SECONDE TABLE RONDE :

QUEL RÔLE POUR LA FRANCE ?

Participants :

M. Christian CAMBON , Sénateur, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat

Mme Valérie BOYER , Sénatrice, Vice-présidente du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d'Orient, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes

M. Hervé MARSEILLE , Sénateur, Président du groupe Union centriste du Sénat

M. François PUPPONI , Député, Président du Cercle d'amitié France-Artsakh

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M. Christian MAKARIAN

On a entendu beaucoup de critiques qui convergent vers une sorte de timidité, pour ne pas dire un manque de courage de la part de la France. N'aurait-elle pas davantage intérêt à s'affirmer ?

Nous avons bien compris que le groupe de Minsk permet à la France d'avoir un rôle diplomatique international, mais, puisqu'il n'aboutit à aucun résultat, est-ce encore valable ?

M. Christian CAMBON, Sénateur, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat

Monsieur le Président, chers amis,

Ce sont des questions difficiles, parce qu'effectivement, devant les constats qui viennent de nous être présentés avec tellement de talent, il est assez compliqué et difficile pour nous, assemblée parlementaire, d'expliquer ce que l'on peut faire concrètement pour faire avancer cette cause.

Bien sûr, il y a eu cette résolution qui a été commentée dans tous les parlements d'Europe et qui nous a valu tellement de critiques sur les réseaux, mais nous sommes fiers, cher Président Larcher, d'avoir conduit ce travail sous votre autorité.

Il y a eu ce voyage, conduit par le Président Larcher, qui nous a permis de prendre la mesure des réalités, car comme les voyageurs qui nous ont précédés à cette table, je crois que, si on ne voit pas, on ne croit pas. Or, il est absolument vital de prendre la mesure de la situation de l'Arménie et du Haut-Karabagh.

Alors, évidemment, nous allons redescendre un peu sur terre pour essayer de dire ce qu'une assemblée comme la nôtre peut faire concrètement pour faire bouger les lignes. Car Monseigneur Gollnisch l'a dit avec la passion qui le caractérise et nous avons, nous-mêmes, été surpris lorsque le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères était venu, dans une déclaration d'octobre 2020, nous dire que la France était tenue à l'impartialité, puisqu'elle faisait partie du groupe de Minsk. Cela ne peut évidemment pas être une véritable raison, à partir du moment où l'un des camps utilise la force avec une telle violence. À ce moment-là, on ne peut pas se cacher derrière l'impartialité ; il faut savoir prendre parti et c'est ce que nous avons fait. Car bien évidemment, nous avons une feuille de route, celle que donne le Président.

On travaille pour la Paix. Il n'est donc pas question de dire qu'il y a un pays auquel on ne parle plus et d'autres auxquels on parle. Le Sénat s'est véritablement illustré dans ce travail approfondi qui repose sur les convictions exposées.

Alors, que pouvons-nous faire ? Je comprends bien évidemment que ce groupe de Minsk suscite bien des critiques, car - cela a été dit d'une manière assez lapidaire, mais tout à fait sensée - jusqu'à présent, il n'a pas fait grand-chose et je crois que l'aiguillon que doit constituer le Sénat lorsqu'il reçoit le ministre des Affaires étrangères et les différentes autorités de l'État dans le cadre du travail que nous faisons, doit être effectivement et inlassablement de demander la relance de ce processus de Minsk qui, de notre point de vue, semble absolument essentiel. En effet, il n'y aura pas de solution militaire et seule la négociation permettra de déboucher sur un accord un jour. Nos amis arméniens nous l'ont dit inlassablement lorsque nous étions auprès d'eux. Il faut véritablement reprendre ce processus de Minsk avec un tout petit peu plus de volonté de la part des autorités nationales les plus élevées, pour dire que c'est le seul processus qui doit permettre, à un moment ou à un autre, de faire avancer les choses.

