I. UNE SITUATION POLITIQUE TRÈS TENDUE

En 1998 , année du dernier déplacement d'une délégation de notre groupe interparlementaire au Liban, la situation dans ce pays nous avait semblé relativement apaisée :

- Sur le plan intérieur, les accords de Taëf (d'octobre 1989) étaient progressivement appliqués, marquant la fin de quinze années de guerre civile ; les élections législatives de 1996 s'étaient déroulées dans des conditions relativement satisfaisantes, de même que les élections municipales du printemps 1998 (les premières depuis 1963), et la perspective d'élections municipales à l'automne 2000, illustraient un retour plus affirmé de l'état de droit et du fonctionnement normal d'une démocratie.

Une certaine restauration de l'autorité de l'État, accompagnée d'une réunification de l'armée et d'une restructuration de l'administration, incitaient à l'optimisme.

- De même, la situation régionale semblait évoluer de façon très positive, le gouvernement israélien ayant annoncé officiellement qu'Israël reconnaissait - bien que sous conditions - la résolution 425 du Conseil de sécurité de l'ONU (1) , alors que les forces armées israéliennes occupaient, depuis 1985, une "zone de sécurité" s'étendant sur 800 km 2 dans le sud du Liban.

Certes, des "points noirs" subsistaient et la délégation avait, dans le rapport qu'elle avait présenté au retour, évoqué les "contrastes et lumières" qui permettaient alors de décrire la situation nuancée du pays.

Par comparaison, la situation politique semble aujourd'hui beaucoup plus tendue, du fait notamment de l'exacerbation des rivalités internes, mais aussi en raison d'un contexte régional très préoccupant.

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(1) La résolution 425 du Conseil de sécurité de l'ONU demandait un retrait unilatéral et sans conditions des troupes israéliennes du Sud-Liban.

A. LES RIVALITÉS S'EXACERBENT ET LES DIVISIONS SE CREUSENT

1. Une organisation confessionnelle des pouvoirs fragile

Le "Pacte national de 1943" avait organisé la répartition des institutions politiques sur une base confessionnelle : Président de la République maronite (Président LAHOUD), Premier ministre sunnite (M. Rafic HARIRI) et Président du Parlement chiite (M. Nabih BERRY). Si les accords de Taëf ont maintenu cette organisation, ils en ont toutefois modifié l'équilibre, en particulier en réduisant les pouvoirs du Président de la République au profit du Premier ministre.

Dans les faits, les relations entre ces trois autorités sont délicates et assez conflictuelles depuis deux ans, marquées par des rivalités pour lesquelles les facteurs d'ordre personnel et confessionnel occupent sans doute une place significative, mais auxquelles la plus ou moins grande allégeance au voisin syrien n'est pas étrangère.

Ces divisions de la classe politique libanaise servent en réalité la Syrie, qui continue à se poser en arbitre des différends libanais.

Ces différends - qui ne facilitent pas la prise de décision ni la poursuite des réformes - s'expriment sur des dossiers très concrets (tel que celui de la privatisation de la téléphonie mobile).

Ces derniers temps, face à l'ampleur des difficultés (économiques et financières, situation internationale ...), ces rivalités se sont toutefois quelque peu apaisées. Pour combien de temps cependant ?

De façon plus générale, il est vrai que le confessionnalisme fait partie de l'identité libanaise et permet au peuple libanais d'être représenté dans la diversité de ses croyances. Il garantit aussi à chaque confession que les évolutions démographiques ne mettront pas en péril sa représentation au sein des institutions et, théoriquement, sa sécurité.

Mais, décliné à tous les niveaux de l'organisation de l'État, la question se pose néanmoins de savoir s'il ne freine pas la réforme de l'État et de son administration. Le serpent se mord malheureusement la queue : le déficit démocratique entraîne un développement du confessionnalisme et, par là même, du clanisme et du clientélisme.

2. Des pressions accentuées sur l'opposition chrétienne

Depuis deux ans , différentes affaires politiques viennent régulièrement illustrer la dégradation des relations entre le pouvoir et l'opposition chrétienne. On peut citer en particulier :

- en août 2001, des rafles de chrétiens ;

- en 2002, le procès des membres des forces libanaises ;

- en septembre 2002, la fermeture de la chaîne de télévision MTV - détenue par M. Gabriel MURR - et l'invalidation de l'élection de ce dernier aux élections législatives dans le Metn. Notre délégation a été témoin de ce débat politico-juridique, sur fond de guerre fratricide au sein de la famille MURR (ainsi que nous l'expliciterons ci-après).

Il ne paraît pas excessif de dire que l'opposition chrétienne se sent agressée, voire menacée. Il est vrai que les dissensions au sein des chrétiens et la diversité des thèses qu'ils défendent compliquent leur situation et les rend sans doute plus vulnérables.

3. Une communauté chrétienne affaiblie par ses divisions internes

§ On peut aussi parler d'antagonismes au sein du camp chrétien . Les divisions se traduisent par une multiplication des partis et un développement du clientélisme.

Si personne ne semble réellement contester que les destins du Liban et de la Syrie sont liés, l'ampleur de la présence syrienne et surtout ses modalités le sont par une partie des chrétiens. Le redéploiement très partiel de l'armée syrienne, pourtant prévu par les accords de Taëf, est particulièrement critiqué. Les avis sont partagés sur la nécessité même de cette présence militaire (de l'ordre de 30.000 soldats syriens).

