II. LA COLONISATION, OBSTACLE À L'ÉDIFICATION D'UN ÉTAT

Mme Anat BEN NUN, Directrice du développement et des relations internationales du département « Colonisation » de l'ONG Peace Now

Mme Anat Ben Nun : Merci de m'accueillir. On m'a demandé de parler de la colonisation en général et de son expansion sous le gouvernement Netanyahou. Je vais donc tenter de vous fournir une vue d'ensemble de la situation sur le terrain et d'évoquer avec vous les tendances récentes de développement de cette colonisation. Avant de commencer, je souhaite me présenter en quelques mots. Je représente ici l'ONG Peace Now (La Paix Maintenant). C'est le plus ancien mouvement israélien qui fait pression sur le gouvernement pour aboutir à la paix. Nous voulons mobiliser des gens qui pensent que la création de deux États est la seule solution pour mettre fin au conflit israélo-palestinien, et faire comprendre qu'il nous faut envisager des compromis pour que les deux États voient le jour. Au fil des ans, nous avons pris conscience que la colonisation est l'obstacle principal à la construction de deux États, à l'aide de notre projet Settlement Watch qui étudie la colonisation. Nous analysons les évolutions dans les zones occupées et nous étudions, grâce à des enquêtes sur le terrain, au Freedom of Information Act , et à des publications ce que fait le gouvernement au-delà de la Ligne Verte. Nous en parlons au public israélien et aux parties prenantes afin qu'ils sachent que ces événements ont lieu et qu'ensuite ils puissent s'exprimer pour essayer de faire annuler certains plans, et réagir en général contre cette politique à grande échelle menée par le gouvernement israélien.

Je vais commencer par les implantations de colonies israéliennes. En voici un aperçu général. L'orateur précédent a déjà bien expliqué les fondements de la colonisation israélienne. Je vous montre donc juste quelques cartes qui vous dépeignent l'évolution, c'est-à-dire la progression du nombre d'implantations, de colonies et de colons depuis le début de l'occupation en 1967. Vous voyez que depuis les accords d'Oslo, le nombre de colons a beaucoup augmenté : aujourd'hui nous comptons environ 370 000 colons en Cisjordanie, selon le bureau central de statistiques d'Israël en 2014. A Jérusalem-Est, on compte un peu plus de 200 000 colons qui habitent dans différents types d'implantations, souvent dans des communautés juives au-delà de la Ligne Verte et des zones annexées par Israël, et qui, maintenant, selon Israël, font partie de la municipalité de Jérusalem à l'Est de la ville. Et puis quelques milliers de colons résident aussi dans des quartiers palestiniens pour essayer de faire changer l'équilibre de ces quartiers et de les « israéliser », si je puis dire. Il y a également des projets de tourisme idéologique à Jérusalem-Est. C'est une colonisation aussi parce que, par ces projets, l'objectif est d'augmenter le nombre d'habitants juifs israéliens dans des zones qui sont en fait des zones considérées comme palestiniennes. Dans ce cas-là, il sera beaucoup plus difficile pour les Israéliens de rendre ces zones, de les abandonner lorsque le moment sera venu d'envisager une solution de retrait.

Je suis certaine que mes collègues en parleront plus longuement, Daniel Seidemann notamment. Pour ma part, je vais plutôt me concentrer sur la situation en Cisjordanie.

Donc aujourd'hui, il y a plus de 570 000 colons au total. Nous allons maintenant mettre ces chiffres en perspective et considérer la population totale en Cisjordanie. Nous constatons un fort pourcentage de terres accaparées par les colons. Les colons de Cisjordanie représentent 12% de la population totale de Cisjordanie, mais ils ne représentent que 4% de l'ensemble de la population israélienne. Parfois on a l'impression et on craint que ces pourcentages soient plus élevés parce qu'on les entend beaucoup [ces colons NDLR], et qu'ils s'expriment fortement. En fait, ils ne représentent que 4% de la population israélienne, ce n'est donc pas à eux de déterminer le destin de l'État d'Israël.