Notre rôle est de le rappeler aux autres interlocuteurs, par exemple aux États-Unis qui ont fait un geste tout à fait significatif dont on pourra reparler, mais qui se manifeste de manière assez épisodique sur l'affaire arménienne. On a l'impression que c'est un intérêt assez lointain qui correspond, du reste, à une vraie orientation des États-Unis vers des océans beaucoup plus lointains dans l'Indopacifique. Les États-Unis ne voient pas et ne vivent pas la réalité que représente ce problème civilisationnel évoqué précédemment. Notre rôle, lorsque nous rencontrons nos amis américains ou lorsque nous avons un dialogue compliqué et difficile avec les Russes - mais c'est la volonté du Président Larcher de faire en sorte que le Sénat garde le contact avec nos collègues russes - est de régulièrement mettre ce sujet à l'ordre du jour et de répéter inlassablement que nous ne lâcherons pas. C'est un premier thème sur lequel il convient de persévérer.

Il en existe un autre sur lequel, à mon sens, la résolution du Sénat répond tout à fait : remettre le problème du statut du Haut-Karabagh au coeur du sujet. L'Azerbaïdjan tente actuellement de déplacer le problème en affirmant qu'il n'y a pas de problème de statut et met en jeu la souveraineté de l'Arménie en posant le problème sur le territoire même de l'Arménie. Le Président nous expliquait que, d'ores et déjà, 40 kilomètres carrés du territoire arménien sont aux mains de l'Azerbaïdjan. Il y a là un sujet sur lequel il faut « taper », c'est-à-dire revenir pour dire que, non, le problème du statut du Haut-Karabagh n'est pas réglé et tant qu'il ne sera pas réglé, il n'y aura pas de solution au problème et il n'y aura pas de paix possible. C'est absolument essentiel ; c'est la perception que nous en avons ici au Sénat.

Enfin, il me semble que la troisième direction vers laquelle nos efforts doivent conduire est un rééquilibrage de la relation entre l'Europe - la France particulièrement - et l'Arménie. Les échanges économiques entre l'Europe et l'Azerbaïdjan sont dix fois supérieurs à ce qu'ils sont entre l'Europe et l'Arménie. Le danger est grand de voir l'Azerbaïdjan jouer un rôle économique de plus en plus important. N'est-il sincèrement pas possible de faire un effort dans ce domaine ? Ne peut-on pas de nouveau essayer de retrouver un peu plus d'équilibre dans un certain nombre de secteurs, économiques, politiques, sociaux, ou en matière d'éducation ?

Je reçois régulièrement des messages me disant : « Calmez-vous sur l'Arménie, ça commence à bien faire ! » Il y a beaucoup d'amis pour ce genre de cause - et vous en êtes tous -, mais il n'y a pas que des amis ; il y a des gens qui, pour des raisons économiques évidentes - nous connaissons les ressources gazières et pétrolières de l'Azerbaïdjan - avancent le petit refrain selon lequel on ferait bien de laisser les choses un petit peu en arrière de la main - ce que nous refusons évidemment. Compte tenu de la position de l'Azerbaïdjan, une carte est en train de se jouer sur les routes de la soie avec la Chine qui comprend bien l'opportunité. Il faut que l'Europe rééquilibre cette économie et investisse.

Enfin, la France, qui prononce beaucoup de déclarations, parle beaucoup au plus haut niveau, voyage avec des personnalités, pourrait prendre des mesures très simples. J'ai le souvenir d'un message qui nous a été adressé, cher Président, sur une mesure quand même assez simple qui consiste à libéraliser l'octroi des visas de courts séjours. Pourquoi la France ne fait-elle pas un effort dans les instances européennes pour que cette décision, soutenue par d'autres pays européens, aboutisse ? Ce serait, dans la situation dramatique que vous vivez, un signe amical et fervent qui pourrait être adressé, me semble-t-il, à la communauté arménienne pour lui dire : « Écoutez, quand le désir vous en vient, vous pouvez venir en France. » Je ne comprends pas pourquoi la France traite l'Arménie avec la politique d'immigration qui s'applique au reste de l'Europe des Balkans, car elle n'a pas du tout la même situation et les mêmes conditions. Il y a là un véritable effort à mener.

