POINT DE SITUATION

M. Hovhannès GUEVORKIAN, Représentant du Haut-Karabagh

La situation créée actuellement en Artsakh résulte de l'agression azerbaïdjanaise lancée le 27 septembre 2020 contre la République du Haut-Karabagh avec l'aide de la Turquie et de mercenaires étrangers appartenant à plusieurs groupes extrémistes venus du Moyen-Orient et d'autres régions. Cette agression était non justifiée sur le plan militaire et, par conséquent, sur le plan du droit international. L'objectif immédiat des autorités azerbaïdjanaises était la destruction de l'Artsakh par l'épuration ethnique de la population arménienne et le brisement des institutions étatiques artsakhiotes mises en place depuis la proclamation de la République en 1991. Son objectif plus lointain est l'affaiblissement extrême de la République d'Arménie et, si l'occasion se présente, l'annexion des territoires sud-arméniens que Bakou revendique ouvertement pour créer une jonction entre l'Azerbaïdjan et la région de la Nakhitchevan et former ainsi une zone sans rupture entre la Turquie et son allié, l'Azerbaïdjan turcophone. Dans le même temps, cette jonction priverait l'Arménie de sa frontière avec l'Iran, la fragilisant et la mettant dans une position d'enclavement quasi intégral par la Turquie à l'ouest et par l'Azerbaïdjan au sud et à l'est.

La guerre de l'automne 2020 a duré 44 jours. Elle a pris fin le 10 novembre 2020 à la suite de la déclaration signée la veille entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sous l'égide de la Russie. Cette déclaration établit un cessez-le-feu et prévoit le déploiement des forces russes de maintien de la paix pour une durée de cinq ans reconductibles. Elle conduit au transfert sous le contrôle azerbaïdjanais d'une grande partie du territoire de la République d'Artsakh. Un lien terrestre est maintenu entre l'Artsakh et l'Arménie par le corridor de Latchine, d'une largeur de cinq kilomètres restant sous le contrôle des forces russes. Parmi les pertes territoriales les plus significatives et les plus douloureuses figure la capitale historique de l'Artsakh, Chouchi. Cette nouvelle situation territoriale renforce considérablement l'enclavement de l'Artsakh et favorise inévitablement le sentiment d'insécurité chez la population arménienne du pays, tandis que la politique azerbaïdjanaise maintient la population artsakhiote dans une terreur quotidienne.

Un autre changement notable est le déploiement des troupes russes de maintien de la paix le long du corridor de Latchine et sur la ligne de contact entre les forces azerbaïdjanaises et artzakhiotes. Cette présence rassurante des Russes a permis à plus de 110 000 personnes sur une population de quelque 150 000 personnes que l'Artsakh comptait avant la guerre de se réinstaller au Haut-Karabagh.

Je voudrais rappeler que la terreur provoquée par les crimes de guerre (utilisation des bombes à sous-munitions et du phosphore blanc, des écoles, des hôpitaux, des centres culturels pris pour cibles directes, des bombardements massifs dépourvus de toute justification stratégique des villes artzakhiotes, y compris la ville de Stepanaker, (capitale du Haut-Karabagh) commis par l'armée azerbaïdjanaise en octobre dernier avait jeté près de 70 % de la population artzakhiote sur le chemin de l'exode vers la République d'Arménie pour y trouver refuge. Près de 40 000 déplacés des territoires désormais occupés par l'Azerbaïdjan restent encore sans logement, en attendant de pouvoir reconstruire leur vie. Les efforts du gouvernement d'Artsakh sont concentrés actuellement sur la construction d'habitats pour ces personnes dont la situation est la source d'une véritable crise humanitaire. Ainsi, près de 7 000 logements seront construits dans les trois années à venir pour ces Artzakhiotes.

De nombreux prisonniers de guerre arméniens sont retenus à ce jour en Azerbaïdjan en dépit des clauses de la déclaration du 9 novembre prévoyant l'échange des prisonniers de guerre, des otages et des autres personnes détenues et des dépouilles des victimes. De plus, des militaires arméniens sont capturés avec une régularité constante après la fin des hostilités. Selon l'ONG Human Rights Watch , les prisonniers de guerre arméniens sont soumis à des sévices physiques et des traitements humiliants filmés dans des vidéos et largement diffusés sur les réseaux sociaux.

L'Artsakh se trouve actuellement confronté à un autre danger aux conséquences écologiques et économiques potentiellement graves : la perte du contrôle de la ressource en eau nécessaire tant à la consommation humaine qu'à l'irrigation agricole. 2 à 2,5 milliards de mètres cubes de ressources en eau sont en effet situés dans les régions désormais passées sous le contrôle de l'Azerbaïdjan. L'économie artzakhiote reposant essentiellement sur l'agriculture et l'industrie minière, toutes deux fortement dépendantes de l'eau, la réduction potentielle de la ressource en eau met en cause la viabilité économique de l'Artsakh. Près de 1 500 monuments historiques et culturels arméniens, églises, monastères, sites archéologiques, cimetières et tombeaux, pierres croisées, ponts et palais médiévaux, musées et collections privées sont passés sous le contrôle de l'Azerbaïdjan. Le sort de cet héritage culturel arménien inspire de sérieuses inquiétudes. Les actes de pillage, de destructions et de profanations sont déjà constatés à Chouchi et à Hadrut. Ils font craindre le pire pour les autres monuments passés sous la coupe de Bakou. La suppression du patrimoine arménien dans les territoires d'Artsakh, actuellement sous l'occupation azerbaïdjanaise, comme dans le reste de ce pays, fait partie intégrante de la politique de nettoyage ethnique programmée à l'encontre des Arméniens, dont la guerre n'a été qu'une des manifestations. La politique de terreur, le discours de haine, la destruction des infrastructures civiles et des habitations des familles arméniennes déplacées, comme ce fut le cas récemment à Chouchi, la tentative de réécrire l'histoire en albanisant le patrimoine culturel arménien sont autant d'outils d'une expropriation culturelle, politique et identitaire avérée. L'Azerbaïdjan ne dissimule pas sa volonté d'empêcher le retour des Arméniens dans leur région dont la déclaration du 9 novembre 2020 a pourtant bien prévu le principe. Face à cette réalité, les autorités d'Artsakh demeurent convaincues que le seul moyen de garantir la préservation de l'Artsakh et de son identité arménienne est de parvenir enfin à un règlement définitif du conflit pour pacifier la région du sud Caucase dans sa diversité et l'attribution de statuts d'indépendance internationalement reconnus à l'Artsakh.

C'est bien dans ce contexte, Monsieur le Président, que je voudrais souligner l'importance de l'adoption par le Sénat de la République française de sa résolution sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh. J'exprime ma profonde reconnaissance au nom du peuple d'Artsakh à tous ceux qui ont été les bâtisseurs, à tous ceux qui ont déployé leurs efforts pour que l'ensemble du Sénat, à l'exception d'une seule voix, adhère pleinement au texte voté. Il ne s'agit pas d'un document purement politique. Nous considérons cette résolution comme une tentative de sauvetage, une tentative de pérenniser l'existence des Arméniens d'Artsakh. Merci beaucoup.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup pour ce vibrant plaidoyer qui dit toutes les choses dans leur gravité.

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