Le chiffre qui est encore plus intéressant à étudier est le nombre de personnes qui devraient être évacuées dans le cadre d'une solution à deux États. Selon nos estimations, si nous avons bien compris ce que nous pouvons faire dans les limites d'une future frontière, (et il faut prendre pour base les frontières de 1967 avec des échanges de terres), le nombre de foyers à évacuer dans le cadre d'un accord se situe, à l'heure actuelle, entre 25 000 et 30 000. Pour nous, ce chiffre est tout à fait envisageable. Il est possible d'évacuer les colons sur la base notamment de ce qui s'est passé en 2005 avec le retrait de Gaza, mais également en se basant sur la capacité qu'a eu Israël d'absorber quasiment un million d'immigrants depuis dix ans, venant principalement de l'ancienne Union Soviétique. Donc sur la base de ces éléments, la solution à deux États est tout à fait envisageable, et c'est, selon moi, la seule solution pour que ce conflit prenne fin. Malheureusement, à l'heure actuelle, nous voyons qu'il n'y a pas de désir politique de suivre ce chemin. Mais cela ne veut pas dire qu'il ne verra jamais le jour. Néanmoins, ces 25 000 à 30 000 foyers, c'est un chiffre que nous avons à l'heure actuelle mais la population de colons va augmenter. Plus la population de colons augmentera, plus la solution sera difficile à trouver, et plus le prix sera élevé à payer, plus la situation sur le terrain sera complexe pour envisager une solution à deux États.

Je souhaiterais maintenant parler de la colonisation pendant le gouvernement Netanyahou pour tenter d'expliquer ces augmentations de population depuis son arrivée au pouvoir. Le Premier ministre parle de manière différente de la solution à deux États selon qu'il s'exprime en hébreu ou en anglais. Il fait de même lorsqu'il évoque les colonies. En octobre, Netanyahou a pris la parole lors d'une réunion privée de son parti le Likoud. Il a alors dit en hébreu que les colonies avaient augmenté de 40% depuis 7 ans, qu'on n'avait jamais vu ce chiffre auparavant, et il avait l'air d'être très fier de cette réussite. Une semaine après, il s'est exprimé, en anglais cette fois, au congrès de l'Organisation sioniste mondiale et il a évoqué une diminution du nombre de constructions, ajoutant qu'il était le Premier ministre dont le mandat avait connu le moins de constructions au cours de la dernière décennie. Alors, laquelle de ces informations est juste ?  Car les deux affirmations sont contradictoires. Netanyahou utilise dans ce cas-là des types de données bien particulières pour essayer de faire passer certaines idées à différents publics. Et quand Netanyahou parlait à l'Organisation sioniste mondiale en disant qu'il y a eu une baisse des constructions, il parlait en fait de la construction moyenne annuelle par Premier ministre. Ce que l'on a essayé de faire, c'est de regarder les taux de construction dans ces implantations par gouvernement depuis le début des années 2000. Nous avons alors constaté, que les taux de construction annuels moyens en 2013-2014 sous le gouvernement Netanyahou étaient les taux de construction de loin les plus élevés de tous les gouvernements depuis 2001. Donc des taux de construction beaucoup plus élevés que ceux que nous avions constatés auparavant, notamment sous les gouvernements Sharon et Olmert. Aussi cette déclaration de Netanyahou est inexacte si l'on regarde le taux de construction sur le terrain.

La construction continue de façon constante. Si vous conduisez à travers la Cisjordanie, vous verrez des sites de construction un peu partout, et qui se situent même parfois dans des colonies très isolées, notamment dans des zones très sensibles. Peace Now , notre ONG, est opposée à tout type d'implantations et de colonies. En termes d'appels d'offres pour des logements, depuis l'arrivée au pouvoir de Netanyahou il y a dix ans, leur augmentation est graduelle, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, avec le chiffre le plus élevé atteint en 2014. En 2009-2010, les chiffres sont beaucoup plus bas du fait du moratoire sur les colonies, dû à une tentative de négociations. Les groupes de pression au niveau international obtiennent des résultats. Depuis un an, la communauté internationale étudie attentivement tout ce qui se passe au-delà de la Ligne Verte. La communauté internationale le faisait bien sûr auparavant, mais elle le fait désormais de façon plus efficace. La raison principale est que depuis 2015 en Israël gouverne l'un des gouvernements les plus à droite de l'histoire du pays. La communauté internationale est plus attentive à ce qui se passe sur le terrain et une pression internationale peut s'exercer. Netanyahou sait qu'il devra être comptable de ses actes, de ses plans, de ses appels d'offres, et le résultat depuis un an est que quasiment aucun nouveau plan de construction de logements n'a été envisagé. Depuis un an, on dénombre moins d'appels d'offres que durant la période précédente. Il faut bien comprendre que c'est une procédure longue, avec de nombreuses étapes, et ce n'est pas simplement une procédure bureaucratique, qui serait typiquement israélienne au-delà de la Ligne Verte, c'est une procédure politique avant tout. Il y a des étapes pour la construction qui doivent être approuvées par le ministère de la défense et donc par le Premier ministre. Ce qui veut dire que chaque approbation d'un plan nouveau, qui ailleurs serait uniquement bureaucratique, est à Jérusalem-Est et en Cisjordanie une étape, une mesure politique qui peut être perçue comme un aspect d'une politique gouvernementale plus large, et donc être condamnée. Cette diminution des appels d'offres pour des logements dans les colonies en 2015 est le seul petit élément positif que je puis vous présenter aujourd'hui.