Pour terminer, nous pouvons mener des efforts concrets : l'Agence française de développement, qui a 14 milliards de crédit sous ses pieds, doit pouvoir investir beaucoup plus qu'elle ne le fait. Ses engagements sont de l'ordre de 170 millions d'euros. Dans le même temps, la France prête 250 millions d'euros à la Chine. Nous pourrions faire beaucoup plus pour l'Arménie et aider à la relance de son système éducatif, améliorer les conditions sanitaires, etc. Nous avons des idées sur de nombreux sujets et le combat de la Commission est de relancer constamment ce genre de dispositif. Ces quelques idées doivent nous permettre de rehausser le niveau d'intervention de la France et de ne plus nous cacher derrière des déclarations et de prendre des actions et des décisions.

M. Christian MAKARIAN

Merci, Monsieur le Président, vous avez évoqué des mesures concrètes, et qui ne sont pas de l'ordre de l'impossible et de l'impensable.

Mme Valérie BOYER, Sénatrice, Vice-présidente du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d'Orient, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes

Comment ne pas être d'accord avec ce qu'a dit le Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat ? Bien évidemment, j'y souscris.

Mais si vous le permettez, j'ai une remarque à faire : il y a un mot qui n'a pas été prononcé, c'est celui de « OTAN ». La Turquie fait partie de l'OTAN et est pourtant allée fêter sa victoire sur le Karabakh et l'Arménie, avec Erdogan et Aliyev, à Varosha qui est en zone neutre à Chypre. Je souligne, car cela n'a pas encore été dit, que, pendant la guerre des 44 jours, un accord solennel a été signé entre trois pays - la Turquie, le Pakistan et l'Azerbaïdjan - concernant le Kashmir, Chypre et le Haut-Karabagh.

Nous sommes européens et nous sommes dans l'OTAN. Comment, aujourd'hui, tolérer pareille chose ? Comment imaginer qu'un pays membre de l'OTAN ait pu attaquer un autre pays ? Il est question du Haut-Karabagh, mais nous avons bien conscience qu'aujourd'hui, c'est l'intégrité même de l'Arménie qui est en jeu, et le silence des Européens est assourdissant, aussi bien au sein des instances de l'OTAN qu'au sein même des instances européennes.

Pendant la guerre des 44 jours, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, nous avons interrogé le ministre des Affaires étrangères et le Premier ministre sur les actions de la France. Nous n'avons eu comme réponse que la neutralité due aux accords de Minsk, alors que nous savions parfaitement que cette guerre asymétrique était absolument terrible. Je crois, Monseigneur Gollnisch, que vous avez livré un témoignage vibrant et je ne peux qu'approuver ce que vous avez dit sur les accords de Minsk.

Comment l'Arménie, qui compte 3 millions d'habitants, contre 82 millions de Turcs, presque 10 millions d'Azerbaïdjanais et 15 millions d'Azéris en Iran, peut-elle résister à cette pression quand on sait que le budget de l'armement de l'Azerbaïdjan pendant 10 ans a été supérieur au budget de l'Arménie même ? Tout le monde le savait, mais personne n'a rien dit.

M. le Président, vous évoquiez les propos peu amènes de l'Azerbaïdjan à notre égard lorsque nous prenions position pour l'Arménie. Pire encore, l'Azerbaïdjan distribue des certificats : nous étions persona non grata parce que nous étions allés en Artsakh avec une délégation du groupe d'amitié conduite par Guy Teissier, mon collègue député à l'époque. Quel pays se permet de telle pratique et sans pour autant en subir les conséquences diplomatiques ?

M. Christian MAKARIAN

Le Sénat est peut-être la seule institution notable et prestigieuse avec le Président Larcher qui a pris courageusement position il y a un an, presque jour pour jour, pour inviter les autorités françaises à reconnaître la République du Haut-Karabagh. À ma connaissance, il n'y a pas eu beaucoup d'initiatives de cet ordre-là.

L'Assemblée nationale l'a fait aussi, par l'intermédiaire de Guy Teissier qu'il faut saluer ici, mais le pouvoir exécutif a tenu le propos inverse en la personne du ministre des Affaires étrangères, qui défend une ligne classique du Quai d'Orsay assez turcophile selon laquelle « La France parle à tout le monde. »

Comment sortir de cette ornière ?

