à accompagner les efforts d'adaptation des communautés rurales par des systèmes alternatifs et des techniques agro-sylvo-pastorales pour que ces populations puissent poursuivre leurs activités, tout en préservant les ressources naturelles.

Les moyens financiers nécessaires à ces adaptations sont colossaux, et parfois hors de portée de nos budgets de développement. Dans l'hypothèse d'une élévation des températures de deux degrés, le budget augmenterait de 670 millions de dollars. Sur le seul engagement des ressources en eau, le budget pourrait s'élever à près de 300 millions de dollars entre 2015 et 2020 pour les trois bassins versants internationaux. La Guinée aura donc besoin de l'accompagnement des pays du Nord, qui sont les principaux pollueurs.

Au sujet de l'atténuation, nous nous engageons à produire 30 % de l'énergie hors bois énergie, par des énergies renouvelables. La Guinée a pour ambition de mettre en service des centrales hydroélectriques de 1 650 mégawatts (contre 127 mégawatts en 2011), de produire 47 mégawatts supplémentaires par énergie solaire et éolienne, d'accroître l'offre en biocarburants et biogaz. Le potentiel d'atténuation de cet engagement est évalué à 34 000 tonnes de CO2 cumulées pour les quinze prochaines années.

Nous soutenons également la diffusion de pratiques économes ou alternatives au bois d'énergie et de charbon. Le potentiel d'atténuation de cet engagement est évalué à 23 000 tonnes de CO2 cumulées pour les quinze prochaines années. Nous avons donc pour objectif d'améliorer les performances énergétiques de l'économie guinéenne en doublant notamment le rendement de la production d'électricité d'ici 2030.

Mme Cécile BARBIÈRE - Nous aborderons ces sujets dans la deuxième table ronde.

Monsieur Roland Portella, vous êtes président de la Coordination pour l'Afrique de demain. L'association des communautés rurales dans la lutte contre le changement climatique est fondamentale. Qu'en est-il aujourd'hui ?

M. Roland PORTELLA - Ce sujet est complexe et vaste. Je l'illustrerai par quelques anecdotes frappantes.

Je me suis rendu avec des entrepreneurs, des consultants et des bailleurs de fonds quelques années auparavant sur un territoire pour évoquer une politique de gestion durable des forêts. Nous devions travailler sur des stratégies de développement et la gestion des connaissances de benchmarking . Les populations locales - des peuples pygmées - nous disaient qu'elles étaient ahuries que nous venions de loin pour mettre en place des pratiques de gestion durable des forêts sans même regarder les savoir-faire locaux. En effet, depuis des millénaires, ces pygmées géraient leur environnement, malgré une déforestation massive qui déstructure leur vie. Ils nous proposaient de venir voir ce qui se pratiquait sur place et d'adapter ces pratiques par la suite avec des technologies modernes, pour créer des parcs nationaux ou des programmes d'aménagements forestiers.

La forêt représente 6 % du PIB africain, mais a le potentiel d'en représenter 15 % dans les trente années à venir car la valorisation de ce capital est actuellement insuffisante. 40 millions de personnes vivent dans les forêts en Afrique et ont besoin qu'on s'occupe d'elles.

Toutefois, certaines politiques publiques ont été néfastes. En particulier, la politique de modernisation du Président Houphouët-Boigny a réduit la surface des espaces forestiers de la Côte d'Ivoire de 16,5 millions d'hectares à environ 3 millions en trente ans. Le Premier ministre a essayé de faire venir à la table des réflexions le monde paysan et le monde industriel, car cela génère des conflits et des problèmes de sécurité et de santé.

La déforestation est principalement due à des cultures extensives et intensives de café et de cacao, dans le cadre de la politique de développement agricole. Il convient de parvenir à concilier la croissance économique, la gestion durable des forêts et la préservation des vies des populations. La forêt est, en effet, un capital naturel à préserver à long terme. De nombreux politiques tentent de mettre en place des techniques agroforestières pour inciter les paysans et les entreprises forestières à planter des arbres. Toutefois, les besoins en financement de ces politiques d'agroforesterie sont évalués, par exemple, à 200 millions de dollars au Congo-Brazzaville, ce qui dépasse les moyens de l'Etat.

Les plans d'aménagement forestier permettent de gérer durablement les forêts. Toutefois, dans le bassin du Congo, qui est le deuxième poumon écologique de la planète, avec des capacités de puits de carbone énorme, sur 200 millions d'hectares de forêts, seuls 5 millions font l'objet de politiques de gestion durable des forêts.