Je poursuis en évoquant des tendances plus générales que l'on voit se développer avec Netanyahou. Tout d'abord, les constructions dans ce qu'on appelle les Settlement Blocks : ces blocs de colonies et d'implantations, qui semblent faire consensus en Israël, alors qu'on ne sait pas vraiment ce qu'ils sont. En fait, ils n'ont jamais vraiment été définis de façon officielle, on ne sait pas exactement ce qu'ils recouvrent. Cependant, Netanyahou, il y a quelques semaines, s'est entretenu avec le Secrétaire d'État américain John Kerry et lui a demandé que les Américains reconnaissent les constructions dans les Settlement Blocks , pour tenter de créer un consensus autour d'un concept qui ne ressemble pas aux autres constructions de colonies. Pour Peace Now, les constructions dans ces Settlement Blocks sont les constructions les plus dangereuses car ces blocs de colonies se situent exactement là où les frontières sont négociées. Donc la colonisation dans ces zones change la réalité de terrain, et constitue une démarche israélienne unilatérale pour déterminer l'emplacement futur des frontières. Ainsi cette colonisation rend le tracé de futures frontières beaucoup plus difficile car si on regarde les frontières de 1967 avec échange de terres, on voit que les terres à échanger ne sont pas illimitées. L'autre problème avec ce qu'on appelle ces grandes zones de colonies, ces Settlement Blocks , c'est qu'il sera difficile d'avoir un État palestinien viable en continuant les constructions, les colonies, autour de ces grandes zones, de ces grands blocs de colonies. Il sera alors plus difficile pour le futur État de se développer, de prospérer et d'avoir une véritable continuité territoriale, au-delà d'un ensemble de villes et villages reliés entre eux par des tunnels et des ponts. Qu'il n'y ait pas de continuité territoriale réelle ne permettrait pas alors de former un État viable. Voilà donc un autre problème qui peut être engendré par l'évolution de la colonisation dans ces zones, accrue sous le gouvernement Netanyahou.

Si l'on regarde la colonie d'Ephrat, on constate l'augmentation des mises en construction depuis 2011. Or Ephrat se situe à l'Est de la route 60 qui traverse la Cisjordanie du Nord au Sud. Est-ce une partie future d'un bloc de colonies ? Je l'ignore, mais cela pose également un problème de développement de la ville de Bethléem dans sa partie septentrionale. Ariel est également une colonie où la construction s'accélère. Cela fait partie en théorie du même bloc, or cette colonie se situe à 20 km à l'Est de la Ligne Verte. Lors des débats de l'Initiative de Genève, Ariel n'était pas inclue dans les discussions pour des raisons de sécurité, car ses frontières auraient été trop difficiles à protéger. Et elle crée de surcroît une rupture territoriale entre le Nord et le Sud de la Cisjordanie.

Passons maintenant à l'étude d'une autre tendance lourde, celle de la légalisation des postes avancés ( outposts ). Après les accords d'Oslo, Israël s'était engagé à ne pas construire de nouvelles colonies. On a alors vu se développer ces postes avancés. Si selon le droit israélien les colonies sont légales, ces postes avancés, qui sont des colonies sauvages, sont construits sans l'accord du gouvernement et sont donc illégaux. Mais au fil du temps, ces pratiques ont reçu des soutiens, notamment de municipalités dans les colonies, et on assiste depuis 2011 à des légalisations rétroactives de ces constructions. Cette vingtaine de régularisations agit désormais comme un feu vert pour les colons qui souhaitent étendre la colonisation de cette manière. De surcroît, ces légalisations se font bien souvent avec la délivrance de permis de construire davantage autour des bâtiments nouvellement régularisés. On a ainsi pu constater l'arrivée de 20 000 nouveaux colons consécutivement à la délivrance de ces nouveaux permis.

