INTRODUCTION

La 32 ème session de l'Association interparlementaire France-Canada s'est déroulée en France du 8 au 14 juillet 2003, alors que le Parlement français était convoqué en session extraordinaire, du 1 er au 24 juillet.

La suspension des activités du Parlement, entre février et juillet, en raison des échéances électorales et le délai nécessaire à la reconstitution des organes de l'Assemblée nationale n'avaient pas permis que cette session se tienne au cours de l'année 2002, à la suite de la 31ème session, qui avait eu lieu, en septembre 2001, au Canada.

Ainsi qu'il en a été décidé à Ottawa, lors d'un comité permanent réuni les 18 et 19 février, l'ordre du jour de la session a été consacré à l'examen de quatre thèmes choisis en fonction de leur actualité et de l'intérêt commun qu'ils présentaient pour les parlementaires français et canadiens.

En écho au rapport présenté par la section française sur l'Elargissement et l'intégration européenne , celui du groupe canadien a fait état de la longue histoire et de l'importance des relations entre le Canada et l'Europe, une des pierres angulaires de la diplomatie canadienne.

L'examen par les deux Parlements, au cours de la même année 2003, de textes de loi relatifs à la Bioéthique et aux nouvelles technologies de reproduction , suffisait à démontrer l'existence de préoccupations très semblables du législateur, dans les deux pays, face aux avancées, quelquefois trop rapides, de la science et de la technique médicale dans le domaine du vivant.

Ayant remarqué l'importance prise par les questions de Justice et de sécurité publique au cours des campagnes électorales pour l'élection présidentielle et les élections législatives, qui se sont déroulées en France en 2002 et auxquelles ils étaient venus assister, les membres du groupe canadien ont souhaité être mieux informés des modifications législatives récemment intervenues dans ces domaines et les comparer à leur propre approche. La présentation de rapports par les deux sections a été complétée par un entretien avec M. Pierre Bédier , secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la Justice et par une rencontre avec des magistrats de la Cour d'Appel d'Angers .

Enfin, la coopération spatiale franco-canadienne , qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, dans le cadre de l'Agence spatiale européenne, a constitué le cadre d'un échange de vues enrichi par la participation d'intervenants extérieurs à l'expertise reconnue.

A Paris, les membres de l'association ont été reçus en audience par M. Jean-Louis Debré , Président de l'Assemblée nationale, et par M. Christian Poncelet , président du Sénat. Ils ont également été reçus au Ministère de l'Economie et des Finances par M. Alain Lambert , ministre délégué au Budget.

A Angers, ils ont visité l'Ecole Supérieure d'Application du Génie (ESAG) qui dispose d'un centre de formation dans des opérations de déminage post-conflictuel de réputation mondiale. Les membres de l'association ont exprimé le regret que les munitions de dispersion ne soient pas interdites par la Convention d'Ottawa alors que, à l'instar des mines anti-personnel, elles frappent aveuglement les populations civiles autant que les unités combattantes.

A Saint-Nazaire, la délégation parlementaire a été accueillie aux Chantiers de l'Atlantique par M. Patrick Boissier, président d'Alstom-marine. Au cours de la visite du site de construction navale, elle a pu découvrir le Queen Mary II , le plus gros paquebot jamais construit, qui prendra la mer avant la fin de l'année et fera escale à Québec, en octobre 2004.

En outre, au cours de son déplacement en province, la délégation canadienne a visité l'Abbaye royale de Fontevraud et découvert, au sud de la Bretagne, deux des plus beaux sites naturels de la région, le golfe du Morbihan et les marais salants de Guérande.

A son retour à Paris, l'association était invitée à la réception donnée à l'hôtel de Brienne par Mme Michèle Alliot-Marie , ministre de la Défense. Les parlementaires canadiens y ont été présentés au président de la République, M. Jacques Chirac , et au premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin . Ils ont assisté, le 14 juillet, au défilé militaire sur les Champs Elysées, avant de regagner leur pays le lendemain.

* * *

Les informations, régulièrement mises à jour, sur le fonctionnement et les activités de l'Association interparlementaire France-Canada / Canada-France peuvent être consultées sur le site de l'Assemblée nationale ( http ://webdim/i nternational/commission-canada.asp ) ainsi que sur celui du Parlement du Canada ( http ://www.parl.gc.ca/information/InterPa rl/Associations/france/Prin-f.htm ).

I. ÉLARGISSEMENT ET INTÉGRATION EUROPÉENNE

M. Marc Laffineur , député, président de la section française , a souhaité la bienvenue à tous les participants à la 32 ème session de l'Association interparlementaire France-Canada et tout particulièrement à ses collègues canadiens. Il les a informés que le Parlement était en session extraordinaire, convoquée par le Président de la République, pour discuter notamment du projet de loi sur les retraites, et il a présenté brièvement le programme de la session.

L'honorable Lise Bacon, sénatrice, présidente du groupe canadien , l'a remercié pour son accueil et s'est réjouie de la réunion de cette nouvelle session de l'association qui lui donnait l'occasion de débattre avec ses collègues français de sujets importants, de parcourir à nouveau la France et, tout particulièrement, de participer à la fête nationale du 14 juillet.

A. INTERVENTION DE M. GEORGES COLOMBIER, DÉPUTÉ, RAPPORTEUR POUR LA SECTION FRANÇAISE

M. Georges Colombier s'est réjoui de retrouver certains participants déjà rencontrés lors de la réunion du comité permanent, en février, à Ottawa ; il est passé ensuite à la présentation du rapport de la section française sur l'élargissement et l'intégration européenne.

La signature à Athènes, le 16 avril dernier, du traité d'adhésion entre les quinze États membres de l'Union européenne et les dix candidats qui y seront admis officiellement le 1 er mai 2004 a marqué l'aboutissement d'un processus entamé dix ans auparavant par le Conseil européen de Copenhague.

Ce cinquième élargissement revêt évidemment une dimension historique et politique particulière puisqu'il s'agit avant tout de réunifier l'Europe ; il comporte des enjeux institutionnels majeurs que le traité d'adhésion ne prétend pas tous régler malgré un accord équilibré à l'avantage des deux parties.

Au sein même de l'Assemblée nationale, cet élargissement « soulève un enthousiasme qui doit être teinté de réalisme et laisse même place à une certaine inquiétude » déclarait René André, député UMP de la Manche et auteur d'un rapport d'information remarqué sur l'élargissement de l'Europe, auquel il pardonnera certainement les très nombreux emprunts.

1 - Un élargissement historique

La réunification de l'Europe confère à ce 5 ème élargissement une dimension historique qui renvoie au second plan la question des disparités économiques difficiles à surmonter et n'occulte pas totalement les réticences nées de part et d'autre.

Fondée entre les six pays signataires du traité de Rome en 1957 -Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas- la Communauté européenne, devenue Union européenne par le traité de Maastricht, s'était déjà élargie à quatre occasions en intégrant le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Irlande, en 1973, la Grèce, en 1981, l'Espagne et le Portugal, en 1986, et enfin l'Autriche, la Finlande et la Suède en 1995.

La Norvège, quant à elle, a refusé deux fois par référendum d'entrer dans l'Union européenne, en1972 et en 1994.

Mais chacune de ces ouvertures s'était faite en direction de pays d'Europe de l'Ouest, déjà membres des mêmes alliances (alliance atlantique et UEO pour la plupart) disposant de structures politiques, économiques et sociales très semblables et de niveaux de vie assez proches, qui avaient tout pour se rassembler. Malgré une certaine âpreté dans la discussion, ces élargissements n'ont généré aucune difficulté majeure et ont abouti à la création d'une Union qui a pu fonctionner à peu près correctement sans modification de ses statuts ni de ses règles, malgré des approches politiques souvent très divergentes.

Toute autre est la problématique de ce 5 ème élargissement qui doit tout à l'histoire, ancienne et récente. L'Europe se souvient qu'avant le rideau de fer elle constituait une communauté partageant le même socle de valeurs culturelles, politiques, philosophiques et religieuses. Dès l'origine, les rédacteurs du traité de Rome avaient eu la sagesse de prévoir à l'article 237 - devenu l'article 0 du traité de Maastricht - que « tout État européen peut demander à devenir membre de [l'Union] ».

Dans l'enthousiasme post-soviétique qui prévalait à l'époque,-un an à peine après la chute du mur de Berlin et avant même l'éclatement de l'URSS et du pacte de Varsovie- l'Union européenne (UE) a ouvert très rapidement la voie à l'adhésion des Pays d'Europe centrale et orientales (PECO) en se déclarant prête à signer des accords d'association, au conseil européen de Dublin (avril 1990) et, surtout, en adoptant au Conseil de Copenhague (1993) les trois critères destinés à fixer le cadre d'un futur élargissement. L'état de délabrement économique et social dans lequel se trouvaient alors la plupart de ces pays aura nécessité dix ans de négociation et de préparation pour les amener à un niveau suffisant et limiter ainsi la déflagration d'une entrée précipitée et mal préparée.

En accueillant dix nouveaux Etats l'UE va accroître sa population de 20 %, passant de 375 à 450 millions d'habitants, mais son PIB va s'accroître de seulement 4,6 %, soit 400 milliards d'euros.

En termes de population, cet élargissement (75 millions d'habitants) est moins important que celui de 1973 lorsque l'entrée de l'Angleterre du Danemark et de l'Irlande représentait un accroissement de 34 % de la population de la CEE.

En parité de pouvoir d'achat, les habitants des dix futurs membres disposent à peine de 40 % du revenu moyen des Quinze, mais il existe de fortes disparités entre les Slovènes (70 %) et les Tchèques (60 %), qui sont les mieux placées, et les Lettons (32 %), les Lituaniens (37 %) et les Polonais (39 %), qui sont les plus pauvres. Lors de leur adhésion en 1986, l'Espagne et le Portugal avaient un revenu par tête de l'ordre de 70 % de la moyenne communautaire.