Les diverses parties prenantes sont donc en conflit. La cartographie des risques montre que le dialogue avec les populations locales est déterminant, celles-ci ne voulant plus se laisser faire. Le rôle de l'État en matière de gouvernance foncière est donc primordial. Il semble cependant qu'il n'existe pas de véritable stratégie à long terme. Dans les filières bois et forêts, le rôle véritable de l'État est mal connu, si ce n'est un rôle de gendarme. Dans les États africains ayant de fortes ressources en bois et forêts, la montée en gamme des compétences est trop faible, parce que les instituts techniques ne sont pas suffisants. Peu de jeunes arrivant sur le marché de l'emploi souhaitent travailler dans le secteur de l'exploitation des ressources naturelles, alors que les compétences manquent en la matière. Des concessions forestières sont données à des entreprises asiatiques, qui viennent avec leurs contingents de compétences pour couper le bois et commencer sa transformation. Le Gabon, le Ghana et la Côte d'Ivoire sont les pays leaders en exploitation du bois.

La question de la transformation est structurelle : quel est le rôle de l'Etat dans les chaînes de valeur des activités de bois et forêts ? Des instituts techniques doivent être créés. La mécanisation de la transformation du bois doit s'accroître. Le rôle des ministres chargés des eaux et forêts est minime, compte tenu de l'ampleur du sujet, qui concerne également des questions industrielles de sécurité et de droit des populations. Les ministères doivent non seulement avoir les compétences techniques nécessaires, mais être aussi des ministères régaliens.

Mme Cécile BARBIÈRE - Vous avez rappelé tous les deux que le financement est fondamental dans la lutte contre le changement climatique.

Monsieur Yvon Collin, vous êtes un spécialiste des financements relatifs au climat et vous avez publié un rapport avec votre collègue Mme Fabienne Keller, au nom de la commission des finances, intitulé « Financement Climat : n'oublions pas les pays les plus pauvres » appelant à ne pas oublier les pays les moins développés dans leur affectation. Disposons-nous des financements nécessaires pour faire face au défi qui concerne l'Afrique ?

M. Yvon COLLIN - Je vous prie d'excuser Mme Fabienne Keller, retenue par une obligation à Strasbourg. Je remercie le Président Legendre d'avoir pris l'initiative de ce colloque, qui s'inscrit dans la perspective de la Conférence Paris Climat.

Nous espérons que la Conférence des Parties aboutira à un accord international responsable et contraignant. Notre avenir est hypothéqué par un changement climatique incontestable sur lequel nous devons agir de manière urgente.

L'Afrique fait face à trois défis, dont en premier lieu, le défi démographique, avec deux milliards d'habitants attendus en 2050, et son corollaire, le défi alimentaire. Bien qu'elle ait triplé au cours des quarante dernières années, la production agricole a été plus dynamique en Chine et en Inde qu'en Afrique. S'agissant du défi énergétique, le Sénat a voté une proposition de résolution pour encourager l'électrification du continent africain nécessaire au développement économique.

Ces enjeux posent le problème de la soutenabilité environnementale. L'Afrique devra augmenter fortement son potentiel agricole pour répondre à la demande alimentaire. Il est, en outre, nécessaire de développer une agriculture intelligente qui n'épuise pas les ressources naturelles et qui puisse s'affranchir des aléas climatiques qui se multiplieront. Les deux solutions possibles résident dans une extension des surfaces cultivées ou une hausse des rendements ; ces deux solutions auront des incidences écologiques. L'extension des terres contribue, en effet, au changement climatique lorsqu'elle s'exerce au détriment de la forêt. La hausse des rendements a, quant à elle, des conséquences sur l'eau, sur les sols et sur la biodiversité. Tous les systèmes sont intéressants tant qu'ils valorisent pleinement les biens environnementaux. Le défi agricole est avant tout le défi de l'innovation et donc de l'investissement. Il en est de même pour le défi climatique. Le financement du climat doit donc être à la hauteur des enjeux.

Avec nos amis africains, nous devons résoudre la délicate équation qui conjugue le développement économique et les impératifs environnementaux. En tant que rapporteur spécial du budget de l'aide publique au développement à la commission des Finances, je dois m'assurer que l'action de l'État vise les bonnes priorités. La politique française de développement a bien intégré les objectifs relatifs au changement climatique. En particulier, l'AFD s'est dotée de sa propre stratégie climat. Elle porte la majeure partie des financements climat de la France. En 2007, les engagements annuels s'élevaient à 660 millions d'euros par an, et à 2,5 milliards d'euros actuellement.