Je souhaiterais également évoquer la question de la confiscation des terres. Depuis la « Feuille de route », il n'y avait pas eu de déclarations d'appropriation de terres par Israël. Mais avec l'arrivée de Netanyahou au pouvoir, elles se multiplient. L'une des pratiques est de déclarer des terres en Zone C comme des terres d'État. Dans 98% des cas, ces zones sont ensuite utilisées pour y bâtir des colonies. Peace Now a porté ces confiscations de terres devant la Cour Suprême israélienne.

La dernière tendance que je souhaite porter à votre connaissance est celle du développement des infrastructures. Notre analyse ne doit pas se limiter à la construction de logements et de colonies. Prenons l'exemple des routes de contournement ( bypass roads ) dont Netanyahou a annoncé l'augmentation. Il s'agit de routes qui contournent les villages palestiniens de Cisjordanie. Cela conduit à faire de ces colonies isolées de véritables banlieues, à Jérusalem par exemple. Elles permettent à des personnes qui ne cherchaient pas à vivre dans les colonies pour des motifs idéologiques à franchir le pas afin d'obtenir des logements à prix modéré, désormais très accessibles depuis le centre-ville, comme celui de Jérusalem. Cela contribue donc fortement à l'accroissement de la population des colons.

Je laisserai Daniel Seidemann évoquer une tendance supplémentaire que je n'aborderai pas, mais qui est celle de l'accaparement de logements palestiniens par des colons à Jérusalem-Est.

J'en terminerai donc par quelques observations. Tout d'abord, ayez à l'esprit que la politique de Netanyahou éloigne la viabilité d'une solution à deux États par sa politique active de colonisation que nous venons de décrire. Donc, lorsqu'il affirme encore sur la scène internationale qu'il est engagé à faire émerger cette solution à deux États, la réalité est toute autre, et c'est de fait une situation à un seul État qui progresse chaque jour. Il convient également de remettre en cause les termes de statu quo . L'absence de solution politique engendre plutôt une rapide détérioration de la solution sur le terrain (colonisation, violences, etc.). Il faut donc y substituer une politique constructive, active. Néanmoins, il n'y a plus à ce jour de possibilité de négociations bilatérales. Netanyahou n'est pas prêt à faire des concessions qu'Abbas pourrait accepter. L'engagement européen dans le processus de paix est donc indispensable selon moi, afin d'une part de préserver sur le terrain les conditions d'une solution à deux États, et d'autre part de pousser à la résolution du conflit dans le cadre de cette solution. J'en ai fini et suis donc disposée à répondre à toutes vos questions.

M. Benjamin Sèze : Merci Madame, je souhaiterais avoir votre regard sur la position de l'opinion israélienne à l'égard des colonies. Les citoyens israéliens ont-ils conscience de l'impact de la colonisation sur la possibilité de règlement définitif du conflit ?

Mme Anat Ben Nun : Selon moi, le public israélien n'a pas conscience des conséquences de l'occupation. Il n'en ressent pas les conséquences dans sa vie quotidienne. Il est plus simple de débattre de questions économiques et sociales dans un café de Tel-Aviv que de réfléchir à des questions plus larges relatives à la colonisation, à l'occupation et à l'absence de processus de paix. L'opinion publique israélienne est donc très largement indifférente à ces questions. On a pu néanmoins malheureusement observer un virage à droite de la société israélienne au cours des dernières années. Il y a plusieurs facteurs à cela. L'un est l'idée assez répandue que nous avons quitté Gaza, et que nous avons été récompensés par des roquettes !  Bien entendu ce n'est pas tout à fait vrai, et cela résulte d'un choix israélien et pas d'une solution négociée, mais ce type de traumatismes marque la psyché de l'opinion publique israélienne. L'idée qu'il n'y a pas de partenaires, de l'autre côté, pour faire la paix, est très répandue. Malgré tous ces éléments, les études d'opinion des dernières années continuent à montrer qu'une majorité d'Israéliens soutient la solution à deux États. Il y a donc l'idée que pour maintenir un État juif et démocratique, il faut deux États vivant en paix côte à côte.