Du fait de cet écart de développement, la comparaison avec l'ALENA 1 ( * ) est souvent avancée ; mais l'ALENA n'est pas un marché intégré, ni même un marché commun et ne s'appuie pas sur des politiques communes. Il n'existe pas au sein de l'ALENA l'équivalent d'un budget européen ni de système de redistribution destiné à favoriser la convergence des revenus entre ses membres. C'est seulement au niveau des écarts actuels de rémunération et de développement technologique susceptible d'induire des effets de réallocation massive de main-d'oeuvre vers les nouveaux membres que la comparaison avec la situation du Mexique au sein de l'ALENA pourrait être pertinente.

Ces écarts laissent envisager un processus de convergence qui devrait être très long, certains experts évoquant l'échéance d'une génération. Selon le Commissaire européen aux affaires économiques, Pedro Solbes, il faudra « au moins vingt-cinq ans pour que les dix nouveaux membres de l'UE atteignent le niveau économique des membres actuels ».

L'importance d'une agriculture faiblement productive et grosse consommatrice d'emplois, notamment en Pologne, et le faible développement d'une industrie moderne et compétitive expliquent notamment l'importance du fossé qui sépare encore les européens des deux côtés du défunt rideau de fer.

Cet euro-scepticisme qui tend à se généraliser au fur et à mesure que l'élargissement s'approche peut être résumé à quelques grands traits :

- au sein des pays candidats, les opinions rechignent à sacrifier une souveraineté tout juste reconquise. Le souvenir des diktats de Moscou ne les incite pas à accepter facilement les « directives » de Bruxelles. On a vu très récemment l'exemple de la « lettre des dix » à propos du conflit irakien qui est révélateur de cet état d'esprit.

Les citoyens des pays candidats ne sont, par ailleurs, pas prêts à tous les sacrifices entraînés par les nombreuses réformes nécessaires à l'adaptation de leur législation aux normes de l'UE, dont le coût social leur paraît démesuré. La peur du chômage, de l'augmentation des prix et de la stagnation des revenus est le sentiment le plus répandu, mais il se double fréquemment d'un refus de voir les terres et les entreprises rachetées par les européens de l'Ouest au pouvoir d'achat nettement supérieur.

- dans les 15 pays de l'UE, c'est plutôt la perte des subventions ou l'augmentation des contributions au budget communautaire qui motive ce manque d'enthousiasme. Le sentiment que les délocalisations d'entreprises, à la recherche d'une main-d'oeuvre meilleur marché chez les nouveaux membres, vont se multiplier fait craindre une poussée du chômage et l'arrivée massive de migrants à la recherche d'emplois mieux rémunérés.

La chute de 10 % à 15 % du revenu moyen par tête, dans l'Union élargie, va priver mécaniquement de l'apport des fonds structurels environ la moitié des régions qui en bénéficient aujourd'hui. Ainsi l'Espagne, le Portugal, la Grèce et l'Irlande redoutent d'être les principaux perdants.

Se focalisant sur l'annonce d'un intégration économique, alors qu'elle est déjà largement réalisée dans les faits 2 ( * ) depuis 1994, les citoyens européens redoutent les effets d'une concurrence qui existait déjà et qui aurait plutôt tendance à s'atténuer sous l'effet de la convergence des économies consécutive à l'intégration des pays candidats dans un marché unique agrandi. Mais tous, experts et citoyens, se rejoignent sur la durée de cette convergence, qu'ils apprécient en décennies plutôt qu'en années. La situation de l'ex-RDA, treize ans après sa réunification à la prospère Allemagne est là pour rappeler la difficulté de cette convergence, aussi bien dans les esprits que sur le plan économique.

La réussite de cette intégration étalée est conditionnée par l'application d'un processus de convergence étroitement encadré par l'accord de Copenhague.

2 - Un processus de convergence encadré par l'accord de Copenhague

La réussite de cette intégration étalée est conditionnée par l'application d'un processus de convergence étroitement encadré par l'accord de Copenhague.

L'intégration des 10 candidats va s'étaler sur deux décennies depuis le Conseil de Copenhague de 1993 jusqu'à l'application complète de la PAC 3 ( * ) en 2013.

Depuis la définition des critères d'adhésion (Copenhague 1993), presque dix ans de transition auront été nécessaire pour aboutir à la finalisation de l'accord d'adhésion (Copenhague 2002).

Fondée au début des années 90 sur des motivations politico-morales - l'accueil des nouveaux pays étant alors considérée comme un « devoir historique » - la démarche de l'UE a ensuite évolué, après les guerres des Balkans, vers des considérations politico-stratégiques tendant à élargir son aire de stabilité par l'incorporation de ses voisins immédiats. C'est dans cette optique que le conseil d'Helsinki (décembre 1999) prit la décision d'ouvrir un perspective d'adhésion aux pays des Balkans occidentaux qui en avaient été jusque là tenus à l'écart.

C'est au conseil européen de Copenhague (juin1993) que furent établis les trois critères d'adhésion à respecter par les futurs candidats ouvrant ainsi la voie aux négociations en vue de leur adhésion :

- un critère politique = présence d'institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'Homme, le respect des minorités et leur protection ;

- un critère économique = existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'UE ;

- et un critère de la reprise de l'acquis communautaire = capacité du pays candidat à en assumer les obligations et notamment à souscrire aux objectifs de l'union politique économique et monétaire.

Il faut néanmoins rappeler que le seul respect des critères d'adhésion ne confère pas automatiquement le droit de devenir membre de l'UE, décision politique qui relève des États membres.

Au cours des dix années suivantes, l'UE n'a ménagé ni son soutien ni son assistance aux candidats à l'adhésion pour lesquels la reprise de l'acquis communautaire a représenté une charge plus lourde que lors des précédents élargissements du fait de l'écart de développement plus important mais aussi du fait de l'accroissement de la législation communautaire intervenue depuis.

Les principales étapes de cette marche à l'adhésion ont été :

- le Conseil européen de Madrid (décembre 1995) qui a décidé le renforcement des obligations du 3ème critère de Copenhague pour que chaque pays candidat adapte ses structures administratives afin que la législation communautaire ne soit pas seulement transposée au niveau national mais aussi appliquée efficacement par le biais de structures administratives et judiciaires appropriées ;

- la publication, en 1997, par la commission européenne, de l'Agenda 2000 prévoyant un cadre financier de soutien au processus de pré-adhésion des PECO doté d'une enveloppe de 21 milliards d'euros pour la période 2000-2006 et comportant trois grands chapitres : le programme PHARE, axé sur les priorités liées à la reprise de l'acquis communautaire, une aide au développement agricole, et une aide structurelle destinée au rapprochement avec les normes communautaires en matière d'infrastructures, notamment dans les domaines du transport et de l'environnement ;

- l'ouverture, le 30 mars 1998, des négociations d'adhésion proprement dites avec les six pays du groupe de Luxembourg (Estonie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovénie et Chypre) considérés comme les plus avancés dans le processus d'adhésion ;

- l'ouverture à Helsinki (décembre 1999) des négociations en vue de l'adhésion avec un groupe de cinq autres pays (Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Roumanie et Slovaquie) désormais appelé le groupe d'Helsinki ;

- l'annonce, au conseil de Nice (décembre 2000), que l'UE serait en mesure d'accueillir les pays candidats qui seront prêts à partir de la fin 2002, en leur permettant de participer aux élections européennes de 2004 ;

- la décision, à Laeken (décembre 2001), d'opter pour le scénario du grand bond en avant en désignant 10 pays comme susceptibles d'achever les négociations fin 2002 et d'adhérer à l'UE en 2004 (tous les candidats plus Malte et moins la Roumanie et la Bulgarie, considérées comme n'étant pas prêtes) ;

- le ralliement, à Bruxelles (octobre 2002), du Conseil européen aux conclusions de la Commission qui considérait que les dix candidats remplissaient les critères politiques et seraient en mesure de remplir les critères économiques en 2004, donc d'assumer leurs obligations vis à vis de l'Union ;

- et enfin, la mise au point, au sommet de Copenhague (décembre 2002), après d'ultimes marchandages, de l'accord entre les 15 membres de l'UE et les 10 candidats sur les conditions d'un élargissement à 25 et leur entrée effective le 1er mai 2004.

L'accord de Copenhague se présente comme un accord équilibré à l'avantage des deux parties qui comporte d'abord un volet financier peu coûteux pour les 15 complété par des concessions et des déclarations contrebalancées par la mise en place d'un suivi des engagements de reprise effective de l'acquis communautaire et l'introduction de clauses de sauvegarde.

La négociation financière s'est déroulée en trois étapes :

- la fixation à Berlin (mars 1999) d'un plafond de dépenses pour l'adhésion à 42,59 milliards d'euros pour le période 2004-2006 ; il ne concernait alors que les six pays du groupe de Luxembourg ;

- la détermination par la Commission, en janvier 2002, d'un cadre global pour les dix adhérents de 41,42 milliards d'euros en crédits d'engagement et 25,53 milliards en crédits de paiement pour la période 2004-2006 ;

- et enfin la pérennisation de la PAC, au moins jusqu'en 2013, et son application aux nouveaux pays membres à la suite de l'accord franco-allemand au conseil de Bruxelles (octobre 2002) : en contrepartie d'une stabilisation des dépenses agricoles de 2007 à 2013 au niveau de 2006 acceptée par la France, l'Allemagne a accepté que les nouveaux entrants bénéficient des aides agricoles directes, mais avec une certaine progressivité (plafonnés à hauteur de 25 % en 2004 les versements augmenteront de 5 % par an jusqu'en 2007 puis de 10 % les années suivantes pour atteindre 100 % en 2013).

Résultat d'un compromis laborieux entre les exigences des dix et la volonté des 15 de ne pas dépasser le plafond qu'elle s'était fixé, l'accord s'est conclu à Copenhague sur une enveloppe globale - pour financer l'adhésion des dix nouveaux membres de 2004 à 2006 - de 40,853 milliards d'euros en crédits d'engagement et de 25,143 milliards d'euros en crédits de paiement.

L'accord de Copenhague apparaît finalement à l'avantage des deux parties : les dix nouveaux membres bénéficieront de transferts nets dès leur adhésion à hauteur de 13,13 Md € pour les années 2004, 2005 et 2006, et ce malgré le règlement intégral de leurs contributions au budget annuel de l'Union.