Mme Valérie BOYER

Il faut du courage politique. Quand on est sénateur ou député, on vote ce que l'on peut voter ; on peut essayer d'avoir un maximum d'influence, mais surtout faire prendre conscience que ce conflit du Haut-Karabagh n'est pas qu'un conflit local, mais un grand conflit régional qui en dit très long sur les forces en présence, d'abord parce qu'il a été particulièrement cruel sur le plan des armes utilisées. En Artsakh, certains nous ont dit que les drones turcs étaient un peu comme les Messerschmitt pendant la Deuxième Guerre mondiale.

M. Christian MAKARIAN

Ce conflit est scruté par les experts militaires du monde entier, y compris par l'armée française. Les cartes, les photos, les impacts des obus sont disséqués pour analyser le passage aux guerres hybrides de la nouvelle génération.

Mme Valérie BOYER

Effectivement, et cela ajoute un degré de cruauté supplémentaire.

En tant que parlementaires, nous ne pouvons être là que pour témoigner, et nous l'avons fait. Je me permets de réitérer mes remerciements au Président Larcher, au Président Retailleau et à tous les présidents de groupe qui ont suivi, parce que, ce qui s'est passé - le Parlement s'est substitué au Quai d'Orsay et à la diplomatie parlementaire en tant que représentation nationale - est très fort et lie un peu plus la France à l'Arménie.

Cela donne aussi une leçon aux autres pays européens sur le fait que nous ne pouvons pas nous taire face à ces constats. Il importe que nous nous réunissions alors qu'Ilham Aliyev essaie de détourner le groupe de Minsk, non plus pour s'occuper de sa vocation première qui était le Haut-Karabagh, mais pour faire disparaître l'Artsakh même du vocabulaire. La logique génocidaire est là aussi : tuer les hommes, les femmes et les enfants, détruire les traces, mais aussi faire disparaître les mots et à partir du moment où le mot de ce pays n'existe plus, se voir donner raison.

Aujourd'hui, au Parlement, nous faisons plus que témoigner. Cette reconnaissance, le 25 novembre, a été extrêmement forte, et donne une existence à ce pays que l'Azerbaïdjan et la Turquie souhaitent voir disparaître dans l'indifférence internationale. Aujourd'hui, il faut aller plus loin et considérer ce pays que nous avons reconnu et faire en sorte qu'il ait une existence dans notre Parlement pour qu'on puisse continuer à parler de ce pays, à témoigner et surtout à faire en sorte que la logique qui pousse les Turco-azéris à détruire l'Arménie elle-même et toutes les traces soit supprimée.

Il faut également agir auprès de l'UNESCO pour le patrimoine. Je me suis rendue au Monastère de Dadivank. Quand vous êtes témoin de cette trace du passé et de la culture, vous ne pouvez plus vous taire. L'UNESCO a un rôle majeur à jouer pour la protection de ce patrimoine qui est un témoignage.

Je conclurais en disant que, quand on est là-bas, on ne peut pas s'empêcher de penser à l'Évangile de Saint-Luc qui dit : « S'ils se taisent, les pierres crieront. » C'est exactement ce que l'on peut ressentir dans des endroits comme le monastère de Dadivank ou d'autres églises ou monastères qui se trouvent en Artsakh.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup Madame la Sénatrice !

Monsieur le Sénateur Hervé Marseille, je vous pose la même question : quel rôle pour la France ? Quelles spécificités verriez-vous pour réorienter cette politique étrangère française ?

M. Hervé MARSEILLE, Sénateur, Président du groupe Union centriste du Sénat

L'essentiel a été dit avec beaucoup de talent par toutes celles et tous ceux qui se sont exprimés auparavant. Comme disait Monseigneur Gollnisch, il suffit de lire certaines déclarations pour comprendre en quelques mots l'état d'esprit de ceux qui combattent l'Arménie et le Haut-Karabagh.