Question de la salle : Premièrement, votre ONG s'occupe-t-elle de toute la colonisation israélienne ? Quid par exemple du plateau du Golan ? Deuxièmement, pouvez-vous citer un seul gouvernement qui n'a pas pratiqué l'expansion des colonies ? Troisièmement, une observation : Netanyahou ne recherche pas un seul État, mais le Grand Israël, qui est une vision sioniste et qui est au coeur de la création de l'État d'Israël.

Mme Anat Ben Nun : Peace Now se concentre surtout sur les colonies en Cisjordanie car nous travaillons principalement sur le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens. Concernant votre question relative aux gouvernements israéliens précédents, clairement tous les gouvernements israéliens se sont adonnés à la colonisation. Peace Now critique les gouvernements, de gauche comme de droite, pour leurs programmes d'implantation de colonies. Nous nous opposons à la construction de toute colonie et nous allons donc continuer à critiquer tous les gouvernements qui pratiquent cette approche. Pour répondre enfin à votre dernière observation, je pense que Netanyahou préfère le statu quo , donc pas au sens littéral comme je l'ai expliqué précédemment, mais au sens de la détérioration progressive de la situation sur le terrain. Il ne fera rien en faveur de la solution à deux États mais, à mon sens, il ne recherche pas plus que cela une solution à un seul État. Ce qu'il souhaite par-dessus tout, c'est garder le pouvoir. Donc je considère que c'est quelqu'un à qui le statu quo convient. Mais bien entendu si on observe la réalité de terrain, il nous pousse peu à peu, par sa politique, vers une solution à un seul État.

Question de la salle : Je souhaiterais intervenir sur le dernier point que vous avez souligné, à savoir l'engagement de l'Europe que vous estimez très important. De quel type d'engagement s'agit-il ? Récemment, l'instauration par l'Europe de l'étiquetage des produits issus des colonies a fait réagir fortement Israël qui a assimilé ces actes à des mesures antisémites. Il a même menacé l'Europe de rétorsion. L'Europe, elle, pourrait sanctionner Israël en application de son accord d'association avec Tel-Aviv en suspendant cet accord tant qu'Israël ne respecte pas les droits de l'Homme. Quelle est sur ce sujet la position de votre mouvement alors qu'en Europe, et en France en particulier, il devient de plus en plus difficile d'agir via le boycott des produits israéliens, notamment des colonies, à cause d'une circulaire qui interprète de manière erronée la loi et permet de poursuivre les militants qui portent ces actions de boycott ?

Mme Anat Ben Nun : Je pense que l'Europe devrait continuer à s'engager. Un pas important a été fait avec ces lignes directrices en faveur de l'étiquetage des produits des colonies. Peace Now est opposée au boycott d'Israël mais nous avons soutenu cette démarche de l'Union européenne d'étiqueter les produits des colonies. Je ne comprends pas en revanche pourquoi l'Europe a présenté cette mesure comme technique alors qu'il s'agit avant tout d'une mesure politique. En faisant cela, elle prête le flanc aux critiques populistes des responsables politiques israéliens. Les Européens auraient dû défendre plus fermement leur politique. De surcroît, elle est un moyen de réduire le champ d'action du mouvement BDS [Boycott, Désinvestissement et Sanctions, NDRL] qui prône le boycott total d'Israël. L'Europe devrait aussi continuer à montrer au public israélien qu'elle soutient Israël mais s'oppose à toute mesure d'occupation et de colonisation, afin de bien marquer une différenciation entre le soutien à l'État et l'opposition à certaines de ses politiques.

M. Ardi Imseis : Je pense qu'il est important de regarder ce qu'autorise la loi française à la lumière des obligations légales internationales de la France, et de voir si les personnes physiques et les entreprises respectent la loi française dans le cadre des obligations internationales de la France. À titre d'exemple, il y a eu, je crois, des litiges juridiques impliquant les sociétés Veolia et Alstom pour leurs activités économiques dans les Territoires occupés, qui participaient au processus illégal d'occupation. Ces démarches juridiques ont un impact très important. Autre exemple, lorsque des Français vivent en Territoires palestiniens occupés, comme colons, ils ont toujours des obligations en tant que citoyens français et peuvent donc avoir à répondre légalement de leurs actes. La difficulté, pour revenir à ce qu'Anat disait il y a quelques instants, c'est d'établir une séparation claire entre Israël d'une part, et ses actions dans les Territoires occupés d'autre part. Car la réalité de terrain, à la lumière de la politique unilatérale israélienne, a vu cette séparation s'estomper peu à peu. Prenons, pour illustrer mon propos, la question bancaire. Les colonies n'existeraient pas sans soutien bancaire et sans présence dans ces colonies de moyens de procéder à des opérations bancaires courantes pour les colons. Les groupes bancaires les plus importants en Israël, la banque Leumi, la banque Hapolim, et les autres, font des affaires des deux côtés de la Ligne Verte. Ils font des affaires également avec des entreprises françaises. Voici un point d'entrée juridique intéressant.