Sans surprise, la Pologne la Hongrie et la République tchèque se partagent près de 75 % de l'enveloppe des paiements décidée à Copenhague, mais les trois Etats baltes ont beaucoup profité des dernières concessions forfaitaires de l'Union européenne. Ils sont en effet les seuls, avec la Pologne, à avoir un solde net supérieur, en valeur absolue, à la somme de leurs contributions de 2004 à 2006, ainsi qu'un retour de plus de 300 % sur leurs contributions.

Pour l'Union européenne l'accord de Copenhague représente un coût net relativement modéré sur la période 2004-2006, qui peut être évalué à 14,804 milliards d'euros de 2004 à 2006, soit à peine vingt-cinq euros par habitant des quinze et par an pour les trois premières années, ou 0,04 % de leur PIB. Au-delà, les coûts de l'élargissement dépendront autant des reformes éventuelles de la PAC et des règles d'attribution des fonds structurels que de la capacité des nouveaux membres à mobiliser les financements européens.

La France est le second contributeur de ce paquet après l'Allemagne, avec un coût net maximum évalué au total entre 2,2 et 2,675 milliards d'euros pour la période 2004-2006 compte tenu d'un aléa lié au taux de change, soit moins de 10 % de l'enveloppe totale de crédits de paiement accordée aux dix nouveaux membres à Copenhague. Enfin, le coût net pour le Royaume-Uni est très allégé, puisque les dépenses d'élargissement seront intégrées dans le calcul de la correction britannique et donneront lieu à compensation.

Le volet financier est complété par des concessions des quinze aux dix candidats formalisées dans des déclarations collectives ou unilatérales auxquelles elle oppose des clauses de sauvegarde, le tout étant destiné à ménager une transition supportable pour les uns et acceptable pour les autres.

Neuf protocoles, ainsi que de nombreuses annexes et déclarations communes ou unilatérales insérés dans le Traité d'adhésion se proposent de régler des questions particulières délicates et de prendre en compte des attentes spécifiques des pays adhérents.

Quarante-quatre déclarations sont annexées au Traité, notamment : la déclaration « Une seule Europe » signée par les vingt-cinq membres actuels et futurs, rappelant le caractère « continu, inclusif et irréversible » du processus d'élargissement, surtout vis-à-vis de la Roumanie et de la Bulgarie, ainsi que de la candidature turque.

Le 10 juin 2002, la Commission a proposé de généraliser la procédure de suivi des engagements d'application effective de l'acquis communautaire pris par les pays candidats et d'insérer des clauses de sauvegarde dans le Traité d'adhésion, inspirées de celle qui avait été introduite dans le traité d'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède signé en 1994.

Le Traité d'adhésion comporte en outre trois clauses de sauvegarde qui pourront être invoquées pendant une durée de trois ans à compter de l'adhésion des dix nouveaux membres, soit jusqu'au 30 avril 2007 :

- une clause de sauvegarde économique générale (article 37), qui vise avant tout à rassurer les dix nouveaux membres et à leur permettre, le cas échéant, d'atténuer dans certains secteurs économiques ou dans certaines régions sensibles, les conséquences d'un choc macroéconomique ou concurrentiel trop rude qui serait lié à l'adhésion. Pour les actuels membres, cette clause vise surtout à prévenir les distorsions de concurrence transfrontalière qui seraient trop fortes ;

- une clause spécifique de sauvegarde du marché intérieur (article 38), qui ne vise que les nouveaux membres, en cas de manquements graves aux obligations de reprise et d'application effective de l'acquis et couvre notamment la sécurité alimentaire ;

- une clause spécifique de sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures (article 39), afin de pouvoir suspendre temporairement la reconnaissance mutuelle des décisions de justice en matière civile et pénale en cas de manquement grave ou d'un risque imminent de graves manquements d'un nouvel Etat membre au regard de normes judiciaires essentielles (libertés publiques, liberté d'entreprise).

L'accord de Copenhague a ouvert jusqu'à l'adhésion effective une période de transition en cinq étapes qui ponctuent, de décembre 2002 à mai 2004 la marche à l'adhésion effective , dont la première, la signature du traité d'adhésion, est réalisée, et la deuxième, les référendums de ratification dans les pays adhérents, est sur le point de se terminer :

* la signature officielle du Traité d'adhésion, s'est déroulée à Athènes, le 16 avril 2003, sans surprise. Elle intervenait après le vote à une large majorité de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen en faveur de l'adhésion des dix, le 19 mars, et l'avis conforme du Parlement européen rendu le 9 avril.

Depuis le 16 avril 2003, et jusqu'à l'adhésion, le 1 er mai 2004, les dix futurs membres disposent dorénavant d'un statut « d'observateurs actifs » au Conseil, où ils pourront prendre la parole, au Parlement européen, où ils pourront participer aux travaux ainsi que dans les comités d'experts, et ils seront invités à participer à la CIG 4 ( * ) qui devra, notamment, à la suite de la Convention établir le texte définitif de la future constitution européenne.

* la période des référendums de ratification dans les pays futurs membres, qui a débuté à Malte, le 8 mars, et s'achèvera en Lettonie, le 20 septembre 2003, est maintenant suffisamment avancée pour que le résultat définitif ne soit plus une surprise, puisque 70 des 75 millions de citoyens invités à rejoindre l'UE ont déjà répondu favorablement.

Sauf à Chypre, où l'échec des négociations sur la réunification de l'île le 10 mars 2003 ne l'a pas permis, tous les pays candidats ont choisi la voie référendaire pour ratifier le traité d'adhésion malgré une popularité plutôt variable. Il faut souligner qu'à l'exception de la Hongrie, de la Slovénie et de l'Estonie, où il n'ont qu'un caractère consultatif, les référendums sont décisifs.

Hormis à Malte, où le faible taux des « oui » au référendum est le résultat d'une hostilité marquée de l'opposition travailliste à l'entrée dans l'Union, le succès des référendum dans les PECO a été terni par une abstention parfois importante qui s'explique autant par le sentiment que les jeux étaient faits que par une opposition de certaines régions ou de certaines catégories socioprofessionnelles à l'adhésion.

* la publication par la Commission, à l'automne 2003, du dernier rapport de suivi sur la mise en oeuvre de l'acquis communautaire par les dix futurs membres. Il s'agit d'une étape importante car la réforme effective de l'administration et de la justice reste la condition prioritaire du respect du troisième critère de Copenhague et constitue la marque la plus claire de la volonté politique des pays candidats de réussir leur adhésion et leur intégration ;

* la ratification du traité d'adhésion par les Quinze est encore à venir, seul le Danemark y ayant à ce jour procédé. Les pays membres ont choisi la voie parlementaire, préférant ainsi éviter de rééditer l'expérience irlandaise qui a du s'y reprendre à deux fois pour ratifier le traité de Nice. Au Parlement français, cette ratification devrait probablement avoir lieu au cours de la session d'automne 2003 ;

* l'adhésion effective des nouveaux membres le 1 er mai 2004, sera suivie d'une période d'intégration progressive aux institutions de l'Union qui dépassera alors le strict cadre de l'élargissement pour concerner le fonctionnement institutionnel d'une union élargie à vingt-cinq pays.

La date d'adhésion a été fixée au 1 er mai 2004 pour permettre aux dix pays adhérents de participer à l'élection des représentants nationaux au Parlement européen, qui aura lieu en juin 2004 et qui sera suivie de l'installation de la nouvelle Commission le 1 er novembre. Plus que les seuls nouveaux adhérents, cette période concerne désormais les 25 membres de l'Union élargie.

L'intégration progressive des nouveaux membres vient télescoper une succession d'échéances décisives pour les vingt-cinq

Le calendrier européen des quatre prochaines années comporte une succession d'échéances décisives pour la réussite du processus d'élargissement et pour l'avenir des institutions et des politiques communes de l'Union européenne :

- l'entrée en application du traité de Nice (2003-2005) ;

- la réforme institutionnelle proposée par la Convention européenne qui devra être confirmée par la GIG (automne 2003 - ?...2004) ;

- l'arrivée des dix nouveaux membres dans les institutions (1 er mai 2004) ;

- le renouvellement du Parlement européen (juin 2004) ;

- le renouvellement de la Commission (31 octobre 2004) ;

- le débat (en 2005-2006) sur la définition des perspectives financières de l'Union, élargie en principe à vingt-sept, pour la période 2007-2013.

Ce calendrier peut donner le vertige dans la mesure où chaque échéance suit sa propre logique mais où chacune interagit sur l'autre sans qu'on puisse encore préjuger de quelle manière. La plupart intervenant en 2004, concomitamment avec la fin du processus d'élargissement, il est important de se pencher sur leurs interactions.

a) Combinaison des dispositions du traité d'adhésion avec celles du traité de Nice

Le traité de Nice avait procédé à une réforme institutionnelle de l'Union européenne en préalable à l'élargissement. Mais deux raisons ont conduit le Conseil européen de Copenhague à adapter, par le Traité d'adhésion, plusieurs de ses dispositions dont l'entrée en vigueur n'était prévue qu'au 1 er janvier 2005 et qui devaient concerner vingt-sept membres et non vingt-cinq.

Ces adaptations conduisent à considérer deux périodes distinctes dans le fonctionnement des institutions : du 1 er mai au 31 octobre 2004, et du 1 er novembre 2004 à l'année 2009 où, l'UE comptant alors 27 membres, d'autres dispositions seront prises.

Commission : les dix nouveaux membres disposeront chacun d'un Commissaire européen «sans portefeuille », du 1 er mai au 31 octobre 2004.

A partir du 1 er novembre 2004, la Commission comptera un Commissaire national par Etat membre, les cinq Etats membres les plus peuplés ayant renoncé à leur deuxième commissaire. Ses vingt-cinq membres seront soumis à un vote d'approbation du Parlement européen qui aura été élu en juin 2004. La nouvelle Commission prendra ses fonctions pour 5 ans, jusqu'au 31 octobre 2009.

Parlement européen : les dispositions du traité de Nice s'appliqueront dès les élections de juin 2004 dans les 25 États membres. Le nombre de députés sera plafonné à 732.