Toutefois, les priorités géographiques devraient se concentrer davantage sur les pays les moins avancés. Les PMA ne sont, en effet, pas des émetteurs importants, mais ils sont principalement concernés par les effets du changement climatique. Au Sénégal, on observe depuis plusieurs années une chute des productions agricoles due à la salinisation des terres et à la baisse de fertilité des sols engendrés par le dérèglement pluviométrique et l'élévation du niveau des mers. Il est parfois nécessaire d'adapter les pratiques agricoles au nouveau contexte climatique. Nous avons visité un projet d'irrigation de cultures rizicoles dans le département du Podor, qui pallie la plus grande variation de la pluviométrie. Le Sénégal a, par ailleurs, l'objectif de réaliser son autonomie en riz.

Les PMA sont prêts à fournir des efforts sur leurs propres émissions, à condition que les pays développés s'engagent à diminuer les leurs. Les engagements financiers de la Conférence Paris Climat seront donc un signal fort.

Au sujet des financements, les PMA préféreraient un accès direct aux financements et non par le biais de structures multilatérales ou bilatérales. Ils privilégient les financements concernant l'adaptation au changement climatique plutôt que l'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Ils considèrent que les financements en matière de lutte contre les changements climatiques doivent s'ajouter aux financements classiques annoncés dans le cadre des aides publiques au développement, et non s'y substituer.

Nous avons présenté un rapport devant la commission des Finances du Sénat qui indique que la situation particulière des PMA doit être prise en compte dans la politique climat de la France. Entre 2007 et 2014, les financements en matière d'adaptation n'ont représenté que 12 % du total des moyens. Ce déséquilibre au profit des actions d'atténuation prive les PMA de nos financements climat. Il est donc nécessaire de compléter les objectifs de la France en matière de financement climat par, d'une part, un objectif d'aide destinée aux PMA, et d'autre part, un objectif d'adaptation aux conséquences du changement climatique, tous deux à l'horizon 2020.

Nombre de sénateurs plaident régulièrement pour une taxe sur les transactions financières, dont le produit serait partiellement affecté à l'aide publique au développement. Toutefois, certains États membres y sont réticents. Le marché européen a, en outre, des quotas carbone qui pourraient représenter une autre source de financement. Les transports aériens et maritimes pourraient également être mis à contribution et intégrés dans le système européen des quotas.

Sans inflexion forte en matière de ressources, nous n'aurons pas les moyens d'aider les PMA à s'adapter, ce qui accentuera notamment la pression migratoire. Le défi climatique est donc un nouveau paramètre de l'équilibre entre le Nord et le Sud.

Mme Cécile BARBIÈRE - Monsieur Jean-Louis François, la question forestière est centrale, notamment en Guinée. M. Roland Portella nous a rappelé que la proportion du Produit intérieur brut africain provenant des ressources forestières pourrait atteindre 15 % en augmentant la valorisation. Comment équilibrer une agriculture climato-intelligente avec une conservation durable des ressources forestières en Afrique de l'Ouest ?

M. Jean-Luc FRANÇOIS - La forêt et l'agriculture ont de multiples relations, et il est intéressant de croiser ces sujets. Il faut, en premier lieu, prendre en compte la diversité des situations en Afrique. Il existe, en effet, « des Afriques », notamment en matière d'agriculture et de forêt. Il existe certes des forêts sèches sahéliennes mais aussi des forêts guinéennes ou du bassin du Congo. Des systèmes agraires extrêmement diversifiés sont, en outre, répartis sur l'ensemble du continent. Ils prouvent la capacité d'adaptation extraordinaire des paysans africains à des situations agroclimatiques extrêmement diversifiées. L'adaptation a donc toujours été la vie quotidienne des agriculteurs africains. Depuis les années 1970, les pays sahéliens ont connu de grandes sécheresses, mais les agriculteurs avaient déjà inventé des solutions d'adaptation considérables.

Il n'existe pas de dichotomie entre une agriculture destinée à produire des aliments et une forêt à protéger. Le système économique produit aussi de l'énergie en agriculture. Il existe une sylviculture, et la forêt est une opportunité de production d'énergie. En Europe, la logique de modernisation de notre mix énergétique nous conduit à redécouvrir le bois en tant qu'énergie, ce qui est aussi une option pour l'Afrique. Par ailleurs, l'Afrique possède des terres disponibles et des ressources en eau, qui lui permettent d'envisager une modernisation, y compris en sylviculture.