Question de la salle : Vous avez parlé d'échanges de territoires. Quels sont, du côté israélien, les territoires qui sont susceptibles d'être échangés, et ce alors qu'il y a un plan de la droite israélienne pour se débarrasser d'une partie de sa population arabe ? Israël pourrait alors échanger des morceaux de Galilée contre des colonies. Par ailleurs, j'ai été surpris d'entendre qu'un terroriste arabe israélien avait fait son service militaire dans l'armée israélienne alors que je croyais qu'il n'y avait pas d'arabes au sein de Tsahal.

Mme Anat Ben Nun : Lorsque j'évoquais les échanges de territoires, je faisais référence aux lignes de 1967 avec échanges de territoires. Ces échanges ont fait l'objet de discussions lors des précédentes négociations. Il semble qu'un accord de paix potentiel devrait passer par 3% à 4% de territoire de la Cisjordanie qui serait échangé entre Israël et la Palestine, à condition d'une équivalence en taille et en qualité. Quant à votre seconde question, je ne suis pas une spécialiste de l'armée. Je sais seulement qu'il y a quelques arabes dans l'armée israélienne, mais dans des proportions non représentatives du nombre d'arabes dans la société israélienne.

Question de la salle : Je souhaiterais faire une remarque sur le boycott des colonies. Vous dites que Peace Now la voit d'un bon oeil. Je trouve dommage de considérer que seuls les produits des colonies sont boycottables, comme si on cherchait à faire pression sur une entité qui s'appellerait « les colonies » alors qu'on sait parfaitement qu'elle n'est pas indépendante, ni politiquement, ni économiquement, ni militairement de l'État d'Israël. On sait que malheureusement, les ressources naturelles sont accaparées dans les Territoires palestiniens, et sont distribuées à tous les Israéliens, quel que soit l'endroit où ils vivent. Il serait donc intéressant de soutenir une démarche de boycott plus générale pour mettre la pression sur l'État d'Israël, et pour que le public israélien réalise que la politique de colonisation a un prix. Vous disiez que l'Israélien moyen de Tel-Aviv ne ressent pas les problématiques de colonisation et d'occupation. Peut-être serait-ce une manière de les lui faire ressentir, car plus il les ressentira plus, selon moi, il avancera vers la paix. Le boycott sert à faire ouvrir les yeux, pas à autre chose. Par ailleurs, je souhaite savoir si Peace Now peut travailler librement, circuler librement, où est-ce que le gouvernement israélien vous met des bâtons dans les roues ?

Mme Anat Ben Nun : En tant qu'israélienne, qui chérit Israël, mais s'oppose à l'occupation, je ne soutiens pas le boycott d'Israël dans son ensemble. Je pense qu'il existe d'autres moyens pour parvenir à une solution au conflit. Moi je suis engagée pour qu'Israël agisse mieux. Je ne veux pas que mon pays soit un État qui pratique l'occupation. Je souhaite vivre en Israël en tant que citoyenne juive aux idées de gauche, comme beaucoup de gens qui me ressemblent. J'aime Israël et je ne souhaite pas voir souffrir mon pays jusqu'à un point de non-retour. Donc selon moi, il existe d'autres moyens de pression que le boycott de l'État. Notre action à Peace Now inclut une éducation des Israéliens à la réalité de l'occupation, par des débats, des manifestations, des présentations, etc. Nous tentons de créer les moyens nécessaires pour que la paix vienne de la pression de la société civile israélienne, plutôt qu'elle ne soit imposée de l'extérieur. Pour répondre à votre seconde question, oui, nous pouvons nous déplacer assez librement, notamment en Cisjordanie. Notre problème est le texte qui va être débattu à la Knesset dans les semaines à venir, la loi sur les ONG. Cette loi tente de délégitimer les financements étrangers, notamment étatiques, pour les ONG israéliennes défendant les droits de l'Homme. Nous condamnons fermement ce projet de loi.

M. Gilbert Roger, Président du groupe d'amitié France-Palestine

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