La France dispose actuellement de 87 sièges de députés, qui passeront à 78 après les élections de juin 2004 et à 72 après les élections qui suivront l'adhésion de la Bulgarie et la Roumanie .

Conseil Européen 5 ( * ) : du 1 er mai au 31 octobre 2004 , la pondération des voix par pays et le calcul de la majorité qualifiée requise pour certains votes vont résulter d'une extrapolation des dispositions actuelles aux dix nouveaux membres, en attendant l'entrée en vigueur des nouvelles pondérations fixées à Nice.

Entre le 1 er mai et le 31 octobre 2004, lorsque le Conseil statuera à la majorité qualifiée, le seuil sera fixé à 88 voix pour adopter une proposition de la Commission, et à 88 voix plus une majorité des deux tiers des Etats membres dans le cas des autres textes.

Dès le 1 er novembre, qui est aussi la date d'installation de la nouvelle commission, le nombre des voix pondérées au Conseil passera à 321. Le seuil de la minorité de blocage sera alors de 90 voix, ce qui permettra à 3 « grands » Etats membres à 29 voix et à un seul « petit », y compris le plus petit, Malte (3 voix) de bloquer toute initiative qui serait proposée par une majorité composée uniquement de « petits pays ».

Une nouvelle majorité qualifiée nécessitera la réunion de 232 voix (soit 72,27 %) et comportera deux conditions complémentaires, cela toujours pour éviter le vote d'une disposition par les seuls petits pays, sur-représentés au conseil proportionnellement à leur population.

Ainsi, lorsqu'il est prévu que le Conseil statue à la majorité qualifiée, trois seuils pourront être déclenchés :

- une majorité qualifiée « simple », à 232 voix lorsqu'il s'agit d'adopter une proposition émanant de la Commission ;

- une majorité qualifiée à 232 voix combinée à une majorité des deux tiers des Etats membres, dans les autres cas ;

- et, enfin, une majorité qualifiée à 232 voix combinée à une majorité des deux tiers des Etats membres, représentant au moins 62 % de la population totale de l'Union européenne (la clause dite de vérification démographique) lorsqu'un Etat membre le demandera. Si cette dernière condition n'est pas remplie, alors que les deux premières le sont, la décision ne sera pas adoptée.

b) Les incidences du projet de Constitution européenne

Prenant acte de la nécessité de réformer les institutions de l'UE et afin d'en éviter le blocage complet à la suite de l'élargissement qui se préparait, le conseil européen de Laeken (décembre 2001) a décidé de réunir une convention européenne réunissant les principales parties prenantes du débat sur l'avenir de l'Europe et chargée de faire des propositions sur cette réforme, notamment dans quatre domaines retenus par la « Déclaration sur l'avenir de l'Union » annexée au traité de Nice :

- la répartition des compétences entre l'Union et les Etats membres ;

- la simplification des traités ;

- le statut de la Charte des droits fondamentaux ;

- et le rôle des parlements nationaux dans la future architecture institutionnelle de l'Union.

Réunie depuis le 28 février 2002, et devant siéger jusqu'au 10 juillet 2003, la Convention sur l'Avenir de l'Europe, est composée de quinze représentants des chefs d'états membres, trente représentants des parlements nationaux, seize représentants du parlement européen, et deux représentants de la Commission. Les pays candidats (les dix plus la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie) y participent, mais sans doit de vote, par l'intermédiaire de treize représentants des chefs d'états et vingt-six représentants des parlements.

Un organe directeur de douze membres, le Présidium, en dirige les débats. Il est présidé par Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République française.

Au cours des seize mois de son existence, maîtresse de son ordre du jour, elle a tenu entre une et deux sessions plénière par mois au cours desquelles elle a été au-delà de son mandat originel puisqu'elle a réussi à élaborer un projet de Constitution européenne, dont elle a présenté au Conseil de Salonique (juin 2003) les deux premières parties. Les titres III et IV doivent être finalisés d'ici quelques jours.

Mais la Convention restant un organe consultatif, son projet va devoir être soumis à une conférence intergouvernementale (CIG), qui sera réunie à l'automne 2003, sous présidence italienne, et devra trancher parmi les propositions de la Convention afin de proposer l'adoption d'un nouveau traité.

Sans préjuger de la décision la CIG, on peut néanmoins rappeler les principales propositions de réforme des institutions faites par la Convention européenne, qui peuvent paraître bien timides à certains mais vont néanmoins dans le sens d'une affirmation politique de l'Europe :

- création d'une Présidence de l'Union, en remplacement de la présidence tournante tous les six mois en vigueur, qui serait assumée par un président élu par le Conseil européen pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois ;

- création d'un poste de Ministre des Affaires étrangères de l'Union : nommé à la majorité qualifiée par le Conseil européen, en accord avec le Président de la Commission, il sera membre d'office de la Commission dont il présidera le conseil « affaires étrangères » ;

- vote au Conseil européen : la majorité qualifiée, à partir de 2009, serait celle obtenue par une majorité des Etats membres représentant 60 % de la population ;

- réduction à quinze, à partir de 2009, des membres de la Commission européenne qui comprendra alors :

- un président élu par le Parlement sur proposition du Conseil européen ;

- un ministre des Affaires étrangères, vice-président d'office ;

- treize autres commissaires désignés par le Président sur proposition des Etats membres ;

- des commissaires sans droit de vote pour que chaque Etat ait un représentant à la Commission.

- Parlement européen : limitation du nombre d'élus à 736, quel que soit le nombre d'Etats membres et un nombre de députés par Etat fixé de manière « dégressivement proportionnelle » avec un minimum de 4 députés ; généralisation de la procédure de « codécision » avec le Conseil, qui lui permettra de devenir un véritable législateur.

Enfin, la Convention a proposé d'attribuer une personnalité juridique à l'Union, d'intégrer la Charte européenne des droits fondamentaux dans la Constitution, de répartir de façon plus claire les compétences entre l'Union et les Etats membres.

Qualifié de « bonne base de départ » par les dirigeants européens, au sommet de Salonique, le projet de la Convention va néanmoins devoir subir pendant la CIG les assauts de tous les eurosceptiques et en particulier de ceux, comme l'Espagne et la Pologne, qui craignent de perdre des avantages conquis à Nice ou qui sont rétifs à toute idée de constitution en général, comme la Grande-Bretagne. Il n'est donc pas certain qu'il en ressorte totalement indemne.

De nombreux pays membres ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils soumettraient à référendum la ratification de cette Constitution. En France, la question n'est pas encore tranchée sur ce point.

3 - Une unification qui impose une réflexion sur la stratégie future

Avec ce 5 ème élargissement, qui constitue une réelle avancée historique dans la construction de l'Europe, l'unification complète de l'Europe est désormais en vue. Les Européens ne doivent cependant plus perdre de vue qu'il leur faut désormais mener une réflexion sur la stratégie à adopter tant vis à vis de leurs nouveaux voisins que sur le rôle qu'ils entendent jouer sur la scène mondiale.

a) Avec les prochains élargissements qui sont déjà engagés ou simplement évoqués, l'unification complète de l'Europe sera bientôt une réalité

L'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, qui est fixée à 2007, ne devrait pas poser de problème majeur sur le plan des institutions dans la mesure où elle est déjà entérinée par plusieurs dispositions des traités de Nice et d'Athènes. A Salonique, le conseil européen a déclaré soutenir « les efforts déployés par la Bulgarie et la Roumanie pour atteindre l'objectif consistant à conclure les négociations en 2004 » , pour une adhésion effective en 2007.

Les cinq pays des Balkans occidentaux -Albanie, Macédoine, Serbie-Monténégro, Bosnie-Herzégovine et Croatie- ont déjà commencé à frapper à la porte de l'Union et les Européens ont réaffirmé à Salonique que l'ensemble des Balkans a vocation à rejoindre l'Union mais qu'ils devront faire pour cela de gros efforts pour réformer leurs économies et lutter contre la corruption et les mafias. Aucun calendrier n'a été fixé ni aucune réponse claire donnée à l'intention de la Croatie d'adhérer dès 2007, mais l'UE a prévu d'apporter à ces pays une aide financière de 4,6 milliards d'euros, pour la période 2000/2006.

La question de la Turquie, éternelle candidate qui a déposé sa première candidature en 1963, avait déjà été renvoyée, au conseil de Copenhague, à la fin de l'année 2004 ; à cette date, la décision devrait alors être prise d'ouvrir ou non les négociations d'adhésion en fonction des progrès réalisés par ce pays pour rapprocher sa législation de celle de l'UE, notamment sur le chapitre des droits de l'Homme. Mais les récents propos du Président Giscard d'Estaing sur le caractère non-européen de la Turquie, l'arrivée au pouvoir d'un parti islamiste aux dernières élections législatives, le peu d'empressement mis par la Turquie à modifier de nombreux pans de sa législation d'exception, la montée des tensions religieuses et interethniques à travers le monde, rien de tout cela ne plaide pour l'accélération d'un processus dont la lenteur trahit la perplexité et explique les atermoiements de l'UE devant cette candidature.

Le peu d'empressement des parties à conclure est proportionnel à la gravité de l'enjeu pour les uns et les autres, car il met en lumière l'absence de réflexion des Européens sur la question de la cohésion de l'Union et de la délimitation de ses confins.

Car au-delà des difficultés institutionnelles d'un fonctionnement à 27, 30 ou plus, l'Europe se trouve à la croisée des chemins et va devoir faire des choix politiques qui impliquent qu'elle domine rapidement ses problèmes de fonctionnement interne sous peine de perdre la maîtrise du choix de son avenir, autant vis-à-vis de son nouveau voisinage que sur l'échiquier mondial.

b) La suite du débat sur le fonctionnement des institutions va conditionner la capacité de l'Europe à agir sur son environnement

Le débat engagé dans le cadre de la Convention européenne va désormais se poursuivre à 25 dans le cadre de la CIG. Si toutes les propositions de la Convention sont acceptées, l'Europe disposera alors d'une plus grande visibilité sur la scène internationale mais elle sera loin d'avoir résolu toutes les questions relatives à son approfondissement.