Les engagements des programmes nationaux d'investissements agricoles ou de sécurité alimentaire concernent la réduction des déficits commerciaux (autosuffisance alimentaire), notamment en prenant en compte la balance commerciale entre les exportations et importations, notamment de riz, et l'emploi. Il n'est pas incompatible d'investir dans l'agriculture ou dans la foresterie et de contribuer aux objectifs d'adaptation. Il est même possible de contribuer à l'atténuation, même dans des géographies où elle semble marginale. Au Sud du Niger, on constate ainsi un véritable reverdissement, lié au développement des parcs arborés, qui présentent un intérêt pour l'agriculture et fixent du carbone et de l'azote. Le Burkina Faso procède également à un reboisement du paysage pour obtenir du bois de feu. L'intensification, indispensable pour l'emploi des jeunes agriculteurs, suppose de traiter de la question de la fertilité des sols dans de nombreux pays ainsi que la gestion de l'eau. L'irrigation est primordiale et permet une amélioration de la productivité du travail et de la terre, y compris dans les vallées sèches du Niger. La fertilité des sols peut, en outre, être augmentée par une fertilisation organique, par l'augmentation du carbone dans les sols. L'utilisation des engrais minéraux sera d'autant plus efficace que la teneur en carbone organique des sols aura été augmentée de 4 % par an, ainsi que le recommande M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Certains pays d'Afrique peuvent atteindre des résultats supérieurs à 4 %.

La mobilité pastorale et des hommes, dans les terroirs et à travers les frontières, constitue un élément d'adaptation des agricultures et des systèmes agraires africains. On constate des meltings pots, communautés mélangées, qui se réunissent dans des zones où l'agriculture est plus facile. Cela suppose des politiques publiques d'accompagnement fortes. L'Afrique est diverse, y compris dans le peuplement, qui est parfois trop dense dans certaines zones, alors qu'il est possible de créer des exploitations agricoles dans d'autres zones. La gestion de mobilités sera un enjeu important, outre les transhumances.

D'une manière générale, en matière d'agriculture et de conservation de la biodiversité, des politiques agricoles d'intensification intelligentes (conseil agricole, financement de l'agriculture) sont nécessaires. Elles doivent être accompagnées de politiques territoriales et d'aménagement du territoire afin de choisir les zones d'accueil et d'exploitation, tout en préservant les ressources naturelles. Des politiques sous-régionales articulées seront également nécessaires.

Mme Cécile BARBIÈRE - S'agissant de l'irrigation, Madame Jacqueline Sultan, comment gérer la ressource en eau et la problématique de l'irrigation d'un point de vue régional ?

Mme Jacqueline SULTAN - L'irrigation reste une priorité dans l'approche de développement agricole de la Guinée. Le potentiel de terres irrigables s'élèverait à environ un million d'hectares, avec maîtrise partielle ou totale de l'eau. Notre agriculture est actuellement de type pluvial, et nous avons peu de terres irriguées. La politique actuelle consiste à développer la grande irrigation. Nous avons une multitude de petites terres humides dans la Guinée forestière à la frontière avec le Libéria et la Côte d'Ivoire, qui font l'objet d'aménagements et de maîtrise d'eau pour obtenir une agriculture annuelle, ce qui entraînera une augmentation de la production.

Des projets importants d'irrigation sont prévus sur les grandes plaines de Haute-Guinée, qui touchent les affluents du fleuve Niger. Ceux-ci auront un impact sur les pays traversés par ce fleuve. Cela nécessite donc des ententes entre les pays bénéficiaires. Le barrage de Fomi, à buts multiples, a l'objectif d'irriguer 100 000 hectares en Guinée mais aussi au Mali. L'État s'est engagé à réaliser des mégaprojets d'aménagements, ce qui permettra de maintenir des populations sur leurs territoires, en leur donnant la possibilité de cultiver des terres aménagées. Des barrages à but d'irrigation et de pêche sont installés. Le barrage de Koumdian à Mandiana ne couvre que 1 000 hectares sur une plaine de 18 000 hectares, mais il a entraîné l'arrivée des pêcheurs à l'activité inattendue.

La situation est plus compliquée pour les plaines d'arrière mangrove. Nous souhaitons une irrigation tous azimuts, cependant coûteuse. Nous demandons systématiquement une composante d'irrigation sur les barrages hydroélectriques.

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