En avril 2001, a été créé le rassemblement de Kornet Chetwane, qui réclame notamment la stricte application des accords de Taëf. D'autres, tels le Président LAHOUD ou M. Michel MURR, député grec-orthodoxe, ancien ministre de l'intérieur - auquel son fils, Elias MURR, a "succédé" à ce portefeuille - défendent la présence syrienne comme seule à même de garantir la sécurité, voire l'unité, du Liban.

Mais c'est surtout l'intervention permanente de la Syrie dans les affaires intérieures libanaises qui est contestée.

Si personne ne prône une rupture quelconque avec la Syrie, l'opposition souhaite quant à elle un rééquilibrage des relations entre les deux pays.

§ Le chef des Druzes, M. Walid JOUMBLATT, qui s'est rapproché depuis deux ans des chrétiens, voit quant à lui dans la présence syrienne un facteur de stabilité pour le Liban.

4. Des libertés publiques menacées

§ Ces tensions et divisions ont connu une phase particulièrement aiguë avec " l'affaire MTV ", en septembre et octobre 2002. Il a été reproché au vainqueur des élections du Metn, M. Gabriel MURR, d'avoir influencé le vote des électeurs, en utilisant la chaîne de télévision MTV dont il est propriétaire. Celle-ci s'est montrée très critique à l'égard du pouvoir, en particulier du Président de la République, et de la Syrie. MTV aurait ainsi enfreint la loi et le Tribunal des Imprimés a décidé sa fermeture, décision confirmée en appel par la cour de Cassation. Simple décision de justice, prise en application de la loi, ou décision politique, comme l'a qualifiée le ministre de l'Information ? La situation, comme souvent au Liban, est complexe.

Toujours est-il que l'opposition chrétienne a vécu la fermeture de cette chaîne de télévision, ainsi que l'invalidation de l'élection du Metn (2) - pour laquelle M. Gabriel MURR s'était vu opposer la candidature de sa nièce, fille de M. Michel MURR - comme une répression difficilement supportable des libertés.

Dans un communiqué, l'organisation "Reporters sans frontières" a exprimé sa "profonde préoccupation quant à la fermeture de la chaîne de télévision MTV, qui est le principal outil médiatique de l'opposition (...)" . Elle a également fustigé "la violence exercée par les forces de sécurité libanaises envers les employés de la chaîne lors de l'application de la décision judiciaire de fermeture." (1)

§ Plus généralement, il semble que les services secrets Libanais soient de plus en plus actifs et un certain nombre de Libanais paraissent préoccupés par la dégradation du respect des libertés publiques.

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(1) Cité par le journal An Nahar du 13 septembre 2002.

(2) Un nouveau député (M. MOUKHEIBR) a été élu.

5. Une bouffée d'oxygène démocratique : le Mouvement pour le Renouveau Démocratique

Créé en 2001 sous l'impulsion du député M. Nassib LAHOUD, le Mouvement pour le Renouveau Démocratique veut rassembler autour d'idées politiques plutôt que de confessions. Ce nouveau parti se fixe pour priorité la défense des valeurs démocratiques et des libertés publiques.

Il juge nécessaire l'élargissement progressif de la "composante citoyenne" de chaque libanais, dans le respect de son appartenance confessionnelle et des traditions libanaises. Il prône à cet effet l'accroissement de l'espace non confessionnel et le développement d'un système de "bonne gouvernance" dans les domaines politique, économique et social. Ses réflexions portent également largement sur l'économie libanaise.

S'agissant de la Syrie, s'il est convaincu de la nécessité d'entretenir de bonnes relations avec elle, ce sont ses interventions dans la politique intérieure libanaise qui, selon lui, posent problème.

Notre délégation a pu rencontrer un certain nombre de représentants de ce parti, de confessions variées, et avoir un échange très franc et fructueux avec eux.

S'ils peuvent se prévaloir d'un discours moderne, équilibré, argumenté, dépassionné et de leur intégrité, leur audience est cependant encore limitée.

6. L'appel vigoureux du synode des évêques maronites

Dans le contexte difficile décrit précédemment, le 4 septembre 2002 , Leurs Excellences les évêques maronites ont décidé, pour la troisième année consécutive, de rendre public un nouvel Appel (joint en annexe au présent rapport).

Ils y regrettent en particulier l'application au Liban, surtout d'ailleurs parmi les chrétiens, du vieux dicton : "diviser pour régner" .

Ils y dénoncent également les conséquences d'une stratégie de "bâton et carotte" ou de "promesses et menaces" qui favoriserait le développement de la corruption au sein de l'administration, la dilapidation des fonds publics, la mise de la justice "au service des intérêts des politiciens influents" , et la "perte du sens de la responsabilité".

Ce troisième Appel réitère le souhait de l'Église maronite "que les relations entre le Liban et la Syrie soient assainies en appliquant les accords de Taëf, ainsi que les résolutions des Nations-Unies" . Il fait également part de ses "appréhensions et craintes" face à la situation régionale et aux risques d'une guerre en Irak.

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