Il lui restera encore à démontrer sa capacité à mettre en place un processus de convergence des volontés nationales vers des positions communes, quitte à procéder par étapes en favorisant les dispositifs ouverts de coopération renforcée entre les États les plus soucieux d'intégration dans les secteurs clés de la politique étrangère ou de la défense. La création d'un monnaie commune n'est après tout que la réussite d'un tel processus et rien n'indique qu'il ne soit pas reproductible.

En effet, au fur et à mesure que l'UE se rapproche des confins de l'Europe se pose désormais d'une manière entièrement nouvelle la question de ses frontières. Déjà implicitement posée et toujours sans réponse à propos de la candidature de la Turquie, il y a été répondu il y a quelques années lors de la candidature officielle du Maroc, rejetée avec politesse. Mais qui de l'Ukraine, de la Biélorussie, de la Russie, mais aussi de l'Arménie ou d'Israël, tous tentés à un moment ou un autre d'intégrer l'UE, a vocation à y entrer ? Le simple respect des critères généraux, à caractère juridique, humaniste ou économique, retenus jusqu'alors ne sera bientôt plus suffisant à fonder l'identité européenne.

Le moment est venu de réfléchir à un dispositif répondant à la question posée par le précédent roi du Maroc : « moins que l'adhésion, plus que l'association ». Un début de réponse pourrait être apporté par la proposition de Romani Prodi sur la création d'un « cercle d'amis » dont les relations avec l'Union reposeraient sur le principe de « tout partager avec elle sauf les institutions », offrant ainsi une alternative entre l'adhésion et le rejet à l'extérieur. Sans répondre totalement à la question des frontières, cette proposition constituerait une première réponse aux inquiétudes des voisins immédiats de l'Europe de la voir se constituer en forteresse. Elle intéresserait aux premier chef les pays de la CEI ayant des frontières communes avec l'Europe (Russie, Biélorussie, Ukraine et Moldavie) mais aussi d'autres pays pour lesquels l'UE constituerait le principal pôle d'attraction.

Mais au-delà de la constitution d'une zone pluri-concentrique de convergence économique, on peut invoquer au moins quatre raisons en faveur de la création d'un acteur global européen d'ambition mondiale :

- Enrayer le déclin : Dans une étude commandée par la commission européenne, l'IFRI montre, à partir des projections de la situation actuelle, qu'une Europe à 30 membres verrait sa contribution au PIB mondial passer de 22 % en 2000 à 12 % en 2050.

Ce déclin a d'abord une cause démographique, puisque dans le même temps l'UE à trente verrait sa population passer de 493 à 454 millions d'habitants alors que celle l'ALENA passerait de 413 à 584 millions et celle de la « grande Chine » (avec Taiwan et Singapour) augmenterait de 1282 à 1473 millions d'habitants.

Ce déclin résulterait aussi de l'écart qui s'est déjà creusé avec les Etats-Unis dans quatre secteurs clés de la puissance : l'économie, la recherche, la culture et le militaire.

Seule une union politique dotée d'une forte ambition et d'une claire vision de son avenir sera capable d'agir sur les facteurs déterminants de sa croissance pour retrouver la masse critique nécessaire et la voix au chapitre dans les affaires du monde

- S'adapter au nouveau modèle de division internationale du travail, qui implique de plus en plus des choix de société ;

- Faire primer le politique sur l'économie pour mieux répondre au retour de la violence internationale que le choix de l'interdépendance économique mondiale n'a pas réussi à enrayer ;

- Cesser de déléguer aux Etats-Unis le soin de parler au nom de la communauté occidentale et d'en assurer l'essentiel de la sécurité. Leurs visions divergentes de l'évolution de la mondialisation et de la gestion des crises rend indispensable l'émergence d'un pilier européen solide qui fasse à nouveau de l'alliance atlantique le véritable partenariat qu'il n'est plus.

En guise de conclusion, M. Georges Colombier a souligné que cette stratégie à long terme ne pourrait avoir de réalité qu'autant qu'un consensus entre les Européens puisse se dégager sur un projet ambitieux de politique étrangère et de défense commune. Leur grand erreur serait de ne pas croire en eux-mêmes et en leur capacité d'influence collective sur le reste du monde.

Il apparaît ainsi que l'élargissement en cours, pour spectaculaire qu'il soit à bien des égards, ne constitue qu'une étape parmi d'autres dans la construction d'une Europe, unie jusqu'à maintenant, plus soucieuse de s'agrandir que de réfléchir à la véritable nature du lien commun qui unit ses membres et par voie de conséquence au futur auquel elle se destine.

Le processus de réflexion engagé parallèlement dans le cadre de la Convention sur l'Avenir de l'Europe, et les résultats auxquels il a déjà abouti, peuvent apparaître comme un augure favorable sur la capacité des Européens à s'unir lorsqu'il le faut.

*

* *

L'honorable Lise Bacon a remercié l'orateur et rappelé l'importance des relations entre le Canada et l'UE, fondées sur des liens historiques, culturels, linguistiques mais aussi des valeurs communes. Le Canada, qui est partisan depuis toujours de l'intégration européenne, entretient des relations de partenariat suivies avec l'Union européenne, notamment par le biais des sommets Union européenne-Canada, qui se réunissent régulièrement. A l'occasion du dernier sommet, à Athènes, le premier ministre du Canada, le très honorable Jean Chrétien, a souligné l'importance de cette collaboration pour relever les défis qui se posent tant au niveau national qu'international.

Elle a passé ensuite la parole à M. Georges Farrah , député, rapporteur pour le groupe canadien .

B. INTERVENTION DE M. GEORGES FARRAH, DÉPUTÉ, RAPPORTEUR POUR LE GROUPE CANADIEN

M. Georges Farrah a remercié ses collègues français pour leur accueil si chaleureux et leur a proposé d'échanger avec eux sur les relations entre le Canada et l'Union européenne.

L'Union européenne (UE) est extrêmement importante pour le Canada. Leur collaboration couvre plusieurs domaines : politique étrangère et politique de sécurité, justice et affaires intérieures, liens sur le plan universitaire, sans oublier les relations parlementaires. Le Canada et l'UE sont aussi des partenaires commerciaux importants. En 2002, le total de leurs échanges commerciaux a atteint quelque 56 milliards de dollars canadiens, soit 35 milliards d'euros, et cette activité commerciale est en croissance.

Toutefois, à une époque de grands changements et, comme l'UE évolue, les relations entre le Canada et l'UE doivent en faire autant. À pareille date l'an prochain, dix nouveaux pays se seront joints à l'UE. Le Canada se réjouit de cette expansion, mais sait pertinemment qu'elle supposera une adaptation. Ainsi, les Canadiens -en particulier les parlementaires- doivent être au fait des réalités changeantes de l'Europe.

Les relations entre le Canada et l'Europe - notamment la France - reposent sur un certain nombre de fondements solides : une histoire culturelle commune, des langues communes, des liens personnels et familiaux étroits, une coopération bien établie au fil des ans et une perspective commune dans plusieurs domaines stratégiques.

a) Héritage européen du Canada

Même si le Canada est un pays multiculturel, un pays où habitent des représentants de plus de 200 groupes ethniques de tous les coins du monde, son héritage européen demeure très marqué. Selon le dernier recensement, près de 80 % des 30 millions d'habitants comptent des Européens parmi leurs ancêtres. Les premiers colons venaient de France et des îles Britanniques. Ils ont fondé des colonies qui conservaient des liens étroits avec l'Europe. Ils ont été suivis par des ressortissants d'autres régions d'Europe, notamment d'Allemagne, d'Italie et d'Ukraine. Jusqu'à la fin du siècle dernier, la plupart des immigrants au Canada étaient des Européens. En effet, avant 1961, 90 % des immigrants au Canada étaient nés en Europe. Cette proportion a ensuite commencé à fléchir, de telle sorte qu'entre 1991 et 2001, 20 % seulement des immigrants étaient européens.

Néanmoins, dans le recensement de 2001, la plupart des répondants d'origine « ethnique » se sont déclarés d'origine européenne. Outre l'origine « canadienne », dont se réclamaient 11,7 millions de personnes - la plupart étant probablement de descendance anglaise ou française -, les origines ethniques les plus souvent déclarées étaient les origines anglaise (6 millions), française (4,7 millions), écossaise (4,2 millions) et irlandaise (3,8 millions).

L'héritage européen du Canada se remarque au fait que l'Europe est une importante destination touristique des Canadiens : près de 2 millions de Canadiens ont visité l'Europe en 2000. Les Canadiens qui voyagent en Europe constatent rapidement à quel point leur héritage culturel est européen. La cuisine, l'architecture, la musique, la littérature et la peinture canadiennes sont essentiellement d'inspiration européenne. Les traditions parlementaires viennent de Grande-Bretagne, alors que la Charte canadienne des droits et libertés s'inspire de la Déclaration universelle des droits de l'homme française. Le système juridique canadien s'inspire également des traditions britannique et française. Le régime de « common law » est en usage dans neuf provinces, alors que le Québec est sous le régime du droit civil.

b) Relations entre le Canada et l'Europe

Les premières relations qu'a entretenues le Canada avec l'Europe étaient donc celles d'une colonie. Les premiers colons sont venus au Canada en quête de poisson et de fourrures, qu'ils exportaient vers l'Europe. Peu à peu, les villages ont grossi et les colonies se sont développées. De fait, les marchands de fourrure français ont exploré la plus grande partie du continent nord-américain. Au fil des ans, le commerce d'autres matières premières s'est développé, notamment celui du bois et du blé. Au siècle dernier, certains produits comme les minéraux et les pâtes et papiers ont pris de l'importance. Aujourd'hui toutefois, le Canada n'est plus simplement un exportateur de matières premières. En 2002, la valeur de ses exportations de machinerie et d'équipement et de produits industriels vers l'UE a dépassé de loin la valeur de ses exportations de produits forestiers, agricoles et halieutiques.