« Deux États, un seul peuple » résume bien la situation. Comme disait Sylvain Tesson, ce qui se passe là-bas va se passer ailleurs. Valérie Boyer parlait à l'instant de ce qui se passe à Chypre, on pourrait ajouter d'autres théâtres d'opérations comme la Syrie, où le panturquisme est en action avec un plan réfléchi, coordonné et avec une volonté de dépassement. C'est la poursuite du génocide sous d'autres formes : effacer l'histoire, ce qui est encore pire. On peut tuer des hommes, on peut blesser, on peut détruire des bâtiments, mais effacer les racines, effacer l'histoire, saccager les cimetières pour qu'il n'y ait plus aucune trace est encore pire.

Paradoxalement, il y a des gens dans les salons parisiens qui sont ravis de voir qu'on enlève des statues, qu'on change des noms de rue ou même le vocabulaire français pendant qu'il y a des hommes et des femmes qui se battent en essayant de défendre une histoire, un patrimoine, une civilisation et - Sylvain Tesson l'a dit - ce qui constitue le berceau de la Chrétienté.

Il faudrait que le groupe de Minsk, qui travaille de manière discrète et lente, soit utile à quelque chose puisque sa mission était de préserver l'intégrité territoriale, d'éviter le recours à la violence et de garantir le droit à l'autodétermination des populations arméniennes du Haut-Karabagh. Je ne suis pas sûr qu'il ait totalement réussi sur l'ensemble des critères de sa mission. Il faut redonner une mission au groupe de Minsk, comme l'a dit le Président Cambon, mais de façon extrêmement tonique et avec une volonté politique. En effet, dans la vie publique, ce qui compte avant tout, c'est la volonté politique. On peut créer des groupes de travail et toutes sortes d'artifices, faire des voyages, mais ce qui compte, c'est la volonté politique, c'est ce qu'on veut et se donner les moyens de qu'on veut. Il faut donc donner une mission très claire au groupe de Minsk ainsi qu'aux instances européennes, grands absents dans cette affaire comme dans tant d'autres.

Au moment où le Président de la République française va prendre la tête de l'Union européenne, le sujet qui devra figurer à l'ordre du jour est le sujet arménien. On ne peut pas faire l'impasse du rôle de l'Europe dans cette affaire et considérer, comme pour la politique étrangère française, qu'il y a, à égalité, des parties avec lesquelles il faut s'entretenir pour essayer de trouver des solutions. Sinon, on n'y arrivera pas.

M. Christian MAKARIAN

Le dossier arménien n'oblige pas la France à un antagonisme avec la Russie, contrairement au dossier ukrainien.

M. Hervé MARSEILLE

Il faut au moins reconnaître qu'il y a un agresseur et un agressé.

M. Christian MAKARIAN

Il peut y avoir des zones de dialogue nouvelles.

M. Hervé MARSEILLE

Quiconque regarde la situation voit bien qu'il y a des gens qui ont des armes très élaborées et d'autres qui sont agressés chez eux. Tout en préservant le dialogue avec toutes les parties, il faut que la France soit beaucoup plus tonique dans sa conviction et dans ses prises de position, qu'elle exprime une volonté et pas seulement un certain nombre d'idées ou de sentiments et que la Présidence française de l'Union européenne soit l'occasion de créer véritablement les conditions d'un dialogue qui permette la paix. Sinon, M. Erdogan continuera à avancer avec l'état d'esprit qui l'anime, et plus il aura de difficultés dans son pays, plus il avancera en mettant en avant à chaque fois des populations migrantes déshéritées qui n'attendront que ça pour trouver une meilleure situation. Nous voyons comment tout cela contribue à amener chez nous, sur le continent européen, des désagréments qui ne font que commencer si on n'y prend garde.

En dehors de nos liens ancestraux et historiques, personne chez nous n'oublie le rôle majeur joué par la population arménienne installée de longue date en France quand nous étions en difficulté.

Il faudrait prendre des mesures immédiatement, dans les jours qui viennent, car la Présidence française commence début janvier. C'est auprès des institutions françaises, en étant le prolongement de ce qui se passe en Arménie, que nous pouvons agir et jouer un rôle.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup.

Monsieur le Sénateur Marseille vient de tendre la main à une coopération entre les deux instances parlementaires, est-ce également votre avis ?