La relation entre le Canada et l'Europe s'est resserrée au cours des deux guerres mondiales et, après la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a participé activement à la création d'institutions qui définissent aujourd'hui la communauté internationale. Il a été membre fondateur des Nations Unies en 1945. À partir du début de la guerre froide, il est aussi devenu un membre actif de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et, à compter des années 1950, il a envoyé des troupes en Europe. Le Canada a retiré la plupart de ses troupes d'Europe au début des années 1990, mais sa coopération avec l'Europe se poursuit par l'entremise de l'OTAN. De plus, les forces de l'air de plusieurs pays européens s'entraînent au Canada.

Le Canada accorde beaucoup d'importance aux organisations multilatérales. En 1973, le Canada a adhéré à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il prend aussi part aux activités d'un certain nombre d'autres organisations, dont plusieurs ont une dimension européenne : la francophonie, le Commonwealth, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Canada est aussi membre du G8 avec la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la Russie.

Un des résultats les plus tangibles de la politique étrangère du Canada est le rôle qu'il joue dans le maintien de la paix. Même si la plupart de ses opérations de maintien de la paix se sont déroulées au Moyen-Orient et en Afrique, il a maintenu des troupes à Chypre pendant près de 40 ans et est intervenu de façon importante dans les Balkans. Au cours de leur diverses missions, ses gardiens de la paix et ceux de pays européens ont souvent travaillé de concert.

Le Canada et l'UE ont plusieurs objectifs communs en matière de politique étrangère. Leur coopération a porté essentiellement sur des questions de sécurité humaine. Dans le domaine du déminage, l'UE et le Canada ont préparé l'adoption de la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction - la Convention d'Ottawa. Dans le domaine des armes légères, l'UE et le Canada partagent la même vision pour ce qui est de la façon de lutter contre leur prolifération et leur accumulation, qui joue une rôle dans la déstabilisation de certains pays.

c) Relations Canada-UE

La coopération officielle entre le Canada et l'UE a débuté en 1976 avec la conclusion de l'Accord cadre de coopération commerciale et économique, qui visait à faciliter le commerce transatlantique entre le Canada et la Communauté économique européenne d'alors.

Depuis, les liens déjà étroits entre le Canada et l'UE ont été grandement renforcés. La Déclaration transatlantique de 1990 ainsi que la Déclaration politique conjointe et le Plan d'action Canada-UE de 1996 ont renforcé cette relation et ont mené à une coopération étroite entre le Canada et l'UE à tous les niveaux. En particulier, la Déclaration politique et le Plan d'action ont permis d'étendre la coopération à des questions de politique étrangère et de politique de sécurité, au développement et à l'aide humanitaire, à l'environnement et à des questions de criminalité et de migration transnationales.

Des rencontres régulières entre le Canada et les États membres de l'UE et des représentants de l'UE constituent un élément important de la relation. Depuis 1990, il y a eu des sommets semestriels, auxquels ont participé le premier ministre du Canada et les présidents de la Commission européenne et du Conseil d'Europe. De plus, des hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral canadien et de la Commission européenne, ainsi que des représentants des provinces canadiennes et des États membres de l'UE, se réunissent au sein du Comité mixte de coopération qui se penche une fois l'an sur les relations économiques et commerciales.

Ces réunions permettent aux parties de se consulter régulièrement sur des questions de politique étrangère et de politique de sécurité et sur des questions de sécurité régionale. Le Canada et l'UE ont fait des déclarations communes sur plusieurs questions, dont la non-prolifération des armes, le contrôle des armements et le désarmement, la coopération au sein de forums des Nations Unies, l'OMC et le changement climatique.

La Commission européenne a adopté en mai 2003 une communication, adressée au Conseil des ministres et au Parlement Européen et présentée au Premier ministre canadien, le très honorable Jean Chrétien, au sommet UE-Canada à Athènes. Elle vise à renforcer la coopération avec le Canada notamment dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l'UE, de la collaboration en matière de justice, d'environnement et d'éducation.

Elle présente également les premières réflexions de la Commission sur le contenu et le champ d'application possible d'un accord bilatéral en matière de commerce et d'investissement. Les dirigeants canadiens et européens réunis à Athènes se sont entendus pour renforcer leur relation bilatérale à tous les niveaux et ont reconnu l'importance accrue de leur partenariat dans le contexte mondial actuel.

D'autres forums facilitent les échanges Canada-Europe. La Table ronde Canada-Europe (TRCE), entre autres, est un forum permanent qui permet aux grands chefs d'entreprise de dialoguer entre eux et avec les gouvernements au sujet des grandes questions de commerce et d'investissement. La première table ronde a eu lieu en 1999 à l'instigation de plusieurs sociétés européennes et canadiennes. La TRCE fonctionne parallèlement au mécanisme établi pour l'élaboration de politiques.

La Déclaration conjointe sur la justice et les affaires intérieures est un bon exemple de coopération Canada-UE. Le Canada est le seul pays autre que les États-Unis à participer à des rencontres transatlantiques régulières sur l'immigration, l'asile, le crime organisé et la coopération judiciaire.

Enfin, l'éducation est un autre domaine dans lequel le Canada et l'UE collaborent étroitement. En janvier 2000, la Commission européenne a inauguré quatre centres de l'UE dans des universités canadiennes. Ces centres s'ajoutaient à une chaire qui existait déjà à l'Université de Montréal. De plus, grâce à l'Accord sur l'enseignement supérieur et la formation de 1996, plus de 1 500 étudiants ont eu droit à un stage d'études outre-Atlantique, soit en Europe, soit au Canada.

d) Relations Canada-UE : un monde en évolution

Il est important que les relations entre le Canada et l'UE reposent sur une base solide, parce que les deux parties ont dû s'adapter à de nombreux changements, en particulier depuis la fin de la guerre froide. Un volet de cette évolution s'est déroulé à l'échelle régionale. Du coté canadien, un accord de libre-échange a été conclu avec les États-Unis d'Amérique en 1989 et, en 1994 ; cet accord a été élargi au Mexique dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain. Depuis, le Canada dépend plus étroitement du marché américain. L'importance relative des échanges commerciaux avec l'UE - y compris le Royaume-Uni, deuxième partenaire commercial à une époque - a diminué depuis le milieu des années 1960.

Le Canada a aussi conclu des accords de libre-échange avec le Chili et le Costa Rica, et les négociations sont en cours pour créer une zone de libre-échange des Amériques. L'objectif est de créer d'ici à 2005 une zone de libre-échange qui regrouperait les 34 États démocratiques de l'hémisphère occidental.

Entre-temps, l'UE a aussi connu sa part de changements. Avec la signature du Traité d'accession le 10 avril dernier à Athènes, 10 nouveaux pays, dont plusieurs d'Europe centrale et d'Europe de l'Est, s'apprêtent à adhérer à l'Union en mai 2004. Il en résultera un marché commun comptant plus de 480 millions de consommateurs s'appuyant sur un PIB d'environ 12,8 milliards de dollars ou 8 milliards d'euros. Ce marché se comparera par sa taille à celui des pays de l'ALENA, qui compte 412 millions de consommateurs et dont le PIB est d'environ 14,7 milliards de dollars ou 9,2 milliards d'euros.

Le Canada a fourni une aide technique et économique appréciable à nombre de pays qui s'apprêtent à rejoindre les rangs de l'UE, qu'il s'agisse d'encourager la saine gouvernance et la transparence, de construire une société civile ou de créer des institutions. Ces efforts ont porté fruit puisque ces pays ont satisfait aux conditions d'adhésion imposées par l'UE.

À cause des changements qu'ont connus l'Europe et les Amériques, il est important de faire le point sur la relation qui existe entre le Canada et l'UE. Il est essentiel pour les parlementaires de comprendre la situation telle qu'elle se présente.

e) Relations commerciales Canada-UE

M. Georges Farrah a souligné que la relation commerciale entre le Canada et l'UE est importante et constitue une base solide pour une croissance future. L'UE est le deuxième partenaire du Canada en matière de commerce et d'investissement, et le Canada veut élargir cette relation, d'autant plus que l'UE entend grossir ses rangs en accueillant de nouveaux membres.

En 2002, les exportations totales de marchandises du Canada à destination de l'UE ont atteint 17 milliards de dollars - soit 4,3 % de ses exportations totales. Depuis 1991, les exportations du Canada vers l'UE ont augmenté de 4,5 % par an, contre 2,9 % pour celles à destination du reste du monde, hormis les États-Unis. Entre-temps, les importations canadiennes en provenance de l'UE ont augmenté au rythme de 10 % environ par an. En 2002, les importations en provenance de l'UE ont atteint 39 milliards de dollars. Le Canada enregistre, au chapitre ses échanges commerciaux de produits avec l'UE, un déficit croissant, qui s'établissait à environ 22 milliards de dollars en 2002.

Au commerce de marchandises s'ajoutent des échanges bilatéraux de services qui ont atteint 20,5 milliards de dollars en 2002. Les investissements ont également contribué à renforcer nos liens économiques. Le chiffre des investissements étrangers directs (IED) du Canada dans l'UE a augmenté sensiblement depuis une décennie et, depuis 1996, il ne s'éloigne pas beaucoup du chiffre des IED de l'UE au Canada. En 2002, le chiffre des IED du Canada dans l'UE s'élevait à 99,9 milliards de dollars, soit un peu moins du quart de tous les IED du Canada, alors que le chiffre des IED de l'UE au Canada s'élevait à 94 milliards de dollars, soit un peu plus du quart de tous les IED au Canada.

Les relations Canada-UE en matière de commerce et d'investissement sont régies par des accords de l'OMC et par l'Accord cadre de coopération commerciale et économique, signé en 1976. Plusieurs autres accords bilatéraux portent sur la coopération en matière de douanes, de sciences et de technologie, de normes de piégeage, de commerce de boissons alcoolisées, d'inspections vétérinaires et de reconnaissance mutuelle des règles d'homologation et de vérification des produits à des fins de normalisation. Ces accords, de même que la Déclaration transatlantique de 1990 et la Déclaration politique conjointe et le Plan d'action Canada-UE de 1996, constituent la base qui permettra d'approfondir la relation entre le Canada et l'UE.

Lors du sommet Canada-UE de décembre 1998, il a été convenu de développer le volet commercial du Plan d'action Canada-UE en lançant l'Initiative commerciale Canada-Union européenne (ICCU), qui établissait un sous-ensemble d'objectifs réalisables dans un temps raisonnable concernant l'accès aux marchés et la coopération économique. Ces objectifs comprenaient la coopération en matière de réglementation, les services, les achats par les gouvernements, la propriété intellectuelle, la concurrence, la coopération culturelle, la mise en rapport des entreprises et le commerce électronique.

La négociation commerciale multilatérale à venir devrait porter sur les obstacles existants au commerce et à l'investissement entre le Canada et l'UE, mais d'autres mesures sont envisagées pour libéraliser davantage le commerce et l'investissement bilatéraux. Selon deux sondages récents, les marchés canadien et européen intéressent le milieu des affaires et les problèmes de réglementation sont un des principaux obstacles au commerce, un autre étant les tarifs.

Plusieurs accords sectoriels bilatéraux ont été conclus dans le cadre du Plan d'action Canada-UE et de l'ICCU, notamment des accords concernant la coopération douanière, la conformité des produits, les normes vétérinaires et les bureaux de la concurrence.

Plusieurs faits nouveaux d'ordre commercial et économique se sont produits au sein de l'UE et ils ont une incidence sur le Canada. On songe ici à l'union économique et monétaire, au perfectionnement des règles d'harmonisation concernant le marché unique, à l'élargissement de l'UE à 25 membres en 2004, aux nouveaux accords bilatéraux de libre-échange, et aux interdictions et aux restrictions de l'UE visant les importations pour protéger la santé, l'environnement et les consommateurs.

L'OMC a aussi évolué. En novembre 2001, un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales a débuté à Doha, au Qatar. Des objectifs ont été fixés dans les domaines de l'agriculture, des services et des produits non agricoles, afin de régler les problèmes d'accès aux marchés, de soutien interne et de subventions à l'exportation. Un délai a aussi été fixé au janvier 2005. Si de nouvelles négociations commerciales multilatérales ont été entreprises avec succès à Doha, c'est en partie grâce à la coopération bilatérale étroite entre le Canada et l'UE.

Par suite de ces événements, le Canada et l'UE tentent maintenant de mettre à jour leurs accords commerciaux bilatéraux. À leur sommet de décembre 2002, le Canada et l'UE se sont engagés à concevoir un nouveau type d'accord bilatéral général, orienté vers l'avenir, pour améliorer le commerce et l'investissement. Les dirigeants ont aussi convenu de travailler à la mise en oeuvre rapide du Programme de Doha pour le développement de l'OMC, pour le plus grand bien des pays développés et en développement.

En avril, le gouvernement du Canada a entrepris de consulter les Canadiens, les provinces et les territoires, les entreprises et les organisations non gouvernementales au sujet du projet d'accord et des obstacles à l'accès au marché européen dont il sera question dans le cadre des négociations courantes de l'OMC. Les ministres canadien et européens du Commerce présenteront des projets d'accord bilatéral lors du prochain sommet Canada-UE qui aura lieu à Ottawa en décembre 2003. Les négociations Canada-UE concernant le projet d'accord devrait débuter en 2004 et se terminer lorsque les résultats des négociations sur le Programme de Doha pour le développement seront connus.

f) Le rôle des parlementaires

M. Georges Farrah a estimé, enfin, que le rôle que peuvent jouer les parlementaires canadiens dans l'examen des relations Canada-UE est important. Ils peuvent agir à maints égards. Ils peuvent poser des questions durant la période des questions et participer à des débats. Leur travail en comité est un autre moyen efficace. Depuis quelques années, des comités du Sénat et de la Chambre des communes ont examiné les relations que le Canada entretient avec l'Europe et avec l'OMC. Ces comités ont grandement contribué au développement des relations entre le Canada et l'UE et à l'élaboration de politiques relatives aux négociations commerciales internationales.

En 1998, le Comité sénatorial des affaires étrangères a publié un rapport intitulé « Le point sur l'Europe : Les implications d'une intégration accrue de l'Europe pour le Canada » , constituant la mise à jour d'un rapport publié en 1996. Il a examiné les conséquences que l'intégration économique européenne pourrait avoir pour le Canada. Entre autres recommandations, le Comité a proposé d'accroître les liens entre le Canada et l'Europe en matière de commerce et d'investissements internationaux.

En juin 2001, le Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé « Traverser l'Atlantique : Élargir les relations économiques entre le Canada et l'Europe » . Dans son rapport, il remarque que l'UE est le deuxième partenaire du Canada en matière de commerce et d'investissement mais que peu de Canadiens connaissent l'importance de l'UE sur le plan économique. Il note aussi que les Européens ont tendance à avoir une perception dépassée de l'économie canadienne, convaincus qu'elle repose essentiellement sur les ressources naturelles. En fait, les produits industriels représentent environ 70 % des exportations canadiennes. Dans le rapport, le Comité propose des moyens de corriger cette image et recommande, entre autres choses, de promouvoir le commerce canadien, de resserrer les liens transatlantiques et d'évaluer les éventuels effets économiques de l'élargissement de l'UE sur le Canada.

Dans un domaine connexe, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international a produit en mai 2002 un rapport sur les négociations de l'OMC. Il a fait plusieurs recommandations concernant le cycle de négociations de Doha, entre autres, que le Canada travaille de concert avec les pays qui partagent les mêmes intérêts afin d'inciter l'OMC à améliorer son processus décisionnel. Le gouvernement a accepté la recommandation.

En plus des comités, les associations parlementaires canadiennes jouent un rôle important dans la relation entre le Parlement canadien et l'UE. Ces associations sont constituées de sénateurs et de députés.

L'Association parlementaire Canada-Europe joue un rôle particulièrement important dans notre relation avec l'UE. Depuis sa création en 1980, elle rencontre, en général une fois l'an, la délégation du Parlement européen responsable des relations avec le Canada. Ensemble, elles poursuivent le dialogue, en particulier sur les questions de sécurité et de défense, les affaires étrangères, les droits de la personne, l'environnement et l'agriculture. L'Association parlementaire Canada-Europe a également des échanges avec l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et envoie des délégués participer au débat annuel sur les activités de l'OCDE. En outre, l'Association envoie une délégation à la réunion annuelle de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE.

En plus de l'Association parlementaire Canada-Europe et de l'Association interparlementaire Canada-France, le Parlement canadien compte l'Association interparlementaire Canada-Royaume-Uni et l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN. À noter également l'existence de deux groupes d'amitié : le Groupe d'amitié Canada-Allemagne et le Groupe d'amitié Canada-Italie.

Les choses ont bien changé depuis la création de l'UE il y a 10 ans. L'intégration au sein de l'UE a conduit à un nouveau type d'organisation supranationale qui ne cesse d'évoluer. Les pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale ont fait de grands efforts pour s'ajuster, et nombre d'entre eux s'apprêtent à devenir membres de l'UE. Entre-temps, l'Accord de libre-échange nord-américain a modifié la structure des échanges commerciaux du Canada.

Le Canada a longtemps considéré ses relations avec l'Europe comme un moyen d'équilibrer sa relation avec les États-Unis. De toute évidence, comme nous sommes voisins des États-Unis, nos relations seront toujours de la plus grande importance. Mais si la géographie nous rapproche des États-Unis, il ne faut pas oublier non plus que l'histoire nous rapproche de l'Europe. L'usage du français au Canada est à l'origine de notre lien privilégié avec la France, et notre situation d'ancienne colonie britannique explique notre relation particulière avec le Royaume-Uni. En outre, l'immigration que le Canada a connue au fil des siècles lui a permis d'établir des liens étroits avec chaque pays d'Europe.

Cependant, le Canada doit examiner sa relation avec l'UE à la lumière de l'évolution des affaires internationales. Aussi forts que puissent être ses liens commerciaux avec les États-Unis, il lui faut diversifier et promouvoir ses échanges commerciaux avec d'autres régions du monde, en particulier avec l'Europe. Les Canadiens savent qu'ils pourraient faire davantage à cet égard. La population canadienne et les entreprises canadiennes doivent prendre davantage conscience de l'importance de nos relations avec l'Europe.

De plus, il est essentiel que les parlementaires connaissent la nature des changements qui influent sur les relations et qu'ils continuent de suivre les événements. Par le travail qu'ils font en comité et les questions qu'ils posent lors de débats, ils peuvent contribuer à façonner la politique canadienne à l'endroit de l'Europe. En tant que représentants de la population, ils remplissent également une fonction importante : éduquer les Canadiens au sujet des grands enjeux.

Les forums tels que les réunions annuelles d'associations parlementaires constituent le moyen idéal pour les aider à s'acquitter de leurs fonctions. Ce sont d'excellentes tribunes pour échanger des idées, dans un cadre officiel ou autrement.

L'avenir semble très prometteur pour les relations transatlantiques. Peu importent les tensions qui surviendront, ces tensions sont normales puisque le Canada entretient des liens étroits avec l'Europe. La poursuite des échanges par l'entremise d'associations parlementaires comme la nôtre ne pourra que renforcer les relations entre le Canada et l'Union européenne.

En conclusion, M. Georges Farrah a cité le ministre canadien des Affaires étrangères, M. Bill Graham, pour qui « somme toute, les relations entre le Canada et l'UE sont solides ; nous devrons veiller à ce qu'elles restent dynamiques et continuent d'évoluer tout comme l'UE elle-même évolue et s'élargit, et faire en sorte qu'elles restent adaptées aux réalités de nos populations respectives et que nos projets de coopération soient constructifs et concrets » .

La sénateur Bacon a remercié M. Farrah pour son intervention et a ouvert le débat.

C. DÉBAT

L'honorable Gérald Beaudoin a souligné l'apport, pour le Canada, de l'Europe dans le domaine juridique et notamment constitutionnel ; c'est ainsi que la Charte européenne des Droits de l'Homme est devenue une référence non seulement pour la Cour constitutionnelle fédérale, qui a été amenée à infléchir sa politique, mais aussi pour les cours constitutionnelles provinciales, qui fondent souvent leurs arrêts sur les dispositions de la Charte.