M. François PUPPONI, Député, Président du Cercle d'amitié France-Artsakh

Je crois que nous nous sommes toujours rencontrés sur ces sujets, à la fois sur la dernière résolution qui avait été portée au Sénat puis ensuite à l'Assemblée nationale sous l'égide de Guy Teissier, et sur la reconnaissance du génocide, puis sur la pénalisation du génocide. Néanmoins, pour la pénalisation, le lobby turc a fait en sorte que certains parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel et que nous soyons deux fois battus.

S'agissant de ce que doit faire la France, permettez-moi, en tant que membre du Cercle d'amitié France-Artsakh, de cibler mon intervention sur l'Artsakh.

Il faut que la France retrouve son honneur, car il n'est plus acceptable aujourd'hui que des collectivités locales françaises soient obligées de mentir et de violer des lois pour aller faire de l'humanitaire en Artsakh. Aujourd'hui, on risque d'être renvoyés devant les tribunaux par les Préfets pour avoir voté de quoi payer des ordinateurs pour des enfants dans les écoles en Artsakh ou des aides culturelles. On violerait la loi en aidant une république autoproclamée sans passer par l'Azerbaïdjan. Il n'est plus possible que les Préfets déferrent ces chartes d'amitié et qu'on nous empêche, par exemple, de nous occuper du sujet de l'eau potable en Artsakh. La semaine dernière, un jeune Artsakhiote qui était en train de réparer les conduites pour alimenter en eau Stepanakert a été tué par un sniper azéri. Il faut qu'on nous laisse faire de l'humanitaire. Il n'y a pas d'autres exemples de pays ou d'endroits au monde où les ONG et collectivités françaises n'ont pas le droit d'aller pour aider des réfugiés, qui sont actuellement sur leur terre. Il faut que les autorités françaises nous laissent intervenir. Nous y sommes tous décidés, à la demande des Artsakhiotes d'ailleurs.

La deuxième mesure indispensable est de voter rapidement une résolution qui demande la libération des prisonniers. Nous en parlions, hier, avec M. le Président de l'Assemblée arménienne, car il y a des prisonniers en Azerbaïdjan : 40 sont officiellement des prisonniers de guerre et les autres (60, 70, 80) sont aux mains des Azéris sans être reconnus prisonniers de guerre, et peuvent donc disparaître à tout moment. Les autorités arméniennes récupèrent régulièrement des corps. Il a même été question de risques de trafics d'organes sur ces jeunes Arméniens.

Enfin, la troisième mesure, qu'évoquent tous nos amis arméniens et artsakhiotes : la France, coprésidente du groupe de Minsk, doit être le premier pays à reconnaître officiellement l'Artsakh, puisque le Sénat et l'Assemblée nationale l'ont demandé.

Au check-point de Chouchi, à quelques kilomètres de Stepanakert, nous avons vu les Azéris et les Turcs, à un mètre, prêts à envahir Stepanakert en quelques minutes.

La seule manière de sauver l'Artsakh, c'est une reconnaissance internationale qui lui conférera des droits. Tant qu'elle n'est pas officiellement reconnue, le risque que l'Artsakh disparaisse en quelques minutes est réel. Ce sont aujourd'hui les Russes qui protègent l'Artsakh.

Pour conclure, l'Artsakh, ce sont 150 000 Chrétiens Arméniens, entourés de 100 millions de Turcs et d'Azéris qui veulent leur mort. Ils se battent pour nous : ils le font pour eux bien sûr, pour leurs enfants, mais ils nous disent que s'ils tombent, nous tomberons demain. Si nous ne voulons pas le faire pour eux, il faut le faire pour nous, mais je crois que nous devons le faire d'abord pour eux, car, sincèrement, ils sont cette petite lumière dans l'humanité qui laisse un peu d'espoir, qui dit : « On a une culture, on a une religion, on a une histoire et on ne partira pas. Ils veulent nous tuer et bien nous, on restera. »

Si nous ne sommes pas capables d'aider ce peuple, la France doit se poser des questions.

M. Christian MAKARIAN

Merci beaucoup, Monsieur le Député, et merci pour ce riche échange et cette deuxième table ronde.

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