Madame Dalphond-Guiral a remercié M. Colombier de son exposé sur l'Europe en devenir et soulevé plusieurs questions :

- Sur la manière dont est évaluée l'ampleur du choc économique lié à l'adhésion et sur le mécanisme de déclenchement de la clause de sauvegarde économique pour protéger les petits pays ;

- Sur le droit de chaque pays à déterminer sa propre réglementation en matière d'extradition alors que la libre circulation des biens et des personnes a fait évoluer la notion de frontière en Europe ;

- Le poids démographique étant pris en compte dans le calcul des différentes majorités, comment le recensement est-il réalisé ? Au niveau de l'Europe ? au niveau national ? Dans ce cas les critères peuvent différer d'un pays à l'autre ;

- Sur la position de l'Allemagne dans le débat controversé sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe.
Sur le premier point, M. Colombier a répondu que chaque pays peut saisir la commission puis a laissé la parole à M. François Loncle, plus au fait de ces questions en sa qualité d'ancien président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.

Ce dernier a indiqué qu'il représentait la France à Bruxelles, au sein de la convention chargée de rédiger la Charte des Droits fondamentaux. La mise en place d'une convention qui réunissait à la fois les représentants des instances européennes et des parlementaires nationaux a été une telle réussite que le même dispositif a été repris pour la rédaction de la future Constitution européenne ; une seconde convention a donc été constituée sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing.

Le succès de cette initiative est dû au fait que, pour la première fois, les peuples ont été associés, par l'intermédiaire de leurs représentants - députés et sénateurs -, à la construction de l'Europe, ce qui n'avait pas été le cas, par exemple, lors de l'élaboration du Traité de Maastricht.

La Grande-Bretagne a joué un rôle essentiel lors de l'élaboration de la Charte des Droits fondamentaux ; elle était au départ très réticente sur le volet social, dont les dispositions lui paraissait très contraignantes, et a accepté le texte à la condition qu'il ne figure pas dans le préambule de la Constitution. Finalement, dans le cadre de la Convention sur l'Avenir de l'Europe, elle a consenti à ce que la Charte soit intégrée dans le projet, ce qui est le point le plus positif.

Le projet de Constitution est critiquable notamment parce qu'il n'est pas certain qu'il assure le fonctionnement d'une Europe de trente membres ; la Charte, néanmoins, est un texte fondamental, qui définit ce qu'est l'Europe : un ensemble de valeurs partagées, différentes de celles qui ont cours en Asie ou en Amérique du Nord.

Répondant à la deuxième question, il a indiqué qu'il n'existe pas de législation commune sur l'extradition en Europe, mais qu'un effort d'harmonisation est mené et que, jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'incident.

Il n'y a pas non plus de recensement général ; des organismes communs effectuent des rapprochements, mais il serait effectivement très utile de créer une sorte d'INSEE européen.

L'Allemagne est partagée sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe, comme le sont de nombreux Etats membres, et comme l'est l'opinion publique française. Les Allemands se demandent si l'intégration de la Turquie est compatible avec la conception fédéraliste de l'Europe qui est la leur. C'est pourquoi la question n'est pas tranchée.

La réunification de l'Europe est un acte historique. De fait, les référendums organisés en vue de l'adhésion ont donné des majorités considérables : 70 % de votes favorables en République tchèque ; 77 % en Pologne, et ont suscité des manifestations de joie au sein des populations.

L'Europe est perçue comme une assurance pour la paix et la démocratie ; l'Espagne et le Portugal, qui ont adhéré après les six membres fondateurs, sortaient d'une période de dictature. Préserver la paix et instaurer la démocratie après des années de régime communiste est l'ambition des pays candidats et des nouveaux adhérents.

M. Colombier a confirmé que le pessimisme qui transparaît dans son rapport reflète celui de ses concitoyens, qu'il constate tous les jours en tant qu'élu. Les hommes politiques doivent travailler à convaincre les Français de l'intérêt que représente l'Europe et son élargissement, les réformes - comme par exemple celles de la politique agricole commune - suscitant une grande inquiétude. L'enthousiasme est manifestement plus grand dans les pays candidats ou nouveaux adhérents qu'au sein des quinze pays membres.

M. Laffineur a ajouté que l'Europe a apporté non seulement la paix, mais aussi la croissance.

Mme Frulla a rappelé que plusieurs articles parus dans le journal « le Monde » faisaient état de l'appréhension des Français à l'égard de l'élargissement, sur différents points : défense du français ; respect des équilibres entre grands et petits pays ; politique étrangère, de sécurité et de défense - et à cet égard, l'absence d'une position commune lors de la guerre en Irak pourrait conduire à de grandes dissensions -; économie : disparité dans les rythmes de croissance.

Pour M. Laffineur il n'est pas certain, en effet, qu'un référendum organisé en France à l'heure actuelle donnerait un résultat positif. Il a estimé que la question du français n'est pas prédominante ; en revanche, celle de la défense est un souci majeur ; il faut tenir compte de l'histoire des pays candidats, qui souhaitent une protection que l'Europe, à la différence des Etats-Unis, ne peut encore leur apporter. La Convention a précisément pour mission d'essayer de résoudre les problèmes et une solution pourrait être trouvée dans la mise en place d'une coopération renforcée entre Etats.

M. Colombier a approuvé les propos de M.Laffineur et espère que la divergence des positions sur l'engagement en Irak ne laissera pas de traces. Il a déploré l'attitude de la Pologne qui s'est dotée d'avions de combat américains F16 plutôt que d'appareils produits par l'industrie européenne, alors qu'elle venait juste d'obtenir de l'Europe des gages financiers considérables.

M. Loncle a estimé que l'on n'a pas pris la mesure des attentes et des préoccupations des pays candidats, et que l'on méconnaît leur état d'esprit. C'est ainsi que les pays baltes ont suggéré de rebaptiser l'Union européenne, le terme « union » évoquant l'Union soviétique.

Il est donc certain que ces pays se tourneront vers les Etats-Unis si l'Europe ne parvient pas à construire une politique de défense et de sécurité commune.

Il faut effacer les dissensions sur l'Irak et, à cet égard, un ministre des Affaires étrangères de l'Europe peut jouer un rôle plus efficace que le haut représentant de l'Union pour la politique étrangère et de sécurité commune, M. Solana.

M. Godin s'est interrogé sur la question de la souveraineté et du libre-échange. La création d'une Union en Europe ne comporte-t-elle pas le risque de favoriser la domination de l'Etat le plus puissant, comme c'est le cas des Etats-Unis au sein de l'Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA), par exemple en matière de protection des droits des travailleurs ?

M. Laffineur a indiqué que la situation en Europe est différente dans la mesure où aucun pays n'occupe une position aussi dominante que celle des Etats-Unis au sein de l'ALENA et que, de ce fait, les règles sont fixées de manière plus consensuelle.

M. Colombier a observé que l'existence de l'OMC joue un rôle positif pour éviter que les « gros mangent les petits ». Une Europe élargie pèsera plus lourd face aux Etats-Unis, ce qui favorisera la prise en compte de la dimension humaine dans les relations commerciales.

Selon M. Loncle, l'Europe s'était insuffisamment préparée à la rencontre de Seattle et elle a subi un échec ; à Doha, en revanche, s'étant mieux organisée, elle a eu une influence plus grande, grâce à l'appui de ses alliés, et du Canada en particulier. Ainsi, l'Europe devra s'affirmer en augmentant son poids économique et en cultivant ses alliances, dans le domaine culturel notamment, où elle partage les préoccupations du Canada face aux Etats-Unis.

M. Farrah a indiqué que l'un des objectifs du Canada est de diversifier ses échanges pour réduire sa dépendance à l'égard des Etats-Unis, et de s'appuyer pour ce faire sur des alliés et amis comme la France.

M. Laffineur a conclu que l'intérêt du monde, y compris des Etats-Unis, est que l'Europe soit forte et dispose d'une capacité de défense suffisante, ce qui est l'une de ses priorités.

*

* *

Avant de passer au point suivant de l'ordre du jour et pour répondre à la demande de plusieurs délégués canadiens, M. Laffineur a exposé très brièvement les raisons de l'échec du référendum qui venait de se dérouler en Corse.

Il a rappelé qu'une petite fraction de la population, inférieure à 10 %, revendique ouvertement l'indépendance et s'exprime depuis des années par la violence, en faisant régulièrement exploser des bombes et en recourant aux règlements de comptes et à d'autres formes d'attentats. Les gouvernements successifs ont cherché, sans grand résultat, une solution au problème corse, rendu plus compliqué par l'interpénétration des milieux nationalistes et des réseaux mafieux. Le projet du gouvernement, soumis au référendum, visait à proposer une plus grande autonomie aux Corses dans la gestion des affaires intérieures de l'île en supprimant les cadres existants - deux départements et une région pour 270.000 habitants - pour les remplacer par une collectivité territoriale unique au sein de laquelle toutes les tendances politiques seraient représentées.

Mais la conjonction de plusieurs phénomènes a entraîne le rejet du projet de réforme. Aux électeurs de Bastia - qui perdait sa préfecture dans la réforme et craignait une perte d'influence - qui ont voté non à 70 %, se sont ajoutées les voix des Corses troublés par le soutien des nationalistes à ce projet, celles des nombreux fonctionnaires rendus mécontents par la réforme des retraites en cours - qui concerne principalement la fonction publique - ainsi que celles des nationalistes mécontents de l'arrestation d'Yvan Colonna, le meurtrier présumé du préfet Erignac.

En conclusion , M. Laffineur a fait part de sa crainte que le maintien du statu quo signifie le retour des attentats et empêche encore pour longtemps cette île, au demeurant magnifique, de connaître le développement qu'elle attend car les investisseurs ne sont pas prêts à prendre les risques entraînés par cet état d'insécurité permanent.

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* *

* 1 ALENA : Accord de libre-échange Nord-américain entre le Canada, le Mexique et les Etats-Unis

* 2 68 % du commerce extérieur des 10 pays candidats se fait déjà avec l'UE

* 3 PAC : Politique agricole communautaire

* 4 CIG : conférence intergouvernementale

* 5 Le Conseil européen est composée des Chefs d'Etat et de Gouvernement des pays membres.

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